Matthieu 3, 11

Moi, je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.

Moi, je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Fulcran Vigouroux
C’était la coutume des Hébreux, aussi bien que des Grecs et des Romains, de faire porter, lier et délier leurs souliers par les derniers de leurs esclaves. ― Dans l’Esprit saint et dans le feu ; c’est-à-dire dans l’Esprit saint qui purifie et qui enflamme comme le feu.
Louis-Claude Fillion
Parole d’instruction, relative à Jésus-Christ qui était le centre de la prédication de Jean-Baptiste. La liaison de ce verset avec le 10ème a été diversement indiquée. Elle consiste, d’après l’opinion la plus probable, dans la pensée suivante : Ce n’est pas moi qui exécuterai le redoutable jugement dont je viens de vous parler, le Messie lui-même sera votre juge. On sait que le Précurseur rendit témoignage à Notre-Seigneur Jésus-Christ devant trois sortes d’auditoires : l’ensemble du peuple, la délégation du Sanhédrin, ses propres disciples ; nous trouvons ici un exemple de la manière dont il proclamait la haute dignité et le rôle supérieur du Christ, en présence de la foule mélangée qui accourait de tous côtés pour l’entendre. - Moi… mais celui... Le témoignage a lieu sous la forme d’un double rapprochement, rapprochement entre les baptêmes, rapprochement entre les personnes. - a. Les baptêmes. Je vous baptise... Ces paroles du Précurseur achèvent de nous donner une juste idée de son baptême, dont elle précise nettement la nature, le but et l’infériorité par rapport à celui qu’instituera le Christ. - Dans l'eau : je n’administre que le symbole extérieur, c’est un autre qui donnera la réalité. - Pour la pénitence. S. Marc, 1, 4, appelle de même le baptême de S. Jean un « baptême de pénitence pour la rémission des péchés ». Ces mots indiquent la fin, la tendance des immersions prescrites par le Précurseur : elles sont destinées simplement à exciter le repentir dans les consciences ; elles ne sont pas assez puissantes pour agir « ex opere operato » (par la seule valeur du sacrement validement administré), pour effacer véritablement les taches de l’âme, car elles ne lavent qu’au dehors. - Au contraire, Lui, il vous baptisera… « Dans l' Esprit Saint », c’est donc l’Esprit de Dieu qui est le principe de la purification et de la profonde régénération intérieure produites par le baptême du Christ. Quelques anciens manuscrits ont supprimé les mots « et dans le feu » que les copistes croyaient peut-être inutiles ; mais ils ont une très grande importance dans ce passage, et d’ailleurs leur authenticité est parfaitement démontrée. Les exégètes sont pourtant loin d’être d’accord relativement à leur vraie signification. Suivant Origène, S. Basile le Grand et un assez grand nombre d’auteurs contemporains, « feu » désignerait ici les flammes de l’enfer comme au v. 12, de telle sorte qu’il s’agirait d’un troisième baptême, le baptême des pécheurs impénitents dans le feu éternel. Mais il est manifeste que cette interprétation ne repose sur aucun fondement sérieux. 1° Elle introduit une regrettable confusion d’idées dans ce verset. 2° Elle a contre elle les expressions mêmes employées par S. Jean. Pourquoi dit-il « dans l'Esprit Saint et dans le feu », et non pas « et dans le feu », s’il veut parler de deux baptêmes distincts ou plutôt opposés ? L’union intime qu’il établit entre les substantifs suppose l’unité du fait représenté par eux. De même, comment peut-il vouer les mêmes personnes, « vous », à l’Esprit Saint et au feu de l’enfer ? Ne pouvait-il pas au moins mettre la particule « ou » à la place de « et » ? 