Matthieu 1, 1
GENEALOGIE DE JESUS, CHRIST, fils de David, fils d’Abraham.
GENEALOGIE DE JESUS, CHRIST, fils de David, fils d’Abraham.
Livre de la généalogie. Le verset 1 renferme un titre, c’est évident ; mais ce titre embrasse-t-il tout l’évangile de S. Matthieu, ou bien faut-il le restreindre soit aux deux premiers chapitres, soit même simplement à la généalogie du Sauveur ? La réponse dépend du sens que l’on attribue aux mots “livre de la généalogie”. On peut, en effet, les traduire de trois manières différentes : “histoire de la vie” ; “histoire de la naissance” ; “tableau généalogique”. Nous croyons, avec la plupart des interprètes, que ce dernier sens est le véritable. Il suffit, pour le prouver, d’un simple rapprochement. S. Matthieu, écrivant en hébreu, donne certainement à l’expression “livre de la généalogie” la signification qu’elle avait dans cette langue ; or la formule qu’on trouve fréquemment dans la Bible hébraïque, Cf. Gen. 5, 1 ; 6, 9 ; 11, 10, et qui correspond très exactement à “livre de la généalogie”, représente toujours le catalogue, la série d’un certain nombre de générations. Cela est d’ailleurs conforme au sens primitif du Sépher dont la racine est Saphar, compter. A la généalogie du premier Adam, racontée par Moïse, Gen. 5, 1, S. Matthieu oppose donc la généalogie du second Adam, parce que, avec Jésus, commence une nouvelle création, un nouvel avenir des temps (Pensée de S. Remi). L’historiographe du Messie ne pouvait pas agir d’une autre manière. – On s’est parfois demandé si S. Matthieu composa lui-même le livre de la généalogie du Sauveur, ou si, ayant trouvé cette pièce toute faite, il se contenta de l’insérer en tête de son Évangile. La seconde hypothèse nous paraît la plus vraisemblable. Cette page a un cachet tellement officiel qu’on la croirait directement extraite d’un registre généalogique. Et puis, comme l'a dit Lightfoot (Horae hebr. in h.l.) : « Il était nécessaire ici pour une question aussi fondamentale et aussi essentielle, et qui tenait tant à cœur au peuple Juif, d’établir ce qu’était la généalogie du Messie, pour que non seulement on ne puisse pas contredire la vérité que présenteraient les évangélistes, mais pour qu’elle soit démontrée et corroborée par des registres officiels authentiques ». S. Matthieu puisa donc sans doute à des documents authentiques. Ces documents existaient en grand nombre, et dans les familles, et dans les archives du temple que le Talmud cite à plusieurs reprises. L’opinion des rationalistes, d’après laquelle l’écrivain sacré aurait composé une généalogie fantaisiste, pour faire accroire à ses lecteurs que Jésus était vraiment le Messie, mérite à peine d’être mentionnée. Dans son titre S. Matthieu résume en deux mots toute la généalogie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Quels sont, en effet, les deux noms essentiels des vv. 2-16 ? Sans aucun doute, ceux de David et d’Abraham. Abraham, le père du peuple juif, David le plus grand de ses rois, tels étaient en réalité les principaux héritiers des promesses messianiques, Cf. 22, 18 ; 2 Reg. 7, 12, etc. Personne ne pouvait prétendre à la dignité de Messie à moins de démontrer, pièces en mains, qu’il descendait à la fois d’Abraham et de David. “Fils de David” désigne la famille, “fils d’Abraham” la race à laquelle appartenait le Christ : ce sont deux cercles concentriques, l’un plus étroit, l’autre plus vaste, dont Jésus-Christ est le centre, mais le plus étroit est aussi le plus important, comme nous le montrera presque à chaque pas le récit évangélique. A cette époque, le nom de “fils de David”, dans la bouche du peuple comme sous la plume des savants, était synonyme de celui de Christ ou Messie ; de là les dénominations glorieuses que les Pères grecs appliquent à David. Être fils d’Abraham, c’était simplement être israélite. Ainsi donc Jésus transfigure tout à la fois l’humble tente d’Abraham et le trône glorieux de David. Voilà, dès ce premier verset, toute l’Ancienne Alliance rattachée à la Nouvelle. S. Matthieu prouve, par ces quelques paroles, que l’histoire d’Israël a désormais atteint son but, son terme, dans le Messie. Les versets suivants développeront davantage encore cette grande pensée.
14. Le titre qui est placé en tête est celui-ci : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST [1, 1]. Et cela semble être une phrase incomplète, car il y a là un nominatif sans verbe. Mais il n’en est rien. En effet, Matthieu a écrit son évangile pour des Hébreux ; c’est pourquoi il a conservé l’usage des Juifs en écrivant. C’est la coutume, chez les Hébreux, de s’exprimer ainsi, par exemple, quand il est dit : Vision d’Isaïe, fils d’Amos [Is 1, 1], on sous-entend : Ceci est…, et il ne faut rien ajouter. De même, ici, quand il est dit : LIVRE DE LA GENERATION, on sous-entend : Ceci est…Il s’agit d’ailleurs d’une façon de parler qui nous est coutumière : si, en effet, nous voulons donner un titre à un livre, nous disons : Priscien majeur ou mineur, et il n’y a pas lieu d’ajouter : Ceci est ou Ici commence.
15. On se demande aussi pourquoi, alors qu’une petite partie de ce livre porte sur la génération du Christ, [Matthieu] a intitulé son livre de cette manière. La réponse est que Matthieu, qui a écrit pour des Hébreux, a conservé en écrivant l’usage des Hébreux. Or, les Hébreux avaient l’habitude d’intituler leurs livres par le début de ceux-ci, comme on dit : Genèse, parce qu’il y est question de génération ; d’où Gn 5, 1 : Voici le livre de la génération d’Adam ; et aussi, Livre de l’Exode, parce que, dans la première partie, il s’agit de la sortie d’Égypte des fils d’Israël.
