Jean 8, 50
Ce n’est pas moi qui recherche ma gloire, il y en a un qui la recherche, et qui juge.
Ce n’est pas moi qui recherche ma gloire, il y en a un qui la recherche, et qui juge.
Après cette assertion majestueuse (verset 49) Jésus fait un nouvel appel à la foi des
Juifs, d’abord sous la forme d’une menace implicite (verset 50), puis au moyen d’une attrayante promesse
(verset 51). - Pour moi. L’antithèse se prolonge et se perpétue, comme nous l’avons dit, jusqu’à la fin du
chapitre. - Je ne cherche pas ma propre gloire. Ses adversaires l’injurient et cherchent à lui enlever son
honneur. S’il s’en plaint, ce n’est point qu’il tienne à la gloire. Cherchez en effet ce souci dans la vie de
Notre Seigneur Jésus-Christ. - Mais il y a quelqu’un qui la cherche (scil. « ma gloire »). La tournure grecque
exprime plus fortement encore la pensée. C’est à Dieu, évidemment, que Jésus fait allusion. Pourquoi le
Christ s’inquiéterait-il de sa gloire personnelle ? Il sait que son Père s’en occupe, et cela lui suffit. - Et qui
juge. (même construction au participe présent). Résultat de la divine enquête : le Seigneur prononcera
comme un juge suprême entre les parties intéressées, Jésus-Christ et les Juifs, et il condamnera ces derniers,
qu’il trouvera grièvement coupables. L’idée de condamnation n’est ici qu’implicite ; néanmoins elle n’en
paraît que plus terrible. C’était un glaive perpétuellement suspendu sur la tête des ennemis de Jésus. Un jour
le glaive tomba et les mit en pièces.
1194. Ayant exposé quel est le remède qui libère des ténèbres , l’Evangéliste poursuit en montrant l’efficacité de ce remède. Plus loin , il montre le besoin que les hommes ont de ce remède.
En ce qui concerne l’efficacité du remède, l’Évangéliste montre d’abord ce qui est exigé de ceux à qui le remède est administré, et cela relève du mérite; puis il montre ce qui leur est donné en échange , et cela relève de la récompense.
1195. On vient de dire que BEAUCOUP CRURENT EN LUI – Et c’est pour cela que le Christ leur montre, c’est-à-dire A CEUX QUI AVAIENT CRU EN LUI, DES JUIFS, ce qui est exigé d’eux : qu’ils demeurent dans sa parole (sermo). SI VOUS DEMEUREZ DANS MA PAROLE, VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES; autrement dit : VOUS SEREZ MES DISCIPLES, non en croyant seulement d’une manière superficielle, mais SI VOUS DEMEUREZ DANS MA PAROLE.
Trois choses sont exigées de nous concernant la parole de Dieu (verbum) la sollicitude pour l’écouter — Que tout homme soit prompt à écouter la foi pour croire — La foi vient de ce qu’on entend la constance pour demeurer jusqu’au bout — Que la sagesse est escarpée pour les sots! Et l’homme sans intelligence ne s'y tiendra pas Et c’est à cause de cela qu’il dit SI VOUS DEMEUREZ, c’est-à-dire par la stabilité de la foi, par la méditation continuelle — Il méditera sa loi jour et nuit — et par un amour fervent — Sa volonté a été tendue vers la loi de son Dieu C’est pourquoi Augustin dit que demeurent dans les paroles du Seigneur ceux qui ne cèdent à aucune tentation.
1196. Le Christ montre ici la récompense qui est don née en échange à ceux qui persévèrent. Cette récompense consiste en trois choses : l’élévation à la dignité de disciple du Christ , la connaissance de la vérité , et l’acquisition de la liberté .
1197. Et certes, c’est un privilège d’une grande dignité que d’être disciple du Christ : Fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, parce qu’il vous a donné un maître de justice C’est pourquoi il dit : VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES. En effet, plus le maître est grand, plus ses disciples sont hors du commun; or le Christ est le maître le plus éminent et le plus grand; ses disciples sont donc les plus éminents.
Trois choses sont exigées des disciples. La première est l’intelligence, pour saisir les paroles du maître — Vous aussi, vous êtes maintenant encore sans intelligence? Or seul le Christ peut ouvrir l’oreille de l’intelligence — Il leur ouvrit l’esprit, pour qu’ils comprennent lés Ecritures C’est pourquoi Isaïe disait : Le Seigneur m’a ouvert l’oreille Ce qui est requis en second lieu du disciple, c’est l’attachement (assensus) à croire ce qu’enseigne le maître, car le disciple n’est pas au-dessus du maître et c’est pour cela qu’il ne doit pas le contre dire — Ne contredis pas la parole de vérité et Isaïe ajoute : Moi je ne contredis pas La troisième chose requise du disciple est la stabilité, qui permet de demeurer jusqu’au bout; dans l’Evangile de saint Jean, il est dit que beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ne marchaient plus avec lui et Isaïe ajoute : Je ne me suis pas dérobé
1198. Mais il est plus grand de connaître la vérité, puis que c’est la fin du disciple. Et cela, le Seigneur le donne aussi à ceux qui croient; c’est pour cela qu’il dit : vous CONNAI TREZ LA VERITE, c’est-à-dire d’une part la vérité de l’enseignement que moi je donne — Moi, ce pour quoi je suis né et ce pour quoi je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité d’autre part la vérité de la grâce dont je suis source — La grâce et la vérité ont été données par Jésus-Christ cette grâce est dite grâce de vérité par rapport aux préfigurations de la Loi ancienne. Enfin, la vérité de l’éternité dans laquelle je demeure — Eternellement Seigneur, demeure ta parole, ta vérité de génération en génération .
1199. Mais ce qu’il y a de plus grand, c’est l’acquisition de la liberté, que la connaissance de la vérité réalise chez ceux qui croient : ET LA VERITE VOUS LIBERERA.
Cependant, dans ce passage, "libérer" n’implique pas l’idée d’échapper à quelque péril, comme semble l’indiquer le mot latin mais signifie vraiment "rendre libre". Et cela par rapport à trois choses : la vérité de l’enseignement libérera de l’erreur, du faux — Ma bouche proclamera la vérité et mes lèvres détesteront l’iniquité la vérité de la grâce libérera de l’esclavage du péché — La loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus me libérera de la loi du péché et de la mort la vérité de l’éternité nous libérera de la corruption — La création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption
1200. L’Évangéliste poursuit en montrant le besoin, que les Juifs ont en eux-mêmes, de recevoir ce remède.
D’abord, il met en évidence la présomption des Juifs qui nient avoir besoin d’un tel remède ; puis il montre comment ils en ont besoin .
1201. La présomption des Juifs apparaît dans une interrogation. Ils commencent par affirmer quelque chose; puis ils nient autre chose; enfin, ils interrogent.
Ils affirment être de la race d’Abraham : NOUS SOMMES LA RACE D’ABRAHAM, ce qui montre leur vaine gloire, car ils se glorifient de leur seule origine charnelle — Ne commencez pas à dire : nous avons pour père Abraham Ils font de même, ceux qui cherchent à être tirés d’une noblesse selon la chair — Toute leur gloire leur vient d’un enfantement, d’un sein et d’une conception .
Ils nient ensuite leur condition d’esclaves : NOUS N’AVONS JAMAIS ÉTÉ ESCLAVES DE PERSONNE; en cela, ils se montrent stupides et menteurs. Stupides, ils le sont assurément, parce que ce que le Seigneur dit de la liberté spirituelle, ils l’entendent d’une liberté matérielle — L’homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu Et ils sont menteurs, parce que s’ils nient ici être esclaves d’une manière matérielle, ou bien ils l’entendent de l’ensemble du peuple juif, ou bien ils parlent tout particulièrement d’eux-mêmes. S’ils parlent de l’ensemble du peuple juif, ils mentent manifestement, car Joseph fut vendu, et leurs ancêtres ont été esclaves en Egypte, comme le rapportent les livres de la Genèse et de l’Exode C’est pourquoi Augustin dit : "O ingrats, qu’en est-il de ce que Dieu vous impute sans cesse d’avoir été libérés par lui de la maison d’esclavage, si vous n’avez jamais été esclaves de personne?" Il est dit en effet : Je vous ai fait sortir d'Egypte, de la maison d’esclavage . Et si les Juifs parlent ici à leur propre sujet, on ne peut même pas les disculper de mensonge, car eux aussi à ce moment-là payaient des tributs aux Romains; c’est pourquoi ils disaient : Est-il permis de payer l’impôt à César, ou non?
Enfin, les Juifs interrogent Jésus sur le mode de la liberté : COMMENT TOI, DIS-TU : "VOUS SEREZ LIBRES?" Le Seigneur leur avait promis deux choses : la liberté et la connaissance de la vérité : VOUS CONNAITREZ LA VERITE, ET LA VERITE VOUS LIBERERA. En entendant cela, les Juifs comprenaient qu’ils étaient considérés par le Seigneur comme esclaves et ignorants. Et, bien qu’il soit plus avilissant d’être privé de la connaissance que de la liberté, cependant, parce qu’ils restaient fixés à leurs préoccupations terrestres, négligeant la vérité, ils s’enquièrent du mode de la liberté — ils ont résolu d’abaisser leurs yeux vers la terre
1202. Le Seigneur, rejetant la présomption des Juifs, leur montre avec certitude qu’ils ont besoin du remède dont on a parlé; il parle d’abord de leur esclavage , puis de leur libération ; enfin, de leur origine .
1203. Il les convainc d’esclavage, non d’un esclavage matériel, comme ils le comprenaient, mais spirituel, c’est-à-dire l’esclavage du péché; pour mettre cela en évidence, il fait d’abord un serment réitéré : AMEN, AMEN, JE VOUS DIS, puis il emploie un mot ayant un sens universel : TOUT. Amen est un mot hébreu qui signifie "en vérité", ou "qu’il en soit ainsi". Ce que, selon Augustin ni le traducteur grec, ni le latin n’ont osé traduire, pour que ce mot reçoive l’honneur qui lui est dû : être voilé comme un secret, non dans le but de le cacher, mais de peur que mis à nu il ne soit avili; et cela spécialement par respect pour le Seigneur qui l’a utilisé fréquemment Donc, le Seigneur profère ici comme une sorte de serment : serment qu’il réitère afin d’affirmer davantage sa pensée — Il s'engagea par un serment, pour que, par deux réalités immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu mente, nous ayons un puissant réconfort .
Il emploie ensuite un terme universel : TOUT; Juif ou Grec, riche ou pauvre, empereur ou mendiant — Il n a plus de distinction entre Juif et Grec, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu .
Il met enfin en évidence leur condition d’esclave en disant : QUI COMMET LE PÉCHÉ EST ESCLAVE DU PÉCHÉ.
1204. On peut opposer à cela que l’esclave n’est pas mû par son propre libre arbitre, mais par celui du maître; or celui qui commet le péché est mû par son propre libre arbitre : il n’est donc pas esclave.
Je réponds que chaque chose est selon ce qui convient à sa nature : quand donc quelqu’un est mû selon quelque chose qui convient à sa nature, il est mû par lui-même. Mais lorsque quelqu’un est mû par quelqu’un d’extrinsèque, il n’opère pas selon lui-même, mais sous la pression d’un autre, ce qui est propre à l’esclave. Or l’homme, selon sa nature, est doué d’intelligence. Quand donc il est mû selon son intelligence, il est mû de son propre mouvement, et il opère de lui-même, ce qui caractérise la liberté; mais quand il pèche, il agit en dehors de l’ordre de sa nature raison nable, et il est alors mû comme par un autre, retenu dans des limites étrangères; et c’est pourquoi QUI COMMET LE PECHE EST ESCLAVE DU PECHE — On est esclave de celui par qui on a été vaincu
Mais plus quelqu’un est mû par un étranger, plus il est réduit en esclavage; et il est d’autant plus vaincu par le péché qu’il a moins d’autonomie — celle de l’intelligence —, et il est d’autant plus esclave. De là vient que plus on accomplit librement le mal qu’on veut, et avec le moins de difficulté, plus on se lie étroitement à la servitude du péché, comme le dit Grégoire Esclavage qui est certes très pesant, parce qu’on ne peut s’y soustraire : partout où il va, l’homme porte en lui le péché, bien que l’acte même du péché et le plaisir qu’il procure passent — Lorsque le Seigneur t’aura donné du repos (...) de la dure servitude, c’est-à-dire celle du péché, à laquelle tu as été asservi... Car on peut s’échapper de la servitude physique, au moins en s’enfuyant; c’est pourquoi Augustin dit : O malheureuse servitude (c’est-à-dire celle du péché) ! L’esclave de l’homme, une fois fatigué des ordres durs de son maître, se repose en s’enfuyant; l’es clave du péché traîne avec lui le péché, où qu’il fuie; car le péché qu’il commet est intérieur; le plaisir passe, le péché (c’est-à-dire l’acte) passe : ce qui donnait du plaisir est passé, est resté ce qui blesse ;
1205. L’Évangéliste traite ici de la libération de l’esclavage; en effet, parce que tous ont péché , tous étaient esclaves du péché. Mais elle vient et est toute proche de vous, l’espérance de la libération par celui qui est libre du péché; et celui-là, c’est le Fils.
D’abord, le Christ présente ce qu’est la condition d’es clave, pour distinguer l’homme libre de l’esclave ; puis il montre que la condition du Fils est autre que celle de l’esclave ; enfin, il conclut en montrant le pouvoir que le Fils a de libérer .
1206. La condition de l’esclave est donc transitoire et instable; L’ESCLAVE NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON Cette maison, c’est l’Eglise — Pour que tu saches comment il convient de te comporter dans la maison de Dieu qui est l’Eglise du Dieu vivant... Dans cette maison, certains, qui sont esclaves spirituellement, demeurent seulement pour un temps, de même que c’est pour un temps seulement, et non ETERNELLEMENT, que les esclaves demeurent physiquement dans la maison du père de famille; car bien que maintenant les méchants ne soient pas séparés de ceux qui croient quant au nombre, mais seulement par le mérite, ultérieurement cependant, ils en seront séparés de l’une et de l’autre manière — Chasse la servante et son fils : en effet, il ne sera pas héritier, le fils de la servante, avec le fils de la femme libre .
1207. Par contre, la condition du Fils est éternelle et stable; LE FILS, c’est-à-dire le Christ, Y DEMEURE POUR L'ETERNITE, c’est-à-dire dans l’Eglise, comme dans sa maison. L’épître aux Hébreux dit que le Christ est dans sa maison comme le Fils, et nous sommes cette maison si nous gardons ferme jusqu’à la fin la confiance et la gloire de l’espérance . Et certes, lui seul demeure éternellement dans la maison, de lui-même, parce qu’il est exempt du péché; pour nous, de même que nous sommes libérés du péché par lui, de même nous demeurons dans la maison par lui.
1208. Or le Fils a le pouvoir de libérer : SI DONC LE FILS VOUS LIBERE, VOUS SEREZ VRAIMENT LIBRES — Nous ne sommes pas les fils de la servante, mais de la femme libre; c’est le Christ qui nous a acquis cette liberté Car, comme le dit Augustin, lui-même a donné pour notre rachat, non de l’argent, mais son sang il est venu en effet en assumant une chair semblable à celle du péché , n’ayant en lui absolument aucun péché; c’est pourquoi il s’est fait vrai sacrifice pour le péché; par lui, nous sommes libérés non des barbares, mais du diable.
1209. Notons que la liberté a des sens multiples. Il y a une liberté perverse, quand quelqu’un en abuse pour pécher; et c’est la liberté à l’égard de la justice, que personne n’est contraint d’observer — Agissez comme des hommes libres, et non comme ayant un voile pour dissimuler votre liberté perverse . Il y a une liberté vaine : celle qui est temporelle ou terrestre . et dont parle Job en disant que l’esclave est affranchi de son maître . Il y aune liberté vraie et spirituelle, celle de la grâce, qui consiste à être exempt de crimes; celle-là est imparfaite, parce que la chair convoite contre l’esprit, de telle sorte que nous ne faisons pas ce que nous voulons Il y a enfin la liberté de la gloire, aussi parfaite que plénière. C’est celle que nous aurons dans la patrie : La créature elle-même sera libérée de la servitude et cela parce qu’il n’y aura plus rien pour nous incliner au mal, plus rien d’écrasant, parce que là nous serons libérés de la faute et de la peine .
1210. Chrysostome interprète ce passage d’une autre manière. Parce qu’en effet le Christ avait dit : QUI COMMET LE PECHE EST ESCLAVE DU PECHE, pour éviter que les Juifs le devancent en disant : bien que nous soyons esclaves du péché, cependant nous pouvons être libérés par des sacrifices et les pratiques rituelles de la Loi, le Seigneur montre que cela ne peut les libérer, mais que seul le Fils le peut. C’est pour cela qu’il dit : L’ESCLAVE, c’est-à-dire Moïse et les grands prêtres de l’Ancien Testament, NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON ETERNELLEMENT.
De là vient qu’il est dit : Moïse a été fidèle, comme serviteur, dans toute la maison de Dieu . Les rites ne sont pas éternels; c’est pourquoi ils ne peuvent donner la liberté éternelle.
