Jean 8, 59
Alors ils ramassèrent des pierres pour les lui jeter. Mais Jésus, en se cachant, sortit du Temple.
Alors ils ramassèrent des pierres pour les lui jeter. Mais Jésus, en se cachant, sortit du Temple.
Ils prirent donc... Dans un paroxysme de rage ils s’élancent sur lui comme sur un
blasphémateur, pour le lapider sommairement. Cf. Lev. 24, 16. - Des pierres. Les « armes de la foule »
(Bengel) furent le dernier argument des Juifs contre Jésus. Le temple d’Hérode était toujours en construction,
et les pierres ne manquaient pas dans les cours. Josèphe, Ant. 17, 9, 3, mentionne une lapidation qui eut
pareillement lieu. Cf. 2 Par. 24, 21. - Mais Jésus se cacha. D’après Euthymius et d’autres interprètes, Notre
Seigneur se serait rendu invisible par un miracle de sa toute-puissance. Nous préférons prendre le texte
évangélique à la lettre, avec S. Jean Chrysostome et S. Augustin : « En tant qu’homme, il se sauve des pierres » : c’est plus humble, mais aussi plus conforme à la situation et à la conduite de Jésus en d’autres
circonstances analogues. Cf. 5, 13 ; 12, 36, etc. Notre Seigneur se perdit sans doute dans la foule, et il lui fut
ensuite aisé de disparaître. - Et sortit du temple. La Recepta ajoute avec plusieurs manuscrits : « marchant au
milieu d’eux, il passe au travers » mais cette ligne est certainement apocryphe, car elle manque dans les
meilleurs documents.
1270. Plus haut , en disant : Qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie , le Seigneur avait promis deux choses à ceux qui le suivent : qu’ils seraient libérés des ténèbres et qu’ils obtiendraient la vie. On a traité de la libération des ténèbres; il s’agit maintenant de montrer comment on obtient la vie grâce au Christ.
Le Christ expose d’abord la vérité , avant de rejeter une opposition de la part des Juifs .
1271. Il faut savoir que le Christ, bien qu’il eût été provoqué par les injures et les opprobres, ne renonça pas à son enseignement; mais après qu’on eut dit qu’il avait un démon, il dispensa plus largement encore les bienfaits de sa prédication.
En cela, un exemple nous est donné quand la perversité des méchants grandit, et que ceux qui se convertissent sont foulés aux pieds par les opprobres des hommes, non seulement on ne doit pas interrompre la prédication, mais on doit même l’intensifier — Toi donc, fils d’homme, ne les crains pas, et n'aie pas peur de leurs paroles — Je souffre jusqu'à porter des chaînes, comme si j'avais mal agi, mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée
Dans ces paroles, le Seigneur fait deux choses : il en réclame une, et promet la seconde.
Il réclame, de fait, que l’on observe sa parole : SI QUEL QU’UN GARDE MA PAROLE. En effet, la parole du Christ est vérité; c’est pourquoi nous devons la garder; en premier lieu par la foi et par une méditation continuelle — Garde-la, et elle te gardera , ensuite par l’accomplissement des œuvres — Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime
En second lieu, il promet à ceux qui le suivent qu’ils seront libérés de la mort : IL NE VERRA JAMAIS LA MORT, c’est-à-dire, il ne l’éprouvera pas — Ceux qui agissent en moi, dans la sagesse divine, ne pécheront pas, et ceux qui me révèlent auront la vie éternelle .
Et il convient qu’une telle récompense soit due à un tel mérite; car la vie éternelle consiste principalement dans la vision divine — La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ; or un certain germe et un commencement de cette vision sont réalisés en nous par la parole du Christ — La semence, c’est la parole de Dieu ; ainsi, comme celui qui entoure de soins la semence d’une plante ou d’un arbre pour qu’elle ne se corrompe pas parvient à la récolte d’un fruit, de même celui qui garde la parole de Dieu parvient à la vie éternelle — L'homme qui aura accompli ces choses vivra en elles .
1272. L’Évangéliste expose ici la réfutation par le Seigneur de l’opposition des Juifs. Or ils s’opposent au Christ de trois manières : d’abord en l’accusant de fausseté ; puis en se moquant de lui ; enfin, en le poursuivant .
En traitant du premier point, l’Evangéliste montre d’abord les Juifs s’efforçant de convaincre le Seigneur de présomption, puis le Seigneur répondant à certaines de leurs paroles .
En parlant au Seigneur, les Juifs lui infligent d’abord un affront ; puis ils exposent un fait , avant de l’interroger .
1273. Ils lui ont infligé l’affront de l’accuser de mensonge, en disant : MAINTENANT NOUS AVONS CONNU QUE TU AS UN DÉMON. Ils ont dit cela parce qu’il est connu chez les Juifs que l’inventeur des péchés, et principalement du mensonge, c’est le diable, selon cette parole : Je sortirai, et serai l’esprit du mensonge dans la bouche de tous ses prophètes Et il leur semblait manifeste que ce que le Seigneur avait dit — à savoir, SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE VERRA JAMAIS LA MORT — était un mensonge; en effet, selon leurs préoccupations terrestres, ils comprenaient de la mort corporelle ce que le Seigneur avait dit de la mort spirituelle et éternelle; et surtout, la parole du Christ était en contradiction avec l’autorité de l’Ecriture : Quel est l’homme qui vit et ne verra pas la mort, qui arrachera son âme à la main du shéol? ; c’est pourquoi ils lui disent : TU AS UN DEMON; autrement dit, tu prof un mensonge sous l’inspiration du démon.
1274. Et pour le convaincre de mensonge, ils présentent d’abord le fait de la mort de leurs pères, avant de répéter les paroles du Christ.
Ils disent donc : Ce que tu dis est vraiment faux, car ABRAHAM, comme tout homme, EST MORT, comme le montre avec évidence le livre de la Genèse . De même, LES PROPHETES sont morts — Tous nous mourrons; et nous nous écoulons dans la terre comme des eaux qui ne reviennent pas Mais, bien qu’ils soient vraiment morts corporellement, ils ne le sont cependant pas spirituellement. Le Seigneur dit dans l’Evangile de Matthieu : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob; et il ajoute : Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants Ils sont donc morts dans leur corps, mais ils vivent quant à l’esprit, parce qu’ils ont gardé la parole de Dieu, et qu’ils ont vécu par la foi Le Seigneur disait cela en le comprenant de cette mort-là, et non de la mort corporelle.
Les Juifs répètent la parole du Seigneur en disant : ET TOI TU DIS : SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE GOÛTERA JAMAIS LA MORT.
