Jean 7, 24

Ne jugez pas d’après l’apparence, mais jugez selon la justice. »

Ne jugez pas d’après l’apparence, mais jugez selon la justice. »
Louis-Claude Fillion
Simple appel au bon sens des Juifs, pour mettre fin à toute cette discussion. - Juger selon l’apparence, c'est juger d'après ce qui apparaît au premier regard, par conséquent avec partialité. Envisagé d'une manière superficielle, l'acte de Jésus pouvait passer pour une violation du sabbat, surtout aux yeux d'hommes imbus de si grands préjugés ; mais le divin Maître demande précisément que l'on veuille bien le juger d'après une autre norme : jugez selon la justice. Le grec a l'article « le juste jugement » ; il n'y en a en effet qu'un seul de cette sorte. Cf. Tob. 3, 2; Zach. 7, 5. Les jugements basés sur les seules apparences sont si fréquemment iniques et erronés!
Saint Thomas d'Aquin
1036. Après qu’aient été montrés le lieu et les occasions où a été manifestée l’origine de l’enseignement spirituel, le Christ montre ici l’origine de son enseignement, avant d’in viter à le recevoir .

A. L’ORIGINE DIVINE DE L’ENSEIGNEMENT DU CHRIST

Il montre d’abord que son enseignement spirituel tire son origine de Dieu. Pour cela, il montre l’origine de l’enseignement , et il en donne une preuve ; ensuite il repousse une objection . Et plus loin, il montrera l’origine de celui qui enseigne .

1037. JÉSUS LEUR RÉPONDIT, ET DIT; cela veut dire : vous vous demandez avec admiration d’où je tiens la science; mais moi je vous dis que MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN

S’il avait dit : "L’enseignement que je donne n’est pas le mien", aucune question n’aurait surgi; mais qu’il dise MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN, cela semble impliquer une contradiction. Le problème est résolu par le fait qu’on peut dire cela de multiples manières. D’une certaine façon on peut dire que son enseignement est le sien, et d’une autre qu’il ne l’est pas.

Si on comprend cela du Christ Fils de Dieu : l’enseignement de quelqu’un n’est rien d’autre que son verbe (verbum); or le Fils de Dieu, c’est son Verbe; il s’ensuit donc que l’enseignement du Père, c’est le Fils lui-même. Or ce Verbe est de soi-même par identité de substance — qu’y a-t-il en effet de plus tien que toi-même? Mais il n’est pas sien du point de vue de l’origine — qu’y a-t-il de moins tien que toi si ce que tu es, tu l’es d’un autre? comme le dit Augustin Il semble donc avoir dit cela brièvement : MON ENSEIGNEMENT N’EST PAS LE MIEN, comme s’il avait dit : Moi, je ne suis pas de moi-même. En cela, l’hérésie de Sabellius est confondue, lui qui a osé dire que c’est le Fils lui-même qui est Père.

On peut encore comprendre cette parole ainsi : MON ENSEIGNEMENT, que moi je prononce par une parole créée, N'EST PAS LE MIEN, MAIS IL EST DE CELUI QUI M’A ENVOYE, du Père; c’est-à-dire : il n’est pas à moi à par tir de moi-même, mais à partir du Père, parce que le Fils possède même la connaissance à partir du Père, par la génération éternelle — Tout m’a été transmis par mon Père

Mais si cette parole est comprise du Christ fils de l’homme, alors, il dit MON ENSEIGNEMENT, que moi je possède par mon âme créée et queje profère par la bouche de mon corps, N’EST PAS LE MIEN, c’est-à-dire n’est pas mien de moi-même, mais est de Dieu, "parce que toute vérité, quel que soit celui qui la dit, est de l’Esprit Saint ".

Ainsi donc, selon Augustin, en un sens il a dit que son enseignement est le sien, en un autre qu’il n’est pas le sien : le sien selon sa forme de Dieu, pas le sien selon sa forme d’esclave En cela, nous avons un exemple : il nous faut reconnaître en rendant grâces que toute notre connaissance vient de Dieu — Qu’as-tu que tu n'aies reçu? Et situ as tout reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu?