L’ORIGINE DES JUIFS *
1211. A partir d’ici, l’Évangéliste traite de l’origine des Juifs. D’abord, le Christ révèle leur origine selon la chair , puis il leur fait découvrir leur origine selon l’esprit .
1212. Il dit que leur origine selon la chair, c’est Abra ham. JE SAIS, dit-il, QUE VOUS ETES FILS D’ABRAHAM, par l’origine de la chair seulement, et non en lui étant semblables par la foi — Considérez Abraham votre père, et Sara qui vous a engendrés .
1213. Il cherche ensuite à leur faire connaître leur origine spirituelle. D’abord, il montre qu’ils en ont une; puis il rejette l’origine qu’ils invoquent ; enfin il montre quelle est leur véritable origine .
Pour montrer qu’ils ont une origine spirituelle, le Seigneur expose tout d’abord leur faute, puis il conclut à leur origine spirituelle .
A propos de leur faute, il les accuse d’abord de la faute d’homicide , puis du crime de manque de foi , enfin, il leur enlève toute possibilité de se justifier .
1214. Le Seigneur leur montre donc que spirituellement, ils sont issus d’une souche mauvaise, et c’est pourquoi il les blâme ouvertement de leur péché. Et passant sous silence tous les autres péchés par lesquels les Juifs étaient entravés de multiples manières, il rappelle seulement celui qu’ils avaient constamment dans l’esprit, c’est-à-dire le péché d’homicide, parce que, comme il a été dit plus haut, ils voulaient le tuer Et c’est pourquoi il dit : MAIS VOUS CHERCHEZ A ME TUER, ce qui est contre votre Loi — Tu ne tueras pas — A partir de ce jour donc, ils cherchaient à le tuer
1215. Mais ils auraient pu dire que tuer quelqu’un à cause de sa faute n’est pas un péché, et c’est pourquoi le Seigneur dit que la cause de l’homicide n’est certes pas une faute de sa part, ni leur justice, mais précisément leur man que de foi (infidelitas) à eux; c’est comme s’il disait : VOUS CHERCHEZ A ME TUER, non à cause de la justice, mais à cause de votre manque de foi, PARCE QUE MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS. — Tous ne reçoivent pas cette parole, mais ceux à qui cela a été donné
Si le Seigneur use de cette manière de parler, c’est d’abord pour montrer l’excellence de sa parole. Autrement dit : ma parole excède complètement votre capacité car elle est de l’ordre des réalités spirituelles, alors que vous avez une intelligence attachée aux choses terrestres; et c’est pourquoi elle ne pénètre pas en vous — L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu — Bien des choses que l’on t’a montrées sont au-delà de l’esprit de l’homme
Mais il use aussi de cette manière de parler à cause d’une certaine similitude. En effet, comme le dit Augustin, la parole de Dieu est pour les croyants comme l’hameçon pour le poisson : l’hameçon ne prend que s’il est saisi. Et c’est pourquoi il dit : MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS, c’est-à-dire dans votre cœur, parce qu’elle n’est pas reçue par vous de la manière dont Pierre avait été saisi : Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle Cependant, elle ne cause pas de dommage à ceux qui sont saisis, car de fait elle les saisit pour leur salut, non pour leur ruine . Il est dit en effet que le prophète qui énonce, comme venant de la bouche du Seigneur, ce que le Seigneur n’a pas dit, doit être mis à mort
1216. Aussi, pour que les Juifs ne disent pas qu’il doit être mis à mort du fait qu’il parlait de lui-même et non de la bouche du Seigneur, il ajoute MOI, CE QUE J’AI VU AUPRES DE MON PERE, JE LE DIS; c’est-à-dire : on ne peut me reprocher de dire ce que je n’ai pas entendu, parce que je dis non seulement des choses que j’ai entendues, mais, qui plus est, je dis ce que j’ai vu En effet, les autres prophètes ont dit ce qu’ils ont entendu, mais moi. je dis ce que j’ai vu — Dieu, personne ne l’a jamais vu; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître — Ce que nous avons entendu et ce que nous avons vu, (..) nous vous l’annonçons .
Cela doit s’entendre de la vision de la connaissance la plus certaine, par laquelle le Fils connaît le Père comme lui-même se connaît — Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils .
1217. Il conclut ici à leur origine spirituelle. C’est comme s’il disait : moi, je dis ce qui est conforme à mon origine; or vous, vous faites des œuvres à partir desquelles on peut conjecturer votre origine; parce que ces œuvres sont d’auprès de votre père, c’est-à-dire le diable, dont selon Augustin ils étaient les fils, non en tant qu’hommes, mais en tant qu’ils étaient mauvais Ces œuvres, dis-je, que vous avez vues, vous les avez faites sur la suggestion du diable — C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde
Selon Chrysostome une autre version dit : VOUS, CE QUE VOUS AVEZ VU AUPRES DE VOTRE PERE, FAITES-LE. Autrement dit : de même que moi je vous montre mon Père en vérité par mes paroles, de même vous, montrez-nous votre père Abraham par vos œuvres; c’est pourquoi il dit : faites ce que vous avez vu chez votre père dès l’origine, c’est-à-dire Abraham, instruits que vous êtes par la Loi et les Prophètes.
1218. Après avoir montré que les Juifs ont une origine spirituelle, le Seigneur leur refuse les origines qu’ils avaient la présomption de s’attribuer. D’abord, il refuse l’origine qu’ils prétendaient avoir d’Abraham , puis l’origine qu’ils pensaient tenir de Dieu .
En ce qui concerne l’origine à partir d’Abraham, l’Évangéliste expose d’abord l’opinion des Juifs sur leur origine [, puis il montre comment le Seigneur la rejette .
1219. Il faut savoir à ce sujet que, parce que le Seigneur leur avait dit : Ce que vous avez vu auprès de votre père, vous le faites, les Juifs, se glorifiant d’une génération selon la chair, se rattachent à Abraham : NOTRE PERE, C’EST ABRAHAM Autrement dit : si nous avons une origine spirituelle, nous sommes bons, parce que notre père Abraham est bon — Descendance d’Abraham, son serviteur Et comme le dit Augustin ils s’efforçaient de provoquer le Christ pour qu’il dise du mal d’Abraham, et que cela leur soit une occasion d’exécuter ce qu’ils préméditaient, c’est-à-dire de le tuer.
1220. Mais le Seigneur rejette cet argument comme injustifié, et attire d’abord l’attention sur le signe attaché à la filiation d’Abraham ; puis il montre que ce signe ne se trouve pas chez les Juifs ; enfin, il en tire les conclusions pour son propos .
1221. Assurément, le signe de la filiation de quelqu’un est sa ressemblance avec celui dont il est le fils : en effet, de même que la plupart du temps les fils ressemblent à leurs parents selon la chair, ainsi les fils spirituels (s’ils sont vraiment des fils) doivent imiter leurs parents spirituels — Soyez les imitateurs de Dieu, comme des fils bien-aimés Et à ce sujet, il dit : SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, FAITES LES ŒUVRES D’ABRAHAM Autrement dit : que vous imitiez Abraham serait le signe que vous êtes ses fils — Considérez Abraham votre père, et Sara qui vous a enfantés .
1222. Mais ici s’élève une difficulté, du fait que le Seigneur semble nier qu’ils sont fils d’Abraham en disant, comme s’il en doutait : SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, ce qu’il a pourtant affirmé plus haut : Je sais que vous êtes fils d’Abraham .
A cela il y a deux réponses. D’une première manière, selon Augustin on répondra ceci : plus haut, il a affirmé qu’ils sont fils d’Abraham selon la chair; mais ici, il leur refuse le titre de fils d’Abraham parce qu’ils n’imitent pas ses œuvres, et en premier lieu sa foi — Ce sont les hommes de foi qui sont reconnus comme étant de sa descendance .
D’une autre manière, avec Origène on répondra que l’une et l’autre affirmation se réfèrent à l’origine spirituelle. Mais là où nous avons Je sais que vous êtes fils d’Abraham, on a en grec : Je sais que vous êtes la semence d’Abraham, alors qu’ici il dit : SI VOUS ÊTES LES FILS D'ABRAHAM, parce que les Juifs, spirituellement parlant, étaient la semence d’Abraham, mais non ses fils. Il y aune différence entre la semence et le fils, car la semence est quelque chose d’informe, et cependant elle a en elle-même les "raisons" (rationes) de ce dont elle est la semence, encore immobiles et au repos; le fils en revanche, la semence ayant été transformée par la puissance informative à partir de l’agent, dans la matière qui lui est présentée par la femme, et par l’apport supplémentaire de la nutrition, a une ressemblance avec l’engendrant De cette même manière, les Juifs étaient bien la semence d’Abraham, en tant qu’apparaissait en eux quel que raison de ce que Dieu avait répandu sur Abraham; mais parce qu’ils n’étaient pas encore parvenus à la perfection d’Abraham, ils n’étaient pas ses fils; c’est pourquoi il leur dit : SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, FAITES LES ŒUVRES D’ABRAHAM, c’est-à-dire : donnez-vous du mal pour arriver à l’imitation parfaite de ses œuvres.
1223. Une difficulté s’élève aussi au sujet de cette parole : FAITES LES ŒUVRES D’ABRAHAM; il semble en effet que tout ce que celui-là a fait, nous aussi nous devions le faire. Nous devons donc prendre plusieurs femmes, et nous approcher de la servante comme le fit Abraham .
Je réponds en disant que l’œuvre par excellence d’Abraham est la foi, par laquelle il a été justifié auprès de Dieu — Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice C’est pourquoi FAITES LES ŒUVRES D’ABRAHAM doit être compris comme signifiant : croyez de la même façon qu’Abraham.
1224. Mais il ne semble pas que l’on puisse parler de la foi comme d’une œuvre puisqu’on la distingue des œuvres — La foi sans les œuvres est morte .
On peut dire que la foi est une œuvre, selon cette parole : L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé Seulement, une œuvre intérieure n’est pas manifeste pour les hommes, mais pour Dieu seul — Les hommes voient ce qui apparaît au-dehors; Dieu fixe ses regards sur le cœur De là vient que nous avons pris l’habitude d’appeler communément "œuvres" ce qui se fait à l’extérieur. La foi se distingue donc non de toutes les œuvres, mais seulement des œuvres extérieures.
1225. Mais devons-nous faire toutes les œuvres d’Abraham? A cela il faut répondre que l’œuvre peut être considérée de deux manières : ou bien selon son apparence, et alors toutes ses œuvres ne sont pas à imiter; ou bien selon sa source, et alors les œuvres d’Abraham doivent être imitées, parce que tout ce qu’il a fait, il l’a fait par amour (ex cantate). C’est pourquoi Augustin dit que la virginité de Jean n’est pas supérieure au mariage d’Abraham, parce que la racine de l’un et l’autre est la même.
On peut dire aussi que toutes les œuvres d’Abraham doivent être imitées quant à leur signification prophétique. Tout cela leur arrivait en figure .
1226. Le Christ montre ici que le signe de la filiation dont on a parlé plus haut ne se trouve pas en eux.
Il met d’abord en évidence les œuvres des Juifs , avant de montrer que ces œuvres sont différentes de celles d’Abraham .
1227. Il montre que les œuvres des Juifs étaient mauvaises et perverses, parce qu’elles étaient meurtrières : MAIS MAINTENANT, VOUS CHERCHEZ A ME TUER -Comment est-elle de une prostituée, la cité fidèle pleine d’équité? La justice y habitait, et maintenant des homicides! Mais cet homicide était un péché d’une gravité sans mesure, parce qu’il était contre la personne du Fils de Dieu. Il est vrai que, comme le dit la première épître aux Corinthiens, s’ils l’avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire ; c’est pourquoi le Seigneur ne leur dit pas qu’ils cherchent à tuer le Fils de Dieu, mais UN HOMME car, bien qu’on dise, à cause de l’unité de la personne, que le Fils de Dieu a souffert et est mort, cependant ce n’est pas en tant que Fils de Dieu mais selon la faiblesse humaine — S’il a été crucifié, c’est à cause de sa faiblesse, mais il vit de par la puissance de Dieu .
1228. Et pour mettre encore plus en évidence leur homicide, il montre qu’ils n’ont aucune raison de le faire mourir : MOI (...) QUI VOUS AI DIT LA VERITE QUE J’AI ENTENDUE DE DIEU. Cette vérité, c’est qu’il se disait égal à Dieu — Les Juifs cherchaient à le tuer, parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son père, se faisant l’égal de Dieu Il a entendu cette vérité de Dieu, en tant que de toute éternité il a reçu du Père, par la génération éternelle, la nature que possède le Père — Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il aussi donné au Fils d’avoir la vie en lui-même .
Par cette parole, le Seigneur exclut deux raisons pour lesquelles, dans la Loi, les prophètes étaient susceptibles d’être tués. La première est le mensonge : le livre du Deutéronome prescrivait qu’un prophète qui se serait levé en proférant le mensonge ou en inventant des songes devait être mis à mort Le Seigneur écarte à son sujet cette possibilité en disant : MOI (...) QUI VOUS AI DIT LA VERITE — C’est la vérité que ma bouche proclamera, et mes lèvres détesteront ce qui est impie;justes sont toutes mes paroles, il n a en elles rien de mauvais ni de pervers La seconde raison est que si un prophète avait parlé au nom des faux dieux, ou bien avait dit au nom de Dieu ce qu’il ne lui avait pas ordonné, il devait être tué, comme on le lit au même endroit Et cela, le Seigneur l’exclut en disant : QUE J’AI ENTEND UE DE DIEU.
1229. Il montre ici que leurs œuvres sont différentes de celles d’Abraham; et cela revient à dire : vous prouvez que vous n’êtes pas fils d’Abraham en ceci que vous faites des œuvres contraires aux siennes. On lit en effet à son sujet : II observa la loi du Très-Haut, et entra en alliance avec lui
Certains objectent à tort que, puisque le Christ n’était pas encore quand Abraham fut, Abraham n’a pas pu le tuer : il n’aurait pu en effet tuer quelqu’un qui n’existait pas!
Mais il faut dire qu’Abraham n’a pas à être loué de ne pas avoir tué le Christ, mais de n’avoir tué personne de semblable, c’est-à-dire de ceux qui disaient alors la vérité. Ou bien il faut dire que si le Christ n’était pas venu dans la chair du temps d’Abraham, il était cependant venu en esprit selon cette parole du livre de la Sagesse : Elle se communique parmi les nations dans les âmes saintes Abraham ne l’a pour tant pas tué en péchant mortellement — II est impossible de les rénover une seconde fois pour le repentir, puisque pour leur compte, ils crucifient à nouveau le Fils de Dieu .
1230. Le Christ conclut ici son propos : du fait que vous ne faites pas les œuvres d’Abraham, vous avez donc quelque autre père dont vous accomplissez les œuvres. De même lit-on ailleurs : Vous, vous comblez la mesure de vos pères
1231. L’Évangéliste poursuit en montrant que les Juifs ne tiennent pas leur origine de Dieu; parce qu’en effet ils savaient déjà, par la réponse du Seigneur, que celui-ci ne parlait pas de la génération selon la chair, ils se reportent à la génération spirituelle en disant : NOUS N’AVONS QU’UN SEUL PERE, DIEU.
Et dans ce passage, les Juifs exposent d’abord leur opinion ; puis le Seigneur la rejette .
1232. En exposant leur opinion, les Juifs nient une chose et en affirment une autre. Ils nient être nés de la prostitution; et, selon Origène ils exposent cela au Christ comme pour lui faire des reproches, en montrant d’une manière voilée que lui-même serait le fruit d’un adultère; c’est comme s’ils disaient : NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NES DE LA PROSTITUTION, comme toi.
Mais on peut dire plutôt que Dieu est spirituellement l’époux de l’âme — Je t'épouserai pour toujours; je t'épouserai dans la justice et dans le droit, dans la miséricorde et la compassion. Et je t’épouserai dans la foi, et tu sauras que moi je suis le Seigneur De même que l’épouse se prostitue quand, outre son époux selon la chair, elle accueille un autre homme, ainsi dans l’Ecriture la Judée était accusée de prostitution lorsque, abandonnant le vrai Dieu, elle s’attachait aux idoles — La terre se prostituera en se détournant loin de Dieu Les Juifs disent donc : NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NÉS DE LA PROSTITUTION; autrement dit : si autrefois notre mère la Synagogue, s’éloignant de Dieu, s’est prostituée avec les idoles, nous cependant, nous ne nous sommes pas éloignés de Dieu, et nous ne nous sommes pas prostitués avec les idoles — Nous ne t'avons pas oublie, et nous n'avons pas violé ton alliance, notre cœur ne s'est pas détourné — Montez ici, fils de prostituées, semence d’adultère et de prostitution
Les Juifs affirment ensuite qu’ils sont fils de Dieu, ce qui pour eux découle manifestement du fait qu’ils ne croyaient pas être nés de la prostitution : NOUS N’AVONS QU’UN SEUL PERE, DIEU — N’avons-nous pas tous un seul père? — Vous m’appellerez Père .
1233. Ici, leur opinion est confondue par le Seigneur Jésus met d’abord en évidence un signe de la filiation divine , puis il en donne la raison ; enfin, il montre que ce signe leur fait défaut .