16. Mais on se demande pourquoi il a ajouté : DE JÉSUS, LE CHRIST. La réponse est que, selon l’Apôtre, 1 Co 15, 22, de même qu’en Adam tous meurent, de même tous revivront dans le Christ. Matthieu avait vu le premier livre de l’Ancien Testament où il est question de génération, dans lequel il était dit en 5, 1 : Voici le livre de la génération d’Adam. Ainsi, pour que le Nouveau Testament, où il est question de régénération et de renouvellement, lui réponde par son contraire, il dit : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST, afin de montrer que tous deux ont le même auteur.
17. Mais on s’interroge sur le fait qu’on dise ici : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST. En effet, on a le contraire en Is 53, 8, où il est dit : Qui racontera sa génération ? Mais, selon Jérôme, le sens est que, dans le Christ, il y a une double génération, à savoir, la divine, qui ne peut être racontée, car, même si nous disons que le Fils est d’une certaine manière engendré, ni l’homme ni l’ange ne peuvent comprendre la façon dont il est engendré ; l’autre [génération] est humaine : c’est de celle-ci qu’il traite. Toutefois, même à propos de celle-ci, il existe plusieurs difficultés. C’est pourquoi, selon Rémi, ceux qui peuvent la raconter sont très peu nombreux. On se demande à ce sujet pourquoi il dit : GÉNÉRATION, puisque plusieurs générations sont ici élaborées. La réponse est que, même si plusieurs générations sont énumérées, toutes sont présentées en vue d’une seule, à savoir, en vue de la génération du Christ, dont il est question plus loin [1, 18] : TELLE FUT LA GÉNÉRATION DU CHRIST.
18. Or, celui dont la génération est élaborée est décrit d’abord par son nom, lorsqu’il est dit : JÉSUS ; ensuite, par sa fonction, lorsqu’il est dit : LE CHRIST ; en troisième lieu, par son origine, lorsqu’il est dit : FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM.
19. Bien que d’autres se soient appelés Jésus, comme Jésus, fils de Navé, en Si 46, 1 : Fort au combat, Jésus, [fils de] Navé, successeur de Moïse parmi les prophètes, et un autre, à l’occasion de la construction du temple, dont il est question en Za 3, 1, ceux-ci ne furent Jésus que par le nom et comme des figures, à savoir, pour autant qu’ils étaient la figure de celui-ci. Ce Jésus-là fit entrer le peuple d’Israël dans la terre de la promesse ; ce Jésus-ci, à savoir, notre Sauveur, ne nous fit pas entrer dans une terre charnelle, mais céleste, He 12, 2 : Nous avons en lui celui qui, par son sang, a été l’auteur et le réalisateur, etc. Et c’est à juste titre qu’il est appelé JÉSUS, ce nom lui convenant selon les deux natures, à savoir la divine et l’humaine. Car, selon la nature humaine, il a souffert dans sa chair et a accompli le mystère de notre rédemption ; et puisque cette passion n’aurait pas eu d’efficacité si la nature divine ne lui avait pas été unie, pour cette raison il est dit plus loin [1, 21] : Son nom sera Jésus ; en effet, il sauvera son peuple de ses péchés.
20. Mais on se demande pourquoi [Matthieu] dit : LE CHRIST. JÉSUS n’aurait-il pas suffi ? Je réponds que cela a été fait parce que, comme on l’a dit, d’autres aussi ont été appelés Jésus. Lorsqu’il dit : LE CHRIST, c’est-à-dire : «Oint», il le décrit par sa fonction. Il faut remarquer qu’il existe trois onctions dans la loi ancienne. Aaron a été oint pour devenir prêtre, Lv 8, 11. Saül a été oint pour devenir roi, 1 R [1 S] 10, 1, ainsi que David, 1 R [1 S] 16, 13. Et Élisée a été oint pour devenir prophète, 1 R 19, 16. Parce que le Christ a été le véritable prêtre, selon Ps 109[110], 4 : Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech, etc., roi et prophète, il est donc appelé à juste titre CHRIST, en raison des trois fonctions qu’il a lui-même exercées.
21. FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM. Ici se pose une double question, à savoir, sur le nombre et sur l’ordre. Et d’abord, pourquoi a-t-il nommé ces deux-là ? Pour la raison qui a été donnée dans le prologue, à savoir qu’Abraham fut un prophète : en Gn 20, 7, le Seigneur dit à Abimélech, roi de Gérar : Rends sa femme à cet homme, car c’est un prophète. Il fut aussi prêtre, Gn 15, 9, lorsqu’il accomplit la fonction de prêtre en offrant la victime au Seigneur : Prends, dit-il, ma vache de trois ans, etc. David aussi fut prophète, comme il apparaît en Ac 2, 30. Il fut aussi roi, comme il apparaît en 2 R [2 S] 2, 4. Ainsi, puisque le Christ fut roi, prophète et prêtre, c’est donc à juste titre qu’il est appelé fils de ceux-ci. Si [Matthieu] n’avait nommé qu’Abraham, il n’aurait pas été indiqué que le Christ était roi. De même, [s’il n’avait nommé] que David, la dignité sacerdotale du Christ n’aurait pas été soulignée. C’est pourquoi il a mentionné les deux.