1038. Ensuite, le Christ prouve que son enseignement est de Dieu; il le fait de deux façons. D’abord en se référant au jugement de ceux qui voient juste ; puis par sa propre intention .

1039. Pour déterminer si quelqu’un exerce bien un art, on doit le discerner par le jugement de celui qui est expert en cet art; ainsi, pour savoir si quelqu’un parle bien français, on doit l’établir par le jugement de celui qui est rompu à l’usage de cette langue. C’est donc selon ce principe que le Seigneur dit : si mon enseignement est de Dieu, oi doit le déterminer par le jugement de celui qui est expert dans les choses divines; un tel homme en effet peut en juger — L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu; c’est folie pour lui et il ne peut le comprendre, parce que c’est spirituellement qu'on en juge. Mais l’homme spirituel juge toutes choses Pour cela il dit : vous êtes étrangers à Dieu, et c’est pourquoi vous ne savez pas, DE CET ENSEIGNEMENT, S’IL EST DE DIEU Mais SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA VOLONTE, c’est-à-dire celle de Dieu, celui-là pourra connaître si cet enseignement vient de Dieu OU SI MOI JE PARLE DE MOI-MEME. Et certes, il parle de lui-même celui qui dit le faux, parce que, comme on le lit plus loin : Quand il dit le mensonge, il le dit de son propre fonds

Selon Chrysostome, on peut interpréter autrement ce passage. En effet, la volonté de Dieu est notre paix, notre charité et notre humilité; c’est pourquoi il est dit : Bienheureux les pacifiques? car ils seront appelés fils de Dieu . Or le goût passionné de la contention pervertit souvent l’esprit de l’homme, dans la mesure où il estime vrai ce qui est faux. C’est pourquoi, ayant laissé de côté l’esprit de contention, on possède plus justement la certitude de la vérité — Répondez, je vous en prie, sans aucune contention, et jugez en disant ce qui est juste . C’est pourquoi le Seigneur dit : si quelqu’un veut juger avec droiture de mon enseignement, qu’il fasse la volonté de Dieu; c’est-à-dire, qu’il laisse de côté la colère, l’envie et la haine qu’il a envers moi sans raison. Et il n’y a rien qui l’empêche de connaître S’IL EST DE DIEU OUSIJE PARLE DE MOI-MEME, puisque ce sont les paroles de Dieu que je prononce .

Ou bien encore, selon Augustin, la volonté de Dieu est que nous fassions ses œuvres, comme la volonté du père de famille est que les ouvriers fassent son œuvre. Or l’œuvre de Dieu, c’est que nous croyions en celui que lui-même a envoyé — Telle est l’œuvre de Dieu que vous croyiez en celui qu'il a envoyé C’est pourquoi il dit SI QUELQU’UN VEUT FAIRE SA VOLONTE, celle de Dieu, c’est-à-dire croire en moi, celui-là CONNAITRA, DE CET ENSEIGNEMENT, S’IL EST DE DIEU Une version d’Isaie dit : Si vous n’avez pas cru, vous ne comprendrez pas .

1040. Ici, le Christ prouve que son enseignement est de Dieu par sa propre intention. Et il expose deux intentions, qui font comprendre deux origines.

Il a été dit que certains parlent d’eux-mêmes, mais que d’autres ne le font pas. Or, ne parle pas de lui-même quiconque s’attache à dire la vérité. Toute connaissance de la vérité vient d’un autre : par mode d’enseignement, à partir du maître; ou par mode de révélation, à partir de Dieu; ou par mode de découverte, à partir des réalités existantes elles-mêmes, parce que, comme il est dit, les réalités invisibles de Dieu (...) se laissent voir à l’intelligence par le moyen des réalités qui ont été faites Par conséquent, quel que soit le mode par lequel on possède une connaissance, l’homme ne la tient pas de, lui-même.