1234. Plus haut, Jésus a dit que le signe de la filiation selon la chair, ce sont les œuvres que les hommes accomplissent à l’extérieur; or ici, il donne le signe de la filiation divine : un amour tout intérieur. Car nous sommes faits fils de Dieu par la communication de l’Esprit Saint — Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber à nouveau dans la crainte, mais un esprit d’adoption en qui nous nous écrions : Abba, Père! En effet, l’Esprit lui-même rend témoignage à notre propre esprit que nous sommes fils de Dieu Or l’Esprit Saint est la cause de l’amour de Dieu, puisque la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné Donc, le signe propre de la filiation divine est l’amour (dilectio) — Soyez des imitateurs de Dieu comme des fils bien-aimés, et marchez dans l’amour (in dilectione) C'est pour cela que le Christ dit : SI DIEU ETAIT VOTRE PERE, VOUS M’AIMERIEZ DE TOUTE FAÇON — Les innocents et les cœurs droits, qui sont fils de Dieu, me sont attachés .
1235. Jésus donne ensuite la raison de ce signe de la filiation divine. Il expose d’abord la vérité , puis rejette l’erreur .
1236. La vérité qu’il expose, c’est qu’il procède de Dieu, et qu’il est venu.
Il faut savoir que tout amour d’amitié est fondé dans une union (conjunctio); ainsi, des frères s’aiment en tant qu’ils tiennent leur origine des mêmes parents. Le Seigneur dit donc : vous dites que vous êtes fils de Dieu! Mais si cela était, VOUS M’AIMERIEZ, parce que JE SUIS SORTI DE DIEU, ET JE SUIS VENU Qui donc ne m’aime pas n’est pas fils de Dieu. JE SUIS SORTI, dis-je, DE DIEU, comme Fils unique, de toute éternité, de la substance du Père — Avant l’étoile du matin je t'ai engendré — Dans le Principe était le Verbe ET JE SUIS VENU, comme Verbe fait chair et j’ai été envoyé d’auprès de Dieu dans le monde, par l’Incarnation — Je suis sorti du Père comme Verbe, de toute éternité, et Je suis venu dans le monde fait chair dans le temps.
1237. Ici, le Christ rejette l’erreur. D’abord l’erreur de Sabellius qui dit que le Christ n’a pas tenu son origine d’un autre, mais a imaginé que le Père et le Fils étaient la même réalité en une personne : JE NE SUIS PAS VENUDE MOI-MEME, c’est-à-dire, selon Hilaire non pas en sortant et en provenant de moi-même, mais comme envoyé par un autre, c’est-à-dire par le Père : MAIS LUI M’A ENVOYE — Dieu envoya son Fils, né d’une femme, sujet de la Loi .
Il rejette ensuite l’erreur des Juifs, qui disaient que le Christ n’a pas été envoyé par Dieu, mais était un faux prophète, de ceux dont il est écrit : Je ne les envoyais pas, et ils couraient C’est pour cela qu’il dit, selon Origène JE NE SUIS PAS VENU DE MOI-MEME, MAIS LUI M’A ENVOYE. C’est lui que Moïse réclamait en disant : Je t’en conjure, Seigneur, envoie celui que tu dois envoyer .
1238. Le Christ montre enfin que ce signe leur fait défaut. En effet, comme on l’a dit plus haut , l’amour du Christ est signe de la filiation divine; or les Juifs n’aimaient pas le Christ; il est donc manifeste que ce signe leur manquait.
Qu’ils ne l’aiment pas, il le manifeste par l’effet de l’amour : l’effet de l’amour qu’on a pour quelqu’un, c’est qu’on écoute volontiers les paroles de l’aimé — Que ta voix résonne à mes oreilles, car ta voix est douce — Des amis t’écoutent : fais-moi entendre ta voix Parce que donc ceux-là n’aimaient pas le Christ, sa voix même leur semblait dure à entendre — Cette parole est dure, et qui peut l’entendre? — Sa vue même nous est à charge
Mais il arrive que quelqu’un n’écoute pas volontiers les paroles d’un autre, parce qu’il ne peut plus y prêter attention, ni par conséquent les comprendre; et c’est la raison pour laquelle les Juifs contredisent les paroles du Christ — Répondez, je vous en supplie, sans animosité, et vous ne trouverez pas d’iniquité dans ma bouche . C’est pour cela qu’il dit : POURQUOI NE RECONNAISSEZ-VOUS PAS MA PAROLE?, lorsque vous dites en interrogeant : Qu’a-t-il dit là : Où moi je vais, vous, vous ne pouvez venir? Et vous ne comprenez pas, PARCE QUE VOUS NE POUVEZ PAS ECOUTER CE QUE JE DIS, c’est-à-dire : vous avez un cœur tellement dur envers moi que vous ne voulez pas entendre ma parole.
1239. Après avoir montré que les Juifs ont une certaine origine spirituelle , et avoir exclu l’origine qu’ils s’attribuaient , le Seigneur prouve leur véritable origine, en leur reprochant d’être les fils du diable.
Le Seigneur expose d’abord sa pensée , puis il en donne la raison ; enfin, il explique la raison qu’il a donnée .
1240. Il dit donc : vous faites les œuvres du diable, donc VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, c’est-à-dire par imitation — Ton père était un Amorrhéen, et ta mère Hittite .
Ici, il faut prendre garde à l’hérésie des Manichéens pour qui il existe une certaine nature du mal, et une nation de ténèbres avec ses princes, de laquelle toutes les réalités corruptibles et matérielles tirent leur origine; et selon cette hérésie, on dit que tous les hommes procèdent du diable selon la chair Les Manichéens affirmaient en outre que certaines âmes appartiennent à la bonne création, et d’autres à la mauvaise. De là vient qu’ils comprennent ainsi cette phrase du Seigneur : VOUS, VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, parce que vous procédez de lui selon la chair, et vos âmes sont de la création mauvaise.
Mais, comme le dit Origène le fait d’introduire deux natures à cause de la différence du bien et du mal semble identique au fait de dire que autre est la substance de l’œil qui voit, autre celle de l’œil qui ne voit pas ou qui louche. Or, de même qu’un œil sain et un œil chassieux ne diffèrent pas selon la substance, mais du fait d’une certaine cause déficiente qui touche l’œil malade et le fait se voiler, ainsi la substance ou la nature d’une réalité est la même, que celle-ci soit bonne ou qu’elle ait en elle un manque, à savoir le péché de la volonté. Les Juifs, en tant qu’ils sont mauvais, ne sont donc pas dits fils du diable par nature, mais par imitation.
1241. Le Seigneur en donne ici la raison cela revient à dire : vous n’êtes pas fils du diable en tant que créés et amenés à l’être par lui, mais parce que, l’imitant, VOUS VOULEZ ACCOMPLIR LES DESIRS DE VOTRE PERE, qui assurément sont mauvais; car, comme lui-même a jalousé l’homme et l’a tué — C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde ainsi vous aussi, me jalousant, vous cherchez à me tuer, moi un homme qui vous ai dit la vérité
1242. Le Seigneur explique ensuite la raison qu’il a donnée; il expose d’abord quelle est la condition du diable, puis montre qu’ils en sont les imitateurs .
En ce qui concerne le diable, il faut savoir qu’il y a chez lui un double péché poussé à l’extrême : le péché d’orgueil par rapport à Dieu, et de jalousie par rapport à l’homme, qu’il tue. Mais c’est par son péché de jalousie envers l’homme, cause du mal qu’il fait à l’homme, que nous con naissons son péché d’orgueil.
C’est pourquoi le Christ montre d’abord le péché du démon contre l’homme , puis son péché contre Dieu
1243. Or le péché de jalousie dudémon envers l’homme fait qu’il le tue; c’est pour cela que le Christ dit : LUI, c’est-à-dire le diable, ETAIT HOMICIDE DES LE COMMENCEMENT.
Il faut savoir ici que ce n’est pas armé d’une épée que le diable tue l’homme, mais par une persuasion mauvaise — C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde D’abord est entrée la mort du péché — La mort des pécheurs est très mauvaise ensuite est entrée la mort corporelle — Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché, la mort Et comme le dit Augustin "ne pense pas que tu n’es pas homicide, quand tu pousses ton frère à faire le mal."
Mais il faut remarquer, selon Origène que l’on dit le diable homicide non seulement à cause d’un homicide en particulier, mais pour le genre humain tout entier, qu’il frappa en tant que tous meurent en Adam comme le dit l’Apôtre. C’est pourquoi il est dit HOMICIDE par antonomase et cela DES LE COMMENCENT, c’est-à-dire dès qu’il y eut un homme qui pouvait être tué, d’où la possibilité d’un homicide; car l’homme n’aurait pas pu être tué s’il n’avait pas d’abord été créé.
1244. Le Christ poursuit en exposant le péché du démon contre Dieu, qui consiste en ce qu’il s’est détourné de la vérité, qui est Dieu.
Il montre d’abord que le démon s’est détourné de la vérité , et il l’explicite , puis il montre qu’il est hostile à la vérité .
1245. Il faut savoir que la vérité est double : il y a la vérité de la voix, de la parole, et celle de l’œuvre.
La vérité de la voix, de la parole, est celle par laquelle quelqu’un exprime des lèvres ce qu’il porte dans son cœur et ce qui est dans la nature des choses — Laissant tomber tout mensonge, que chacun dise la vérité à son prochain — Celui qui dit la vérité à son prochain et n’a pas de mensonge dans la bouche...
Il y a vérité de l’œuvre, vérité de la justice, quand quel qu’un accomplit ce qui convient à l’ordre de sa nature; c’est la vérité dont L’Evangéliste dit plus haut : Celui qui fait la vérité vient à la lumière Le Seigneur, en parlant de cette vérité, dit donc : ET DANS LA VERITE, c’est-à-dire celle de la justice, IL NE S’EST PAS TENU, parce qu’il s’est séparé de l’ordre de sa nature, qui était d’être soumis à Dieu et d’atteindre par lui sa béatitude et l’achèvement de son désir naturel. C’est pourquoi, ayant voulu l’atteindre par lui-même, il déchut de la vérité.
1246. Mais on peut comprendre cette parole — IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE — de deux manières : ou bien qu’il ne se serait jamais tenu dans la vérité, ou bien qu’il se serait tenu dans la vérité et qu’il n’y est pas demeuré.
Mais s’il n’a jamais été dans la vérité de la justice, cela peut avoir un double sens.
Les Manichéens disent que le diable est naturellement mauvais; par conséquent, il aurait toujours été mauvais, car ce qui appartient naturellement à quelqu’un lui appartient toujours. Mais cette interprétation est hérétique, parce qu’il est dit dans le psaume que Dieu fit le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment Donc, tout ce qui est, est de Dieu or tout ce qui est de Dieu, en tant qu’il est, est bon. C’est pour quoi toute nature créée, même dans les démons, est bonne.
C’est pourquoi d’autres ont dit que le démon, créé par Dieu, est bon par nature, mais qu’il est devenu mauvais dès le premier instant par son libre arbitre. Ceux-ci diffèrent des Manichéens, parce que ces derniers disent que les démons ont toujours été mauvais, et par nature; tandis que ceux-là disent qu’ils ont toujours été mauvais, mais par libre arbitre.
Cependant, il pourrait sembler à certains — l’ange n’étant pas mauvais par nature, mais par un péché de sa volonté propre, et le péché étant un certain acte — que l’ange ait été bon au commencement de son acte, mais qu’au terme de l’acte mauvais, il serait devenu mauvais. Mais il est manifeste que l’acte du péché dans le démon est postérieur à sa création; or le terme de la création, c’est l’être même de l’ange, et le terme de l’opération du péché est que l’ange est mauvais. C’est pourquoi ils tiennent pour impossible que l’ange ait été mauvais dans le premier instant où il a commencé d’exister.
Ce raisonnement ne semble pas suffisant, car il vaut seulement pour des mouvements temporels qui se déroulent successivement, et non pour des mouvements instantanés. En effet, dans les mouvements selon le temps, autre est l’instant où commence l’action, autre celui où elle se ter mine; par exemple, si un mouvement local succède à une altération, le mouvement local et l’altération ne peuvent se terminer au même instant Mais dans les mutations instantanées, le terme de la première et de la seconde peut exister simultanément et au même instant; comme dans le même instant où la lune est illuminée par le soleil, l’air est illuminé par la lune. Or il est manifeste que la création est instantanée, et pareillement le mouvement du libre arbitre chez l’ange, puisqu’il n’a pas besoin de la comparaison et du discours de la raison. C’est pourquoi rien n’empêche qu’existent simultanément et au même instant le terme de la création, où il est bon, et le terme du libre arbitre, où il est mauvais.
Certains le concèdent; mais ils disent que même s’il avait pu en être ainsi, il n’en a pas été ainsi; ils invoquent pour cela l’autorité de l’Ecriture, car il est dit dans Isaïe, au sujet du diable sous la figure du prince de Babylone : Comment es-tu tombé, porteur de la lumière, toi qui brillais au matin? Et dans Ezéchiel il est dit du diable sous la figure du roi de Tyr : Tu fus dans les délices du paradis de Dieu Et c’est pourquoi ils disent qu’il ne fut pas mauvais au premier instant de sa création, mais qu’il fut bon un moment et tomba par son libre arbitre.
Il faut dire, en fait, que le démon n’a pas pu être mauvais au premier instant de sa création. La raison en est qu’aucun acte n’est formellement péché, si ce n’est en tant qu’il va contre la nature de l’agent volontaire. Dans n’importe quel ordre d’actes, le premier est l’acte selon la nature; ainsi, dans la connaissance, on saisit d’abord les premiers principes, et par eux les autres; et pareillement, dans l’acte de la volonté, nous voulons d’abord l’ultime perfection et la fin ultime, vers lesquelles nous tendons par un appétit naturel, et c’est à cause d’elles que nous désirons les autres fins. Or ce qui est conforme à la nature n’est pas un péché. Il est donc impossible que le premier acte du diable ait été mauvais. Le diable fut donc bon dans un certain instant; mais IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE, c’est-à-dire : il n’y est pas demeuré.
Saint Jean dit dans sa première épître : Le diable pèche depuis le commencement; certes, il pèche depuis le commencement , c’est-à-dire depuis l’instant où il a commencé à pécher; parce que, à partir du moment où il commença à pécher, il ne cessa plus jamais.
1247. Jésus explicite ici ce qu’il a dit. Cette explicitation peut se comprendre de deux manières
D’une première manière, selon Origène , elle peut être comprise comme étant l’explicitation du genre par l’espèce, comme si je voulais manifester que Socrate est un animal par le fait qu’il est un homme. Et donc, c’est comme s’il disait : IL NE S'EST PAS TENUDANSLA VERITE, mais il est tombé; et ceci, PARCE QUE LA VERITE N’EST PAS EN LUI – Or quand on n’est pas dans la vérité, cela peut être à deux degrés différents. En effet, certains ne se tiennent pas dans la vérité parce qu’ils ne sont pas assurés en elle, mais ils doutent — Or moi, pour un peu mes pieds déviaient, pour un rien mes pas glissaient D’autres, parce qu’ils se dérobent entièrement à la vérité. Et c’est de cette manière que le diable ne s’est pas tenu dans la vérité; LA VERITE N'EST PAS EN LUI signifie donc qu’il s’est dérobé à elle et s’en est éloigné par aversion.
Mais n’y a-t-il aucune vérité en lui? S’il en était ainsi, il ne se comprendrait pas lui-même, ni ne comprendrait aucune autre réalité, puisque l’intelligence des choses n’existe pas en dehors des réalités vraies. Or cela ne con vient pas.
Il faut donc dire qu’il y a une certaine vérité dans les démons, comme il y a une certaine nature. Car aucun mal ne corrompt totalement le bien, puisque le sujet dans lequel se trouve le mal, lui au moins est bon. Ainsi donc, il y a une certaine vérité dans les démons, mais non la vérité plénière, de laquelle ils se sont détournés, c’est-à-dire Dieu, qui est la vérité et la sagesse plénières.
1248. La seconde manière de comprendre cette explicitation est de la comprendre comme un signe, selon ce que dit Augustin . Il semble en effet qu’on aurait dû dire plutôt le contraire, à savoir que LA VERITE N’EST PAS EN LUI parce qu'IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE. Mais comme la cause est parfois manifestée par l’effet, ainsi le Seigneur a voulu montrer qu’IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE par le fait que LA VERITE N’EST PAS EN LUI, car elle eût été en lui s’il s’était tenu dans la vérité. On trouve une manière identique de parler dans un psaume : Moi j’ai crié vers toi car tu m’as exaucé Selon cette parole, du fait qu’il a été exaucé, il apparaît qu’il a crié.
1249. Le Christ montre ici que le diable est hostile à la vérité; il expose son propos , avant de l’expliciter .
1250. A la vérité s’opposent fausseté et mensonge; et le diable s’oppose à la vérité parce qu’il profère le mensonge. Voilà pourquoi le Christ dit QUAND IL PROFERE LE MENSONGE, IL LE PROFERE DE SON PROPRE FONDS.
