Jean 9, 2

Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »

Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »
Fulcran Vigouroux
« Beaucoup de Juifs étaient imbus de la fausse opinion que tout mal physique était la peine d’un péché personnel ou des parents (comparer à Exode, 20, 5). Mais comment un aveugle-né pourrait-il avoir mérité de naître ainsi ? Quelques rabbins enseignaient qu’un enfant pouvait pécher dès le sein de sa mère ; d’ailleurs, comme le remarque Denys le Chartreux, les Apôtres pouvaient s’imaginer que l’aveugle avait reçu ce châtiment par anticipation, pour des fautes qu’il devait commettre plus tard, fautes déjà présentes à la préscience divine. » (CRAMPON)
Louis-Claude Fillion
Ses disciples lui demandèrent. Vingt exemples analogues en font foi : c'était la coutume des disciples d'interroger familièrement leur Maître toutes les fois qu'ils voulaient élucider un point obscur. Souvent leurs questions furent bien étranges, et tel est précisément le cas ; Jésus répondait toujours avec la plus grande bonté, et profitait de ces diverses occasions pour éclairer leurs intelligences, mais encore et surtout pour améliorer leurs cœurs. - Maître, qui a péché... ? Ils n'éprouvent pas le moindre doute à ce sujet : un péché, évidemment un péché grave, a dû être commis, puisque le châtiment est là sous leurs yeux, si terrible et si manifeste : pour qu’il soit né aveugle (dans le texte grec, ἵνα exprime un résultat direct, voulu de Dieu). Tel avait été déjà le raisonnement des amis de Job : Tu es un grand coupable malgré tes protestations d'innocence ; autrement Dieu ne t'aurait point traité de la sorte (voyez Vigouroux, Manuel biblique, t.2, p.220 et ss de la 3e édit.). C'est là, du reste, un préjugé populaire qu'on rencontre dans tous les temps et dans toutes les contrées. Jésus l'avait antérieurement réfuté devant les siens, car il était très commun chez les Juifs d'alors. Luc. 13, 1-4. Les païens de l'île de Malte, quand ils virent S. Paul, à peine sauvé du naufrage, mordu par une bête venimeuse, ne manquèrent pas de penser aussi qu'il avait gravement offensé les dieux, Act. 28, 4. C'est le dogme de la rétribution poussé jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes ; car, s'il est vrai d'affirmer que tous les maux dont nous souffrons ici bas ont eu le péché pour cause, on tomberait fréquemment en d'étranges erreurs si l'on préférait faire des applications individuelles de ce principe. Il existe « une chaîne qui unit les crimes des hommes et leurs calamités, mais ses anneaux ne sont point visibles à nos regards ». Watkins, S. John, p.211. - Cet homme, ou ses parents ? Alternative non moins singulière que la supposition à laquelle elle sert de développement. Pour les péchés des parents, passe encore, attendu que le Seigneur menace expressément dans les saints Livres de visiter les iniquités des pères sur leurs enfants (Cf. Ex. 20, 5, etc.) ; mais comment les disciples pouvaient-ils admettre que la culpabilité personnelle du mendiant avait été la vraie cause de son malheur, puisqu'ils le représentent eux-mêmes comme aveugle de naissance ? On a fait plusieurs hypothèses pour expliquer le langage des apôtres. 1° Ils auraient cru d'une manière plus ou moins vague à la préexistence des âmes, ou à la métempsycose, doctrine dont on trouve des traces chez les écrivains juifs de leur temps (Josèphe, Philon, les Rabbins. Etc.) : on conçoit alors des péchés commis dans une existence antérieure et châtiés pendant la vie subséquente. Toutefois, il est peu probable que les disciples, simples hommes du peuple, soient entrés dans ces raffinements théologiques qui ne devaient guère franchir les murs des écoles. 2° Ils auraient eu à la pensée, d'après d'autres interprètes, une anticipation des fautes de la part de Dieu. Prévoyant que cet homme l'offenserait un jour gravement, Dieu l'aurait puni d'avance en le faisant naître aveugle. Mais cela aussi paraît trop recherché. 3° On a supposé, à la suite d'Euthymius, que les disciples plaidaient le faux pour savoir le vrai. Quelqu'un a péché, voulaient-ils dire au fond ; qui est-ce donc, vu que ce ne peut être ni lui ni ses parents ? La simplicité du récit et la réponse de Jésus s'opposent à cette solution. 4° Prenant pour base Gen.25, 22 (la lutte de Jacob et d'Esaü dans le sein de leur mère) et Ps. 50, 7 (« Moi, je suis né dans la faute »), divers Rabbins ont émis l'opinion que les enfants étaient capables de commettre des péchés personnels même avant leur naissance. Cf Lightfoot, Horæ hebr., h. l. ; Otho, Lexicon rabbinic., s.v. Infantes ; A. Wünsche, Neue Beitraege zur Erlaeuterung der Evangel. aus Talmud, p.537. Cette théorie semble s'adapter pour le mieux à la question des apôtres, et en donner la clef. Le mendiant avait pu naître aveugle en punition de ses fautes, puisqu'il avait pu commettre des fautes. Telle est l'explication la plus commune. - On s'est demandé aussi comment les apôtres pouvaient savoir que la cécité était « de naissance » ? La réponse est cette fois plus facile. Ils le surent ou par le propre récit de l'aveugle, les gens de sa condition aimant à proclamer les détails de leur infortune afin de mieux exciter la sympathie des passants, ou par le bruit public, son histoire étant connue des habitants de Jérusalem qui le voyaient depuis longtemps à la même place.