Mais il parle de lui-même, celui qui ne reçoit ce qu’il dit ni des réalités existantes, ni d’une révélation, ni d’un enseignement humain, mais de son propre cœur — ils disent la vision de leur cœur — Malheur aux prophètes insensés qui prophétisent de leur propre cœur Ainsi donc, élaborer quelque chose de soi-même est en vue de la gloire humaine, parce que, comme le dit Chrysostome celui qui veut enseigner sa propre doctrine ne veut rien d’autre qu’acquérir la gloire. Et c’est ce que le Seigneur dit, prouvant que son enseignement est de Dieu. CELUI QUI PARLE DE LUI-MEME, alors qu’il s’agit de la connaissance certaine de la vérité qui vient d’un autre, celui-là CHERCHE SA GLOIRE PROPRE, à cause de laquelle — et à cause aussi de l’orgueil — s’introduisent des hérésies et des opinions erronées. Et cela se rapporte à l'Antichrist, celui qui s’oppose et se dresse contre tout ce qui est appelé Dieu ou qui est objet de culte, de telle sorte qu’il siège dans le Temple de Dieu, se présentant lui-même comme Dieu .

Mais CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE CELUI QUI L'A ENVOYE, comme moi je la recherche — Moi je ne cherche pas ma gloire CELUI-LA EST VERIDIQUE, ET D’INJUSTIGE, IL N’EN EST PAS EN LUI – Autrement dit : je suis véridique, parce que mon enseignement a même mesure que la vérité; d’injustice, il n’en est pas en moi, parce que je n’usurpe pas la gloire d’un autre. Et comme le dit Augustin, "il nous a donné un grand exemple d’humilité (...) quand, ayant été estimé comme un homme il cherche la gloire du Père et non la sienne, ce que toi, homme, tu dois faire. Quand tu fais quelque chose de bien, tu cherches ta propre gloire; et quand tu fais quelque chose de mal, tu médites je ne sais quelle calomnie envers Dieu" Or il est manifeste qu’il ne cherchait pas sa gloire, parce que s’il avait flatté les princes des prêtres, ils ne l’auraient pas persécuté.

Ainsi donc le Christ, et quiconque cherche la gloire de Dieu, possède bien une connaissance dans son intelligence — Maître, nous savons que tu es vrai et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité, et que tu ne te soucies de l’opinion de qui que ce soit et c’est pourquoi il dit CELUI-LA EST VERJDIQUE, ayant une intention droite dans son cœur, ET D'INJUSTICE, IL N’EN EST PAS EN LUI – L’injustice en effet consiste en ce que l’homme usurpe quelque chose qui ne lui appartient pas; or la gloire est propre à Dieu seul : donc, celui qui cherche la gloire pour lui-même est injuste.

1041. Le Seigneur repousse ici une objection. En effet, quelqu’un aurait pu dire au Christ que son enseignement n’était pas de Dieu parce qu’il violait le sabbat — Ce n’est pas un homme qui vient de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat Et il a l’intention de réfuter cela : c’est pourquoi il fait trois choses. D’abord il se justifie en attaquant ses accusateurs ; puis l’Evangéliste nous expose leur réponse inique ; enfin, le Christ se justifie par un raisonnement .

1042. Il dit donc : à supposer, comme vous vous le dites, que mon enseignement ne soit pas de Dieu parce qu’en violant le sabbat je n’observe pas la Loi, vous n’avez cependant aucune qualité pour m’accuser, puisque vous êtes dans le même délit. C’est pourquoi il dit : MOISENE VOUS A-T-IL PAS DONNE LA LOI, à vous, c’est-à-dire à votre peuple? Et cependant, PERSONNE D’ENTRE VOUS N’ACCOMPLIT, c’est-à-dire n’observe, LA LOI — Vous avez reçu la Loi par le ministère des anges, et vous ne l'avez pas gardée C’est pourquoi Pierre disait aussi : C’est un fardeau que ni nous ni nos pères n’ont pu porter Si donc vous, vous n’observez pas la Loi, pourquoi voulez-vous me tuer parce que je l’ai transgressée? Ce n’est pas pour cela que vous le faites, mais par haine; autrement, si vous le faisiez par zèle pour la Loi, vous-mêmes l’observeriez — Cernons le juste puisqu'il nous est inutile, qu'il s'oppose à nos œuvres et nous reproche nos péchés contre la Loi et plus loin : Condamnons-le à la mort la plus infâme .