Tels des auditeurs dangereux et méchants, brouillant la parole du Seigneur, ils ne répètent pas exactement les mêmes mots. Le Seigneur a dit en effet : IL NE VERRA JAMAIS LA MORT; mais eux : IL NE GOUTERA JAMAIS LA MORT Selon leur manière de comprendre cette parole, cela revient au même, parce que dans les deux cas ils comprenaient qu’il n’y aurait JAMAIS d’expérience de LA MORT, c’est-à-dire de la mort corporelle. Mais selon la véritable compréhension, il y a, comme le dit Origène , une différence entre voir la mort et la goûter; car voir la mort c’est en avoir complètement l’expérience; tandis que la goûter, c’est en avoir un certain goût, ou y participer de quelque manière. Et de même que par rapport à la peine, c’est plus de voir la mort que de la goûter, de même par rapport à la gloire, c’est plus de ne pas goûter la mort que de ne pas la voir. En effet, ne la goûtent pas ceux qui sont au ciel avec le Christ, c’est-à-dire ceux qui se tiennent et demeurent dans un lieu spirituel; d’eux, il est dit : Il en est certains qui sont ici qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume Il en est d’autres cependant qui, tout en ne voyant pas la mort en péchant mortellement, la goûtent cependant par quelque léger attachement aux choses terrestres. Et le Seigneur a dit, comme on le voit dans le texte grec, et comme l’expose aussi Origène IL NE VERRA pas LA MORT, parce que celui qui aura reçu et gardé la parole du Christ, même s’il goûte quelque chose de la mort, ne la verra cependant pas.
1275. Ils l’interrogent enfin, en disant : SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PERE ABRAHAM, QUI EST MORT?
Ils cherchent d’abord à le comparer à leurs pères : SERAIS-TU, disent-ils, PLUS GRAND? Comme le dit Chrysostome ils pouvaient, selon leur intelligence soumise à la chair, chercher plus haut encore, à savoir : SERAIS-TU PLUS GRAND que Dieu? Car Abraham et les prophètes ont gardé les commandements de Dieu, et cependant ils ont connu la mort corporelle. Ainsi donc, si un homme qui aura gardé ta parole ne meurt pas, il semble que tu sois plus grand que Dieu. Cependant, ils se sont contentés de cette réplique parce qu’ils l’estimaient plus petit qu’Abraham, alors qu’il est écrit dans le psaume : Il n’en est pas de semblable à toi parmi les dieux, Seigneur et dans l’Exode : Qui est semblable à toi parmi les forts, Seigneur? — c’est-à-dire : personne.
Ils s’enquièrent ensuite de sa propre appréciation, c’est-à-dire qu’ils cherchent à savoir pour qui il se prend : QUI TE PRETENDS-TU? Si tu es plus grand que ceux-là, à savoir Abraham et les prophètes, il semble qu’il faille comprendre par là que tu es d’une nature supérieure, par exemple un ange, ou bien Dieu. Mais nous ne le pensons pas de toi, — et c’est pourquoi ils ne disent pas : QUI ES-TU? Mais : QUI TE PRETENDS-TU? — parce que tout ce que tu dis, par où tu les surpasses, ne le reconnaissant pas de toi, nous pensons que tu l’inventes de toutes pièces. Ils disent la même chose plus loin : Nous ne te lapidons pas pour une bonne œuvre, mais pour un blasphème, parce que, alors que tu es un homme, tu te fais toi-même Dieu
1276. L’Évangéliste expose ici la réponse du Seigneur : celui-ci commence par répondre à la seconde question des Juifs, en refusant d’abord la fausseté dont ils l’accusaient , puis en enseignant la vérité qu’ils ignoraient , et en explicitant les deux choses sur lesquelles il a attiré l’attention. . Il répondra ensuite à leur première question .
1277. Il dit donc : Vous m’interrogez en disant : QUI TE PRÉTENDS-TU? comme si la gloire que je n’ai pas, je l’usurpais pour moi! Mais inutile est le discours de ceux qui me guettent, car je ne me fais pas ce que je suis, mais je l’ai reçu du Père en effet, SI MOI JE ME GLORIFIE MOI-MEME, MA GLOIRE N’EST RIEN Cela peut être compris du Christ en tant qu’il est le Fils de Dieu; en ce sens, il dit avec précision : SI MOI, c’est-à-dire moi seul, JE ME GLORIFIE MOI MEME, c’est-à-dire si je m’attribue une gloire que le Père ne me donne pas, MA GLOIRE N’EST RIEN; car la gloire du Christ en tant qu’il est Dieu, c’est la gloire du Verbe et du Fils de Dieu; or le Fils n’a rien en dehors du fait qu’il est né, c’est-à-dire en dehors de ce qu’il a reçu en naissant d’un autre : si donc il se trouvait par impossible que sa gloire ne soit pas d’un autre, elle ne serait pas la gloire du Fils.
Il semble cependant meilleur depenser que cela est dit du Christ en tant qu’homme. En effet, si quelqu’un s’attribue une gloire qu’il ne tient pas de Dieu, cette gloire est fausse; car tout ce qui est de la vérité est de Dieu; et ce qui est le contraire de la vérité est faux, et par conséquent n’est rien. Donc, la gloire qui n’est pas de Dieu n’est rien. Il est dit du Christ dans l’épître aux Hébreux qu’il ne s'est pas glorifié lui-même en se faisant grand prêtre — Ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé, mais c’est celui que Dieu recommande
Ainsi est prouvée la fourberie des Juifs.
1278. Le Christ expose la vérité qu’il a l’intention d’enseigner en disant : C’EST MON PERE QUI ME GLORIFIE, LUI DONT VOUS DITES QU'IL EST VOTRE DIEU Autrement dit : moi je ne me glorifie pas moi-même, comme vous le prétendez; mais il est autre celui qui me glorifie, à savoir MON PERE. Il le décrit ici par sa propriété et par sa nature
Par sa propriété, qui est la paternité; c’est pourquoi il dit C’EST MON PERE, et non moi.
Utilisant cette parole, les Ariens, comme le note Augustin accusent abusivement notre foi en disant que le Père est plus grand que le Fils; car celui qui glorifie est plus grand que celui qui est glorifié par lui. Si donc le Père glorifie le Fils, le Père est plus grand que le Fils.
Il faut dire que cet argument aurait quelque vraisemblance, si on ne lisait à l’inverse que le Fils glorifie (glorificare) le Père; le Fils dit en effet : Père, l’heure est venue, glorifie (clarifica) ton Fils, pour que ton Fils te glorifie . Et plus loin, dans le même chapitre : Moi je t’ai glorifié (clarifica) sur la terre Or glorificare et clarificare rendent en latin un seul et même mot grec; et selon Ambroise, "la gloire (gloria) est une connaissance lumineuse (clara) accompagnée de louange"
Cette parole peut se rapporter au Christ, et en tant qu’il est Fils de Dieu, et en tant qu’il est Fils de l’homme.
En tant qu’il est Fils de Dieu, le Père le glorifie de la gloire de la divinité, en l’engendrant égal à lui-même de toute éternité — Splendeur de sa gloire et effigie de sa substance — Que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père .
Mais en tant qu’homme, il a eu la gloire par une surabondance en lui de la divinité, une surabondance de grâce et de gloire unique — Nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité .
1279. Il le décrit ensuite par la nature de la divinité, quand il dit : LUI DONT VOUS DITES QU’IL EST VOTRE DIEU Pour qu’on ne pense pas que le Père est autre que Dieu, il dit qu’il est glorifié par Dieu — Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui Dieu aussi le glorifiera en lui-même .
Selon Augustin cette parole s’oppose aux Manichéens, qui disent que le Père du Christ n’a pas été annoncé dans l’Ancien Testament, mais qu’il est l’un des chefs des mauvais anges. Or il est établi que les Juifs ne disent pas que leur Dieu est un autre que le Dieu de l’Ancien Testament. Donc, le Dieu de l’Ancien Testament est le Père du Christ qui le glorifie.