22. À propos du second point [l’ordre], la réponse est que, selon Jérôme, David est placé en premier et que l’ordre est changé pour les besoins de l’élaboration de la généalogie. En effet, s’il avait dit en premier lieu : FILS D’ABRAHAM, et en second lieu : FILS DE DAVID, il lui aurait fallu répéter : ABRAHAM, pour poursuivre l’ordre de la généalogie. Mais, selon Ambroise, la réponse est que David est placé en premier en raison de sa dignité : en effet, c’est à David qu’a été faite la promesse dont il est question dans ce chapitre, Ps 131[132], 11 : C’est le fruit de tes entrailles que je placerai sur ton trône. Mais, dans le cas d’Abraham, c’est en raison de ses membres [qu’il vient en second], à savoir, de l’Église ; d’où, en Gn 22, 18 : En ta descendance seront bénies toutes les nations de la terre.
23. Il faut aussi noter qu’on a fait beaucoup d’erreurs [corr. : terreurs/erreurs] au sujet du Christ. En effet, certains se sont trompés à propos de sa divinité, comme Paul de Samosate, Photin et Sabellius, certains, à propos de son humanité, et certains à propos des deux. Mais d’autres se sont trompés à propos de sa personne. À propos de son humanité, le premier à se tromper fut Mani, qui disait que [le Christ] n’avait pas reçu un corps véritable, mais apparent. À cela s’oppose ce que dit le Seigneur en Lc 4, 39 : Touchez et voyez, car un esprit n’a pas de chair et d’os, comme vous voyez que j’en ai. En second lieu, après lui, Valentin s’est trompé : il disait que, de même que [le Christ] avait pris un corps céleste, mais ne l’avait pas reçu d’une vierge, de même [ce corps] avait-il plutôt traversé celle-ci comme l’eau un canal. Mais à cela s’oppose ce qui est dit en Rm 1, 3 : Lui qui est issu de la lignée de David selon la chair. La troisième erreur fut celle d’Apollinaire, qui dit de lui qu’il n’avait reçu qu’un corps, et non une âme, mais que la divinité occupait la place de l’âme. À cela s’oppose ce qui est souvent dit : Maintenant, mon âme est troublée [Jn 13, 21]. Mais, pour cette raison, lui-même changea par la suite d’opinion et dit que le Christ avait une âme végétative et sensible, mais non rationnelle, et qu’à la place de celle-ci, il avait la divinité. Mais alors, il en découlerait quelque chose qui ne convient pas, à savoir que [le Christ] ne serait pas plus un homme que ne l’est un des animaux [sans raison]. Or, les évangélistes se sont réparti ces erreurs pour ainsi dire au sort. En effet, Marc et Jean ont anéanti les erreurs concernant sa divinité. Ainsi, dès le début, Jean dit : Au commencement était le Verbe. Et le début de Marc se lit ainsi : Commencement de l’évangile de Jésus, le Christ, Fils de Dieu ; il ne dit pas : Fils d’Abraham. Mais Matthieu et Luc anéantissent dès le départ les erreurs qui concernent son humanité. Ainsi, notez que lorsqu’il est dit : FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM, ils écartent toutes les erreurs qui concernaient l’humanité du Christ. Car on ne dit de quelqu’un qu’il est le fils d’un autre qu’en raison d’une génération univoque, c’est-à-dire qui convient à l’espèce. En effet, chaque fois que quelque chose est engendré par un homme, si cela ne participe pas à la même nature selon l’espèce, jamais on ne dit que c’est un fils, comme cela est manifeste dans le cas des poux et des choses de ce genre. Si donc le Christ est le fils de David et d’Abraham, il faut qu’il ait la même nature selon la même espèce : il n’aurait pas la même nature selon l’espèce s’il n’avait pas un corps véritable et naturel, ni s’il avait reçu celui-ci du ciel ; pas davantage s’il n’avait pas d’âme sensible ou rationnelle. Ainsi apparaît l’exclusion de toute erreur.
15. On se demande aussi pourquoi, alors qu’une petite partie de ce livre porte sur la génération du Christ, [Matthieu] a intitulé son livre de cette manière. La réponse est que Matthieu, qui a écrit pour des Hébreux, a conservé en écrivant l’usage des Hébreux. Or, les Hébreux avaient l’habitude d’intituler leurs livres par le début de ceux-ci, comme on dit : Genèse, parce qu’il y est question de génération ; d’où Gn 5, 1 : Voici le livre de la génération d’Adam ; et aussi, Livre de l’Exode, parce que, dans la première partie, il s’agit de la sortie d’Égypte des fils d’Israël.
16. Mais on se demande pourquoi il a ajouté : DE JÉSUS, LE CHRIST. La réponse est que, selon l’Apôtre, 1 Co 15, 22, de même qu’en Adam tous meurent, de même tous revivront dans le Christ. Matthieu avait vu le premier livre de l’Ancien Testament où il est question de génération, dans lequel il était dit en 5, 1 : Voici le livre de la génération d’Adam. Ainsi, pour que le Nouveau Testament, où il est question de régénération et de renouvellement, lui réponde par son contraire, il dit : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST, afin de montrer que tous deux ont le même auteur.
17. Mais on s’interroge sur le fait qu’on dise ici : LIVRE DE LA GÉNÉRATION DE JÉSUS, LE CHRIST. En effet, on a le contraire en Is 53, 8, où il est dit : Qui racontera sa génération ? Mais, selon Jérôme, le sens est que, dans le Christ, il y a une double génération, à savoir, la divine, qui ne peut être racontée, car, même si nous disons que le Fils est d’une certaine manière engendré, ni l’homme ni l’ange ne peuvent comprendre la façon dont il est engendré ; l’autre [génération] est humaine : c’est de celle-ci qu’il traite. Toutefois, même à propos de celle-ci, il existe plusieurs difficultés. C’est pourquoi, selon Rémi, ceux qui peuvent la raconter sont très peu nombreux. On se demande à ce sujet pourquoi il dit : GÉNÉRATION, puisque plusieurs générations sont ici élaborées. La réponse est que, même si plusieurs générations sont énumérées, toutes sont présentées en vue d’une seule, à savoir, en vue de la génération du Christ, dont il est question plus loin [1, 18] : TELLE FUT LA GÉNÉRATION DU CHRIST.