Ici, il faut savoir que quiconque parle de lui-même, hormis Dieu, profère le mensonge; mais quiconque dit un mensonge ne le dit pas forcément de lui-même. Seul Dieu, en parlant de son propre fonds, dit la vérité; car la vérité, c’est l’illumination de l’intelligence; or Dieu est la lumière elle-même, et tous sont illuminés par lui — II était la lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde . C’est pourquoi, d’une part il est la vérité elle-même, d’autre part les autres ne disent la vérité que dans la mesure où ils sont illuminés par lui. Aussi, comme le dit Ambroise : "Tout vrai, quel que soit celui qui le dit, est de l’Esprit Saint" Ainsi donc le diable, quand il parle de son propre fonds, profère le mensonge; l’homme aussi, quand il parle de son propre fonds, profère le mensonge. Mais quand ce qu’il dit vient de Dieu, alors il dit la vérité; c’est pourquoi il est dit : Dieu est véridique, et tout homme, livré à lui-même, est menteur Mais tout homme qui profère le mensonge ne parle pas forcement de son propre fonds, parce qu’il le reçoit parfois d’un autre : certes pas de Dieu, qui est véridique, mais de celui qui NE S'EST PAS TENU DANS LA VERITE, et qui le premier a inventé le mensonge Et c’est pourquoi celui-là, d’une manière unique, QUAND IL PROFERE LE MENSONGE, IL LE PROFERE DE SON PROPRE FONDS — Je sortirai, et je serai l’esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes — Le Seigneur a répandu, c’est-à-dire a permis que soit répandu, un esprit d’erreur
1251. En disant cela, le Christ explicite son propos. Comprenant mal cette parole, les Manichéens supposaient qu’il y a des générations de démons, et pensaient que le diable a un père. C’est pourquoi ils disaient que le diable EST MENTEUR, ET SON PERE AUSSIc’est-à-dire le père du diable. Il ne faut certes pas comprendre ainsi la parole du Christ. Car le Seigneur a dit que le diable est menteur, et son père, c’est-à-dire père du mensonge; ce n’est pas que tout homme qui ment soit père de son mensonge, car, comme le dit Augustin : "Si tu as reçu un mensonge d’un autre, et que tu l’as dit, tu as menti certes, mais tu n’es pas le père du mensonge" Mais le diable, parce qu’il n’a pas reçu le mensonge d’ailleurs, mensonge par lequel il tuerait l’homme comme par un poison, est le père du mensonge, comme Dieu est le père de la vérité. Car le diable a inventé le mensonge dès le commencement, c’est-à-dire quand il a menti à la femme : Pas du tout, vous ne mourrez pas A quel degré cela est-il vrai, l’événement l’a prouvé par la suite, quand il a réussi à séduire la femme, ainsi qu’on le lit dans le même passage.
1252. Il faut savoir que ces paroles : VOUS, VOUS ÊTES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, sont exposées au sujet de Caïn dans le livre des Questions sur le Nouveau et l’Ancien Testament de la manière suivante : selon qu’est appelé diable celui qui fait les œuvres du diable, on doit lire : VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, c’est-à-dire de Caïn qui a fait les œuvres du diable, et vous l’imitez. Caïn ETAIT HOMICIDE DES LE COMMENCEMENT, c’est-à-dire depuis qu’il a tué son frère Abel. ET IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE, PARCE QUE LA VERITE N’EST PAS EN LUI – cela est manifeste, parce que quand le Seigneur lui demandait : Où est Abel ton frère? Il répondit en disant : Je ne sais tas, Seigneur; suis-je le gardien de mon frère? C’est pour quoi lui-même EST MENTEUR ET PERE DU MENSONGE, c’est-à-dire, il est diable, parce qu’il imite le diable, qui est son père.
Cependant, la première explication est meilleure.
1253. Après avoir exposé quelle est la condition du diable, le Seigneur montre que les Juifs en sont les imitateurs .
Or le Seigneur a attribué au diable deux conditions dans sa malice : l’homicide et le mensonge . Plus haut, il a réprimandé les Juifs à propos de l’homicide, qui leur faisait imiter le diable — Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu C’est pourquoi, laissant cela de côté, il leur reproche ici leur aversion pour la vérité.
En premier lieu, il montre qu’ils sont hostiles à la vérité ; puis il exclut la raison qu’ils auraient pu alléguer ; enfin, il conclut à la véritable cause de leur aversion .
1254. Il commence donc par dire : le diable est MENTEUR, ET PERE DU MENSONGE; et certes, vous l’imitez, parce que vous ne voulez pas vous attacher à la vérité : MAIS MOI, SI JE VOUS DIS LA VERITE, VOUS NE ME CROYEZ PAS — Si je vous le dis, vous ne me croirez pas .
Autrement dit, Moi je suis la vérité et le Fils de celui qui est véridique : JE VOUS DIS LA VERITE. Mais vous qui êtes les fils du diable menteur, vous êtes hostiles à la vérité, ET VOUS NE ME CROYEZ PAS — Si je vous dis les choses du ciel, comment croirez-vous? — C’est pourquoi IsaÏe se plaint vivement en disant : Seigneur, qui a cru à nos paroles?
1255. La cause que les Juifs pouvaient alléguer pour justifier leur manque de foi (infidelitas) est le fait que le Christ serait pécheur; car on ne croit pas facilement un pécheur, même s’il est dans la vérité. C’est pourquoi il est dit : Dieu a dit au pécheur : Pourquoi récites-tu mes jugements? Les Juifs pouvaient donc dire : nous ne te croyons pas parce que tu es pécheur.
C’est pourquoi le Christ exclut cette raison en disant : QUI D'ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE? Autrement dit : vous n’avez aucune juste raison pour ne pas croire que je dis la vérité, puisqu’on ne pourrait trouver en moi aucun péché — Lui qui n’a pas commis de faute; et on n’a pas trouvé de mensonge en sa bouche .
Selon Grégoire , il faut apprécier ici la mansuétude de Dieu, qui ne refuse pas de démontrer par la raison qu’il n’est pas pécheur, lui qui pouvait justifier les pécheurs par la puissance de sa divinité — Si j’ai dédaigné d’entrer en jugement avec mon esclave et ma servante quand ils se prononçaient contre moi...
Il faut aussi admirer l’excellence de la pureté unique du Christ, parce que, comme le dit Chrysostome’ aucun homme n’a pu dire avec une telle assurance : QUI D’ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE? sinon notre Dieu, qui n’a pas commis de péché — Qui peut dire : mon cœur est pur, je suis pur de tout péché? autrement dit : personne, sinon Dieu seul - Tous ils se sont égarés, tous ensemble pervertis : il n'en est pas un qui fasse le bien, honnis un seul c’est-à-dire le Christ.
1256. Il conclut ici à la véritable cause de leur aversion. Il commence par l’exposer, avant de repousser l’opposition des Juifs .
En exposant la cause de leur aversion, il pose une question ; puis il établit un raisonnement ; enfin, il apporte la conclusion à laquelle il voulait parvenir .
1257. Il commence donc par dire : puisque vous ne pouvez pas prétendre que c’est à cause de mon péché que vous ne me croyez pas, il reste maintenant à chercher
POURQUOI, SIJE VOUS DIS LA VERITE, VOUS NE ME CROYEZ PAS, étant donné que je ne suis pas pécheur. Autrement dit : si moi, que vous avez en haine, vous ne pouvez me convaincre de péché, il est manifeste que c’est à cause de la vérité que vous me haïssez, c’est-à-dire parce que je dis que je suis le Fils de Dieu — L'insensé ne reçoit pas les paroles de sagesse
1258. Le Christ établit un raisonnement vrai, en disant : CELUI QUI EST DE DIEU ÉCOUTE LES PAROLES DE DIEU; car, comme il est dit, tout vivant aime son semblable donc, quiconque provient de Dieu est, en tant que tel, à la ressemblance de tout ce qui est de Dieu, et y inhère C’est pourquoi CELUI QUI EST DE DIEU ECOUTE volontiers LES PAROLES DE DIEU — Tout homme qui est de la vérité écoute mes paroles La parole de Dieu doit être écoutée avec amour avant tout par ceux qui sont de Dieu, puisqu’elle est la semence par laquelle nous sommes engendrés fils de Dieu — Elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée
1259. C’est pourquoi il arrive à la conclusion à laquelle il voulait parvenir : SI VOUS N’ECOUTEZ PAS, C'EST QUE VOUS N’ETES PAS DE DIEU; autrement dit : ce n’est donc pas mon péché qui est cause de votre incrédulité, mais votre méchanceté — Que la sagesse est amère aux hommes ignorants ! Car, comme le dit Augustin : "Quand il dit : VOUS N’ETES PAS DE DIEU, ne considère pas la nature, mais le vice; certes ils sont de Dieu selon la nature, mais ils ne sont pas de Dieu par le vice et leur amour dépravé (...). Cette parole a été adressée non seulement à ceux qui étaient cor rompus par le péché — car cela est commun à tous —, mais aussi à ceux dont il savait d’avance qu’ils ne croiraient pas, de cette foi qui pouvait les libérer du lien du péché
1260. Il faut noter qu’on peut avoir une volonté mauvaise à trois degrés différents, comme le dit Grégoire Certains en effet dédaignent de recevoir les commandements de Dieu, même par l’oreille de leur corps, c’est-à-dire par l’audition sensible; de ceux-là, il est dit : Comme la vipère sourde, et qui ferme ses oreilles . D’autres les reçoivent bien par l’oreille du corps, mais ils ne les embrassent d’aucun désir de l’esprit, n’ayant pas la volonté de les accomplir — Ils entendent mes paroles et ne les observent pas . D’autres enfin reçoivent de bon gré les paroles de Dieu, à tel point qu’ils en sont touchés jusqu’aux larmes; mais passé le temps des larmes, accablés de tribulations ou attirés vers les plaisirs, ils reviennent à l’iniquité; on en a l’exemple dans les Evangiles de Matthieu et Luc, à propos de la parole étouffée par les soucis — La maison d’Israël ne veut pas t’écouter parce qu’ils ne veulent pas m’écouter .
C’est donc le signe que l’homme est de Dieu, s’il écoute avec amour la parole de Dieu; mais ceux qui refusent de l’entendre, dans leur cœur ou leurs actes, ne viennent pas de Dieu.
1261. Le Christ repousse ensuite l’objection des Juifs; l’Evangéliste expose d’abord leur réplique , puis la réfutation du Seigneur .
1262. En répliquant au Christ, les Juifs le chargent de deux griefs. Ils lui disent d’abord qu’il est un Samaritain, puis qu’il a un démon.
Par cette parole, l’Évangéliste nous donne à entendre que les Juifs disaient souvent cela au Seigneur, comme un reproche. Certes, pour le second grief, nous lisons dans Matthieu : C’est par Béelzéboul, le prince des démons, qu’il chasse les démons . Mais qu’ils l’aient traité de Samaritain, on ne le trouve nulle part ailleurs dans les Evangiles, bien qu’ils l’aient sans doute dit plusieurs fois; car les Evangiles omettent de nous rapporter beaucoup de paroles et d’actes dont Jésus a été l’auteur ou l’objet, comme on le lit plus loin .
Les Juifs peuvent avoir dit cette parole au Christ pour deux raisons. L’une est que les Samaritains étaient une nation odieuse au peuple d’Israël du fait que lorsque les dix tribus avaient été emmenées en captivité, ils avaient pris possession de leurs terres — Les Juifs en effet n'ont pas de relations avec les Samaritains . Parce que donc le Christ attaquait les Juifs, ceux-ci croyaient qu’il le faisait par haine, et c’est pourquoi ils le considéraient comme un Samaritain, presque comme un ennemi.
Une autre raison est que les Samaritains n’observaient qu’en partie les rites judaïques. Les Juifs, voyant donc le Christ observer la Loi sur tel point et s’en détacher sur tel autre, par exemple le sabbat, le traitaient de Samaritain
De même, ils disaient qu’il avait un démon pour une double raison . L’une est qu’ils n’attribuaient pas à une puissance divine les miracles qu’il opérait et le fait qu’il révélait leurs pensées, mais le soupçonnaient de les accomplir par l’art et la puissance des démons. C’est pourquoi ils disaient : C’est par Béelzéboul, le prince des démons, qu’il chasse les démons .
Il y a encore une autre raison : les paroles du Christ transcendaient la capacité humaine lorsqu’il disait, par exemple, que Dieu était son Père ou qu’il était descendu du ciel Or c’est une habitude des gens grossiers, quand ils entendent de telles choses, de les compter comme diaboliques; ainsi, ceux-là croyaient que le Christ parlait comme possédé d’un démon — Beaucoup disaient : il a un démon et il délire, pourquoi l’écoutez-vous? D'autres disaient : ces paroles ne sont pas celles d’un homme ayant un démon
Les Juifs disent donc ces paroles pour l’accuser de péché, s’opposant à ce que lui-même avait dit : QUI D’ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE?
1263. Le Seigneur réfute ici la réplique des Juifs. Ils avaient accusé le Christ de deux choses : d’être un Samaritain, et d’avoir un démon. Il est vrai que le Seigneur ne se disculpe pas à propos de la première accusation, et cela pour une double raison.
Selon Origène , c’est parce que les Juifs voulaient toujours se séparer des Gentils (Gentilibus); mais déjà venait le temps où la distinction entre juifs et Gentils devait être abolie, le temps de les appeler tous à la voie du salut. Et le Seigneur, afin de montrer qu’il était venu pour le salut de tous, bien plus encore que Paul, s’est fait tout à tous pour les sauver tous et c’est pourquoi il n’a pas nié être un Samaritain.
L’autre raison, c’est que "Samaritain" signifie "gardien"; et comme lui-même est avant tout notre gardien, selon cette parole du psaume : Voici qu’une dormira pas ni ne sommeillera, celui qui garde Israël , il n’a pas nié être un Samaritain.
Mais il nie avoir un démon : MOI, JE N’AI PAS DE DEMON. D’abord, il rejette l’injure qu’on lui a faite , et met cela en lumière par une affirmation opposée ; puis il reprend l’effronterie de ceux qui l’injurient .
1264. Il faut noter que le Seigneur, en corrigeant les Juifs, leur a parlé souvent avec dureté; ainsi cette parole : Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites et beaucoup d’autres qu’on lit dans l’Evangile de Matthieu. Mais on ne voit pas dans l’Evangile que le Seigneur ait parlé injurieusement ou avec dureté aux Juifs qui lui parlaient avec dureté ou qui agissaient grossièrement contre lui; comme le dit Grégoire Dieu, en recevant ce qui l’atteint injustement, ne répond pas par des paroles outrageantes, mais dit simplement : MOI, JE N’AI PAS DE DEMON.
En cela, que nous est-il indiqué, si ce n’est qu’au temps où nous recevons à tort des injures de ceux qui nous sont les plus proches, nous devons même taire leurs mauvaises paroles, de peur que le service d’une juste correction ne dégénère en fureur. Il nous est aussi indiqué que nous devons défendre les choses qui touchent à Dieu, mais ne pas nous arrêter à celles qui nous touchent.
Mais cette parole, JE N’AI PAS DE DEMON, seul le Christ peut la prononcer, comme le dit Origène ; car il n’a en lui-même rien du démon, que ce soit grave ou non. C’est pourquoi il disait : Il vient le prince de ce monde, et il n’a rien en moi . — Quel rapport du Christ avec Bélial?
1265. Le Christ met ce qu’il a dit en lumière par une affirmation opposée, en disant : MAIS J’HONORE MON PERE. Car le diable tient tête en refusant d’honorer Dieu. Qui donc cherche à honorer Dieu est étranger au diable. Donc le Christ, qui honore son Père, c’est-à-dire Dieu, n’a pas de démon. Et le propre du Christ, et de lui seul, est d’honorer le Père, parce que le fils honore le père comme il est dit dans Malachie. Or le Christ est d’une manière unique Fils de Dieu.
1266. Le Christ reprend ici l’insolence de ceux qui l’injurient; il commence par reprendre ceux qui l’injurient ; puis il nie la cause qu’ils pourraient invoquer pour lui faire des reproches ; enfin, il leur annonce la condamnation qui leur est réservée .
1267. Il dit donc d’abord : moi J’HONORE MON PÈRE, ET VOUS, VOUS ME DESHONOREZ. Autrement dit : moi, je fais ce que je dois faire; vous, vous ne faites pas ce que vous devez faire; bien au contraire, en ce que vous me déshonorez, vous déshonorez mon Père — Qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé .
1268. Mais ils pourraient dire : Tu es trop dur; tu te soucies trop de ta gloire, et ainsi, tu nous fais des reproches.
C’est pourquoi le Christ, parlant en tant qu’homme, ajoute, pour rejeter cela : OR MOI, JE NE CHERCHE PAS MA GLOIRE. Car Dieu est le seul qui puisse chercher sa gloire sans commettre de faute; les autres ne le peuvent pas, si ce n’est en Dieu — Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur . — Si moi je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien .
Mais le Christ en tant qu’homme n’a-t-il pas de gloire? Bien au contraire, une grande gloire de toutes manières; car bien que lui-même ne la cherche pas, IL EN EST UN cependant QUI LA CHERCHE, c’est-à-dire le Père. Car il est dit : Tu l’as couronné, le Christ homme, de gloire et d’honneur et ailleurs : Tu le revêts de gloire et de splendeur .
1269. Et non seulement il cherchera ma gloire dans ceux qui mettent en œuvre les causes de vertu qui sont greffées en eux mais il punira et condamnera ceux qui s’opposent à ma gloire; c’est pourquoi le Christ ajoute : ET QUI JUGE.