3° Nulle part, dans l’Écriture, les peines de l’enfer ne sont comparées à un baptême de feu. Pour tous ces motifs réunis, l’antiquité a vu le plus souvent dans l’expression « et dans le feu » une apposition à « Esprit Saint », destinée à relever la force du baptême chrétien et sa supériorité sur celui du Précurseur. « Il a ajouté et le feu, pour mieux marquer la différence avec l'eau ; celle-ci lave en surface, mais ne pénètre pas l'intérieur ; mais le feu envahit l'intérieur et purifie », Van Steenkiste. Cette prophétie de Jean-Baptiste s’accomplit à la lettre au jour de la Pentecôte, quand l’Esprit Saint descendit sur les Apôtres sous la forme de langues de feu : du reste, il y a longtemps que ce double effet de la venue du Messie avait été annoncé ; Cf. Joel, 2, 28 ; Mal. 3, 2, 3. Ainsi donc le baptême de S. Jean est à celui de Jésus-Christ ce que l’eau est par rapport au feu, lorsqu’il s’agit de purifier : on voit par là toute son infériorité. S. Thomas, Summ. Theol. p. 3, q. 38, ad. 1, le range simplement parmi les sacramentaux. « Quant au baptême de Jean, il était de beaucoup supérieur à celui des Juifs, mais inférieur au nôtre; c'était comme le trait d'union qui les unissait et il conduisait de l'un à l'autre », dit S. Jean Chrysost. Homélie sur le baptême de Notre-Seigneur et l'Épiphanie. - b. Les personnes. Celui qui doit venir..., « qui venit » ; le présent exprime de nouveau la proximité. Cette périphrase désigne évidemment le Messie, d’après le contexte. Le Précurseur se compare ici au Christ relativement au rôle, au pouvoir personnel, et, comme résultat de sa comparaison, il trouve et avoue franchement que le Christ est plus puissant que lui, est plus puissant que moi ; bien plus, il va même jusqu’à ajouter ces humbles paroles : et je ne suis pas digne... etc. Chez les Juifs, les Grecs et les Romains, c’étaient les derniers esclaves qui apportaient et remportaient les chaussures de leurs maîtres, qui en liaient et en déliaient les courroies : de là les noms de « puelli sandaligeruli » (enfant esclave porteur de sandales), qu’on rencontre dans les classiques. S. Jean Baptiste admet, par ce langage figuré, qu’il n’est que le dernier des valets du Messie. « R.Josué, fils de Lévi, a dit : « Tous les travaux que fait un serviteur font de lui un héros, même ce que le disciple rend à son précepteur, sauf le délaçage de ses propres souliers ». Le Précurseur assure qu’il ne reculerait pas devant cet acte d’humilité.
Saint Thomas d'Aquin
331. MOI, JE VOUS BAPTISE. Plus haut, Jean a exhorté à compléter la pénitence, maintenant son but est de faire ce qu’il avait souvent dit : annoncer le royaume des cieux, et pour cela, il fait deux choses. D’abord, il présente la préparation au royaume. Deuxièmement, il traite de l’annonce du royaume, en cet endroit : CELUI QUI VA VENIR APRÈS MOI. Ce royaume, c’est le Christ, dont parle Lc 17, 21 : Le royaume de Dieu est au milieu de vous. La préparation, c’est le baptême. C’est pourquoi MOI, ce qui est étonnant pour vous, JE BAPTISE DANS L’EAU seule, parce que je suis pur. C’est pourquoi il ne pouvait que laver le corps, et il ne pouvait donner le Saint-Esprit, parce que le prix du péché n’avait pas encore été acquitté, He 9, 22 : Car il n’y a pas de rémission sans sang.