1280. Le Christ explicite ici la fourberie des Juifs, et sa vérité à lui. Il le fait de deux façons : d’abord en montrant l’ignorance des Juifs , puis en montrant sa propre connaissance .
1281. A propos de l’ignorance des Juifs, il faut savoir qu’ils auraient pu dire : Toi, tu dis que tu es glorifié par notre Dieu; mais ses jugements nous sont connus, selon ce que dit le psaume : Il n'a pas fait ainsi pour toutes les nations, et vos jugements, il ne les leur a pas manifestés . Donc, si ce que tu dis était vrai, nous le saurions de toute façon : comme cela nous est caché, il est établi que ce n’est pas vrai. C’est pourquoi le Christ dit en concluant : ET VOUS NE L’AVEZ PAS CONNU; autrement dit : il n’est pas étonnant que vous n’ayez pas reconnu la gloire dont me glorifie mon Père, que vous dites votre Dieu, puisque vous ne le connaissez pas lui-même.
1282. Mais n’est-il pas dit : Dieu est connu en Judée . À cela il faut répondre qu’ils le connaissent comme Dieu, mais non comme Père; c’est pourquoi le Christ a dit plus haut : C’EST MON PERE QUI ME GLORIFIE. Ou bien il faut dire : vous ne l’avez pas connu par une volonté aimante, parce que vous honorez d’une manière charnelle celui qui doit être honoré d’une manière spirituelle — Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et en vérité De même, vous ne le connaissez pas d’une manière effective, parce que vous méprisez d’accomplir ses commandements — Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renient par leurs actes
1283. Mais ils auraient pu dire : soit, nous ne connais sons pas ta gloire, mais comment connais-tu que tu tiens ta gloire de Dieu le Père? Le Christ poursuit donc en montrant sa propre connaissance, lorsqu’il dit : MAIS MOI JE L'AI CONNU ET SI JE DIS QUEJE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, ET JE GARDE SA PAROLE.
Le Christ expose d’abord sa connaissance , puis la nécessité de l’affirmer ; enfin il explicite ce qu’il dit .
1284. Il dit donc : Je sais que je tiens la gloire de Dieu le Père, parce que MOI JE L’AI CONNU, c’est-à-dire de cette connaissance dont il se connaît lui-même, et que nul autre n’a en dehors du Fils — Personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père, et personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils, c’est-à-dire d’une connaissance de parfaite compréhension. Et parce que tout ce qui est imparfait tient son commencement de ce qui est parfait, de là vient que toute notre connaissance est dérivée du Verbe; c’est pourquoi on lit ensuite : et celui à qui le Fils veut le révéler
1285. Mais parce que ceux qui jugent selon la chair pourraient considérer comme une arrogance, de la part du Christ, de dire qu’il connaît Dieu, il poursuit en montrant la nécessité de sa parole : ET SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR.
Car selon Augustin il ne convient pas que, pour éviter l’arrogance, on abandonne la vérité et on tombe dans le mensonge. C’est pourquoi le Christ dit : SI JE DIS... autrement dit : comme vous, vous mentez quand vous dites que vous le connaissez, ainsi moi, SIJE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, alors que je le connais, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR. Cette similitude provient d’une attitude contraire puisqu’elle serait une similitude dans le mensonge : de même que ceux-ci mentent en disant qu’ils con naissent celui qu’ils ignorent, ainsi le Christ serait un menteur en disant ignorer celui qu’il connaît. Mais il y a une différence dans cette connaissance, parce que ceux-là ne le connaissent pas, alors que le Christ le connaît parfaitement
Mais le Christ aurait-il pu s’exprimer de la sorte? Certes, il aurait pu en exprimer matériellement les paroles, mais il n’aurait pu avoir l’intention d’exprimer quelque chose de faux; ceci en effet n’aurait pu se faire que par une inclination de la volonté du Christ vers le faux, ce qui était impossible, comme il lui était impossible de pécher. Cependant, la conditionnelle reste vraie, bien que l’antécédent et le conséquent soient impossibles .
1286. Qu’il connaisse le Père, il l’explicite en ajoutant : MAIS JE LE CONNAIS ETJE GARDE SA PAROLE.
Je le connais d’une connaissance spéculative : JE LE CONNAIS intellectuellement, de la connaissance qu’on a dite LE, c’est-à-dire le Père. De même, je le connais d’une connaissance affective, c’est-à-dire par une harmonie de ma volonté avec lui : ET JE GARDE SA PAROLE. — Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé .
1287. Le Christ répond ici à la première question que lui avait posée les Juifs, à savoir : SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PERE ABRAHAM, QUI EST MORT?
Il montre qu’il est plus grand pour cette raison qu'Abrahams’est réjoui. En effet, quiconque attend de quelqu’un du bien, et sa perfection, est plus petit que celui dont il les attend; or Abraham a eu en moi toute l’espérance de sa perfection et de son bien : il est donc plus petit que moi. C’est pourquoi le Christ dit : ABRAHAM VOTRE PERE, au sujet duquel vous vous glorifiez, A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR : IL L’A VU, ET IL A ETE DANS LA JOIE. Le Christ parle d’une double vision et d’une double joie, mais dans un ordre différent.
Il mentionne d’abord la joie de l’exultation : A EXULTE, et il ajoute la vision en disant : DE CE QU’IL VERRAIT. Ensuite, il met en premier lieu la vision : IL L’A VU, et il ajoute la joie : ET IL A ETE DANS LA JOIE.
Ainsi, la joie demeure entre deux visions, procédant de l’une et tendant vers l’autre; autrement dit : IL L'A VU, ET IL A ETE DANS LA JOIE, et IL A EXULTE, c’est-à-dire il s’est réjoui, DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR.
Il faut donc voir d’abord quel est ce jour qu’il a vu, et à la pensée duquel il a exulté. Or le jour du Christ est double : celui de l’éternité, dont il est question dans le psaume : Moi aujourd’hui, je t’ai engendré ; et le jour de l’Incarnation et de l’humanité, dont il est question plus loin : il me faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé, tant qu'il fait jour — La nuit est passée, le jour est venu Nous disons donc de l’une et l’autre manière qu’Abraham a d’abord vu par la foi le jour du Christ, c’est-à-dire celui de l’éternité et celui de l’Incarnation — Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice
Qu’il ait vu le jour de l’éternité, cela est manifeste; autrement, il n’aurait pas été justifié par Dieu, parce que, comme le dit l’épître aux Hébreux, il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu'il existe
Qu’il ait vu le jour de l’Incarnation, cela nous est révélé par trois choses : d’abord par le serment qu’il exigea de son serviteur, car il dit au serviteur qu’il envoyait : Place ta main sous ma cuisse, et jure par le Dieu du ciel ; comme le dit Augustin en cela nous était signifié que le Dieu du ciel sortirait de sa cuisse. Ensuite, comme le dit Grégoire lorsqu’il donna l’hospitalité à trois anges, figures de la Très Sainte Trinité Enfin, quand il connut en préfiguration la Passion du Christ, dans le sacrifice d’un bélier et d’Isaac .
