Matthieu 3, 2

« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »

« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Fulcran Vigouroux
Le royaume des cieux. ― « Le mot, royaume de Dieu, employé plus de cinquante fois par saint Marc et par saint Luc ; celui de royaume des cieux, non moins souvent répété par saint Matthieu ; ceux de royaume du Christ ou simplement de royaume par excellence, semblent pris indistinctement ou à peu près dans le même sens. Ils sont propres à la révélation chrétienne, dit saint Augustin. Néanmoins l’expression royaume des cieux était déjà employée par le Précurseur pour annoncer l’avènement du Sauveur, et nous avons lieu de croire qu’elle était dès lors en usage pour désigner l’œuvre du Messie ou le nouvel état religieux et politique qu’on s’attendait à lui voir fonder. Dans l’esprit de Notre-Seigneur, ces mots n’avaient un sens non moins précis qu’étendu. Ils signifiaient la société chrétienne, l’Eglise dont il devait être le fondateur et le chef ; le grand royaume prédit par Daniel, comme supérieur à tout autre ; royaume véritablement divin, qui ne tire d’ici-bas ni son origine, ni son autorité, ni sa constitution, ni sa hiérarchie ; royaume surnaturel, qui n’admet dans son sein que des hommes régénérés, élevés à la dignité d’enfants de Dieu ; royaume universel, dont l’autorité s’étend sur le monde entier et qui aspire à s’incorporer tous les peuples ; royaume [longtemps] combattu et incomplet sur la terre [jusqu’au jour où le Christ reviendra sur terre dans sa Puissance pour instaurer son Règne glorieux, voir Matthieu, note 16.28] ; royaume éternel néanmoins, qui ne finira pas ici-bas avant la fin des temps, et qui doit se perpétuer et se consommer dans le ciel pour l’éternité. Mais il s’en faut que ces expressions aient éveillé dès lors des idées aussi nettes et aussi exactes dans tous ceux qui les entendaient. Comme elles n’énonçaient clairement qu’une chose, à savoir, que le Messie régnerait et que sa royauté ne serait pas [seulement] terrestre comme les autres, elles permettaient à chacun de faire ses conjectures et de garder les vues qu’il pouvait avoir sur les caractères, les prérogatives et les destinées de cette royauté à venir. On ne la désirait pas avec moins d’ardeur ; au contraire. Ce qu’il y avait de vague dans l’idée qu’on s’en formait servait à écarter les difficultés ; et les ennemis du Sauveur, comme ses disciples, s’accordaient pour désirer voir bientôt s’accomplir les desseins du ciel. » (L. BACUEZ.)
Louis-Claude Fillion
Faites pénitence, c’est le cri, “convertissez-vous”, que le Prophètes avaient fait si souvent retentir : ce sera également le cri de Jésus, Cf. 4, 17, le cri de tous les messagers envoyés par Dieu aux hommes pour les sauver. Il exprime très énergiquement la nature de la vraie pénitence. Ce mot suppose une transformation complète du sens moral, toute une révolution opérée dans l’âme, et par suite dans les voies extérieures des pénitents ; mais l’essentiel se passe au fond du cœur. Le Talmud assure en termes exprès que cette pénitence est nécessaire pour avoir part au royaume et au salut messianiques : « Si les Israélites font pénitence, alors ils seront libérés par le Messie », Sanh. F.97, 2. Elle était d’autant plus nécessaire que, d’une part, le Messie venait précisément sur la terre pour effacer le péché, Cf. Matth. 1, 21, ce qui ne saurait avoir lieu sans le repentir sincère, et que, d’autre part, les Juifs étaient alors très corrompus. L’historien Josèphe, leur concitoyen, témoigne l’indignation que lui inspiraient leurs vices honteux : « Je crois que, si les Romains avaient tardé à punir ces misérables, la ville eût été engloutie dans un abîme ou détruite par une inondation, ou qu'elle eût attiré sur elle la foudre de Sodome ; car elle a produit une race beaucoup plus impie que celle qui a subi ces châtiments », de Bell. Jud. Livre 5, c.13. – Est proche. Nous allons entendre le motif pour lequel S. Jean-Baptiste exhorte à la pénitence d’une manière si pressante : Le royaume des cieux est proche ! “Approche” au prétérit ; par conséquent “il est presque là”. – Mais que faut-il entendre par le royaume des cieux qui nous apparaît ici pour la première fois ? Distinguons le nom et l’idée. 1° Parmi les écrivains du Nouveau Testament, S. Matthieu emploie seul cette locution qu’il répète environ trente fois et qui désigne, selon la lettre, un royaume venu du ciel, établi par le ciel, tendant au ciel. Cependant les autres évangélistes et S. Paul parlent fréquemment aussi d’un royaume semblable et en des termes à peu près identiques : “Royaume des cieux, règne de Dieu, règne du Christ, règne du Fils de Dieu, règne du Fils de l'homme”, ou simplement “règne”. Toutes ces expressions sont évidemment synonymes ; elles ne diffèrent guère que par le sujet auquel elles attribuent le royaume en question : c’est tantôt le Père, tantôt le Fils, selon le point de vue auquel on se place. Il ne faudrait pas croire qu’elles fussent alors complètement nouvelles et qu’on ne les rencontre que dans les pages du Nouveau Testament. Les Rabbins les emploient très souvent ; le livre de la Sagesse, 10, 10. En remontant plus haut jusqu’à Daniel, jusqu’à David, nous trouvons ce royaume annoncé déjà d’une manière générale ; Cf. Dan. 7, 13, 14, 27, etc. ; Ps. 2, 109. Le “Royaume des cieux” est donc une des notions qui, visibles à l’état de germe dans les livres protocanoniques de l’Ancienne Alliance, se développent en passant par les écrits deutérocanoniques et sous la plume des vieux Rabbins, pour se montrer en parfaite maturité et en pleine lumière dans le Nouveau Testament. 