332. De même l’Esprit Saint n’était pas encore descendu, et le Christ n’avait pas encore sanctifié l’eau par le contact de sa chair. Donc pourquoi baptisait-il ? Pour trois raisons. D’abord, pour annoncer la venue du Christ en baptisant, Lc 1, 76 : Tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses chemins. Deuxièmement, pour avoir l’occasion de prêcher sur le Christ aux personnes rassemblées, Jn 1, 31 : Pour qu’il soit manifesté en Israël, je suis venu baptisant dans l’eau. Troisièmement, pour préparer au baptême du Christ. D’où l’habitude dans l’Église que les futurs baptisés soient d’abord catéchumènes, c’est-à-dire qu’ils aient une préparation, et qu’ils reçoivent un signe par lequel ils sont réputés aptes. Et c’est ce qu’il dit, JE VOUS BAPTISE, pour que vous sachiez que vous êtes aptes, vous qui désirez être baptisés par le Christ. Note que le Maître dit dans les Sentences, IV, que les gens baptisés par Jean n’étaient pas baptisés par le Christ, sauf ceux qui mettaient leur espérance en Jean. Mais c’est faux, c’est pourquoi [Jean] dit : IL VOUS BAPTISERA LUI-MÊME.

333. Note aussi qu’Augustin soulève une question. Si après le baptême de Jean ils étaient rebaptisés, pourquoi ne rebaptisait-on pas ceux qui avaient reçu le baptême des hérétiques ? Il faut dire que Jean baptisait dans sa personne, et les hérétiques dans la personne du Christ, donc on doit considérer [le baptême des hérétiques] comme baptême du Christ.

334. Ensuite, il est question du royaume, dont il a d’abord montré la dignité, et, deuxièmement, le rôle, en cet endroit : IL VOUS BAPTISERA LUI-MÊME.

335. Il dit donc : CELUI QUI VIENT APRÈS MOI, naissant, baptisant, prêchant, mourant, descendant aux enfers. Mais ici il ne parle que de deux choses, la prédication et le baptême. C’est pourquoi il dit : CELUI QUI VIENT APRÈS MOI, pour baptiser et enseigner, Lc 1, 17 : Il marchera devant lui dans l’esprit et la puissance d’Élie. IL EST PLUS FORT QUE MOI, et son baptême est plus puissant, 1 R [1 S] 2, 2 : Il n’y a pas de saint comme Dieu. Jb 9, 19 : Si on recourt à la force, il est le plus fort. Et pour qu’on ne croie pas qu’il y a une comparaison entre eux, il dit : JE NE SUIS PAS DIGNE DE PORTER SES SANDALES, comme s’il disait : «Il est si incomparablement plus digne que moi, comme explique Chrysostome, que je n’ai [même] pas le devoir de lui rendre service.» Mais il faut savoir que dans les trois autres évangiles, il n’en est pas ainsi : ils disent «dénouer» et non «porter». Augustin dit que Jean a seulement voulu montrer sa petitesse et l’excellence du Christ, et alors le sens est le même partout. C’est pourquoi [Chrysostome] dit que «ce fut par une inspiration du Saint-Esprit que, sur ce sujet, les évangélistes divergent dans les termes, pour que nous recevions la leçon que nous ne mentons pas si nous exprimons le même sens de façon différente, bien que nous ne disions pas les mêmes mots.»

336. Mais s’il a voulu signifier quelque chose de mystique, alors il y a une différence entre les paroles de Matthieu et celles des autres, et les lanières des sandales peuvent avoir deux sens. Les sandales représentent l’humanité, Ps 59, 10 : Sur l’Idumée je jetterai ma sandale. La lanière est l’union par laquelle l’humanité est reliée à la divinité. Et c’est parce qu’il ne se jugeait pas suffisant à expliquer le mystère de l’union qu’il dit : JE NE SUIS PAS DIGNE DE PORTER SES SANDALES. Ou bien la coutume était, chez les Juifs, Dt 25, 9, que si un homme ne voulait pas recevoir la femme [veuve] de son frère, il devait dénouer la lanière de la sandale de celui qui la recevait pour épouse. L’épouse du Christ, c’est l’Église. Jean pensait donc qu’il était indigne de recevoir l’épouse du Christ.

337. Autre interprétation, selon Hilaire : ceux qui annoncent l’humanité du Christ dans le monde portent des sandales, ce qui fut réservé aux apôtres, Is 52, 7 : Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds de celui qui annonce et qui prêche la paix, qui annonce le bien, qui prêche le salut. Jean dit donc qu’il n’est pas digne de porter les sandales qui étaient réservées aux apôtres : en effet, leur rôle est plutôt d’évangéliser que de baptiser, 1 Co 1, 17 : Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’évangile. Les apôtres sont-ils donc plus grands que Jean ? Par le mérite, non, mais par leur rôle [au service] de la nouvelle Alliance. Et selon ce sens, il est dit plus loin, Mt 11, 11 : Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui.