18. Or, celui dont la génération est élaborée est décrit d’abord par son nom, lorsqu’il est dit : JÉSUS ; ensuite, par sa fonction, lorsqu’il est dit : LE CHRIST ; en troisième lieu, par son origine, lorsqu’il est dit : FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM.
19. Bien que d’autres se soient appelés Jésus, comme Jésus, fils de Navé, en Si 46, 1 : Fort au combat, Jésus, [fils de] Navé, successeur de Moïse parmi les prophètes, et un autre, à l’occasion de la construction du temple, dont il est question en Za 3, 1, ceux-ci ne furent Jésus que par le nom et comme des figures, à savoir, pour autant qu’ils étaient la figure de celui-ci. Ce Jésus-là fit entrer le peuple d’Israël dans la terre de la promesse ; ce Jésus-ci, à savoir, notre Sauveur, ne nous fit pas entrer dans une terre charnelle, mais céleste, He 12, 2 : Nous avons en lui celui qui, par son sang, a été l’auteur et le réalisateur, etc. Et c’est à juste titre qu’il est appelé JÉSUS, ce nom lui convenant selon les deux natures, à savoir la divine et l’humaine. Car, selon la nature humaine, il a souffert dans sa chair et a accompli le mystère de notre rédemption ; et puisque cette passion n’aurait pas eu d’efficacité si la nature divine ne lui avait pas été unie, pour cette raison il est dit plus loin [1, 21] : Son nom sera Jésus ; en effet, il sauvera son peuple de ses péchés.
20. Mais on se demande pourquoi [Matthieu] dit : LE CHRIST. JÉSUS n’aurait-il pas suffi ? Je réponds que cela a été fait parce que, comme on l’a dit, d’autres aussi ont été appelés Jésus. Lorsqu’il dit : LE CHRIST, c’est-à-dire : «Oint», il le décrit par sa fonction. Il faut remarquer qu’il existe trois onctions dans la loi ancienne. Aaron a été oint pour devenir prêtre, Lv 8, 11. Saül a été oint pour devenir roi, 1 R [1 S] 10, 1, ainsi que David, 1 R [1 S] 16, 13. Et Élisée a été oint pour devenir prophète, 1 R 19, 16. Parce que le Christ a été le véritable prêtre, selon Ps 109[110], 4 : Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech, etc., roi et prophète, il est donc appelé à juste titre CHRIST, en raison des trois fonctions qu’il a lui-même exercées.
21. FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM. Ici se pose une double question, à savoir, sur le nombre et sur l’ordre. Et d’abord, pourquoi a-t-il nommé ces deux-là ? Pour la raison qui a été donnée dans le prologue, à savoir qu’Abraham fut un prophète : en Gn 20, 7, le Seigneur dit à Abimélech, roi de Gérar : Rends sa femme à cet homme, car c’est un prophète. Il fut aussi prêtre, Gn 15, 9, lorsqu’il accomplit la fonction de prêtre en offrant la victime au Seigneur : Prends, dit-il, ma vache de trois ans, etc. David aussi fut prophète, comme il apparaît en Ac 2, 30. Il fut aussi roi, comme il apparaît en 2 R [2 S] 2, 4. Ainsi, puisque le Christ fut roi, prophète et prêtre, c’est donc à juste titre qu’il est appelé fils de ceux-ci. Si [Matthieu] n’avait nommé qu’Abraham, il n’aurait pas été indiqué que le Christ était roi. De même, [s’il n’avait nommé] que David, la dignité sacerdotale du Christ n’aurait pas été soulignée. C’est pourquoi il a mentionné les deux.
22. À propos du second point [l’ordre], la réponse est que, selon Jérôme, David est placé en premier et que l’ordre est changé pour les besoins de l’élaboration de la généalogie. En effet, s’il avait dit en premier lieu : FILS D’ABRAHAM, et en second lieu : FILS DE DAVID, il lui aurait fallu répéter : ABRAHAM, pour poursuivre l’ordre de la généalogie. Mais, selon Ambroise, la réponse est que David est placé en premier en raison de sa dignité : en effet, c’est à David qu’a été faite la promesse dont il est question dans ce chapitre, Ps 131[132], 11 : C’est le fruit de tes entrailles que je placerai sur ton trône. Mais, dans le cas d’Abraham, c’est en raison de ses membres [qu’il vient en second], à savoir, de l’Église ; d’où, en Gn 22, 18 : En ta descendance seront bénies toutes les nations de la terre.