Ainsi donc, IL A ÉTÉ DANS LA JOIE de cette vision; mais il ne s’est pas reposé en elle; bien au contraire, à partir de celle-ci IL A EXULTE en entrant dans une autre vision, à savoir la vision sans obstacle et claire plaçant en elle toute sa joie. C’est pourquoi le Christ dit : IL A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT, par une vision claire, MON JOUR, celui de ma divinité et de mon humanité — Beaucoup de rois et de prophètes ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu .
1288. L’Évangéliste montre ici comment les Juifs tournent en dérision les paroles du Christ.
Il montre d’abord comment les Juifs se moquent des paroles du Christ de manière à le confondre , puis comment le Christ explicite ces paroles pour que leur moquerie porte à faux .
1289. Parce que donc le Christ avait dit : ABRAHAM VOTRE PERE A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR, les Juifs, ayant des esprits soumis à la chair et ne considérant que l’âge physique tournent sa parole en dérision et disent : TU N’AS PAS ENCORE CINQUANTE ANS; bien sûr, il n’en avait ni cinquante, ni même quarante : il avait environ trente ans — Et Jésus, lors de ses débuts, avait environ trente ans .
Ils disent : TU N’AS PAS ENCORE CINQUANTE ANS, peut-être parce que chez les Juifs l’année jubilaire était tenue en très grande révérence : on comptait tout à partir d’elle; et c’était l’année pendant laquelle on relâchait les captifs et on cédait les biens qu’on avait acquis Cette parole revient donc à dire : tu n’as pas encore dépassé l’espace d’un jubilé, et TU AS VU ABRAHAM! bien que le Seigneur n’eût pas dit avoir vu Abraham, mais "qu’Abraham avait vu son jour".
1290. C’est pourquoi le Seigneur, en répondant aux Juifs, explique ses paroles, pour ne pas donner prise à leur moquerie : AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, AVANT QU'ABRAHAM FUT FAIT, MOI JE SUIS.
Le Seigneur dit à son propre sujet deux choses remarquables, qui sont efficaces contre l’hérésie des Ariens. L’une, comme le dit Grégoire est que sa parole unit un temps passé et un temps présent : AVANT signifie en effet le passé, et JE SUIS est au temps présent. Ainsi, pour montrer qu’il est éternel, et pour révéler que son être est être d’éternité, il ne dit pas : "Avant Abraham, moi je fus , mais : AVANT ABRAHAM, MOI JE SUIS; car l’être éternel ne con naît pas le passé et le futur, mais inclut tout temps dans un instantindivisible. C’est pourquoi il peut être dit : Celui qui est m’a envoyé vers vous, et Je suis celui qui suis . Avant donc ou après Abraham il a eu l’être, lui qui put entrer dans le monde par la manifestation du présent et s’en retirer par le cours de la vie.
L’autre chose, selon Augustin , c’est qu’en parlant d’Abraham, qui est une créature, il n’a pas dit : avant qu’Abraham fût, mais : AVANT QU’ABRAHAM FUT FAIT; alors que, parlant de lui-même, pour montrer qu’il n’a pas été fait, comme une créature, mais qu’il est engendré de toute éternité de l’essence du Père, il ne dit pas : Moi je suis fait, mais MOI JE SUIS, lui qui dans le Principe était le Verbe — Avant toutes les collines, le Seigneur m’a engendré .
1291. L’Évangéliste expose ici la tentative d'homicidedes Juifs contre le Christ; il montre d’abord les Juifs poursuivant le Christ, puis la fuite de celui-ci .
Si les Juifs poursuivent le Christ, cela vient de ce qu’ils ne croient pas. Car les esprits de ceux qui ne croient pas, n’ayant pas la force de supporter des paroles d’éternité, ni de les comprendre, les considèrent comme des blasphèmes; et c’est pourquoi, selon le commandement de la Loi , voulant le lapider comme blasphémateur, ILS RAMASSERENT DES PIERRES POUR LES LUI JETER . Et comme le dit Augustin une telle dureté de pierre, où courrait-elle si ce n’est vers des pierres? — Nous ne te lapidons pas pour une bonne œuvre, mais pour un blasphème Ils font la même chose, ceux qui, ne comprenant pas à cause de la dureté de leur cœur la vérité apportée par ceux qui en ont l’expérience, blasphèment celui qui la proclame — d’où ce qui est écrit dans l’épître canonique de Jude : Ils blasphèment tout ce qu’ils ignorent .
1292. La fuite du Christ procède de sa puissance : JESUS SE DEROBA A LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE, lui qui, s’il avait voulu exercer la puissance de sa divinité dans ses actes, les aurait liés, ou les aurait précipités dans les peines d’une mort subite .
MAIS IL SE DÉROBA À LEUR VUE spécialement pour deux raisons; d’abord pour donner à ceux qui reçoivent sa parole l’exemple qu’il faut éviter ses persécuteurs — Lorsqu’on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre Ensuite, parce qu’il n’avait pas choisi ce genre de mort, mais voulut plutôt être immolé sur l’autel de la Croix et parce que le temps n’était pas encore accompli, il s’enfuit encore. Ainsi donc, en tant qu’homme il fuit leurs pierres . Cependant il ne se cache pas sous une pierre ou dans quelque coin, mais, se rendant invisible à leurs yeux par la puissance de sa divinité, il SORTIT et s’éloigna DU TEMPLE . Il fit de même lorsqu’ils voulurent le précipiter du haut d’une montagne . En cela, comme le dit Grégoire, il nous est donné à comprendre que la vérité elle-même est cachée à ceux qui tiennent pour négligeable de suivre ses paroles. Le fait est que la vérité fuit l’esprit qu’elle ne trouve pas humble — Lui qui cache sa face à la maison de Jacob...
De même aussi, il SE DEROBA A LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE parce qu’il devait les laisser, eux qui ne recevaient pas une correction de sa part, ni la vérité, et qu’il devait aller vers les nations — Votre maison vous sera laissée déserte
Le Christ expose d’abord la vérité , avant de rejeter une opposition de la part des Juifs .
1271. Il faut savoir que le Christ, bien qu’il eût été provoqué par les injures et les opprobres, ne renonça pas à son enseignement; mais après qu’on eut dit qu’il avait un démon, il dispensa plus largement encore les bienfaits de sa prédication.
En cela, un exemple nous est donné quand la perversité des méchants grandit, et que ceux qui se convertissent sont foulés aux pieds par les opprobres des hommes, non seulement on ne doit pas interrompre la prédication, mais on doit même l’intensifier — Toi donc, fils d’homme, ne les crains pas, et n'aie pas peur de leurs paroles — Je souffre jusqu'à porter des chaînes, comme si j'avais mal agi, mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée
Dans ces paroles, le Seigneur fait deux choses : il en réclame une, et promet la seconde.
Il réclame, de fait, que l’on observe sa parole : SI QUEL QU’UN GARDE MA PAROLE. En effet, la parole du Christ est vérité; c’est pourquoi nous devons la garder; en premier lieu par la foi et par une méditation continuelle — Garde-la, et elle te gardera , ensuite par l’accomplissement des œuvres — Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime
En second lieu, il promet à ceux qui le suivent qu’ils seront libérés de la mort : IL NE VERRA JAMAIS LA MORT, c’est-à-dire, il ne l’éprouvera pas — Ceux qui agissent en moi, dans la sagesse divine, ne pécheront pas, et ceux qui me révèlent auront la vie éternelle .