Ou bien il faut dire que vous n’observez pas la Loi que Moïse vous a donnée : cela est évident du fait que vous voulez me tuer, ce qui est contre la Loi : Tu ne tueras pas .

Ou bien encore, selon Augustin vous n’observez pas la Loi, parce que moi-même je suis contenu dans la Loi — Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez peut-être aussi en moi, car c’est de moi qu'il a écrit Mais vous voulez me tuer.

1043. L’Évangéliste expose ici la réponse inique de la foule. Cette foule en désordre donne une réponse qui ne relève pas de l’ordre, mais de l’agitation, comme le dit Augustin ; ces gens affirment en effet qu’il a un démon, lui qui expulsait les démons — Celui-là ne chasse les démons que par Béelzéboul, le chef des démons

1044. Après cela, le Seigneur, "paisible dans sa vérité" les confond en se justifiant par un raisonnement.

Il leur rappelle d’abord le fait pour lequel ils étaient troublés ; puis il leur montre qu’ils ne doivent pas être troublés ; enfin, il les incite à juger d’une manière juste .

1045. Il ne rend pas injure pour injure, et ne les rejette pas, parce que alors qu'il était maudit, il ne maudissait pas ; mais il leur rappelle l’œuvre de la guérison du paralytique, au sujet de laquelle tous avaient été dans l’étonnement, non pas un étonnement admiratif, celui dont parle Isaïe : Tu verras, tu seras radieuse, ton cœur s'étonnera et se dilatera , mais un étonnement troublé, celui dont parle le livre de la Sagesse : En le voyant, ils seront troublés d’une crainte horrible, et seront étonnés de l’apparition soudaine d'un salut auquel ils ne s'attendaient pas Si donc vous vous étonnez, c’est-à-dire que vous êtes agités et troublés, à cause d’une œuvre, si vous voyiez toutes mes œuvres, que feriez-vous? Car, comme le dit Augustin "ses œuvres, c’était ce qu’ils voyaient dans le monde" : il allait jusqu’à guérir tous les infirmes — lia envoyé sa parole (verbum) et il les a guéris — Ce n’est ni une herbe ni un onguent qui les a guéris; mais ta parole, Seigneur, guérit tout Ainsi donc, vous vous étonnez pour n’avoir vu qu’une œuvre, et non pas toutes.

1046. Le Seigneur les convainc ici de s’être troublés de manière injustifiée. Il rapporte d’abord le commandement qui leur a été donné par Moïse ; puis il montre leur œuvre ; enfin, il argumente à partir de l’un et de l’autre .

1047. Le commandement de Moïse est à propos de la circoncision; c’est pourquoi il dit POUR CELA, c’est-à-dire pour signifier mes œuvres, MOÏSE VOUS A DONNE LA CIRCONCISION Car la circoncision a été donnée comme un signe, ainsi qu’on le lit dans la Genèse : Cela sera pour vous le signe de l’alliance entre moi et vous Elle signifiait en effet le Christ; et c’est pourquoi elle a été opérée d’une manière significative dans le membre de la génération, parce que c’est d’Abraham que le Christ devait descendre selon la chair, lui qui réalise la circoncision spirituelle, c’est-à-dire celle de l’esprit et du corps. Ou bien elle est faite dans ce membre parce qu’elle a été donnée contre le péché originel .

Que Moïse ait donné la circoncision, l’Écriture ne le rapporte pas expressément, si ce n’est dans l’Exode : Tout esclave acheté sera circoncis . Mais si Moïse a donné la circoncision, ce n’est cependant pas comme étant chargé de l’instituer, parce qu’il n’est pas le premier à avoir reçu le commandement de la circoncision, mais c’est Abraham, comme le dit la Genèse .