23. Il faut aussi noter qu’on a fait beaucoup d’erreurs [corr. : terreurs/erreurs] au sujet du Christ. En effet, certains se sont trompés à propos de sa divinité, comme Paul de Samosate, Photin et Sabellius, certains, à propos de son humanité, et certains à propos des deux. Mais d’autres se sont trompés à propos de sa personne. À propos de son humanité, le premier à se tromper fut Mani, qui disait que [le Christ] n’avait pas reçu un corps véritable, mais apparent. À cela s’oppose ce que dit le Seigneur en Lc 4, 39 : Touchez et voyez, car un esprit n’a pas de chair et d’os, comme vous voyez que j’en ai. En second lieu, après lui, Valentin s’est trompé : il disait que, de même que [le Christ] avait pris un corps céleste, mais ne l’avait pas reçu d’une vierge, de même [ce corps] avait-il plutôt traversé celle-ci comme l’eau un canal. Mais à cela s’oppose ce qui est dit en Rm 1, 3 : Lui qui est issu de la lignée de David selon la chair. La troisième erreur fut celle d’Apollinaire, qui dit de lui qu’il n’avait reçu qu’un corps, et non une âme, mais que la divinité occupait la place de l’âme. À cela s’oppose ce qui est souvent dit : Maintenant, mon âme est troublée [Jn 13, 21]. Mais, pour cette raison, lui-même changea par la suite d’opinion et dit que le Christ avait une âme végétative et sensible, mais non rationnelle, et qu’à la place de celle-ci, il avait la divinité. Mais alors, il en découlerait quelque chose qui ne convient pas, à savoir que [le Christ] ne serait pas plus un homme que ne l’est un des animaux [sans raison]. Or, les évangélistes se sont réparti ces erreurs pour ainsi dire au sort. En effet, Marc et Jean ont anéanti les erreurs concernant sa divinité. Ainsi, dès le début, Jean dit : Au commencement était le Verbe. Et le début de Marc se lit ainsi : Commencement de l’évangile de Jésus, le Christ, Fils de Dieu ; il ne dit pas : Fils d’Abraham. Mais Matthieu et Luc anéantissent dès le départ les erreurs qui concernent son humanité. Ainsi, notez que lorsqu’il est dit : FILS DE DAVID, FILS D’ABRAHAM, ils écartent toutes les erreurs qui concernaient l’humanité du Christ. Car on ne dit de quelqu’un qu’il est le fils d’un autre qu’en raison d’une génération univoque, c’est-à-dire qui convient à l’espèce. En effet, chaque fois que quelque chose est engendré par un homme, si cela ne participe pas à la même nature selon l’espèce, jamais on ne dit que c’est un fils, comme cela est manifeste dans le cas des poux et des choses de ce genre. Si donc le Christ est le fils de David et d’Abraham, il faut qu’il ait la même nature selon la même espèce : il n’aurait pas la même nature selon l’espèce s’il n’avait pas un corps véritable et naturel, ni s’il avait reçu celui-ci du ciel ; pas davantage s’il n’avait pas d’âme sensible ou rationnelle. Ainsi apparaît l’exclusion de toute erreur.

Le sens serait plus clair si on lisait Voici le livre de la génération ; mais on trouve de nombreux exemples de cette manière de s'exprimer, tels que celui-ci : " Vision d'Isaïe, " sous-entendez : Voici. On lit au singulier : " Livre de la génération, " bien qu'il énumère successivement plusieurs séries de générations, parce que ces générations ne sont ici rappelées qu'en vue de la génération de Jésus-Christ.
Comme ce livre tout entier a pour objet la vie de Jésus-Christ, il est nécessaire tout d'abord de s'en former une idée juste. Ou pourra ainsi plus facilement expliquer tout ce qui dans le cours de cet ouvrage a rapport à sa divine personne. Le commencement de l'évangile selon saint Luc nous montre clairement aussi que le Christ est né d'une femme, ce qui prouve la vérité de son humanité ; les hérétiques rejettent en conséquence le commencement des deux évangiles.
D'autres ont nié la vérité de l'humanité du Sauveur. C'est ainsi que Valentin a enseigné que le Christ envoyé par son Père, avait apporté sur la terre un corps spirituel et céleste, qu'il n'avait rien pris de la Vierge Marie, mais qu'il n'avait fait que passer par son sein, comme l'eau passe dans un canal ou dans le lit d'un ruisseau. Pour nous, nous ne croyons pas que Jésus-Christ est né de la Vierge Marie parce qu'il n'aurait pu autrement exister ou apparaître aux hommes dans une chair véritable, mais parce que telle est la doctrine de l'Écriture, qu'il nous faut croire sous peine de n'être plus chrétiens, et d'encourir la damnation. Si Jésus-Christ avait voulu donner à son corps formé d'un élément aérien ou liquide les propriétés d'une chair humaine véritable, qui oserait dire que cela lui était impossible ?
Ces paroles : " de Jésus-Christ, " font connaître la dignité royale et sacerdotale dont il est revêtu, car Josué, dont le nom était la figure de celui de Jésus, fut après Moïse le chef du peuple de Dieu, et Aaron, consacré par une onction mystérieuse, fut le premier grand-prêtre de la loi.
Cet exorde prouve suffisamment que l'Évangéliste a voulu nous raconter la génération de Jésus-Christ selon la chair.
Quoique la généalogie du Sauveur occupe une très petite place dans le livre des Évangiles, saint Matthieu l'intitule : Livre de la génération, car c'est un usage chez les hébreux de prendre le titre de leurs livres dans les premiers faits qu'ils racontent, comme on le voit dans le livre de la Genèse.
Pour ne pas nous étendre indéfiniment, nous dirons, en quelques mots qui résument tout, que celui qui était Dieu, en tenant un langage plein d'humilité, fait une chose sage, utile et qui ne porte aucun préjudice à sa nature immuable ; tandis que l'homme au contraire ne peut s'approprier le langage des choses divines et surnaturelles sans une présomption souveraine et coupable. Un roi peut faire des actions communes, un soldat ne peut s'arroger la parole du commandement. Si donc celui qui s'est incarné est Dieu, les actions humbles et ordinaires ont leur raison d'être, mais s'il n'était qu'homme, les choses divines sont impossibles.
Pour nous, nous ne dirons pas que le Christ s'est fait homme en ce sens qu'il lui ait manqué ce qui constitue la nature humaine, soit l'âme, soit l'intelligence ordinaire, soit un corps qui ne serait point né d'une femme, mais qui serait le produit du changement, de la conversion du Verbe dans la chair, trois erreurs qui forment les trois différentes parties de l'hérésie des Apollinaristes.