Et il convient qu’une telle récompense soit due à un tel mérite; car la vie éternelle consiste principalement dans la vision divine — La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ; or un certain germe et un commencement de cette vision sont réalisés en nous par la parole du Christ — La semence, c’est la parole de Dieu ; ainsi, comme celui qui entoure de soins la semence d’une plante ou d’un arbre pour qu’elle ne se corrompe pas parvient à la récolte d’un fruit, de même celui qui garde la parole de Dieu parvient à la vie éternelle — L'homme qui aura accompli ces choses vivra en elles .
1272. L’Évangéliste expose ici la réfutation par le Seigneur de l’opposition des Juifs. Or ils s’opposent au Christ de trois manières : d’abord en l’accusant de fausseté ; puis en se moquant de lui ; enfin, en le poursuivant .
En traitant du premier point, l’Evangéliste montre d’abord les Juifs s’efforçant de convaincre le Seigneur de présomption, puis le Seigneur répondant à certaines de leurs paroles .
En parlant au Seigneur, les Juifs lui infligent d’abord un affront ; puis ils exposent un fait , avant de l’interroger .
1273. Ils lui ont infligé l’affront de l’accuser de mensonge, en disant : MAINTENANT NOUS AVONS CONNU QUE TU AS UN DÉMON. Ils ont dit cela parce qu’il est connu chez les Juifs que l’inventeur des péchés, et principalement du mensonge, c’est le diable, selon cette parole : Je sortirai, et serai l’esprit du mensonge dans la bouche de tous ses prophètes Et il leur semblait manifeste que ce que le Seigneur avait dit — à savoir, SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE VERRA JAMAIS LA MORT — était un mensonge; en effet, selon leurs préoccupations terrestres, ils comprenaient de la mort corporelle ce que le Seigneur avait dit de la mort spirituelle et éternelle; et surtout, la parole du Christ était en contradiction avec l’autorité de l’Ecriture : Quel est l’homme qui vit et ne verra pas la mort, qui arrachera son âme à la main du shéol? ; c’est pourquoi ils lui disent : TU AS UN DEMON; autrement dit, tu prof un mensonge sous l’inspiration du démon.
1274. Et pour le convaincre de mensonge, ils présentent d’abord le fait de la mort de leurs pères, avant de répéter les paroles du Christ.
Ils disent donc : Ce que tu dis est vraiment faux, car ABRAHAM, comme tout homme, EST MORT, comme le montre avec évidence le livre de la Genèse . De même, LES PROPHETES sont morts — Tous nous mourrons; et nous nous écoulons dans la terre comme des eaux qui ne reviennent pas Mais, bien qu’ils soient vraiment morts corporellement, ils ne le sont cependant pas spirituellement. Le Seigneur dit dans l’Evangile de Matthieu : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob; et il ajoute : Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants Ils sont donc morts dans leur corps, mais ils vivent quant à l’esprit, parce qu’ils ont gardé la parole de Dieu, et qu’ils ont vécu par la foi Le Seigneur disait cela en le comprenant de cette mort-là, et non de la mort corporelle.
Les Juifs répètent la parole du Seigneur en disant : ET TOI TU DIS : SI QUELQU’UN GARDE MA PAROLE, IL NE GOÛTERA JAMAIS LA MORT.
Tels des auditeurs dangereux et méchants, brouillant la parole du Seigneur, ils ne répètent pas exactement les mêmes mots. Le Seigneur a dit en effet : IL NE VERRA JAMAIS LA MORT; mais eux : IL NE GOUTERA JAMAIS LA MORT Selon leur manière de comprendre cette parole, cela revient au même, parce que dans les deux cas ils comprenaient qu’il n’y aurait JAMAIS d’expérience de LA MORT, c’est-à-dire de la mort corporelle. Mais selon la véritable compréhension, il y a, comme le dit Origène , une différence entre voir la mort et la goûter; car voir la mort c’est en avoir complètement l’expérience; tandis que la goûter, c’est en avoir un certain goût, ou y participer de quelque manière. Et de même que par rapport à la peine, c’est plus de voir la mort que de la goûter, de même par rapport à la gloire, c’est plus de ne pas goûter la mort que de ne pas la voir. En effet, ne la goûtent pas ceux qui sont au ciel avec le Christ, c’est-à-dire ceux qui se tiennent et demeurent dans un lieu spirituel; d’eux, il est dit : Il en est certains qui sont ici qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume Il en est d’autres cependant qui, tout en ne voyant pas la mort en péchant mortellement, la goûtent cependant par quelque léger attachement aux choses terrestres. Et le Seigneur a dit, comme on le voit dans le texte grec, et comme l’expose aussi Origène IL NE VERRA pas LA MORT, parce que celui qui aura reçu et gardé la parole du Christ, même s’il goûte quelque chose de la mort, ne la verra cependant pas.
1275. Ils l’interrogent enfin, en disant : SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PERE ABRAHAM, QUI EST MORT?
Ils cherchent d’abord à le comparer à leurs pères : SERAIS-TU, disent-ils, PLUS GRAND? Comme le dit Chrysostome ils pouvaient, selon leur intelligence soumise à la chair, chercher plus haut encore, à savoir : SERAIS-TU PLUS GRAND que Dieu? Car Abraham et les prophètes ont gardé les commandements de Dieu, et cependant ils ont connu la mort corporelle. Ainsi donc, si un homme qui aura gardé ta parole ne meurt pas, il semble que tu sois plus grand que Dieu. Cependant, ils se sont contentés de cette réplique parce qu’ils l’estimaient plus petit qu’Abraham, alors qu’il est écrit dans le psaume : Il n’en est pas de semblable à toi parmi les dieux, Seigneur et dans l’Exode : Qui est semblable à toi parmi les forts, Seigneur? — c’est-à-dire : personne.
Ils s’enquièrent ensuite de sa propre appréciation, c’est-à-dire qu’ils cherchent à savoir pour qui il se prend : QUI TE PRETENDS-TU? Si tu es plus grand que ceux-là, à savoir Abraham et les prophètes, il semble qu’il faille comprendre par là que tu es d’une nature supérieure, par exemple un ange, ou bien Dieu. Mais nous ne le pensons pas de toi, — et c’est pourquoi ils ne disent pas : QUI ES-TU? Mais : QUI TE PRETENDS-TU? — parce que tout ce que tu dis, par où tu les surpasses, ne le reconnaissant pas de toi, nous pensons que tu l’inventes de toutes pièces. Ils disent la même chose plus loin : Nous ne te lapidons pas pour une bonne œuvre, mais pour un blasphème, parce que, alors que tu es un homme, tu te fais toi-même Dieu
1276. L’Évangéliste expose ici la réponse du Seigneur : celui-ci commence par répondre à la seconde question des Juifs, en refusant d’abord la fausseté dont ils l’accusaient , puis en enseignant la vérité qu’ils ignoraient , et en explicitant les deux choses sur lesquelles il a attiré l’attention. . Il répondra ensuite à leur première question .