1048. Quant aux Juifs, ils donnaient la circoncision le jour du sabbat; ET VOUS DONNEZ LA CIRCONCISION À UN HOMME LE JOUR DU SABBAT. Cela, parce qu’il a été commandé à Abraham de circoncire son fils le huitième jour — Il le circoncit le huitième jour, comme Dieu le lui avait prescrit Mais par Moïse, il leur avait été prescrit de ne faire aucune œuvre le jour du sabbat; or il arrivait parfois que le huitième jour après la naissance soit celui du sabbat; et ainsi, en donnant la circoncision à l’enfant ce jour-là, ils transgressaient les commandements de Moïse au nom de celui des Pères

1049. Le Seigneur en tire donc un argument : Notons ici que cet argument tire son efficacité de trois considérations dont deux sont explicites et la troisième sous-entendue.

En effet, nous voyons d’abord ceci : de fait, le commandement d’Abraham a existé le premier; cependant, le commandement de Moïse au sujet de l’observation du sabbat ne porte pas préjudice au premier, qui concerne la circoncision — Or je dis ceci : la loi qui a été donnée quatre cent trente ans après n’annule pas l’alliance conclue par Dieu, de manière à éliminer la promesse C’est pourquoi le Christ en tire argument : bien que dans les lois humaines les dernières aient force sur celles qui existaient auparavant, cependant, dans les lois divines, les premières sont d’une plus grande autorité. Voilà pourquoi le précepte de Moïse au sujet de l’observation du sabbat n’a pas force sur le précepte donné à Abraham au sujet de la circoncision. Il me concerne donc beaucoup moins, moi qui réalise ce qui a été disposé par Dieu avant la constitution du monde en ce qui regarde le salut des hommes figuré dans le sabbat.

La deuxième considération est que les Juifs avaient reçu le commandement de n’accomplir aucune œuvre pendant le sabbat : cependant, ils accomplissaient ce qui avait trait au salut particulier. Le Christ dit donc : si vous, à qui il a été commandé de ne rien accomplir pendant le sabbat, vous recevez ce jour-là la circoncision qui est un salut particulier — c’est pourquoi elle est réalisée dans un membre particulier —, et si vous faites cela POUR QUE NE SOIT PAS VIOLEE LA LOI DE MOISE — d’où il est évident que ce qui appartient au salut ne doit pas être omis le jour du sabbat combien plus l’homme doit-il donc faire en ce jour ce qui a trait au salut universel. Vous ne devez donc pas vous indigner contre moi, PARCE QUE J’AI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU SABBAT.

La troisième considération est que l’un et l’autre de ces commandements étaient des figures — Tout arrivait aux Juifs en figures Si donc une préfiguration, le commandement de l’observation du sabbat, ne fait pas autorité sur une autre préfiguration, à plus forte raison le commandement de la circoncision ne fait-il pas autorité sur la réalité elle-même. Car la circoncision signifiait le Seigneur lui-même, comme le dit Augustin . Et il dit UN HOMME TOUT ENTIER parce que, les œuvres de Dieu étant parfaites il a été guéri de telle sorte qu’il est devenu sain dans son corps, et il a cru de telle sorte qu’il est devenu sain dans son âme.

1050. Le Christ les ramène ici à une juste appréciation à son égard; qu’ils ne jugent pas selon l’apparence mais selon un jugement juste. Or juger selon l’apparence se dit en deux sens.

L’homme qui juge le fait selon les allégations d'autres — Les hommes voient ce qui paraît Mais en cela il peut être abusé, et c’est pourquoi il dit NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, c’est-à-dire selon ce qui apparaît tout de suite, mais recherchez avec grande attention — J’examinais avec grande attention la cause que j’ignorais — Il ne jugera pas selon la vision de ses yeux

Dans un autre sens, NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT signifie : Ne faites pas acception de la personne dans le jugement, car cela est défendu à tous ceux qui jugent : Tu ne jugeras pas injustement, tu ne tiendras pas compte de la personne du pauvre dans le jugement. — Vous acception des personnes dans le jugement Faire acception des personnes dans la Loi, c’est ne pas avoir une juste appréciation des choses, pour des raisons diverses : l’amour, le respect, la crainte, ou la condition de la personne, toutes considérations qui n’ont rien à voir avec la question. Il dit donc NE JUGEZ PAS SELON L’ASPECT, comme pour dire : ne portez pas, parce que Moïse a auprès de vous une plus grande gloire que moi, un jugement d’après la dignité des personnes, mais d’après la nature des choses, parce que ce que moi je fais est plus grand que ce que Moïse a fait.