2° L’idée représentée par ce nom était très claire pour les Juifs contemporains de Notre-Seigneur Jésus-Christ : tout le monde savait fort bien qu’il désignait le royaume messianique, ce royaume éminemment céleste dans son origine, dans ses moyens, dans sa fin, dans son auguste Souverain. Mais la connaissance exacte de Dieu et de ses relations avec le monde nous fournit là-dessus des lumières plus complètes encore, capables d’éclaircir maints passages dogmatiques des Saints Évangiles. Dès que le Seigneur sortit de lui-même comme Créateur, qu’il eût formé des êtres libres, il exista un royaume dont il devint l’unique Maître. Ce “royaume de Dieu” demeura pur et parfait tant que le péché ne se fut pas introduit sur la terre ; car, jusqu’à cette heure funeste, la plus étroite union ne cessa d’exister entre le gouvernant et les gouvernés. Mais, après la désobéissance d’Adam, le mal pénétra dans le royaume de Dieu, qui se serait immédiatement transformé en un royaume de Satan, si le Créateur n’eût agi dès lors pour nous sauver. A ce moment, du vivant même de notre premier père, commence le royaume du Messie. A la place du “règne de Dieu” s’ouvre donc le “règne du Fils de Dieu” qui eut trois phases distinctes dans le cours des temps. 1. Il fut d’abord tout intérieur, existant dans l’âme des justes, des enfants de Dieu, comme les appelle la Bible. 2. Plus tard, il se manifesta au dehors, quand Jéhova fit une alliance spéciale avec Israël, et qu’il le choisit pour son peuple de prédilection. 3. Mais la théocratie juive n’était qu’une figure, qu’une préparation à la forme parfaite du royaume messianique. C’est l’Église chrétienne qui est aujourd’hui, qui sera jusqu’à la fin du monde le véritable royaume du Messie. Cependant, durant ces trois périodes, le royaume du mal subsiste à côté de celui du Christ auquel il fait une guerre acharnée, et cette lutte durera jusqu’au jugement final. Mais alors, quand le règne de Satan aura été anéanti avec la mort et le péché, quand notre corps, ainsi que notre âme, aura participé à la Rédemption, quand toute la nature aura été régénérée, le Messie victorieux remettra son autorité entre les mains de son Père. En réunissant ces différentes notions, on peut avoir une idée suffisamment exacte du “règne des cieux” tel qu’il est dépeint dans les écrits du Nouveau Testament, et l’on comprend pourquoi il ne nous y est pas toujours présenté sous le même aspect, mais tantôt comme présent, tantôt comme futur, tantôt comme intérieur, tantôt comme extérieur. Voir Olshausen et Bisping in h. J. – Le royaume des cieux ou du Messie était alors impatiemment attendu par les Juifs ; aussi furent-ils vivement émus quand le Précurseur leur en annonça l’établissement prochain, et qu’il leur dit de s’y préparer par une conversion sincère, s’ils voulaient avoir part à ses suites heureuses. Mais quelle idée grossière et charnelle ils s’en faisaient ! Vraiment, ce n’était plus un royaume céleste, tant ils l’avaient défiguré en rattachant au trône messianique des espérances étranges nées de l’orgueil, de l’égoïsme et des autres passions humaines ! Le Messie-Roi devait d’abord faire son apparition au milieu de prodiges signalés : son premier acte serait de ressusciter tous les descendants d’Abraham, le second de marcher avec eux contre les païens qu’il soumettrait par la force des armes à la domination israélite. Alors commencerait un règne de mille ans, règne de prospérité, de gloire et de plaisirs. Voilà ce qu’enseignaient ouvertement les Rabbins, ce que les Apôtres croyaient comme les autres, ainsi que nous le verrons par plusieurs passages des Évangiles. Jésus luttera constamment, ouvertement, contre ces idées fausses de ses contemporains ; mais il réussira bien rarement à les convaincre, et tout le secret de son insuccès auprès de la plupart des Juifs consiste précisément dans son refus perpétuel de se prêter au rôle tout humain qu’ils attribuaient au Messie.
Saint Thomas d'Aquin
278. Vient ensuite : FAITES PÉNITENCE etc. Jean annonce une nouvelle vie, comme dit Augustin dans son livre Sur la pénitence : «Nul homme qui est établi arbitre de sa volonté ne peut commencer une nouvelle vie s’il ne se repent de son ancienne vie.» Regarde dans la Glose. C’est pourquoi il exhorte d’abord à la pénitence ; deuxièmement, il annonce le salut, en cet endroit : LE ROYAUME DES CIEUX VA S’APPROCHER. De même, FAITES PÉNITENCE, par laquelle est [donnée] la rémission des péchés.