A cela on objectera ce qui est dit plus haut : Le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils Je réponds : le Père ne juge personne indépendamment du Fils, parce que même le jugement qu’il rendra du fait que vous m’avez injurié, il le rendra par le Fils. Ou bien il faut dire que le mot "jugement" est parfois pris au sens de condamnation : et ce jugement-là, le Père l’a donné au Fils, parce que lui seul apparaîtra sous une forme visible au jugement, comme on l’a dit plus haut ; Mais parfois le mot est pris au sens de discernement, et c’est de cela qu’on parle ici. C’est pourquoi aussi il est dit : Juge-moi, ô Dieu, et discerne ma cause autrement dit : c’est le Père qui discerne ma gloire de la vôtre, car il discerne votre gloire, qui est pour le monde, de celle de son Fils, qu’il a oint au-dessus de ses semblables lui qui est sans péché, alors que vous, vous êtes des hommes marqués par le péché.
En ce qui concerne l’efficacité du remède, l’Évangéliste montre d’abord ce qui est exigé de ceux à qui le remède est administré, et cela relève du mérite; puis il montre ce qui leur est donné en échange , et cela relève de la récompense.
1195. On vient de dire que BEAUCOUP CRURENT EN LUI – Et c’est pour cela que le Christ leur montre, c’est-à-dire A CEUX QUI AVAIENT CRU EN LUI, DES JUIFS, ce qui est exigé d’eux : qu’ils demeurent dans sa parole (sermo). SI VOUS DEMEUREZ DANS MA PAROLE, VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES; autrement dit : VOUS SEREZ MES DISCIPLES, non en croyant seulement d’une manière superficielle, mais SI VOUS DEMEUREZ DANS MA PAROLE.
Trois choses sont exigées de nous concernant la parole de Dieu (verbum) la sollicitude pour l’écouter — Que tout homme soit prompt à écouter la foi pour croire — La foi vient de ce qu’on entend la constance pour demeurer jusqu’au bout — Que la sagesse est escarpée pour les sots! Et l’homme sans intelligence ne s'y tiendra pas Et c’est à cause de cela qu’il dit SI VOUS DEMEUREZ, c’est-à-dire par la stabilité de la foi, par la méditation continuelle — Il méditera sa loi jour et nuit — et par un amour fervent — Sa volonté a été tendue vers la loi de son Dieu C’est pourquoi Augustin dit que demeurent dans les paroles du Seigneur ceux qui ne cèdent à aucune tentation.
1196. Le Christ montre ici la récompense qui est don née en échange à ceux qui persévèrent. Cette récompense consiste en trois choses : l’élévation à la dignité de disciple du Christ , la connaissance de la vérité , et l’acquisition de la liberté .
1197. Et certes, c’est un privilège d’une grande dignité que d’être disciple du Christ : Fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, parce qu’il vous a donné un maître de justice C’est pourquoi il dit : VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES. En effet, plus le maître est grand, plus ses disciples sont hors du commun; or le Christ est le maître le plus éminent et le plus grand; ses disciples sont donc les plus éminents.
Trois choses sont exigées des disciples. La première est l’intelligence, pour saisir les paroles du maître — Vous aussi, vous êtes maintenant encore sans intelligence? Or seul le Christ peut ouvrir l’oreille de l’intelligence — Il leur ouvrit l’esprit, pour qu’ils comprennent lés Ecritures C’est pourquoi Isaïe disait : Le Seigneur m’a ouvert l’oreille Ce qui est requis en second lieu du disciple, c’est l’attachement (assensus) à croire ce qu’enseigne le maître, car le disciple n’est pas au-dessus du maître et c’est pour cela qu’il ne doit pas le contre dire — Ne contredis pas la parole de vérité et Isaïe ajoute : Moi je ne contredis pas La troisième chose requise du disciple est la stabilité, qui permet de demeurer jusqu’au bout; dans l’Evangile de saint Jean, il est dit que beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ne marchaient plus avec lui et Isaïe ajoute : Je ne me suis pas dérobé
1198. Mais il est plus grand de connaître la vérité, puis que c’est la fin du disciple. Et cela, le Seigneur le donne aussi à ceux qui croient; c’est pour cela qu’il dit : vous CONNAI TREZ LA VERITE, c’est-à-dire d’une part la vérité de l’enseignement que moi je donne — Moi, ce pour quoi je suis né et ce pour quoi je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la vérité d’autre part la vérité de la grâce dont je suis source — La grâce et la vérité ont été données par Jésus-Christ cette grâce est dite grâce de vérité par rapport aux préfigurations de la Loi ancienne. Enfin, la vérité de l’éternité dans laquelle je demeure — Eternellement Seigneur, demeure ta parole, ta vérité de génération en génération .
1199. Mais ce qu’il y a de plus grand, c’est l’acquisition de la liberté, que la connaissance de la vérité réalise chez ceux qui croient : ET LA VERITE VOUS LIBERERA.
Cependant, dans ce passage, "libérer" n’implique pas l’idée d’échapper à quelque péril, comme semble l’indiquer le mot latin mais signifie vraiment "rendre libre". Et cela par rapport à trois choses : la vérité de l’enseignement libérera de l’erreur, du faux — Ma bouche proclamera la vérité et mes lèvres détesteront l’iniquité la vérité de la grâce libérera de l’esclavage du péché — La loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus me libérera de la loi du péché et de la mort la vérité de l’éternité nous libérera de la corruption — La création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption
1200. L’Évangéliste poursuit en montrant le besoin, que les Juifs ont en eux-mêmes, de recevoir ce remède.
D’abord, il met en évidence la présomption des Juifs qui nient avoir besoin d’un tel remède ; puis il montre comment ils en ont besoin .
1201. La présomption des Juifs apparaît dans une interrogation. Ils commencent par affirmer quelque chose; puis ils nient autre chose; enfin, ils interrogent.
Ils affirment être de la race d’Abraham : NOUS SOMMES LA RACE D’ABRAHAM, ce qui montre leur vaine gloire, car ils se glorifient de leur seule origine charnelle — Ne commencez pas à dire : nous avons pour père Abraham Ils font de même, ceux qui cherchent à être tirés d’une noblesse selon la chair — Toute leur gloire leur vient d’un enfantement, d’un sein et d’une conception .
Ils nient ensuite leur condition d’esclaves : NOUS N’AVONS JAMAIS ÉTÉ ESCLAVES DE PERSONNE; en cela, ils se montrent stupides et menteurs. Stupides, ils le sont assurément, parce que ce que le Seigneur dit de la liberté spirituelle, ils l’entendent d’une liberté matérielle — L’homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu Et ils sont menteurs, parce que s’ils nient ici être esclaves d’une manière matérielle, ou bien ils l’entendent de l’ensemble du peuple juif, ou bien ils parlent tout particulièrement d’eux-mêmes. S’ils parlent de l’ensemble du peuple juif, ils mentent manifestement, car Joseph fut vendu, et leurs ancêtres ont été esclaves en Egypte, comme le rapportent les livres de la Genèse et de l’Exode C’est pourquoi Augustin dit : "O ingrats, qu’en est-il de ce que Dieu vous impute sans cesse d’avoir été libérés par lui de la maison d’esclavage, si vous n’avez jamais été esclaves de personne?" Il est dit en effet : Je vous ai fait sortir d'Egypte, de la maison d’esclavage . Et si les Juifs parlent ici à leur propre sujet, on ne peut même pas les disculper de mensonge, car eux aussi à ce moment-là payaient des tributs aux Romains; c’est pourquoi ils disaient : Est-il permis de payer l’impôt à César, ou non?
Enfin, les Juifs interrogent Jésus sur le mode de la liberté : COMMENT TOI, DIS-TU : "VOUS SEREZ LIBRES?" Le Seigneur leur avait promis deux choses : la liberté et la connaissance de la vérité : VOUS CONNAITREZ LA VERITE, ET LA VERITE VOUS LIBERERA. En entendant cela, les Juifs comprenaient qu’ils étaient considérés par le Seigneur comme esclaves et ignorants. Et, bien qu’il soit plus avilissant d’être privé de la connaissance que de la liberté, cependant, parce qu’ils restaient fixés à leurs préoccupations terrestres, négligeant la vérité, ils s’enquièrent du mode de la liberté — ils ont résolu d’abaisser leurs yeux vers la terre
1202. Le Seigneur, rejetant la présomption des Juifs, leur montre avec certitude qu’ils ont besoin du remède dont on a parlé; il parle d’abord de leur esclavage , puis de leur libération ; enfin, de leur origine .
1203. Il les convainc d’esclavage, non d’un esclavage matériel, comme ils le comprenaient, mais spirituel, c’est-à-dire l’esclavage du péché; pour mettre cela en évidence, il fait d’abord un serment réitéré : AMEN, AMEN, JE VOUS DIS, puis il emploie un mot ayant un sens universel : TOUT. Amen est un mot hébreu qui signifie "en vérité", ou "qu’il en soit ainsi". Ce que, selon Augustin ni le traducteur grec, ni le latin n’ont osé traduire, pour que ce mot reçoive l’honneur qui lui est dû : être voilé comme un secret, non dans le but de le cacher, mais de peur que mis à nu il ne soit avili; et cela spécialement par respect pour le Seigneur qui l’a utilisé fréquemment Donc, le Seigneur profère ici comme une sorte de serment : serment qu’il réitère afin d’affirmer davantage sa pensée — Il s'engagea par un serment, pour que, par deux réalités immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu mente, nous ayons un puissant réconfort .
Il emploie ensuite un terme universel : TOUT; Juif ou Grec, riche ou pauvre, empereur ou mendiant — Il n a plus de distinction entre Juif et Grec, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu .
Il met enfin en évidence leur condition d’esclave en disant : QUI COMMET LE PÉCHÉ EST ESCLAVE DU PÉCHÉ.
1204. On peut opposer à cela que l’esclave n’est pas mû par son propre libre arbitre, mais par celui du maître; or celui qui commet le péché est mû par son propre libre arbitre : il n’est donc pas esclave.
Je réponds que chaque chose est selon ce qui convient à sa nature : quand donc quelqu’un est mû selon quelque chose qui convient à sa nature, il est mû par lui-même. Mais lorsque quelqu’un est mû par quelqu’un d’extrinsèque, il n’opère pas selon lui-même, mais sous la pression d’un autre, ce qui est propre à l’esclave. Or l’homme, selon sa nature, est doué d’intelligence. Quand donc il est mû selon son intelligence, il est mû de son propre mouvement, et il opère de lui-même, ce qui caractérise la liberté; mais quand il pèche, il agit en dehors de l’ordre de sa nature raison nable, et il est alors mû comme par un autre, retenu dans des limites étrangères; et c’est pourquoi QUI COMMET LE PECHE EST ESCLAVE DU PECHE — On est esclave de celui par qui on a été vaincu
Mais plus quelqu’un est mû par un étranger, plus il est réduit en esclavage; et il est d’autant plus vaincu par le péché qu’il a moins d’autonomie — celle de l’intelligence —, et il est d’autant plus esclave. De là vient que plus on accomplit librement le mal qu’on veut, et avec le moins de difficulté, plus on se lie étroitement à la servitude du péché, comme le dit Grégoire Esclavage qui est certes très pesant, parce qu’on ne peut s’y soustraire : partout où il va, l’homme porte en lui le péché, bien que l’acte même du péché et le plaisir qu’il procure passent — Lorsque le Seigneur t’aura donné du repos (...) de la dure servitude, c’est-à-dire celle du péché, à laquelle tu as été asservi... Car on peut s’échapper de la servitude physique, au moins en s’enfuyant; c’est pourquoi Augustin dit : O malheureuse servitude (c’est-à-dire celle du péché) ! L’esclave de l’homme, une fois fatigué des ordres durs de son maître, se repose en s’enfuyant; l’es clave du péché traîne avec lui le péché, où qu’il fuie; car le péché qu’il commet est intérieur; le plaisir passe, le péché (c’est-à-dire l’acte) passe : ce qui donnait du plaisir est passé, est resté ce qui blesse ;
1205. L’Évangéliste traite ici de la libération de l’esclavage; en effet, parce que tous ont péché , tous étaient esclaves du péché. Mais elle vient et est toute proche de vous, l’espérance de la libération par celui qui est libre du péché; et celui-là, c’est le Fils.
D’abord, le Christ présente ce qu’est la condition d’es clave, pour distinguer l’homme libre de l’esclave ; puis il montre que la condition du Fils est autre que celle de l’esclave ; enfin, il conclut en montrant le pouvoir que le Fils a de libérer .
1206. La condition de l’esclave est donc transitoire et instable; L’ESCLAVE NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON Cette maison, c’est l’Eglise — Pour que tu saches comment il convient de te comporter dans la maison de Dieu qui est l’Eglise du Dieu vivant... Dans cette maison, certains, qui sont esclaves spirituellement, demeurent seulement pour un temps, de même que c’est pour un temps seulement, et non ETERNELLEMENT, que les esclaves demeurent physiquement dans la maison du père de famille; car bien que maintenant les méchants ne soient pas séparés de ceux qui croient quant au nombre, mais seulement par le mérite, ultérieurement cependant, ils en seront séparés de l’une et de l’autre manière — Chasse la servante et son fils : en effet, il ne sera pas héritier, le fils de la servante, avec le fils de la femme libre .
1207. Par contre, la condition du Fils est éternelle et stable; LE FILS, c’est-à-dire le Christ, Y DEMEURE POUR L'ETERNITE, c’est-à-dire dans l’Eglise, comme dans sa maison. L’épître aux Hébreux dit que le Christ est dans sa maison comme le Fils, et nous sommes cette maison si nous gardons ferme jusqu’à la fin la confiance et la gloire de l’espérance . Et certes, lui seul demeure éternellement dans la maison, de lui-même, parce qu’il est exempt du péché; pour nous, de même que nous sommes libérés du péché par lui, de même nous demeurons dans la maison par lui.
1208. Or le Fils a le pouvoir de libérer : SI DONC LE FILS VOUS LIBERE, VOUS SEREZ VRAIMENT LIBRES — Nous ne sommes pas les fils de la servante, mais de la femme libre; c’est le Christ qui nous a acquis cette liberté Car, comme le dit Augustin, lui-même a donné pour notre rachat, non de l’argent, mais son sang il est venu en effet en assumant une chair semblable à celle du péché , n’ayant en lui absolument aucun péché; c’est pourquoi il s’est fait vrai sacrifice pour le péché; par lui, nous sommes libérés non des barbares, mais du diable.
1209. Notons que la liberté a des sens multiples. Il y a une liberté perverse, quand quelqu’un en abuse pour pécher; et c’est la liberté à l’égard de la justice, que personne n’est contraint d’observer — Agissez comme des hommes libres, et non comme ayant un voile pour dissimuler votre liberté perverse . Il y a une liberté vaine : celle qui est temporelle ou terrestre . et dont parle Job en disant que l’esclave est affranchi de son maître . Il y aune liberté vraie et spirituelle, celle de la grâce, qui consiste à être exempt de crimes; celle-là est imparfaite, parce que la chair convoite contre l’esprit, de telle sorte que nous ne faisons pas ce que nous voulons Il y a enfin la liberté de la gloire, aussi parfaite que plénière. C’est celle que nous aurons dans la patrie : La créature elle-même sera libérée de la servitude et cela parce qu’il n’y aura plus rien pour nous incliner au mal, plus rien d’écrasant, parce que là nous serons libérés de la faute et de la peine .
1210. Chrysostome interprète ce passage d’une autre manière. Parce qu’en effet le Christ avait dit : QUI COMMET LE PECHE EST ESCLAVE DU PECHE, pour éviter que les Juifs le devancent en disant : bien que nous soyons esclaves du péché, cependant nous pouvons être libérés par des sacrifices et les pratiques rituelles de la Loi, le Seigneur montre que cela ne peut les libérer, mais que seul le Fils le peut. C’est pour cela qu’il dit : L’ESCLAVE, c’est-à-dire Moïse et les grands prêtres de l’Ancien Testament, NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON ETERNELLEMENT.
De là vient qu’il est dit : Moïse a été fidèle, comme serviteur, dans toute la maison de Dieu . Les rites ne sont pas éternels; c’est pourquoi ils ne peuvent donner la liberté éternelle.
L’ORIGINE DES JUIFS *
1211. A partir d’ici, l’Évangéliste traite de l’origine des Juifs. D’abord, le Christ révèle leur origine selon la chair , puis il leur fait découvrir leur origine selon l’esprit .
1212. Il dit que leur origine selon la chair, c’est Abra ham. JE SAIS, dit-il, QUE VOUS ETES FILS D’ABRAHAM, par l’origine de la chair seulement, et non en lui étant semblables par la foi — Considérez Abraham votre père, et Sara qui vous a engendrés .
1213. Il cherche ensuite à leur faire connaître leur origine spirituelle. D’abord, il montre qu’ils en ont une; puis il rejette l’origine qu’ils invoquent ; enfin il montre quelle est leur véritable origine .
Pour montrer qu’ils ont une origine spirituelle, le Seigneur expose tout d’abord leur faute, puis il conclut à leur origine spirituelle .
A propos de leur faute, il les accuse d’abord de la faute d’homicide , puis du crime de manque de foi , enfin, il leur enlève toute possibilité de se justifier .