338. Autre interprétation, selon Chrysostome : les pieds sont les apôtres et autres serviteurs de Dieu, parmi lesquels était Jean. La sandale est leur faiblesse, parce que de même que la beauté des pieds n’est pas visible quand ils sont cachés par les sandales, de même la beauté des apôtres, 2 Co 12, 9 : Volontiers je me glorifierai de mes faiblesses, pour qu’habite en moi la puissance du Christ. JE NE SUIS PAS DIGNE DE PORTER SES SANDALES, parce que ni lui ni les apôtres ne se pensaient dignes d’être serviteurs de l’évangile du Christ, 2 Co 3, 4-5 : Telle est la conviction que nous avons par le Christ auprès de Dieu : ce n’est pas que de nous-mêmes nous soyons capables de revendiquer quoi que ce soit comme venant de nous ; non, notre capacité vient de Dieu.

339. Si ce deuxième mystère a des sens si divers, lequel d’entre eux Jean a-t-il donc voulu indiquer ? Disons, selon Augustin, que si les paroles de Jean sont rapportées de [deux] façons différentes, c’est qu’il a dit les deux. Ou bien que Jean prêchant aux foules a dit tantôt l’une tantôt l’autre.

340. Ensuite, [Jean] aborde la fonction du Christ : d’abord la fonction de baptiser ; deuxièmement, la fonction de juger, en cet endroit : DANS SA MAIN SON VAN.

341. Il dit donc : IL VOUS BAPTISERA DANS L’ESPRIT SAINT ET DANS LE FEU. Beaucoup de manuscrits portent «et au feu» [et igni], mais ils s’expriment à la façon des Grecs qui n’ont pas d’ablatif. Et il dit : DANS L’ESPRIT SAINT ET LE FEU, en quoi est donné à comprendre que le baptême du Christ est plus complet que le baptême de Jean, parce qu’il ajoute à celui-ci, puisque le Christ [baptise] dans l’eau et dans l’Esprit, Jn 3, 5 : Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu. Mais note que quand il dit : IL VOUS BAPTISERA DANS L’ESPRIT SAINT, il fait savoir qu’il va y avoir une abondance d’Esprit Saint, et que ceux qui la reçoivent sont lavés en totalité, Ac 1, 5 : Vous serez baptisés dans l’Esprit Saint. Il suggère aussi que le changement [sera] facile.

342. ET DANS LE FEU : cela s’explique de beaucoup de façons. Jérôme dit que la même chose est désignée par l’Esprit Saint et par le feu, Lc 12, 49 : Je suis venu mettre le feu (c’est-à-dire le Saint-Esprit) à la terre, et qu’est-ce que je veux sinon qu’il brûle ? Et c’est aussi pour cette raison qu’il est apparu dans le feu, Ac 2, 3 : Et leur apparurent des sortes de langues de feu qui se divisaient.

343. Selon Chrysostome, le feu symbolise la tribulation présente qui purifie les péchés, Si 27, 5 : Le four éprouve les vases du potier, l’épreuve du tourment [éprouve] les justes. Mais il faut savoir qu’il dit que ce baptême est nécessaire, parce que le baptême du Saint- Esprit empêche l’âme d’être vaincue par les tentations, mais n’enlève pas totalement les germes charnels ; et c’est pourquoi la tribulation est nécessaire, parce que la chair alors écrasée ne produira pas de germe de concupiscence. Nécessaire est donc le feu pour restaurer la chair. Ou bien par le feu on entend la purification future au purgatoire, 1 Co 3, 13 : C’est le feu qui éprouvera la valeur de l’œuvre.

344. Hilaire parle aussi du feu de l’enfer et dit que [Matthieu] a deux intentions dans ce qu’il dit : LUI-MÊME VOUS BAPTISERA DANS LE SAINT-ESPRIT ET LE FEU : le salut qu’il effectue dans le présent et dans le futur. Dans le futur, il purifiera par le feu de l’enfer, dans la mesure où il y traînera les méchants ; et cela concorde avec ce qui suit : IL BRÛLERA LA BALLE DANS LE FEU INEXTINGUIBLE.