Matthieu 18, 15

Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère.

Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère.
Louis-Claude Fillion
Si . La suite de l’Instruction roulera toujours sur nos devoirs à l’égard du prochain, mais le point de vue n’est plus le même. Précédemment, le divin Maître a indiqué la nature des rapports que l’on devait avoir avec les enfants et les faibles, en particulier les précautions à prendre pour ne pas les scandaliser, pour ne point les offenser ; il prescrit maintenant les règles à suivre dans le cas où l’on aurait été soi-même lésé, offensé gravement par autrui. Ces règles peuvent se résumer dans les deux mots suivants : grands ménagements pour les personnes, grande sévérité pour les fautes. Il y a, dit Jésus, trois démarches à faire, suivant les circonstances diverses qui peuvent se présenter, c’est-à-dire suivant que la contrition du coupable sera plus ou moins prompte, plus ou moins facile à exciter. La première démarche est décrite au v. 15. - Va. L’offensé ne doit pas attendre que l’agresseur vienne lui présenter des excuses ; il fera lui-même charitablement les premières avances, n’oubliant pas qu’il s’agit d’un frère, ton frère, quoique d’un frère qui a mal agi. - Reprends-le, en grec, convaincs-le de sa faute, montre-lui qu’il a gravement péché. - Entre toi et lui seul, sans témoins par conséquent : procédé plein de délicatesse et de douceur, qui devra toucher le cœur du coupable et l’amener à résipiscence, s’il est encore accessible à la bonté. - S'il t'écoute, tout porte à croire qu’il reconnaîtra humblement sa faute. - Dans ce cas, tu auras gagné ton frère. Mais pour qui sera-t-il gagné ? Pour l’offensé lui-même selon les uns, l’union momentanément troublée devant reparaître alors dans toute son étendue ; plus probablement, selon les autres, pour Dieu et pour le royaume messianique, dont le mauvais frère s’était séparé par sa faute. Et quel bonheur de pouvoir gagner un pécheur dans ce sens !
Saint Thomas d'Aquin
1974. SI DONC TON FRÈRE A PÉCHÉ, etc. Ici, il s’agit d’écarter le scandale. Premièrement, l’ordre est présenté ; deuxièmement, le nombre, en cet endroit : ALORS, PIERRE S’AVANÇANT, etc. [18, 21].

À propos du premier point, [le Seigneur] fait trois choses. Premièrement, il formule un avertissement ; deuxièmement, [il présente] le témoignage, en cet endroit : S’IL NE T’ÉCOUTE PAS, etc. [18, 16] ; troisièmement, la divulgation, en cet endroit : S’IL REFUSE DE LES ÉCOUTER, DIS-LE À L’ÉGLISE [18, 17].

À propos du premier point, [le Seigneur] formule son enseignement ; deuxièmement, il donne la raison [de l’enseignement] formulé, en cet endroit : S’IL T’ÉCOUTE, TU AURAS GAGNÉ TON FRÈRE.

1975. J’ai donc dit qu’il ne fallait pas mépriser les tout-petits, mais que faut-il faire si quelqu’un scandalise ? [Le Seigneur] l’enseigne ici. SI TON FRÈRE A PÉCHÉ CONTRE TOI, VA LE TROUVER ET REPRENDS-LE SEUL À SEUL. Remarquez d’abord que [le Seigneur] dit : A PÉCHÉ. Il parle donc d’un péché déjà commis. Il faut donc procéder différemment pour un péché commis et pour un péché qui va être commis, car [le péché] commis ne peut pas ne pas avoir été commis. Ainsi, dans le cas [du péché] qui va être commis, il faut s’efforcer qu’il n’arrive pas. Is 58, 6 : Délie les liens de l’impiété, détache les nœuds qui retiennent, etc. De sorte que pour le péché qui va être commis, il n’est pas nécessaire de respecter un tel ordre, mais, dans le cas [du péché] commis, cela est nécessaire.

1976. Il dit aussi : CONTRE TOI. La Glose [dit] : «S’il t’a causé une offense ou un outrage.» Il veut donc dire que nous devons remettre le péché commis contre nous ; mais nous ne pouvons pas remettre le péché commis contre Dieu, comme le dit la Glose.1 R 2, 25 : Celui qui a péché contre Dieu, qui priera pour lui ? De même, tu dois d’abord t’occuper des offenses commises par celui qui fait partie de la même communauté que toi ; il faut aussi s’occuper des autres, mais pas autant. 1 Co 5, 12 : En quoi nous appartient-il de juger ceux du dehors ?