1277. Il dit donc : Vous m’interrogez en disant : QUI TE PRÉTENDS-TU? comme si la gloire que je n’ai pas, je l’usurpais pour moi! Mais inutile est le discours de ceux qui me guettent, car je ne me fais pas ce que je suis, mais je l’ai reçu du Père en effet, SI MOI JE ME GLORIFIE MOI-MEME, MA GLOIRE N’EST RIEN Cela peut être compris du Christ en tant qu’il est le Fils de Dieu; en ce sens, il dit avec précision : SI MOI, c’est-à-dire moi seul, JE ME GLORIFIE MOI MEME, c’est-à-dire si je m’attribue une gloire que le Père ne me donne pas, MA GLOIRE N’EST RIEN; car la gloire du Christ en tant qu’il est Dieu, c’est la gloire du Verbe et du Fils de Dieu; or le Fils n’a rien en dehors du fait qu’il est né, c’est-à-dire en dehors de ce qu’il a reçu en naissant d’un autre : si donc il se trouvait par impossible que sa gloire ne soit pas d’un autre, elle ne serait pas la gloire du Fils.
Il semble cependant meilleur depenser que cela est dit du Christ en tant qu’homme. En effet, si quelqu’un s’attribue une gloire qu’il ne tient pas de Dieu, cette gloire est fausse; car tout ce qui est de la vérité est de Dieu; et ce qui est le contraire de la vérité est faux, et par conséquent n’est rien. Donc, la gloire qui n’est pas de Dieu n’est rien. Il est dit du Christ dans l’épître aux Hébreux qu’il ne s'est pas glorifié lui-même en se faisant grand prêtre — Ce n’est pas celui qui se recommande lui-même qui est un homme éprouvé, mais c’est celui que Dieu recommande
Ainsi est prouvée la fourberie des Juifs.
1278. Le Christ expose la vérité qu’il a l’intention d’enseigner en disant : C’EST MON PERE QUI ME GLORIFIE, LUI DONT VOUS DITES QU'IL EST VOTRE DIEU Autrement dit : moi je ne me glorifie pas moi-même, comme vous le prétendez; mais il est autre celui qui me glorifie, à savoir MON PERE. Il le décrit ici par sa propriété et par sa nature
Par sa propriété, qui est la paternité; c’est pourquoi il dit C’EST MON PERE, et non moi.
Utilisant cette parole, les Ariens, comme le note Augustin accusent abusivement notre foi en disant que le Père est plus grand que le Fils; car celui qui glorifie est plus grand que celui qui est glorifié par lui. Si donc le Père glorifie le Fils, le Père est plus grand que le Fils.
Il faut dire que cet argument aurait quelque vraisemblance, si on ne lisait à l’inverse que le Fils glorifie (glorificare) le Père; le Fils dit en effet : Père, l’heure est venue, glorifie (clarifica) ton Fils, pour que ton Fils te glorifie . Et plus loin, dans le même chapitre : Moi je t’ai glorifié (clarifica) sur la terre Or glorificare et clarificare rendent en latin un seul et même mot grec; et selon Ambroise, "la gloire (gloria) est une connaissance lumineuse (clara) accompagnée de louange"
Cette parole peut se rapporter au Christ, et en tant qu’il est Fils de Dieu, et en tant qu’il est Fils de l’homme.
En tant qu’il est Fils de Dieu, le Père le glorifie de la gloire de la divinité, en l’engendrant égal à lui-même de toute éternité — Splendeur de sa gloire et effigie de sa substance — Que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père .
Mais en tant qu’homme, il a eu la gloire par une surabondance en lui de la divinité, une surabondance de grâce et de gloire unique — Nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité .
1279. Il le décrit ensuite par la nature de la divinité, quand il dit : LUI DONT VOUS DITES QU’IL EST VOTRE DIEU Pour qu’on ne pense pas que le Père est autre que Dieu, il dit qu’il est glorifié par Dieu — Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui Dieu aussi le glorifiera en lui-même .
Selon Augustin cette parole s’oppose aux Manichéens, qui disent que le Père du Christ n’a pas été annoncé dans l’Ancien Testament, mais qu’il est l’un des chefs des mauvais anges. Or il est établi que les Juifs ne disent pas que leur Dieu est un autre que le Dieu de l’Ancien Testament. Donc, le Dieu de l’Ancien Testament est le Père du Christ qui le glorifie.
1280. Le Christ explicite ici la fourberie des Juifs, et sa vérité à lui. Il le fait de deux façons : d’abord en montrant l’ignorance des Juifs , puis en montrant sa propre connaissance .
1281. A propos de l’ignorance des Juifs, il faut savoir qu’ils auraient pu dire : Toi, tu dis que tu es glorifié par notre Dieu; mais ses jugements nous sont connus, selon ce que dit le psaume : Il n'a pas fait ainsi pour toutes les nations, et vos jugements, il ne les leur a pas manifestés . Donc, si ce que tu dis était vrai, nous le saurions de toute façon : comme cela nous est caché, il est établi que ce n’est pas vrai. C’est pourquoi le Christ dit en concluant : ET VOUS NE L’AVEZ PAS CONNU; autrement dit : il n’est pas étonnant que vous n’ayez pas reconnu la gloire dont me glorifie mon Père, que vous dites votre Dieu, puisque vous ne le connaissez pas lui-même.
1282. Mais n’est-il pas dit : Dieu est connu en Judée . À cela il faut répondre qu’ils le connaissent comme Dieu, mais non comme Père; c’est pourquoi le Christ a dit plus haut : C’EST MON PERE QUI ME GLORIFIE. Ou bien il faut dire : vous ne l’avez pas connu par une volonté aimante, parce que vous honorez d’une manière charnelle celui qui doit être honoré d’une manière spirituelle — Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et en vérité De même, vous ne le connaissez pas d’une manière effective, parce que vous méprisez d’accomplir ses commandements — Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renient par leurs actes
1283. Mais ils auraient pu dire : soit, nous ne connais sons pas ta gloire, mais comment connais-tu que tu tiens ta gloire de Dieu le Père? Le Christ poursuit donc en montrant sa propre connaissance, lorsqu’il dit : MAIS MOI JE L'AI CONNU ET SI JE DIS QUEJE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE À VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, ET JE GARDE SA PAROLE.
Le Christ expose d’abord sa connaissance , puis la nécessité de l’affirmer ; enfin il explicite ce qu’il dit .
1284. Il dit donc : Je sais que je tiens la gloire de Dieu le Père, parce que MOI JE L’AI CONNU, c’est-à-dire de cette connaissance dont il se connaît lui-même, et que nul autre n’a en dehors du Fils — Personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père, et personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils, c’est-à-dire d’une connaissance de parfaite compréhension. Et parce que tout ce qui est imparfait tient son commencement de ce qui est parfait, de là vient que toute notre connaissance est dérivée du Verbe; c’est pourquoi on lit ensuite : et celui à qui le Fils veut le révéler
1285. Mais parce que ceux qui jugent selon la chair pourraient considérer comme une arrogance, de la part du Christ, de dire qu’il connaît Dieu, il poursuit en montrant la nécessité de sa parole : ET SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR.