1214. Le Seigneur leur montre donc que spirituellement, ils sont issus d’une souche mauvaise, et c’est pourquoi il les blâme ouvertement de leur péché. Et passant sous silence tous les autres péchés par lesquels les Juifs étaient entravés de multiples manières, il rappelle seulement celui qu’ils avaient constamment dans l’esprit, c’est-à-dire le péché d’homicide, parce que, comme il a été dit plus haut, ils voulaient le tuer Et c’est pourquoi il dit : MAIS VOUS CHERCHEZ A ME TUER, ce qui est contre votre Loi — Tu ne tueras pas — A partir de ce jour donc, ils cherchaient à le tuer
1215. Mais ils auraient pu dire que tuer quelqu’un à cause de sa faute n’est pas un péché, et c’est pourquoi le Seigneur dit que la cause de l’homicide n’est certes pas une faute de sa part, ni leur justice, mais précisément leur man que de foi (infidelitas) à eux; c’est comme s’il disait : VOUS CHERCHEZ A ME TUER, non à cause de la justice, mais à cause de votre manque de foi, PARCE QUE MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS. — Tous ne reçoivent pas cette parole, mais ceux à qui cela a été donné
Si le Seigneur use de cette manière de parler, c’est d’abord pour montrer l’excellence de sa parole. Autrement dit : ma parole excède complètement votre capacité car elle est de l’ordre des réalités spirituelles, alors que vous avez une intelligence attachée aux choses terrestres; et c’est pourquoi elle ne pénètre pas en vous — L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu — Bien des choses que l’on t’a montrées sont au-delà de l’esprit de l’homme
Mais il use aussi de cette manière de parler à cause d’une certaine similitude. En effet, comme le dit Augustin, la parole de Dieu est pour les croyants comme l’hameçon pour le poisson : l’hameçon ne prend que s’il est saisi. Et c’est pourquoi il dit : MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS, c’est-à-dire dans votre cœur, parce qu’elle n’est pas reçue par vous de la manière dont Pierre avait été saisi : Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle Cependant, elle ne cause pas de dommage à ceux qui sont saisis, car de fait elle les saisit pour leur salut, non pour leur ruine . Il est dit en effet que le prophète qui énonce, comme venant de la bouche du Seigneur, ce que le Seigneur n’a pas dit, doit être mis à mort
1216. Aussi, pour que les Juifs ne disent pas qu’il doit être mis à mort du fait qu’il parlait de lui-même et non de la bouche du Seigneur, il ajoute MOI, CE QUE J’AI VU AUPRES DE MON PERE, JE LE DIS; c’est-à-dire : on ne peut me reprocher de dire ce que je n’ai pas entendu, parce que je dis non seulement des choses que j’ai entendues, mais, qui plus est, je dis ce que j’ai vu En effet, les autres prophètes ont dit ce qu’ils ont entendu, mais moi. je dis ce que j’ai vu — Dieu, personne ne l’a jamais vu; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître — Ce que nous avons entendu et ce que nous avons vu, (..) nous vous l’annonçons .
Cela doit s’entendre de la vision de la connaissance la plus certaine, par laquelle le Fils connaît le Père comme lui-même se connaît — Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils .
1217. Il conclut ici à leur origine spirituelle. C’est comme s’il disait : moi, je dis ce qui est conforme à mon origine; or vous, vous faites des œuvres à partir desquelles on peut conjecturer votre origine; parce que ces œuvres sont d’auprès de votre père, c’est-à-dire le diable, dont selon Augustin ils étaient les fils, non en tant qu’hommes, mais en tant qu’ils étaient mauvais Ces œuvres, dis-je, que vous avez vues, vous les avez faites sur la suggestion du diable — C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde
Selon Chrysostome une autre version dit : VOUS, CE QUE VOUS AVEZ VU AUPRES DE VOTRE PERE, FAITES-LE. Autrement dit : de même que moi je vous montre mon Père en vérité par mes paroles, de même vous, montrez-nous votre père Abraham par vos œuvres; c’est pourquoi il dit : faites ce que vous avez vu chez votre père dès l’origine, c’est-à-dire Abraham, instruits que vous êtes par la Loi et les Prophètes.
1218. Après avoir montré que les Juifs ont une origine spirituelle, le Seigneur leur refuse les origines qu’ils avaient la présomption de s’attribuer. D’abord, il refuse l’origine qu’ils prétendaient avoir d’Abraham , puis l’origine qu’ils pensaient tenir de Dieu .
En ce qui concerne l’origine à partir d’Abraham, l’Évangéliste expose d’abord l’opinion des Juifs sur leur origine [, puis il montre comment le Seigneur la rejette .
1219. Il faut savoir à ce sujet que, parce que le Seigneur leur avait dit : Ce que vous avez vu auprès de votre père, vous le faites, les Juifs, se glorifiant d’une génération selon la chair, se rattachent à Abraham : NOTRE PERE, C’EST ABRAHAM Autrement dit : si nous avons une origine spirituelle, nous sommes bons, parce que notre père Abraham est bon — Descendance d’Abraham, son serviteur Et comme le dit Augustin ils s’efforçaient de provoquer le Christ pour qu’il dise du mal d’Abraham, et que cela leur soit une occasion d’exécuter ce qu’ils préméditaient, c’est-à-dire de le tuer.
1220. Mais le Seigneur rejette cet argument comme injustifié, et attire d’abord l’attention sur le signe attaché à la filiation d’Abraham ; puis il montre que ce signe ne se trouve pas chez les Juifs ; enfin, il en tire les conclusions pour son propos .
1221. Assurément, le signe de la filiation de quelqu’un est sa ressemblance avec celui dont il est le fils : en effet, de même que la plupart du temps les fils ressemblent à leurs parents selon la chair, ainsi les fils spirituels (s’ils sont vraiment des fils) doivent imiter leurs parents spirituels — Soyez les imitateurs de Dieu, comme des fils bien-aimés Et à ce sujet, il dit : SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, FAITES LES ŒUVRES D’ABRAHAM Autrement dit : que vous imitiez Abraham serait le signe que vous êtes ses fils — Considérez Abraham votre père, et Sara qui vous a enfantés .
1222. Mais ici s’élève une difficulté, du fait que le Seigneur semble nier qu’ils sont fils d’Abraham en disant, comme s’il en doutait : SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, ce qu’il a pourtant affirmé plus haut : Je sais que vous êtes fils d’Abraham .
A cela il y a deux réponses. D’une première manière, selon Augustin on répondra ceci : plus haut, il a affirmé qu’ils sont fils d’Abraham selon la chair; mais ici, il leur refuse le titre de fils d’Abraham parce qu’ils n’imitent pas ses œuvres, et en premier lieu sa foi — Ce sont les hommes de foi qui sont reconnus comme étant de sa descendance .
D’une autre manière, avec Origène on répondra que l’une et l’autre affirmation se réfèrent à l’origine spirituelle. Mais là où nous avons Je sais que vous êtes fils d’Abraham, on a en grec : Je sais que vous êtes la semence d’Abraham, alors qu’ici il dit : SI VOUS ÊTES LES FILS D'ABRAHAM, parce que les Juifs, spirituellement parlant, étaient la semence d’Abraham, mais non ses fils. Il y aune différence entre la semence et le fils, car la semence est quelque chose d’informe, et cependant elle a en elle-même les "raisons" (rationes) de ce dont elle est la semence, encore immobiles et au repos; le fils en revanche, la semence ayant été transformée par la puissance informative à partir de l’agent, dans la matière qui lui est présentée par la femme, et par l’apport supplémentaire de la nutrition, a une ressemblance avec l’engendrant De cette même manière, les Juifs étaient bien la semence d’Abraham, en tant qu’apparaissait en eux quel que raison de ce que Dieu avait répandu sur Abraham; mais parce qu’ils n’étaient pas encore parvenus à la perfection d’Abraham, ils n’étaient pas ses fils; c’est pourquoi il leur dit : SI VOUS ETES LES FILS D’ABRAHAM, FAITES LES ŒUVRES D’ABRAHAM, c’est-à-dire : donnez-vous du mal pour arriver à l’imitation parfaite de ses œuvres.
1223. Une difficulté s’élève aussi au sujet de cette parole : FAITES LES ŒUVRES D’ABRAHAM; il semble en effet que tout ce que celui-là a fait, nous aussi nous devions le faire. Nous devons donc prendre plusieurs femmes, et nous approcher de la servante comme le fit Abraham .
Je réponds en disant que l’œuvre par excellence d’Abraham est la foi, par laquelle il a été justifié auprès de Dieu — Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice C’est pourquoi FAITES LES ŒUVRES D’ABRAHAM doit être compris comme signifiant : croyez de la même façon qu’Abraham.
1224. Mais il ne semble pas que l’on puisse parler de la foi comme d’une œuvre puisqu’on la distingue des œuvres — La foi sans les œuvres est morte .
On peut dire que la foi est une œuvre, selon cette parole : L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé Seulement, une œuvre intérieure n’est pas manifeste pour les hommes, mais pour Dieu seul — Les hommes voient ce qui apparaît au-dehors; Dieu fixe ses regards sur le cœur De là vient que nous avons pris l’habitude d’appeler communément "œuvres" ce qui se fait à l’extérieur. La foi se distingue donc non de toutes les œuvres, mais seulement des œuvres extérieures.
1225. Mais devons-nous faire toutes les œuvres d’Abraham? A cela il faut répondre que l’œuvre peut être considérée de deux manières : ou bien selon son apparence, et alors toutes ses œuvres ne sont pas à imiter; ou bien selon sa source, et alors les œuvres d’Abraham doivent être imitées, parce que tout ce qu’il a fait, il l’a fait par amour (ex cantate). C’est pourquoi Augustin dit que la virginité de Jean n’est pas supérieure au mariage d’Abraham, parce que la racine de l’un et l’autre est la même.
On peut dire aussi que toutes les œuvres d’Abraham doivent être imitées quant à leur signification prophétique. Tout cela leur arrivait en figure .
1226. Le Christ montre ici que le signe de la filiation dont on a parlé plus haut ne se trouve pas en eux.
Il met d’abord en évidence les œuvres des Juifs , avant de montrer que ces œuvres sont différentes de celles d’Abraham .
1227. Il montre que les œuvres des Juifs étaient mauvaises et perverses, parce qu’elles étaient meurtrières : MAIS MAINTENANT, VOUS CHERCHEZ A ME TUER -Comment est-elle de une prostituée, la cité fidèle pleine d’équité? La justice y habitait, et maintenant des homicides! Mais cet homicide était un péché d’une gravité sans mesure, parce qu’il était contre la personne du Fils de Dieu. Il est vrai que, comme le dit la première épître aux Corinthiens, s’ils l’avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire ; c’est pourquoi le Seigneur ne leur dit pas qu’ils cherchent à tuer le Fils de Dieu, mais UN HOMME car, bien qu’on dise, à cause de l’unité de la personne, que le Fils de Dieu a souffert et est mort, cependant ce n’est pas en tant que Fils de Dieu mais selon la faiblesse humaine — S’il a été crucifié, c’est à cause de sa faiblesse, mais il vit de par la puissance de Dieu .
1228. Et pour mettre encore plus en évidence leur homicide, il montre qu’ils n’ont aucune raison de le faire mourir : MOI (...) QUI VOUS AI DIT LA VERITE QUE J’AI ENTENDUE DE DIEU. Cette vérité, c’est qu’il se disait égal à Dieu — Les Juifs cherchaient à le tuer, parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son père, se faisant l’égal de Dieu Il a entendu cette vérité de Dieu, en tant que de toute éternité il a reçu du Père, par la génération éternelle, la nature que possède le Père — Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il aussi donné au Fils d’avoir la vie en lui-même .
Par cette parole, le Seigneur exclut deux raisons pour lesquelles, dans la Loi, les prophètes étaient susceptibles d’être tués. La première est le mensonge : le livre du Deutéronome prescrivait qu’un prophète qui se serait levé en proférant le mensonge ou en inventant des songes devait être mis à mort Le Seigneur écarte à son sujet cette possibilité en disant : MOI (...) QUI VOUS AI DIT LA VERITE — C’est la vérité que ma bouche proclamera, et mes lèvres détesteront ce qui est impie;justes sont toutes mes paroles, il n a en elles rien de mauvais ni de pervers La seconde raison est que si un prophète avait parlé au nom des faux dieux, ou bien avait dit au nom de Dieu ce qu’il ne lui avait pas ordonné, il devait être tué, comme on le lit au même endroit Et cela, le Seigneur l’exclut en disant : QUE J’AI ENTEND UE DE DIEU.
1229. Il montre ici que leurs œuvres sont différentes de celles d’Abraham; et cela revient à dire : vous prouvez que vous n’êtes pas fils d’Abraham en ceci que vous faites des œuvres contraires aux siennes. On lit en effet à son sujet : II observa la loi du Très-Haut, et entra en alliance avec lui
Certains objectent à tort que, puisque le Christ n’était pas encore quand Abraham fut, Abraham n’a pas pu le tuer : il n’aurait pu en effet tuer quelqu’un qui n’existait pas!
Mais il faut dire qu’Abraham n’a pas à être loué de ne pas avoir tué le Christ, mais de n’avoir tué personne de semblable, c’est-à-dire de ceux qui disaient alors la vérité. Ou bien il faut dire que si le Christ n’était pas venu dans la chair du temps d’Abraham, il était cependant venu en esprit selon cette parole du livre de la Sagesse : Elle se communique parmi les nations dans les âmes saintes Abraham ne l’a pour tant pas tué en péchant mortellement — II est impossible de les rénover une seconde fois pour le repentir, puisque pour leur compte, ils crucifient à nouveau le Fils de Dieu .
1230. Le Christ conclut ici son propos : du fait que vous ne faites pas les œuvres d’Abraham, vous avez donc quelque autre père dont vous accomplissez les œuvres. De même lit-on ailleurs : Vous, vous comblez la mesure de vos pères
1231. L’Évangéliste poursuit en montrant que les Juifs ne tiennent pas leur origine de Dieu; parce qu’en effet ils savaient déjà, par la réponse du Seigneur, que celui-ci ne parlait pas de la génération selon la chair, ils se reportent à la génération spirituelle en disant : NOUS N’AVONS QU’UN SEUL PERE, DIEU.
Et dans ce passage, les Juifs exposent d’abord leur opinion ; puis le Seigneur la rejette .
1232. En exposant leur opinion, les Juifs nient une chose et en affirment une autre. Ils nient être nés de la prostitution; et, selon Origène ils exposent cela au Christ comme pour lui faire des reproches, en montrant d’une manière voilée que lui-même serait le fruit d’un adultère; c’est comme s’ils disaient : NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NES DE LA PROSTITUTION, comme toi.
Mais on peut dire plutôt que Dieu est spirituellement l’époux de l’âme — Je t'épouserai pour toujours; je t'épouserai dans la justice et dans le droit, dans la miséricorde et la compassion. Et je t’épouserai dans la foi, et tu sauras que moi je suis le Seigneur De même que l’épouse se prostitue quand, outre son époux selon la chair, elle accueille un autre homme, ainsi dans l’Ecriture la Judée était accusée de prostitution lorsque, abandonnant le vrai Dieu, elle s’attachait aux idoles — La terre se prostituera en se détournant loin de Dieu Les Juifs disent donc : NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NÉS DE LA PROSTITUTION; autrement dit : si autrefois notre mère la Synagogue, s’éloignant de Dieu, s’est prostituée avec les idoles, nous cependant, nous ne nous sommes pas éloignés de Dieu, et nous ne nous sommes pas prostitués avec les idoles — Nous ne t'avons pas oublie, et nous n'avons pas violé ton alliance, notre cœur ne s'est pas détourné — Montez ici, fils de prostituées, semence d’adultère et de prostitution
Les Juifs affirment ensuite qu’ils sont fils de Dieu, ce qui pour eux découle manifestement du fait qu’ils ne croyaient pas être nés de la prostitution : NOUS N’AVONS QU’UN SEUL PERE, DIEU — N’avons-nous pas tous un seul père? — Vous m’appellerez Père .
1233. Ici, leur opinion est confondue par le Seigneur Jésus met d’abord en évidence un signe de la filiation divine , puis il en donne la raison ; enfin, il montre que ce signe leur fait défaut .
1234. Plus haut, Jésus a dit que le signe de la filiation selon la chair, ce sont les œuvres que les hommes accomplissent à l’extérieur; or ici, il donne le signe de la filiation divine : un amour tout intérieur. Car nous sommes faits fils de Dieu par la communication de l’Esprit Saint — Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber à nouveau dans la crainte, mais un esprit d’adoption en qui nous nous écrions : Abba, Père! En effet, l’Esprit lui-même rend témoignage à notre propre esprit que nous sommes fils de Dieu Or l’Esprit Saint est la cause de l’amour de Dieu, puisque la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné Donc, le signe propre de la filiation divine est l’amour (dilectio) — Soyez des imitateurs de Dieu comme des fils bien-aimés, et marchez dans l’amour (in dilectione) C'est pour cela que le Christ dit : SI DIEU ETAIT VOTRE PERE, VOUS M’AIMERIEZ DE TOUTE FAÇON — Les innocents et les cœurs droits, qui sont fils de Dieu, me sont attachés .
1235. Jésus donne ensuite la raison de ce signe de la filiation divine. Il expose d’abord la vérité , puis rejette l’erreur .