Eutychès s'empara de la troisième erreur des Apollinaristes, et il nia qu'il y eut en Notre-Seigneur Jésus-Christ la réalité d'une chair humaine et d'une âme semblable à la nôtre, et soutint qu'il n'y avait en lui qu'une seule nature. Dans son système, la substance divine du Verbe serait comme changée en corps et en âme ; et ces différentes actions, être conçu, naître, croître, être nourri, étaient des actions de la nature divine, toutes choses qui ne peuvent lui être attribuées que par son union à une chair véritable ; car la nature du Fils est la même que la nature du Père, que la nature du Saint-Esprit, elle a la même impassibilité et la même éternité. Si cet hérétique parait se séparer de l'erreur perverse d'Apollinaire, pour ne pas être obligé d'admettre que la divinité est passible et mortelle, et que cependant il ne craigne pas de soutenir qu'il n'y a dans le Verbe incarné, c'est-à-dire dans le Verbe et la chair qu'une seule nature, il tombe infailliblement dans l'erreur insensée des Manichéens et de Marcion ; il faut qu'il admette encore que tout en Jésus-Christ a été feint et imaginaire, et que sans avoir un corps véritable il n'a fait qu'en présenter l'apparence aux yeux de ceux qui le voyaient.
Eutychès ayant osé dire devant l'assemblée des évêques qu'il y avait eu en Jésus-Christ deux natures avant l'incarnation, et une seule après, on dut le presser par des questions habilement posées de bien préciser sa foi. Quant à moi, je pense qu'en s'exprimant ainsi il était persuadé que l'âme que le Sauveur s'est unie a séjourné dans les cieux avant de naître de la Vierge Marie. Mais c'est un langage que ni la conscience ni les oreilles des catholiques ne peuvent tolérer, attendu que le Seigneur en descendant des cieux n'en a rien apporté de ce qui est propre à notre nature, ni une âme qui eût préexisté à sa naissance, ni un corps venu d'ailleurs que du sein maternel. Aussi l'erreur condamnée justement dans Origène, qui a soutenu que les âmes, avant d'être unies à des corps, non seulement avaient existé, mais qu'elles avaient agi diversement, doit l'être également dans Eutychès.
Si l'on entend les paroles du prophète de la génération humaine, à la question qu'il fait, il ne faut pas répondre : Aucun, mais un très petit nombre, puisque saint Matthieu et saint Luc l'ont racontée.
L'Évangéliste écrit : " Livre de la génération de Jésus-Christ, " parce qu'il savait qu'il existait un ouvrage intitulé : Livre de la génération d'Adam. Par cet exorde, il a donc intention d'opposer ce livre au premier, le nouvel Adam à l'ancien, parce que le second a rétabli tout ce que le premier avait perdu.
Les Évangélistes anéantissent toutes ces hérésies au commencement de leur Évangile : saint Matthieu en soutenant que Jésus-Christ tire son origine des rois de Juda, prouve qu'il est véritablement homme, et qu'il a réellement revêtu notre chair ; de même saint Luc, qui décrit son origine sacerdotale. Saint Marc au contraire par ces mots : Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, et saint Jean par ces autres : Au commencement était le Verbe, proclament tous les deux qu'avant tous les siècles il a toujours été Dieu en Dieu le Père.
L'Apôtre parlant du Fils unique dit " Lui qui avait la nature de Dieu, n'a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu. " Quel est donc celui qui a la forme et la nature de Dieu ? et comment s'est-il humilié, anéanti en prenant la forme et la nature de l'homme ? Si les hérétiques dont nous venons de parler divisent Jésus-Christ en deux (d'un côté l'homme, de l'autre le Verbe), et qu'ils prétendent, en séparant le Verbe de l'homme, que c'est ce dernier seul qui s'est anéanti, il leur faut prouver auparavant qu'il avait réellement la forme, la nature de Dieu son Père, qu'il était son égal, pour qu'il ait pu se soumettre à l'anéantissement. Mais aucune créature, considérée dans sa nature, ne peut être l'égale du Père. Comment donc s'est-il anéanti ? De quelle hauteur est-il descendu pour se faire homme ? Comment comprendre qu'il ait pris la forme d'un esclave, qu'il n'avait pas auparavant ? Ils répondent que le Verbe égal au Père a daigné habiter dans l'homme né de la femme, et que c'est ainsi qu'il s'est anéanti. J'entends, il est vrai, le Fils de Dieu dire à ses apôtres " Si quelqu'un m'aime il gardera ma parole, et mon Père l'aimera : et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. " Vous comprenez comment il déclare que son Père et lui feront leur demeure dans ceux qui l'aiment ? Or pensez-vous qu'on puisse dire qu'il s'est appauvri, anéanti, qu'il a pris la forme d'esclave, parce qu'il fait sa demeure dans le coeur de ceux qui l'aiment ? Et que direz-vous de l'Esprit saint qui habite en nous ? Pensez-vous que ce soit là une véritable incarnation ?
Il faut avoir perdu le sens et la raison, a notre avis, pour soupçonner l'ombre même de changement dans la nature du Verbe divin. Elle demeure ce qu'elle est toujours, elle ne change pas, elle n'est susceptible d'aucune altération.
Ce que Dieu conférait par l'onction à ceux qui étaient consacrés prêtres et rois, l'Esprit saint l'a communiqué au Christ fait homme, en y ajoutant un caractère de sanctification : car l'Esprit saint a purifié ce qui dans la Vierge Marie servit à former le corps du Sauveur, et c'est en vertu de cette onction de son corps qu'il a reçu le nom de Christ.