Car selon Augustin il ne convient pas que, pour éviter l’arrogance, on abandonne la vérité et on tombe dans le mensonge. C’est pourquoi le Christ dit : SI JE DIS... autrement dit : comme vous, vous mentez quand vous dites que vous le connaissez, ainsi moi, SIJE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, alors que je le connais, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR. Cette similitude provient d’une attitude contraire puisqu’elle serait une similitude dans le mensonge : de même que ceux-ci mentent en disant qu’ils con naissent celui qu’ils ignorent, ainsi le Christ serait un menteur en disant ignorer celui qu’il connaît. Mais il y a une différence dans cette connaissance, parce que ceux-là ne le connaissent pas, alors que le Christ le connaît parfaitement
Mais le Christ aurait-il pu s’exprimer de la sorte? Certes, il aurait pu en exprimer matériellement les paroles, mais il n’aurait pu avoir l’intention d’exprimer quelque chose de faux; ceci en effet n’aurait pu se faire que par une inclination de la volonté du Christ vers le faux, ce qui était impossible, comme il lui était impossible de pécher. Cependant, la conditionnelle reste vraie, bien que l’antécédent et le conséquent soient impossibles .
1286. Qu’il connaisse le Père, il l’explicite en ajoutant : MAIS JE LE CONNAIS ETJE GARDE SA PAROLE.
Je le connais d’une connaissance spéculative : JE LE CONNAIS intellectuellement, de la connaissance qu’on a dite LE, c’est-à-dire le Père. De même, je le connais d’une connaissance affective, c’est-à-dire par une harmonie de ma volonté avec lui : ET JE GARDE SA PAROLE. — Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé .
1287. Le Christ répond ici à la première question que lui avait posée les Juifs, à savoir : SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PERE ABRAHAM, QUI EST MORT?
Il montre qu’il est plus grand pour cette raison qu'Abrahams’est réjoui. En effet, quiconque attend de quelqu’un du bien, et sa perfection, est plus petit que celui dont il les attend; or Abraham a eu en moi toute l’espérance de sa perfection et de son bien : il est donc plus petit que moi. C’est pourquoi le Christ dit : ABRAHAM VOTRE PERE, au sujet duquel vous vous glorifiez, A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR : IL L’A VU, ET IL A ETE DANS LA JOIE. Le Christ parle d’une double vision et d’une double joie, mais dans un ordre différent.
Il mentionne d’abord la joie de l’exultation : A EXULTE, et il ajoute la vision en disant : DE CE QU’IL VERRAIT. Ensuite, il met en premier lieu la vision : IL L’A VU, et il ajoute la joie : ET IL A ETE DANS LA JOIE.
Ainsi, la joie demeure entre deux visions, procédant de l’une et tendant vers l’autre; autrement dit : IL L'A VU, ET IL A ETE DANS LA JOIE, et IL A EXULTE, c’est-à-dire il s’est réjoui, DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR.
Il faut donc voir d’abord quel est ce jour qu’il a vu, et à la pensée duquel il a exulté. Or le jour du Christ est double : celui de l’éternité, dont il est question dans le psaume : Moi aujourd’hui, je t’ai engendré ; et le jour de l’Incarnation et de l’humanité, dont il est question plus loin : il me faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé, tant qu'il fait jour — La nuit est passée, le jour est venu Nous disons donc de l’une et l’autre manière qu’Abraham a d’abord vu par la foi le jour du Christ, c’est-à-dire celui de l’éternité et celui de l’Incarnation — Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice
Qu’il ait vu le jour de l’éternité, cela est manifeste; autrement, il n’aurait pas été justifié par Dieu, parce que, comme le dit l’épître aux Hébreux, il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu'il existe
Qu’il ait vu le jour de l’Incarnation, cela nous est révélé par trois choses : d’abord par le serment qu’il exigea de son serviteur, car il dit au serviteur qu’il envoyait : Place ta main sous ma cuisse, et jure par le Dieu du ciel ; comme le dit Augustin en cela nous était signifié que le Dieu du ciel sortirait de sa cuisse. Ensuite, comme le dit Grégoire lorsqu’il donna l’hospitalité à trois anges, figures de la Très Sainte Trinité Enfin, quand il connut en préfiguration la Passion du Christ, dans le sacrifice d’un bélier et d’Isaac .
Ainsi donc, IL A ÉTÉ DANS LA JOIE de cette vision; mais il ne s’est pas reposé en elle; bien au contraire, à partir de celle-ci IL A EXULTE en entrant dans une autre vision, à savoir la vision sans obstacle et claire plaçant en elle toute sa joie. C’est pourquoi le Christ dit : IL A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT, par une vision claire, MON JOUR, celui de ma divinité et de mon humanité — Beaucoup de rois et de prophètes ont voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu .
1288. L’Évangéliste montre ici comment les Juifs tournent en dérision les paroles du Christ.
Il montre d’abord comment les Juifs se moquent des paroles du Christ de manière à le confondre , puis comment le Christ explicite ces paroles pour que leur moquerie porte à faux .
1289. Parce que donc le Christ avait dit : ABRAHAM VOTRE PERE A EXULTE DE CE QU’IL VERRAIT MON JOUR, les Juifs, ayant des esprits soumis à la chair et ne considérant que l’âge physique tournent sa parole en dérision et disent : TU N’AS PAS ENCORE CINQUANTE ANS; bien sûr, il n’en avait ni cinquante, ni même quarante : il avait environ trente ans — Et Jésus, lors de ses débuts, avait environ trente ans .
Ils disent : TU N’AS PAS ENCORE CINQUANTE ANS, peut-être parce que chez les Juifs l’année jubilaire était tenue en très grande révérence : on comptait tout à partir d’elle; et c’était l’année pendant laquelle on relâchait les captifs et on cédait les biens qu’on avait acquis Cette parole revient donc à dire : tu n’as pas encore dépassé l’espace d’un jubilé, et TU AS VU ABRAHAM! bien que le Seigneur n’eût pas dit avoir vu Abraham, mais "qu’Abraham avait vu son jour".
1290. C’est pourquoi le Seigneur, en répondant aux Juifs, explique ses paroles, pour ne pas donner prise à leur moquerie : AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, AVANT QU'ABRAHAM FUT FAIT, MOI JE SUIS.
Le Seigneur dit à son propre sujet deux choses remarquables, qui sont efficaces contre l’hérésie des Ariens. L’une, comme le dit Grégoire est que sa parole unit un temps passé et un temps présent : AVANT signifie en effet le passé, et JE SUIS est au temps présent. Ainsi, pour montrer qu’il est éternel, et pour révéler que son être est être d’éternité, il ne dit pas : "Avant Abraham, moi je fus , mais : AVANT ABRAHAM, MOI JE SUIS; car l’être éternel ne con naît pas le passé et le futur, mais inclut tout temps dans un instantindivisible. C’est pourquoi il peut être dit : Celui qui est m’a envoyé vers vous, et Je suis celui qui suis . Avant donc ou après Abraham il a eu l’être, lui qui put entrer dans le monde par la manifestation du présent et s’en retirer par le cours de la vie.
L’autre chose, selon Augustin , c’est qu’en parlant d’Abraham, qui est une créature, il n’a pas dit : avant qu’Abraham fût, mais : AVANT QU’ABRAHAM FUT FAIT; alors que, parlant de lui-même, pour montrer qu’il n’a pas été fait, comme une créature, mais qu’il est engendré de toute éternité de l’essence du Père, il ne dit pas : Moi je suis fait, mais MOI JE SUIS, lui qui dans le Principe était le Verbe — Avant toutes les collines, le Seigneur m’a engendré .