1236. La vérité qu’il expose, c’est qu’il procède de Dieu, et qu’il est venu.
Il faut savoir que tout amour d’amitié est fondé dans une union (conjunctio); ainsi, des frères s’aiment en tant qu’ils tiennent leur origine des mêmes parents. Le Seigneur dit donc : vous dites que vous êtes fils de Dieu! Mais si cela était, VOUS M’AIMERIEZ, parce que JE SUIS SORTI DE DIEU, ET JE SUIS VENU Qui donc ne m’aime pas n’est pas fils de Dieu. JE SUIS SORTI, dis-je, DE DIEU, comme Fils unique, de toute éternité, de la substance du Père — Avant l’étoile du matin je t'ai engendré — Dans le Principe était le Verbe ET JE SUIS VENU, comme Verbe fait chair et j’ai été envoyé d’auprès de Dieu dans le monde, par l’Incarnation — Je suis sorti du Père comme Verbe, de toute éternité, et Je suis venu dans le monde fait chair dans le temps.
1237. Ici, le Christ rejette l’erreur. D’abord l’erreur de Sabellius qui dit que le Christ n’a pas tenu son origine d’un autre, mais a imaginé que le Père et le Fils étaient la même réalité en une personne : JE NE SUIS PAS VENUDE MOI-MEME, c’est-à-dire, selon Hilaire non pas en sortant et en provenant de moi-même, mais comme envoyé par un autre, c’est-à-dire par le Père : MAIS LUI M’A ENVOYE — Dieu envoya son Fils, né d’une femme, sujet de la Loi .
Il rejette ensuite l’erreur des Juifs, qui disaient que le Christ n’a pas été envoyé par Dieu, mais était un faux prophète, de ceux dont il est écrit : Je ne les envoyais pas, et ils couraient C’est pour cela qu’il dit, selon Origène JE NE SUIS PAS VENU DE MOI-MEME, MAIS LUI M’A ENVOYE. C’est lui que Moïse réclamait en disant : Je t’en conjure, Seigneur, envoie celui que tu dois envoyer .
1238. Le Christ montre enfin que ce signe leur fait défaut. En effet, comme on l’a dit plus haut , l’amour du Christ est signe de la filiation divine; or les Juifs n’aimaient pas le Christ; il est donc manifeste que ce signe leur manquait.
Qu’ils ne l’aiment pas, il le manifeste par l’effet de l’amour : l’effet de l’amour qu’on a pour quelqu’un, c’est qu’on écoute volontiers les paroles de l’aimé — Que ta voix résonne à mes oreilles, car ta voix est douce — Des amis t’écoutent : fais-moi entendre ta voix Parce que donc ceux-là n’aimaient pas le Christ, sa voix même leur semblait dure à entendre — Cette parole est dure, et qui peut l’entendre? — Sa vue même nous est à charge
Mais il arrive que quelqu’un n’écoute pas volontiers les paroles d’un autre, parce qu’il ne peut plus y prêter attention, ni par conséquent les comprendre; et c’est la raison pour laquelle les Juifs contredisent les paroles du Christ — Répondez, je vous en supplie, sans animosité, et vous ne trouverez pas d’iniquité dans ma bouche . C’est pour cela qu’il dit : POURQUOI NE RECONNAISSEZ-VOUS PAS MA PAROLE?, lorsque vous dites en interrogeant : Qu’a-t-il dit là : Où moi je vais, vous, vous ne pouvez venir? Et vous ne comprenez pas, PARCE QUE VOUS NE POUVEZ PAS ECOUTER CE QUE JE DIS, c’est-à-dire : vous avez un cœur tellement dur envers moi que vous ne voulez pas entendre ma parole.
1239. Après avoir montré que les Juifs ont une certaine origine spirituelle , et avoir exclu l’origine qu’ils s’attribuaient , le Seigneur prouve leur véritable origine, en leur reprochant d’être les fils du diable.
Le Seigneur expose d’abord sa pensée , puis il en donne la raison ; enfin, il explique la raison qu’il a donnée .
1240. Il dit donc : vous faites les œuvres du diable, donc VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, c’est-à-dire par imitation — Ton père était un Amorrhéen, et ta mère Hittite .
Ici, il faut prendre garde à l’hérésie des Manichéens pour qui il existe une certaine nature du mal, et une nation de ténèbres avec ses princes, de laquelle toutes les réalités corruptibles et matérielles tirent leur origine; et selon cette hérésie, on dit que tous les hommes procèdent du diable selon la chair Les Manichéens affirmaient en outre que certaines âmes appartiennent à la bonne création, et d’autres à la mauvaise. De là vient qu’ils comprennent ainsi cette phrase du Seigneur : VOUS, VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, parce que vous procédez de lui selon la chair, et vos âmes sont de la création mauvaise.
Mais, comme le dit Origène le fait d’introduire deux natures à cause de la différence du bien et du mal semble identique au fait de dire que autre est la substance de l’œil qui voit, autre celle de l’œil qui ne voit pas ou qui louche. Or, de même qu’un œil sain et un œil chassieux ne diffèrent pas selon la substance, mais du fait d’une certaine cause déficiente qui touche l’œil malade et le fait se voiler, ainsi la substance ou la nature d’une réalité est la même, que celle-ci soit bonne ou qu’elle ait en elle un manque, à savoir le péché de la volonté. Les Juifs, en tant qu’ils sont mauvais, ne sont donc pas dits fils du diable par nature, mais par imitation.
1241. Le Seigneur en donne ici la raison cela revient à dire : vous n’êtes pas fils du diable en tant que créés et amenés à l’être par lui, mais parce que, l’imitant, VOUS VOULEZ ACCOMPLIR LES DESIRS DE VOTRE PERE, qui assurément sont mauvais; car, comme lui-même a jalousé l’homme et l’a tué — C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde ainsi vous aussi, me jalousant, vous cherchez à me tuer, moi un homme qui vous ai dit la vérité
1242. Le Seigneur explique ensuite la raison qu’il a donnée; il expose d’abord quelle est la condition du diable, puis montre qu’ils en sont les imitateurs .
En ce qui concerne le diable, il faut savoir qu’il y a chez lui un double péché poussé à l’extrême : le péché d’orgueil par rapport à Dieu, et de jalousie par rapport à l’homme, qu’il tue. Mais c’est par son péché de jalousie envers l’homme, cause du mal qu’il fait à l’homme, que nous con naissons son péché d’orgueil.
C’est pourquoi le Christ montre d’abord le péché du démon contre l’homme , puis son péché contre Dieu
1243. Or le péché de jalousie dudémon envers l’homme fait qu’il le tue; c’est pour cela que le Christ dit : LUI, c’est-à-dire le diable, ETAIT HOMICIDE DES LE COMMENCEMENT.
Il faut savoir ici que ce n’est pas armé d’une épée que le diable tue l’homme, mais par une persuasion mauvaise — C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde D’abord est entrée la mort du péché — La mort des pécheurs est très mauvaise ensuite est entrée la mort corporelle — Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché, la mort Et comme le dit Augustin "ne pense pas que tu n’es pas homicide, quand tu pousses ton frère à faire le mal."
Mais il faut remarquer, selon Origène que l’on dit le diable homicide non seulement à cause d’un homicide en particulier, mais pour le genre humain tout entier, qu’il frappa en tant que tous meurent en Adam comme le dit l’Apôtre. C’est pourquoi il est dit HOMICIDE par antonomase et cela DES LE COMMENCENT, c’est-à-dire dès qu’il y eut un homme qui pouvait être tué, d’où la possibilité d’un homicide; car l’homme n’aurait pas pu être tué s’il n’avait pas d’abord été créé.
1244. Le Christ poursuit en exposant le péché du démon contre Dieu, qui consiste en ce qu’il s’est détourné de la vérité, qui est Dieu.
Il montre d’abord que le démon s’est détourné de la vérité , et il l’explicite , puis il montre qu’il est hostile à la vérité .
1245. Il faut savoir que la vérité est double : il y a la vérité de la voix, de la parole, et celle de l’œuvre.
La vérité de la voix, de la parole, est celle par laquelle quelqu’un exprime des lèvres ce qu’il porte dans son cœur et ce qui est dans la nature des choses — Laissant tomber tout mensonge, que chacun dise la vérité à son prochain — Celui qui dit la vérité à son prochain et n’a pas de mensonge dans la bouche...
Il y a vérité de l’œuvre, vérité de la justice, quand quel qu’un accomplit ce qui convient à l’ordre de sa nature; c’est la vérité dont L’Evangéliste dit plus haut : Celui qui fait la vérité vient à la lumière Le Seigneur, en parlant de cette vérité, dit donc : ET DANS LA VERITE, c’est-à-dire celle de la justice, IL NE S’EST PAS TENU, parce qu’il s’est séparé de l’ordre de sa nature, qui était d’être soumis à Dieu et d’atteindre par lui sa béatitude et l’achèvement de son désir naturel. C’est pourquoi, ayant voulu l’atteindre par lui-même, il déchut de la vérité.
1246. Mais on peut comprendre cette parole — IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE — de deux manières : ou bien qu’il ne se serait jamais tenu dans la vérité, ou bien qu’il se serait tenu dans la vérité et qu’il n’y est pas demeuré.
Mais s’il n’a jamais été dans la vérité de la justice, cela peut avoir un double sens.
Les Manichéens disent que le diable est naturellement mauvais; par conséquent, il aurait toujours été mauvais, car ce qui appartient naturellement à quelqu’un lui appartient toujours. Mais cette interprétation est hérétique, parce qu’il est dit dans le psaume que Dieu fit le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment Donc, tout ce qui est, est de Dieu or tout ce qui est de Dieu, en tant qu’il est, est bon. C’est pour quoi toute nature créée, même dans les démons, est bonne.
C’est pourquoi d’autres ont dit que le démon, créé par Dieu, est bon par nature, mais qu’il est devenu mauvais dès le premier instant par son libre arbitre. Ceux-ci diffèrent des Manichéens, parce que ces derniers disent que les démons ont toujours été mauvais, et par nature; tandis que ceux-là disent qu’ils ont toujours été mauvais, mais par libre arbitre.
Cependant, il pourrait sembler à certains — l’ange n’étant pas mauvais par nature, mais par un péché de sa volonté propre, et le péché étant un certain acte — que l’ange ait été bon au commencement de son acte, mais qu’au terme de l’acte mauvais, il serait devenu mauvais. Mais il est manifeste que l’acte du péché dans le démon est postérieur à sa création; or le terme de la création, c’est l’être même de l’ange, et le terme de l’opération du péché est que l’ange est mauvais. C’est pourquoi ils tiennent pour impossible que l’ange ait été mauvais dans le premier instant où il a commencé d’exister.
Ce raisonnement ne semble pas suffisant, car il vaut seulement pour des mouvements temporels qui se déroulent successivement, et non pour des mouvements instantanés. En effet, dans les mouvements selon le temps, autre est l’instant où commence l’action, autre celui où elle se ter mine; par exemple, si un mouvement local succède à une altération, le mouvement local et l’altération ne peuvent se terminer au même instant Mais dans les mutations instantanées, le terme de la première et de la seconde peut exister simultanément et au même instant; comme dans le même instant où la lune est illuminée par le soleil, l’air est illuminé par la lune. Or il est manifeste que la création est instantanée, et pareillement le mouvement du libre arbitre chez l’ange, puisqu’il n’a pas besoin de la comparaison et du discours de la raison. C’est pourquoi rien n’empêche qu’existent simultanément et au même instant le terme de la création, où il est bon, et le terme du libre arbitre, où il est mauvais.
Certains le concèdent; mais ils disent que même s’il avait pu en être ainsi, il n’en a pas été ainsi; ils invoquent pour cela l’autorité de l’Ecriture, car il est dit dans Isaïe, au sujet du diable sous la figure du prince de Babylone : Comment es-tu tombé, porteur de la lumière, toi qui brillais au matin? Et dans Ezéchiel il est dit du diable sous la figure du roi de Tyr : Tu fus dans les délices du paradis de Dieu Et c’est pourquoi ils disent qu’il ne fut pas mauvais au premier instant de sa création, mais qu’il fut bon un moment et tomba par son libre arbitre.
Il faut dire, en fait, que le démon n’a pas pu être mauvais au premier instant de sa création. La raison en est qu’aucun acte n’est formellement péché, si ce n’est en tant qu’il va contre la nature de l’agent volontaire. Dans n’importe quel ordre d’actes, le premier est l’acte selon la nature; ainsi, dans la connaissance, on saisit d’abord les premiers principes, et par eux les autres; et pareillement, dans l’acte de la volonté, nous voulons d’abord l’ultime perfection et la fin ultime, vers lesquelles nous tendons par un appétit naturel, et c’est à cause d’elles que nous désirons les autres fins. Or ce qui est conforme à la nature n’est pas un péché. Il est donc impossible que le premier acte du diable ait été mauvais. Le diable fut donc bon dans un certain instant; mais IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE, c’est-à-dire : il n’y est pas demeuré.
Saint Jean dit dans sa première épître : Le diable pèche depuis le commencement; certes, il pèche depuis le commencement , c’est-à-dire depuis l’instant où il a commencé à pécher; parce que, à partir du moment où il commença à pécher, il ne cessa plus jamais.
1247. Jésus explicite ici ce qu’il a dit. Cette explicitation peut se comprendre de deux manières
D’une première manière, selon Origène , elle peut être comprise comme étant l’explicitation du genre par l’espèce, comme si je voulais manifester que Socrate est un animal par le fait qu’il est un homme. Et donc, c’est comme s’il disait : IL NE S'EST PAS TENUDANSLA VERITE, mais il est tombé; et ceci, PARCE QUE LA VERITE N’EST PAS EN LUI – Or quand on n’est pas dans la vérité, cela peut être à deux degrés différents. En effet, certains ne se tiennent pas dans la vérité parce qu’ils ne sont pas assurés en elle, mais ils doutent — Or moi, pour un peu mes pieds déviaient, pour un rien mes pas glissaient D’autres, parce qu’ils se dérobent entièrement à la vérité. Et c’est de cette manière que le diable ne s’est pas tenu dans la vérité; LA VERITE N'EST PAS EN LUI signifie donc qu’il s’est dérobé à elle et s’en est éloigné par aversion.
Mais n’y a-t-il aucune vérité en lui? S’il en était ainsi, il ne se comprendrait pas lui-même, ni ne comprendrait aucune autre réalité, puisque l’intelligence des choses n’existe pas en dehors des réalités vraies. Or cela ne con vient pas.
Il faut donc dire qu’il y a une certaine vérité dans les démons, comme il y a une certaine nature. Car aucun mal ne corrompt totalement le bien, puisque le sujet dans lequel se trouve le mal, lui au moins est bon. Ainsi donc, il y a une certaine vérité dans les démons, mais non la vérité plénière, de laquelle ils se sont détournés, c’est-à-dire Dieu, qui est la vérité et la sagesse plénières.
1248. La seconde manière de comprendre cette explicitation est de la comprendre comme un signe, selon ce que dit Augustin . Il semble en effet qu’on aurait dû dire plutôt le contraire, à savoir que LA VERITE N’EST PAS EN LUI parce qu'IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE. Mais comme la cause est parfois manifestée par l’effet, ainsi le Seigneur a voulu montrer qu’IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE par le fait que LA VERITE N’EST PAS EN LUI, car elle eût été en lui s’il s’était tenu dans la vérité. On trouve une manière identique de parler dans un psaume : Moi j’ai crié vers toi car tu m’as exaucé Selon cette parole, du fait qu’il a été exaucé, il apparaît qu’il a crié.
1249. Le Christ montre ici que le diable est hostile à la vérité; il expose son propos , avant de l’expliciter .
1250. A la vérité s’opposent fausseté et mensonge; et le diable s’oppose à la vérité parce qu’il profère le mensonge. Voilà pourquoi le Christ dit QUAND IL PROFERE LE MENSONGE, IL LE PROFERE DE SON PROPRE FONDS.