Les erreurs des hérétiques sur la personne de Jésus-Christ peuvent se réduire à trois chefs, sa divinité, son humanité, ou l'une et l'autre à la fois.
Cérinthe et Ebion prétendirent que Jésus-Christ n'était qu'un homme. Paul de Samosate suivit leur erreur en soutenant que Jésus-Christ n'était pas éternel, que son existence ne remontait pas au-delà de sa naissance du sein de Marie, car il ne voyait en lui rien qui fût au-dessus de la nature humaine. Photin appuya plus tard cette hérésie.
L'impiété de l'erreur de Nestorius fut d'avancer que celui qui était né de la Vierge Marie n'était qu'un homme, avec lequel le Verbe divin avait formé unité de personne et contracté une union indissoluble, erreur que les oreilles catholiques ne purent jamais supporter.
Quelques écrivains parlent de Sabellius disciple de Noet, qui prétendait que le Christ n'était autre que le Père et l'Esprit saint.
Les Manichéens ont prétendu que Notre-Seigneur Jésus-Christ n'avait eu qu'un corps imaginaire et fantastique et qu'il n'avait pu naître du sein d'une femme.
Or, si le corps du Christ ne fut qu'une apparence, lui-même nous a trompés, et s'il nous a trompés, il n'est plus la vérité. Or le Christ est la vérité, donc son corps ne fut pas un corps fantastique.
Les Apollinaristes ainsi que les Ariens soutinrent que le Christ s'était revêtu d'un corps, mais sans prendre l'âme. Vaincus sur ce point par les témoignages de l'Évangile, ils se retranchèrent à dire que cette faculté qui constitue l'homme raisonnable avait manqué à l'âme du Christ, et qu'elle avait été remplacée en lui par le Verbe de Dieu.
C'est pour cela que Fauste nous dit : L'Évangile n'a commencé et ne tire son nom que de la prédication du Christ, et nulle part dans cet Évangile Jésus-Christ ne dit que sa naissance est humaine. Quant à la généalogie, elle est si peu l'Évangile, que celui qui en est l'auteur n'a pas osé lui donner ce nom. Comment s'exprime-t-il en effet : " Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David. " Ce n'est donc pas le livre de l'Évangile de Jésus-Christ, mais de la génération. Au contraire, Marc ne s'est pas occupé d'écrire la génération, mais uniquement la prédication du Fils de Dieu, prédication qui est vraiment l'Évangile. Aussi voyez avec quel à-propos il commence son récit " L'Évangile de Jésus-Christ Fils de Dieu. " Ce qui prouve suffisamment que la généalogie ne fait point partie de l'Évangile. Dans Matthieu lui-même, ce n'est qu'après que Jean-Baptiste eut été jeté en prison que nous lisons que Jésus commença à prêcher l'Évangile du royaume. Donc tout ce qui précède appartient à la généalogie, et non pas à l'Évangile. Je me suis donc reporté à Marc et à Jean dont les commencements me plaisent avec raison, car ils ne font mention ni de David, ni de Marie, ni de Joseph. Voici comment saint Augustin le réfute : Que répondra-t-il a ces paroles de l'Apôtre (2 Tm 2) : " Souvenez-vous que Jésus-Christ, qui est de la race de David, est ressuscité selon l'Évangile que je prêche ? " Or, l'évangile de l'apôtre saint Paul, c'était l'évangile des autres apôtres, et de tous les fidèles dispensateurs d'un si grand mystère. C'est ce que lui-même dit ailleurs " Que ce soit moi, que ce soient eux (qui vous prêchent l'Évangile), voilà ce que nous prêchons, voilà aussi ce que vous avez cru. " Tous, en effet, n'ont pas écrit l'Évangile, mais tous l'ont prêché.
Les Ariens ne veulent pas admettre que le Père, le Fils et l'Esprit saint n'aient qu'une seule et même substance, une seule et même nature, une seule et même existence ; mais ils voient dans le Fils une créature du Père, et dans l'Esprit saint une créature produite par une créature, c'est-à-dire par le Fils ; ils soutiennent encore que le Christ a pris un corps sans âme.
Mais Jean déclare dans son évangile que non seulement le Fils est Dieu, mais qu'il est consubstantiel à son Père ; car après avoir dit : a Et le Verbe était Dieu, " il ajoute : " Toutes choses ont été faites par lui. " Donc il n'a pas été fait lui-même, puisque tout a été fait par lui, et s'il n'a pas été fait, il n'a pas été créé, et il a la même substance que son Père, car toute substance qui n'est pas Dieu est une substance créée.
Je ne sais pas quel avantage la personne du Médiateur nous aurait procuré, si en laissant la meilleure partie de nous-mêmes sans rédemption, il n'a pris de notre nature que la chair, qui, séparée de l'âme, est incapable d'apprécier ce bienfait. En effet, si Jésus-Christ est venu sauver ce qui avait péri, comme tout en nous était perdu, tout réclamait le bienfait de la rédemption. Aussi Jésus-Christ vient sur la terre pour tout sauver en s'unissant tout notre être, le corps et l'âme.
Comment encore peuvent-ils répondre aux difficultés évidentes que leur présente le saint Évangile, où le Seigneur produit entre eux des témoignages si frappants, par exemple : " Mon âme est triste jusqu'à la mort, " et encore : " J'ai le pouvoir de donner ma vie, " et beaucoup d'autres semblables. Diront-ils que ce langage de Notre-Seigneur est figuré, nous leur opposerons l'autorité des Évangélistes, qui, dans le récit des faits, établissent également que Jésus-Christ avait un corps, et qu'il avait une âme, et lui attribuent des sentiments qui supposent nécessairement l'existence de l'âme. C'est ainsi que nous lisons : " Et Jésus fut dans l'admiration, " il s'irrita, et d'autres semblables exemples.
