Luc 2, 39

Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.

Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
Louis-Claude Fillion
Ce verset forme une transition entre le mystère de la présentation de Jésus au temple et celui de son obscure retraite à Nazareth. Nous avons vu plus haut, en expliquant les versets 22- 24, ce que la loi mosaïque exigeait des mères et de leurs premiers-nés. Avant de passer à un autre épisode, l'évangéliste a soin de dire que Marie et Joseph furent fidèles à toutes ses prescriptions. - Bethléem était la « cité de David », leur ancêtre, v. 4, et ils n'y étaient venus qu'en passant, pour obéir à un décret de César, ou plutôt aux vues de la divine Providence ; mais Nazareth était leur propre cité, celle où ils étaient depuis longtemps fixés (cfr. 1, 56) : ils y reviennent donc aussitôt qu'il n'y a plus rien pour les retenir en Judée. - Tout paraît très simple dans ce détail, et pourtant quelles difficultés n'a-t-il pas créés ! Ici en effet se dresse devant nous la grosse question de l'accord à établir entre les récits de S. Matthieu et de S. Luc touchant l'Enfance de Jésus. Chacune des deux narrations peut se réduire à cinq faits distincts. D'après le premier Évangile, chap. 2, il y a 1° la naissance de Jésus à Bethléem, 2° l'adoration des Mages dans cette même bourgade, 3° la fuite en Égypte, 4° le massacre des SS. Innocents, 5° le retour d'Égypte et l'établissement de la Sainte Famille à Nazareth. D'après S. Luc, 2, 1-39, il y a 1° la naissance de Jésus à Bethléem, 2° l'adoration des bergers, 3° la circoncision, 4° la Purification de Marie et la Présentation de Jésus au temple, 5° le retour de la Sainte Famille en Galilée. A part le premier et le dernier fait, tout diffère dans les deux récits ; bien plus, et là se trouve précisément le nœud de la difficulté, tandis que S. Matthieu conduit Jésus, Marie et Joseph de Bethléem en Égypte avant de les ramener à Nazareth, S. Luc semble affirmer en termes exprès que, partis de Bethléem, ils revinrent tout droit à Nazareth. A la suite de Celse et de Porphyre (comp. S. Épiph. Haer. 51, 8), les rationalistes contemporains ne manquent pas d'opposer ici S. Matthieu à S. Luc, tantôt pour rejeter l'un des récits aux dépens de l'autre (Schleiermacher, Schneckenburger, etc.), tantôt pour les rejeter l'un et l'autre (Strauss, Leben Jesu, 1835, § 34 et 35). Meyer lui-même, quoique beaucoup moins avancé, assure que « la conciliation est impossible ». Alford, tout croyant qu'il fût, n'a pas craint de dire : « Dans l'état actuel des deux relations, il n'est pas du tout possible de suggérer une méthode satisfaisante pour les unir. Quiconque l'a essayé a violé, dans quelque partie de son hypothèse, la probabilité ou le sens commun ». Quoique nous suivions, comme exégète catholique, des règles de critique autrement sévères que celles auxquelles est astreint un ministre anglican, nous avouons ne rien comprendre à cette impossibilité prétendue de conciliation. Du reste, en dehors du camp rationaliste, c'est presque à l'unanimité des voix que les commentateurs nient l'existence d'une opposition réelle entre les deux évangélistes. - 1. On conçoit d'abord sans peine que les écrivains sacrés n'aient pas raconté absolument les mêmes faits : S. Matthieu a choisi de préférence ceux qui rentraient davantage dans son plan (voyez notre commentaire de Matth. 2, 22, p. 64) ; S. Luc a inséré dans sa narration ceux qu'il trouva dans les documents dont il se servait. 2. La concorde s'opère de la manière la plus simple pour les premiers événements : Jésus naît à Bethléem d'après les deux évangélistes ; il est adoré par les bergers, puis circoncis le huitième jour, d'après S. Luc. Elle existe aussi pour le dernier fait, le séjour à Nazareth, que S. Matthieu et S. Luc relatent de concert. 3. Pour harmoniser entre eux les autres événements, on a inventé trois principaux systèmes qui montrent, chacun à sa manière, que les deux narrations ne sont nullement inconciliables. 1° Entre la Circoncision de Jésus et sa Présentation au temple, c'est-à-dire entre les versets 21 et 22 du second chapitre de S. Luc, on insère Matth. 2, 1-21, par conséquent l'adoration des Mages, la fuite en Égypte, le massacre des SS. Innocents et le retour d'Égypte. Avant de rentrer à Nazareth, Marie se serait arrêtée à Jérusalem pour se faire purifier et pour racheter l'Enfant Jésus. 2° On place la visite des Mages entre la Circoncision et la Purification. A la suite de ce dernier mystère, on ramène la Sainte Famille à Bethléem pour quelques jours : puis ont lieu successivement les mystères de la fuite en Égypte, du massacre des SS. Innocents et de l'installation définitive à Nazareth. 3° Tout se passe d'abord comme le raconte S. Luc jusqu'à la Présentation inclusivement. Les Mages viennent ensuite adorer Jésus à Bethléem, où ses parents l'avaient rapporté au sortir de Jérusalem. Après cela, les autres faits racontés par S. Matthieu ont lieu à tour de rôle jusqu'à ce que finalement Jésus, Marie et Joseph s'établissent à Nazareth. - C'est à cette troisième hypothèse que nous donnons la préférence. La première a un double inconvénient. D'abord elle accumule bien des événements dans l'intervalle restreint d'environ trente-deux jours. A la rigueur, il est vrai, quelques semaines suffisent pour tout ce que rapporte S. Matthieu, y compris la fuite et le séjour en Égypte ; car, de Bethléem, on pouvait atteindre en quelques jours la frontière égyptienne. Néanmoins il est peu vraisemblable que l'exil de la Sainte Famille n'ait duré qu'environ deux semaines. De plus, ce système s'accorde difficilement avec le récit de S. Matthieu : comment Marie et Joseph auraient-ils osé porter l'Enfant Jésus à Jérusalem sitôt après le massacre des SS. Innocents, quoique le roi Hérode fût mort ? La seconde hypothèse a cela de fâcheux qu'elle scinde en plusieurs parties, pour faire de ces débris une espèce d'entrelacs, des narrations dans lesquelles les événements paraissent avoir une suite très logique. La troisième, au contraire, laisse les récits dans leur intégrité primitive, puisqu'elle se borne à placer celui de S. Matthieu après celui de S. Luc de la façon la plus naturelle : aussi est-elle la plus généralement admise. - Ainsi donc, les deux évangélistes ne se contredisent pas, mais ils se complètent l'un l'autre. S. Luc, n'ayant pas l'intention de rapporter la visite des Mages et ses douloureuses conséquences, a très bien pu conduire directement la Sainte Famille de Jérusalem à Nazareth, sans exclure des voyages intermédiaires. Les historiens profanes usent fréquemment de cette liberté et personne ne songe à leur en faire un crime. - Voyez sur cette question S. August., De consensu Evangel. ; Wieseler, Chronol. Synopse der vier Evangelien, Hambourg 1843, p. 152 et ss. ; Dehaut, l'Évangile expliqué, défendu, 5è édit. t. 1, p. 343 et ss. ; Farrar, the Life of Christ, 23è édit., t. 1, p. 17 et ss.; Maldonat, Comment. in Matth. 2, 13, 22, 23.