279. Chrysostome [écrit] : «À la naissance du Fils de Dieu, Dieu envoya un crieur public dans le monde ». Et il faut noter que faire pénitence est autre chose que se repentir. Celui qui se repent pleure ses péchés et ne commet pas d’actes qui méritent d’être pleurés. Et il faut savoir que tout se rapporte à une décision de l’esprit, de sorte qu’on dise qu’il ne commet pas d’actes méritant d’être pleurés, c’est-à-dire qu’il se propose de ne pas en commettre : c’est ce que réclame le repentir. Faire pénitence, par contre, c’est donner satisfaction pour ses péchés, Lc 3, 8 : Produisez des fruits dignes de la pénitence.

280. Ici se pose une question : alors que tous les péchés sont remis dans le baptême, pourquoi Jean, annonçant le baptême du Christ, commence-t-il par la pénitence ? Et il est répondu dans la Glose qu’il y a une triple pénitence : avant le baptême, parce qu’il faut qu’on regrette ses péchés quand on s’approche ; après le baptême, [parce qu’il faut qu’on regrette] ses péchés mortels ; [la pénitence pour] ses péchés véniels. Il s’agit ici de la pénitence qui se situe après le baptême. C’est pourquoi Pierre a dit en Ac 2, 38 : Faites pénitence, c’est-à-dire pour être prêts à poursuivre le salut.

281. VA S’APPROCHER. Notez que jamais dans l’Écriture de l’Ancien Testament on ne trouve la promesse du royaume des cieux. Jean est le premier à l’annoncer, ce qui convient à sa dignité.

282. Dans l’Écriture, le royaume des cieux se comprend de quatre façons. Parfois le Christ lui-même est dit habiter en nous par grâce, Lc 17, 21 : Le royaume de Dieu est à l’intérieur de vous. Et on l’appelle royaume des cieux parce que c’est par la grâce qui habite en nous que commence pour nous la voie du royaume céleste. Deuxièmement, [on appelle royaume des cieux] la Sainte Écriture, plus loin, 21, 43 : Le royaume de Dieu sera enlevé de vous, c’est-à-dire la Sainte Écriture. Et on l’appelle royaume parce que sa loi conduit vers le royaume. Troisièmement, on appelle ainsi l’Église militante présente, Mt 13, 47 : Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer, et rassemblant toutes sortes de poissons etc. Et on l’appelle royaume des cieux parce qu’elle a été instituée à la manière de l’Eglise céleste. Quatrièmement, on appelle royaume des cieux l’assemblée céleste, Mt 8, 11 : Ils viendront d’orient et d’occident, et ils se coucheront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux.

283. Avant l’époque de Jean, il n’en était pas fait mention, si ce n’est du royaume des Jébuséens, Ex 3, 8, mais désormais le royaume des cieux est promis à son Église.