S'il en était ainsi, il faudrait dire que le Verbe divin aurait pris la nature d'un animal sans raison avec une figure humaine.
Quant à la vérité de sa chair, ils se sont éloignés de la vraie foi à ce point de prétendre que le Verbe et la chair n'avaient qu'une seule et même substance, et de soutenir à force de sophismes que le Verbe s'était fait chair en ce sens qu'une partie du Verbe avait été changée, convertie en chair, et que cette chair n'avait pas été formée du sang de Marie.
Saint Matthieu nous est représenté sous la figure d'un homme (cf. Ez 1, 10), il commence donc son évangile en parlant de l'humanité du Sauveur : " Livre de la génération, " etc.
Nous lisons dans le prophète Isaïe (chap. 53) : " Qui racontera sa génération ? " N'allons pas croire que l'Évangéliste soit contraire au prophète, en voulant raconter ce qu'Isaïe déclare au-dessus de toute expression ; l'un parle de la génération divine, l'autre de la génération humaine.
L'ordre est interverti, mais pour une raison nécessaire, car si le nom d'Abraham avait précédé celui de David, il aurait fallu répéter le nom d'Abraham pour l'enchaînement de la suite des générations.
Ne regardez pas l'exposé de cette génération comme de peu d'importance, car c'est une chose souverainement ineffable qu'un Dieu ait daigné prendre naissance dans le sein d'une femme et qu'il compte David et Abraham parmi ses aïeux.
Saint Matthieu écrivait pour les Juifs, qui connaissaient la nature divine ; il était donc inutile de leur en parler ; ce qu'il importait de leur apprendre, c'était le mystère de l'incarnation. Saint Jean au contraire a écrit son évangile pour les Gentils, qui ignoraient que Dieu eut un Fils, il lui fallait donc tout d'abord leur enseigner que Dieu a un Fils, Dieu lui-même, et que ce Fils s'est incarné.
Ou bien encore, ce livre est appelé livre de la génération, parce que le mystère d'un Dieu fait homme est l'abrégé de toute l'économie de notre salut et la source de tous les biens ; ce don une fois fait aux hommes, tous les autres devaient nécessairement en découler.
La fausse sagesse des Juifs impies niait que Jésus fût de la race de David, l'Évangéliste prend donc soin d'ajouter : " Fils de David, Fils d'Abraham. " Mais pourquoi ne suffisait-il pas de dire qu'il était le fils de l'un des deux ou d'Abraham, ou de David ? C'est que tous les deux avaient reçu la promesse que le Christ naîtrait de leur postérité : " Toutes les nations de la terre seront bénies en ta race, " avait dit Dieu à Abraham ; et à David : " Je ferai asseoir sur ton trône un fils qui naîtra de toi. Aussi l'Évangéliste appelle Jésus-Christ fils de David et d'Abraham pour montrer l'accomplissement des promesses qui leur ont été faites. Une autre raison, c'est que le Christ devait réunir en sa personne la triple dignité de roi, de prophète et de prêtre. Or, Abraham a été prêtre et prophète : prêtre, puisque Dieu lui dit dans la Genèse : " Prends pour me l'immoler une génisse de trois ans " (Gn 15) ; prophète, comme Dieu le déclare au roi Abimélech : " Il est prophète et il priera pour toi. " Quant à David, il fut roi et prophète, mais sans être prêtre. Jésus-Christ est donc appelé fils de l'un et de l'autre, pour nous apprendre que cette triple dignité de ses deux aïeux lui était dévolue par le droit de sa naissance.
Une autre raison, c'est que la dignité du trône l'emporte sur celle de la nature, et, bien qu'Abraham fût le premier par ordre de temps, David l'était par son titre de roi.
Parmi les ancêtres du Sauveur, l'Écrivain sacré en choisit deux, l'un à qui Dieu avait promis l'héritage des nations, l'autre à qui Il avait prédit que le Christ naîtrait de sa race. David, quoique le dernier dans l'ordre des temps, est cependant nommé le premier, parce que les promesses qui ont le Christ pour objet sont supérieures à celles qui concernent l'Église, qui n'existe que par Jésus-Christ celui qui sauve est évidemment au-dessus de celui qui est sauvé.
L'apôtre saint Jean, voyant cet hérétique bien longtemps auparavant à la lumière de l'Esprit saint, plongé dans le profond sommeil de cette erreur insensée, le secoue de sa léthargie par ces paroles : " Au commencement était le Verbe. " Puisqu'il était en Dieu dès le commencement, il est impossible qu'il ait reçu de l'homme dans ces derniers temps le commencement de son existence. Jésus-Christ lui-même n'a-t-il pas dit : " Mon Père, glorifiez-moi de cette gloire que j'avais en vous avant la création du monde ? " Que Photin comprenne donc qu'il possédait cette gloire dès le commencement.
Je mettrai un frein à cette fureur aussi insensée qu'audacieuse, en m'appuyant sur l'autorité de témoignages divins pour démontrer la personnalité du Fils et la consubstantialité divine. Pour cela, je ne me servirai pas des passages que par une fausse interprétation il applique sans scrupule à l'humanité prise par le Sauveur, mais de ceux qui sans aucune ambiguïté et de l'aveu de tous ne peuvent s'entendre que de la divinité. Au chapitre 1er de laGenèse, Dieu s'exprime ainsi : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, " il parle au pluriel, et il indique nécessairement quelqu'un à qui s'adressent ces paroles. Car si celui qui parle était seul, il dirait qu'il a fait l'homme à son image, tandis qu'il déclare ouvertement l'avoir fait également à la ressemblance d'un autre.