1291. L’Évangéliste expose ici la tentative d'homicidedes Juifs contre le Christ; il montre d’abord les Juifs poursuivant le Christ, puis la fuite de celui-ci .
Si les Juifs poursuivent le Christ, cela vient de ce qu’ils ne croient pas. Car les esprits de ceux qui ne croient pas, n’ayant pas la force de supporter des paroles d’éternité, ni de les comprendre, les considèrent comme des blasphèmes; et c’est pourquoi, selon le commandement de la Loi , voulant le lapider comme blasphémateur, ILS RAMASSERENT DES PIERRES POUR LES LUI JETER . Et comme le dit Augustin une telle dureté de pierre, où courrait-elle si ce n’est vers des pierres? — Nous ne te lapidons pas pour une bonne œuvre, mais pour un blasphème Ils font la même chose, ceux qui, ne comprenant pas à cause de la dureté de leur cœur la vérité apportée par ceux qui en ont l’expérience, blasphèment celui qui la proclame — d’où ce qui est écrit dans l’épître canonique de Jude : Ils blasphèment tout ce qu’ils ignorent .
1292. La fuite du Christ procède de sa puissance : JESUS SE DEROBA A LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE, lui qui, s’il avait voulu exercer la puissance de sa divinité dans ses actes, les aurait liés, ou les aurait précipités dans les peines d’une mort subite .
MAIS IL SE DÉROBA À LEUR VUE spécialement pour deux raisons; d’abord pour donner à ceux qui reçoivent sa parole l’exemple qu’il faut éviter ses persécuteurs — Lorsqu’on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre Ensuite, parce qu’il n’avait pas choisi ce genre de mort, mais voulut plutôt être immolé sur l’autel de la Croix et parce que le temps n’était pas encore accompli, il s’enfuit encore. Ainsi donc, en tant qu’homme il fuit leurs pierres . Cependant il ne se cache pas sous une pierre ou dans quelque coin, mais, se rendant invisible à leurs yeux par la puissance de sa divinité, il SORTIT et s’éloigna DU TEMPLE . Il fit de même lorsqu’ils voulurent le précipiter du haut d’une montagne . En cela, comme le dit Grégoire, il nous est donné à comprendre que la vérité elle-même est cachée à ceux qui tiennent pour négligeable de suivre ses paroles. Le fait est que la vérité fuit l’esprit qu’elle ne trouve pas humble — Lui qui cache sa face à la maison de Jacob...
De même aussi, il SE DEROBA A LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE parce qu’il devait les laisser, eux qui ne recevaient pas une correction de sa part, ni la vérité, et qu’il devait aller vers les nations — Votre maison vous sera laissée déserte
Jésus-Christ n'avait alors que trente-trois ans, pourquoi donc ne lui disent-ils pas : Vous n'avez pas encore quarante ans, mais : « Vous n'avez pas encore cinquante ans ? » Question tout à fait inutile. Les Juifs dirent tout simplement ce qui se présenta à leur esprit. Il en est cependant qui pensent qu'ils ont choisi le nombre cinquante par respect pour l'année du jubilé, dans laquelle ils rendaient la liberté aux esclaves et où chacun rentrait dans les biens qu'il avait possédés. (Lv 25, 26)
C'est après qu'il a terminé tous les enseignements qui avaient pour objet sa divine personne, qu'ils lui jettent des pierres, et Jésus les abandonne comme incapables de revenir à de meilleurs sentiments : « Mais Jésus se cacha et sortit du temple. » Jésus ne se cache pas dans un coin du temple par un sentiment de crainte, il ne s'enfuit pas dans une maison écartée, il ne se dérobe pas à leurs regards derrière un mur ou une colonne, mais par un effet de son pouvoir divin, il se rend invisible aux yeux de ses ennemis, et passe au milieu d'eux.
Il fuit encore, parce que l'heure de sa passion n'était pas encore venue, et qu'il n'avait pas choisi ce genre de mort.
Dans le sens allégorique, autant de mauvaises pensées, autant de pierres lancées contre Jésus, et celui qui va plus loin jusqu'au délire de la passion, étouffe Jésus, autant qu'il le peut faire.
L'esprit charnel des Juifs en entendant ces paroles de Jésus-Christ n'élève pas les yeux au-dessus de la terre, et ne songe qu'à l'âge de la vie mortelle du Sauveur : « Mais les Juifs lui répliquèrent : Vous n'avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham ? » c'est-à-dire , il y a bien des siècles qu'Abraham est mort, et comment a-t-il pu voir votre jour ? Ils entendaient ces paroles dans un sens tout charnel.
Notre Sauveur les détourné avec douceur de ces pensées qui n'avaient pour objet que sa chair, et cherche à les élever jusqu'à la contemplation de sa divinité : « Jésus leur répondit : En vérité, en vérité , je vous le dis, avant qu'Abraham fût fait, moi je suis, » paroles qui ne peuvent convenir qu'à sa divinité ; car le mot avantembrasse tout le temps passé, et le mot je suis, le présent, or comme la divinité ne connaît ni passé ni futur, mais qu'elle est continuellement au présent, Nôtre-Seigneur ne dit pas : Avant Abraham j'étais, mais : « Avant Abraham je suis, » selon ces paroles de Dieu à Moïse : « Je suis celui qui suis. » (Ex 3) Celui donc qui s'est rapproché de nous en nous manifestant sa présence, et qui s'en est séparé en suivant le. cours ordinaire de la vie, a existé avant comme après Abraham.
Mais ces esprits incrédules ne peuvent supporter ces paroles d'éternité, et ils cherchent à écraser celui qu'ils ne peuvent comprendre : « Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter. »
S'il avait voulu faire un usage public de sa puissance divine, il eût pu les enchaîner dans leurs propres filets par un seul acte de sa volonté, ou les frapper du terrible châtiment d'une mort subite, mais il était venu pour souffrir, et ne voulait pas faire les fonctions de juge.
Mais quelle leçon le Sauveur veut-il nous donner eu se cachant ? c'est que la vérité se cache aux yeux de ceux qui négligent de suivre ses enseignements. La vérité s'enfuit de l'âme, en qui elle ne trouve point la vertu d'humilité. Que nous enseigne-t-il encore par cet exemple ? c'est que lors même que nous avons le droit de résister, nous nous dérobions avec humilité à la colère des esprits orgueilleux.
Remarquez encore que comme Abraham est une créature, le Sauveur ne dit pas : Avant qu'Abraham existât, mais : « Avant qu'Abraham fût fait, » et il ne dit pas non plus : J'ai été fait, car le Verbe était au commencement.
A quoi ces cœurs si durs pouvaient-ils avoir recours qu'à ce qui leur ressemblait, c'est-à-dire à des pierres ?
Il valait mieux d'ailleurs nous recommander la pratique de la patience que l'exercice de la puissance.
Il fuit donc, comme le ferait un homme, les pierres qu'on veut lui jeter, mais malheur aux cœurs de pierre dont le Seigneur s'enfuit !