Ici, il faut savoir que quiconque parle de lui-même, hormis Dieu, profère le mensonge; mais quiconque dit un mensonge ne le dit pas forcément de lui-même. Seul Dieu, en parlant de son propre fonds, dit la vérité; car la vérité, c’est l’illumination de l’intelligence; or Dieu est la lumière elle-même, et tous sont illuminés par lui — II était la lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde . C’est pourquoi, d’une part il est la vérité elle-même, d’autre part les autres ne disent la vérité que dans la mesure où ils sont illuminés par lui. Aussi, comme le dit Ambroise : "Tout vrai, quel que soit celui qui le dit, est de l’Esprit Saint" Ainsi donc le diable, quand il parle de son propre fonds, profère le mensonge; l’homme aussi, quand il parle de son propre fonds, profère le mensonge. Mais quand ce qu’il dit vient de Dieu, alors il dit la vérité; c’est pourquoi il est dit : Dieu est véridique, et tout homme, livré à lui-même, est menteur Mais tout homme qui profère le mensonge ne parle pas forcement de son propre fonds, parce qu’il le reçoit parfois d’un autre : certes pas de Dieu, qui est véridique, mais de celui qui NE S'EST PAS TENU DANS LA VERITE, et qui le premier a inventé le mensonge Et c’est pourquoi celui-là, d’une manière unique, QUAND IL PROFERE LE MENSONGE, IL LE PROFERE DE SON PROPRE FONDS — Je sortirai, et je serai l’esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes — Le Seigneur a répandu, c’est-à-dire a permis que soit répandu, un esprit d’erreur
1251. En disant cela, le Christ explicite son propos. Comprenant mal cette parole, les Manichéens supposaient qu’il y a des générations de démons, et pensaient que le diable a un père. C’est pourquoi ils disaient que le diable EST MENTEUR, ET SON PERE AUSSIc’est-à-dire le père du diable. Il ne faut certes pas comprendre ainsi la parole du Christ. Car le Seigneur a dit que le diable est menteur, et son père, c’est-à-dire père du mensonge; ce n’est pas que tout homme qui ment soit père de son mensonge, car, comme le dit Augustin : "Si tu as reçu un mensonge d’un autre, et que tu l’as dit, tu as menti certes, mais tu n’es pas le père du mensonge" Mais le diable, parce qu’il n’a pas reçu le mensonge d’ailleurs, mensonge par lequel il tuerait l’homme comme par un poison, est le père du mensonge, comme Dieu est le père de la vérité. Car le diable a inventé le mensonge dès le commencement, c’est-à-dire quand il a menti à la femme : Pas du tout, vous ne mourrez pas A quel degré cela est-il vrai, l’événement l’a prouvé par la suite, quand il a réussi à séduire la femme, ainsi qu’on le lit dans le même passage.
1252. Il faut savoir que ces paroles : VOUS, VOUS ÊTES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, sont exposées au sujet de Caïn dans le livre des Questions sur le Nouveau et l’Ancien Testament de la manière suivante : selon qu’est appelé diable celui qui fait les œuvres du diable, on doit lire : VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, c’est-à-dire de Caïn qui a fait les œuvres du diable, et vous l’imitez. Caïn ETAIT HOMICIDE DES LE COMMENCEMENT, c’est-à-dire depuis qu’il a tué son frère Abel. ET IL NE S’EST PAS TENU DANS LA VERITE, PARCE QUE LA VERITE N’EST PAS EN LUI – cela est manifeste, parce que quand le Seigneur lui demandait : Où est Abel ton frère? Il répondit en disant : Je ne sais tas, Seigneur; suis-je le gardien de mon frère? C’est pour quoi lui-même EST MENTEUR ET PERE DU MENSONGE, c’est-à-dire, il est diable, parce qu’il imite le diable, qui est son père.
Cependant, la première explication est meilleure.
1253. Après avoir exposé quelle est la condition du diable, le Seigneur montre que les Juifs en sont les imitateurs .
Or le Seigneur a attribué au diable deux conditions dans sa malice : l’homicide et le mensonge . Plus haut, il a réprimandé les Juifs à propos de l’homicide, qui leur faisait imiter le diable — Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu C’est pourquoi, laissant cela de côté, il leur reproche ici leur aversion pour la vérité.
En premier lieu, il montre qu’ils sont hostiles à la vérité ; puis il exclut la raison qu’ils auraient pu alléguer ; enfin, il conclut à la véritable cause de leur aversion .
1254. Il commence donc par dire : le diable est MENTEUR, ET PERE DU MENSONGE; et certes, vous l’imitez, parce que vous ne voulez pas vous attacher à la vérité : MAIS MOI, SI JE VOUS DIS LA VERITE, VOUS NE ME CROYEZ PAS — Si je vous le dis, vous ne me croirez pas .
Autrement dit, Moi je suis la vérité et le Fils de celui qui est véridique : JE VOUS DIS LA VERITE. Mais vous qui êtes les fils du diable menteur, vous êtes hostiles à la vérité, ET VOUS NE ME CROYEZ PAS — Si je vous dis les choses du ciel, comment croirez-vous? — C’est pourquoi IsaÏe se plaint vivement en disant : Seigneur, qui a cru à nos paroles?
1255. La cause que les Juifs pouvaient alléguer pour justifier leur manque de foi (infidelitas) est le fait que le Christ serait pécheur; car on ne croit pas facilement un pécheur, même s’il est dans la vérité. C’est pourquoi il est dit : Dieu a dit au pécheur : Pourquoi récites-tu mes jugements? Les Juifs pouvaient donc dire : nous ne te croyons pas parce que tu es pécheur.
C’est pourquoi le Christ exclut cette raison en disant : QUI D'ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE? Autrement dit : vous n’avez aucune juste raison pour ne pas croire que je dis la vérité, puisqu’on ne pourrait trouver en moi aucun péché — Lui qui n’a pas commis de faute; et on n’a pas trouvé de mensonge en sa bouche .
Selon Grégoire , il faut apprécier ici la mansuétude de Dieu, qui ne refuse pas de démontrer par la raison qu’il n’est pas pécheur, lui qui pouvait justifier les pécheurs par la puissance de sa divinité — Si j’ai dédaigné d’entrer en jugement avec mon esclave et ma servante quand ils se prononçaient contre moi...
Il faut aussi admirer l’excellence de la pureté unique du Christ, parce que, comme le dit Chrysostome’ aucun homme n’a pu dire avec une telle assurance : QUI D’ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE? sinon notre Dieu, qui n’a pas commis de péché — Qui peut dire : mon cœur est pur, je suis pur de tout péché? autrement dit : personne, sinon Dieu seul - Tous ils se sont égarés, tous ensemble pervertis : il n'en est pas un qui fasse le bien, honnis un seul c’est-à-dire le Christ.
1256. Il conclut ici à la véritable cause de leur aversion. Il commence par l’exposer, avant de repousser l’opposition des Juifs .
En exposant la cause de leur aversion, il pose une question ; puis il établit un raisonnement ; enfin, il apporte la conclusion à laquelle il voulait parvenir .
1257. Il commence donc par dire : puisque vous ne pouvez pas prétendre que c’est à cause de mon péché que vous ne me croyez pas, il reste maintenant à chercher
POURQUOI, SIJE VOUS DIS LA VERITE, VOUS NE ME CROYEZ PAS, étant donné que je ne suis pas pécheur. Autrement dit : si moi, que vous avez en haine, vous ne pouvez me convaincre de péché, il est manifeste que c’est à cause de la vérité que vous me haïssez, c’est-à-dire parce que je dis que je suis le Fils de Dieu — L'insensé ne reçoit pas les paroles de sagesse
1258. Le Christ établit un raisonnement vrai, en disant : CELUI QUI EST DE DIEU ÉCOUTE LES PAROLES DE DIEU; car, comme il est dit, tout vivant aime son semblable donc, quiconque provient de Dieu est, en tant que tel, à la ressemblance de tout ce qui est de Dieu, et y inhère C’est pourquoi CELUI QUI EST DE DIEU ECOUTE volontiers LES PAROLES DE DIEU — Tout homme qui est de la vérité écoute mes paroles La parole de Dieu doit être écoutée avec amour avant tout par ceux qui sont de Dieu, puisqu’elle est la semence par laquelle nous sommes engendrés fils de Dieu — Elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée
1259. C’est pourquoi il arrive à la conclusion à laquelle il voulait parvenir : SI VOUS N’ECOUTEZ PAS, C'EST QUE VOUS N’ETES PAS DE DIEU; autrement dit : ce n’est donc pas mon péché qui est cause de votre incrédulité, mais votre méchanceté — Que la sagesse est amère aux hommes ignorants ! Car, comme le dit Augustin : "Quand il dit : VOUS N’ETES PAS DE DIEU, ne considère pas la nature, mais le vice; certes ils sont de Dieu selon la nature, mais ils ne sont pas de Dieu par le vice et leur amour dépravé (...). Cette parole a été adressée non seulement à ceux qui étaient cor rompus par le péché — car cela est commun à tous —, mais aussi à ceux dont il savait d’avance qu’ils ne croiraient pas, de cette foi qui pouvait les libérer du lien du péché
1260. Il faut noter qu’on peut avoir une volonté mauvaise à trois degrés différents, comme le dit Grégoire Certains en effet dédaignent de recevoir les commandements de Dieu, même par l’oreille de leur corps, c’est-à-dire par l’audition sensible; de ceux-là, il est dit : Comme la vipère sourde, et qui ferme ses oreilles . D’autres les reçoivent bien par l’oreille du corps, mais ils ne les embrassent d’aucun désir de l’esprit, n’ayant pas la volonté de les accomplir — Ils entendent mes paroles et ne les observent pas . D’autres enfin reçoivent de bon gré les paroles de Dieu, à tel point qu’ils en sont touchés jusqu’aux larmes; mais passé le temps des larmes, accablés de tribulations ou attirés vers les plaisirs, ils reviennent à l’iniquité; on en a l’exemple dans les Evangiles de Matthieu et Luc, à propos de la parole étouffée par les soucis — La maison d’Israël ne veut pas t’écouter parce qu’ils ne veulent pas m’écouter .
C’est donc le signe que l’homme est de Dieu, s’il écoute avec amour la parole de Dieu; mais ceux qui refusent de l’entendre, dans leur cœur ou leurs actes, ne viennent pas de Dieu.
1261. Le Christ repousse ensuite l’objection des Juifs; l’Evangéliste expose d’abord leur réplique , puis la réfutation du Seigneur .
1262. En répliquant au Christ, les Juifs le chargent de deux griefs. Ils lui disent d’abord qu’il est un Samaritain, puis qu’il a un démon.
Par cette parole, l’Évangéliste nous donne à entendre que les Juifs disaient souvent cela au Seigneur, comme un reproche. Certes, pour le second grief, nous lisons dans Matthieu : C’est par Béelzéboul, le prince des démons, qu’il chasse les démons . Mais qu’ils l’aient traité de Samaritain, on ne le trouve nulle part ailleurs dans les Evangiles, bien qu’ils l’aient sans doute dit plusieurs fois; car les Evangiles omettent de nous rapporter beaucoup de paroles et d’actes dont Jésus a été l’auteur ou l’objet, comme on le lit plus loin .
Les Juifs peuvent avoir dit cette parole au Christ pour deux raisons. L’une est que les Samaritains étaient une nation odieuse au peuple d’Israël du fait que lorsque les dix tribus avaient été emmenées en captivité, ils avaient pris possession de leurs terres — Les Juifs en effet n'ont pas de relations avec les Samaritains . Parce que donc le Christ attaquait les Juifs, ceux-ci croyaient qu’il le faisait par haine, et c’est pourquoi ils le considéraient comme un Samaritain, presque comme un ennemi.
Une autre raison est que les Samaritains n’observaient qu’en partie les rites judaïques. Les Juifs, voyant donc le Christ observer la Loi sur tel point et s’en détacher sur tel autre, par exemple le sabbat, le traitaient de Samaritain
De même, ils disaient qu’il avait un démon pour une double raison . L’une est qu’ils n’attribuaient pas à une puissance divine les miracles qu’il opérait et le fait qu’il révélait leurs pensées, mais le soupçonnaient de les accomplir par l’art et la puissance des démons. C’est pourquoi ils disaient : C’est par Béelzéboul, le prince des démons, qu’il chasse les démons .
Il y a encore une autre raison : les paroles du Christ transcendaient la capacité humaine lorsqu’il disait, par exemple, que Dieu était son Père ou qu’il était descendu du ciel Or c’est une habitude des gens grossiers, quand ils entendent de telles choses, de les compter comme diaboliques; ainsi, ceux-là croyaient que le Christ parlait comme possédé d’un démon — Beaucoup disaient : il a un démon et il délire, pourquoi l’écoutez-vous? D'autres disaient : ces paroles ne sont pas celles d’un homme ayant un démon
Les Juifs disent donc ces paroles pour l’accuser de péché, s’opposant à ce que lui-même avait dit : QUI D’ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE?
1263. Le Seigneur réfute ici la réplique des Juifs. Ils avaient accusé le Christ de deux choses : d’être un Samaritain, et d’avoir un démon. Il est vrai que le Seigneur ne se disculpe pas à propos de la première accusation, et cela pour une double raison.
Selon Origène , c’est parce que les Juifs voulaient toujours se séparer des Gentils (Gentilibus); mais déjà venait le temps où la distinction entre juifs et Gentils devait être abolie, le temps de les appeler tous à la voie du salut. Et le Seigneur, afin de montrer qu’il était venu pour le salut de tous, bien plus encore que Paul, s’est fait tout à tous pour les sauver tous et c’est pourquoi il n’a pas nié être un Samaritain.
L’autre raison, c’est que "Samaritain" signifie "gardien"; et comme lui-même est avant tout notre gardien, selon cette parole du psaume : Voici qu’une dormira pas ni ne sommeillera, celui qui garde Israël , il n’a pas nié être un Samaritain.
Mais il nie avoir un démon : MOI, JE N’AI PAS DE DEMON. D’abord, il rejette l’injure qu’on lui a faite , et met cela en lumière par une affirmation opposée ; puis il reprend l’effronterie de ceux qui l’injurient .
1264. Il faut noter que le Seigneur, en corrigeant les Juifs, leur a parlé souvent avec dureté; ainsi cette parole : Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites et beaucoup d’autres qu’on lit dans l’Evangile de Matthieu. Mais on ne voit pas dans l’Evangile que le Seigneur ait parlé injurieusement ou avec dureté aux Juifs qui lui parlaient avec dureté ou qui agissaient grossièrement contre lui; comme le dit Grégoire Dieu, en recevant ce qui l’atteint injustement, ne répond pas par des paroles outrageantes, mais dit simplement : MOI, JE N’AI PAS DE DEMON.
En cela, que nous est-il indiqué, si ce n’est qu’au temps où nous recevons à tort des injures de ceux qui nous sont les plus proches, nous devons même taire leurs mauvaises paroles, de peur que le service d’une juste correction ne dégénère en fureur. Il nous est aussi indiqué que nous devons défendre les choses qui touchent à Dieu, mais ne pas nous arrêter à celles qui nous touchent.
Mais cette parole, JE N’AI PAS DE DEMON, seul le Christ peut la prononcer, comme le dit Origène ; car il n’a en lui-même rien du démon, que ce soit grave ou non. C’est pourquoi il disait : Il vient le prince de ce monde, et il n’a rien en moi . — Quel rapport du Christ avec Bélial?
1265. Le Christ met ce qu’il a dit en lumière par une affirmation opposée, en disant : MAIS J’HONORE MON PERE. Car le diable tient tête en refusant d’honorer Dieu. Qui donc cherche à honorer Dieu est étranger au diable. Donc le Christ, qui honore son Père, c’est-à-dire Dieu, n’a pas de démon. Et le propre du Christ, et de lui seul, est d’honorer le Père, parce que le fils honore le père comme il est dit dans Malachie. Or le Christ est d’une manière unique Fils de Dieu.
1266. Le Christ reprend ici l’insolence de ceux qui l’injurient; il commence par reprendre ceux qui l’injurient ; puis il nie la cause qu’ils pourraient invoquer pour lui faire des reproches ; enfin, il leur annonce la condamnation qui leur est réservée .
1267. Il dit donc d’abord : moi J’HONORE MON PÈRE, ET VOUS, VOUS ME DESHONOREZ. Autrement dit : moi, je fais ce que je dois faire; vous, vous ne faites pas ce que vous devez faire; bien au contraire, en ce que vous me déshonorez, vous déshonorez mon Père — Qui n’honore pas le Fils, n’honore pas le Père qui l’a envoyé .
1268. Mais ils pourraient dire : Tu es trop dur; tu te soucies trop de ta gloire, et ainsi, tu nous fais des reproches.
C’est pourquoi le Christ, parlant en tant qu’homme, ajoute, pour rejeter cela : OR MOI, JE NE CHERCHE PAS MA GLOIRE. Car Dieu est le seul qui puisse chercher sa gloire sans commettre de faute; les autres ne le peuvent pas, si ce n’est en Dieu — Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur . — Si moi je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien .
Mais le Christ en tant qu’homme n’a-t-il pas de gloire? Bien au contraire, une grande gloire de toutes manières; car bien que lui-même ne la cherche pas, IL EN EST UN cependant QUI LA CHERCHE, c’est-à-dire le Père. Car il est dit : Tu l’as couronné, le Christ homme, de gloire et d’honneur et ailleurs : Tu le revêts de gloire et de splendeur .
1269. Et non seulement il cherchera ma gloire dans ceux qui mettent en œuvre les causes de vertu qui sont greffées en eux mais il punira et condamnera ceux qui s’opposent à ma gloire; c’est pourquoi le Christ ajoute : ET QUI JUGE.
A cela on objectera ce qui est dit plus haut : Le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils Je réponds : le Père ne juge personne indépendamment du Fils, parce que même le jugement qu’il rendra du fait que vous m’avez injurié, il le rendra par le Fils. Ou bien il faut dire que le mot "jugement" est parfois pris au sens de condamnation : et ce jugement-là, le Père l’a donné au Fils, parce que lui seul apparaîtra sous une forme visible au jugement, comme on l’a dit plus haut ; Mais parfois le mot est pris au sens de discernement, et c’est de cela qu’on parle ici. C’est pourquoi aussi il est dit : Juge-moi, ô Dieu, et discerne ma cause autrement dit : c’est le Père qui discerne ma gloire de la vôtre, car il discerne votre gloire, qui est pour le monde, de celle de son Fils, qu’il a oint au-dessus de ses semblables lui qui est sans péché, alors que vous, vous êtes des hommes marqués par le péché.