1977. VA ET REPRENDS-LE SEUL À SEUL. Le Seigneur guide ses disciples vers la sollicitude et la correction parfaites. Plus haut, 5, 23, le Seigneur avait dit que si quelqu’un offense un frère, il doit laisser son offrande devant l’autel, etc. ; ici, il va plus loin, car il s’agit non seulement de celui qui t’a blessé, mais de celui qui a été blessé. Ainsi, SI TON FRÈRE A PÉCHÉ CONTRE TOI, VA LE TROUVER, etc. Ps 119[120], 7 : Avec ceux qui détestent la paix, il était pacifique. Ne remettras-tu pas d’abord ? Non, mais tu dois d’abord [le] reprendre. Il n’ordonne donc pas de remettre à n’importe qui, mais à celui qui se repent. De même, il dit : REPRENDS-LE, et non : «Rabroue-le ou irrite-le», et montre-lui brièvement [sa faute]. S’il [la] reconnaît, tu dois alors [la lui] remettre. C’est pourquoi [il est dit] : Instruisez-les dans un esprit de douceur, Ga 6,1. Mais est-ce que celui qui néglige de corriger pèche ? Augustin [écrit] : «Si tu ne [le] corriges pas, tu deviens pire par ton silence que lui en péchant.»

1978. Mais comme il est vrai que tous sont tenus de corriger, quelqu’un pourrait dire que cela revient aux seuls prélats en vertu de leur fonction, et aux autres en vertu de la charité. Parfois le Seigneur permet que les bons soient punis avec les méchants. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas corrigé les méchants. Toutefois, Augustin dit que «parfois nous devons nous abstenir, si nous craignons que, par cette intervention, ils ne soient pas corrigés, mais rendus plus mauvais». De même, si tu crains d’entraîner une persécution de l’Église, tu ne pèches pas [en ne reprenant pas]. Mais si tu t’abstiens pour ne pas être affecté dans [tes biens] temporels, pour éviter que ne t’arrive un désagrément ou pour quelque chose du genre, tu pèches. Pr 9, 8 : Reprends le sage et il t’aimera.

1979. REPRENDS-LE SEUL À SEUL. Et pourquoi ? Parce que cette correction vient de la charité. Or, la charité est l’amour de Dieu et du prochain. Si tu aimes, tu dois aimer le salut [du prochain]. Mais, à ce sujet, il faut prendre en considération deux choses, à savoir, la conscience et la bonne réputation. Si tu veux le sauver, tu dois sauver sa bonne réputation. Tu feras cela en le REPRENANT SEUL À SEUL. Si tu le reprends devant tout le monde, tu [lui] enlèves sa réputation. Toutefois, la conscience doit avoir préséance sur la réputation. Cependant, il arrive fréquemment que, lorsqu’un homme voit son péché rendu public, il devienne tellement impudent qu’il s’expose à tous les péchés. Jr 2, 20 : Tu te prosternais devant toute branche fleurie, prostituée. Si 4, 25 : C’est une honte qui mène au péché. Mais ce qu’on lit en 1 Tm 5, 20 s’oppose à cela : Reprends le pécheur devant tout le monde. Et cela est vrai, s’il a commis une faute publiquement. En effet, lorsque quelqu’un pèche publiquement, il doit être repris publiquement ; mais si quelqu’un [pèche] secrètement, il doit alors être repris secrètement. Et cela est clair, car Augustin dit que «si tu es le seul à savoir qu’il a péché, reprends-le seul à seul.»

1980. S’IL T’ÉCOUTE, TU AURAS GAGNÉ TON FRÈRE. Pourquoi [le Seigneur] dit-il cela ? Pour trois [raisons]. Afin que tu saches pour quelle raison reprendre, car, si tu reprends pour toi-même, tu ne fais rien ; en effet, là où la correction est privée, la correction n’est pas méritoire. Mais si tu reprends à cause de Dieu, [la correction] a alors de la valeur. De même est-ce vers cela que tu dois tendre, à savoir, implanter la correction et l’enseignement. De même, quelqu’un pourrait dire que perdre son frère n’est pas juste. Mais, s’il en était ainsi, il n’aurait pas dit : TU AURAS GAGNÉ TON FRÈRE. De même, TU AURAS GAGNÉ, car il est un membre comme toi et, comme le membre compatit avec le membre, de même toi avec ton frère. De même, TU AURAS GAGNÉ, car tu auras gagné ton salut. Jc 4, 11 : Celui qui juge son frère renverse la loi et juge la loi. Ainsi, au même endroit, [Jc] 5, 20 : Celui qui fait que le pécheur se détourne de son chemin a sauvé son âme de la mort et a couvert une multitude de péchés.