Mais il faut remarquer, selon Augustin, qu’"il ne juge pas selon les personnes, celui qui aime d’une manière égale (...). En effet, lorsque nous honorons diversement les hommes selon leur rang, il ne faut pas craindre de faire acception des personnes."

1051. Après avoir exposé l’origine de l’enseignement , l’Évangéliste traite ici de l’origine de celui qui enseigne.

D’abord, le Christ révèle son principe, d’où il procède, puis sa fin, vers laquelle il s’en va .

Ici, l’Evangéliste nous expose le doute des foules à pro pos de l’origine du Christ; puis il rapporte l’enseignement du Christ au sujet de sa propre origine ; enfin, l’effet de cet enseignement .
Alcuin d'York
La circoncision a été établie pour trois raisons, la première pour être un signe de la grande foi d'Abraham ; la seconde pour être un signe distinctif entre les Juifs et les autres nations ; la troisième, afin que la circoncision qui était faite sur l'organe de la virilité, rappelât l'obligation d'observer la chasteté du corps et de l'âme. La circoncision conférait alors la même grâce que le baptême confère aujourd'hui, avec cette différence que la porte du ciel n'était pas encore ouverte. Nôtre-Seigneur tire donc la conclusion des propositions qui précèdent : « Or, si un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat, pour ne pas violer la loi de Moïse, comment vous indignez-vous contre moi, parce que le jour du sabbat, j'ai rendu un homme sain dans tout son corps ? »
Saint Bède le Vénérable
Il nous donne ici un exemple de la patience avec laquelle nous devons supporter les fausses accusations dont nous sommes victimes, sans faire connaître la vérité qui peut nous justifier, et en nous contentant de donner de salutaires avis : « Jésus répliqua et leur dit : J'ai fait une seule œuvre (le jour du sabbat), et vous en êtes tous surpris. »
Saint Augustin
Ou bien encore, Nôtre-Seigneur leur parle de la sorte, parce que s'ils observaient la loi, ils auraient trouvé et reconnu Jésus-Christ dans les Ecritures, et ne chercheraient point à le mettre à mort, alors qu'il est au milieu d'eux. La réponse que fait la foule au Sauveur, lui est inspirée non par le désir de la paix, mais par un esprit de désordre : « Le peuple lui répondit : Vous êtes possédé du démon, qui cherche à vous mettre à mort ? » Ils accusent d'être possédé du démon celui qui chassait les démons. Mais le Seigneur, sans se troubler, et avec ce calme que donne la vérité, ne leur rend pas injure pour injure, et leur fait une réponse pleine de modération.

C'est-à-dire, que serait-ce s'il vous était donné de voir toutes mes œuvres ? Ses œuvres, c'était tout ce qu'ils voyaient dans le monde, mais ils ne voyaient pas celui qui a fait toutes choses. Il a fait une seule œuvre sous leurs yeux, il a guéri un homme le jour du sabbat, et ils en sont tous surpris, comme si tout malade, guéri le jour du sabbat, pouvait l'être par un autre que celui dont ils se sont scandalisés, parce qu'il avait rendu la santé à un homme le jour du sabbat.

Comme s'il leur disait : Vous avez bien fait en recevant la circoncision, non point parce qu'elle vient de Moïse, mais des patriarches. Ce fut, en effet, Abraham qui, le premier, reçut du Seigneur le précepte de la circoncision : « Et vous pratiquez la circoncision le jour même du sabbat. » Vous êtes convaincus par Moïse lui-même, la loi vous fait un devoir de circoncire les enfante le huitième jour, elle vous oblige également à vous abstenir d'œuvre servile le septième jour. Si le huitième jour qui suit la naissance d'un enfant, tombe justement le septième jour de la semaine, vous ne laissez pas de le circoncire, parce que la circoncision est un moyen de salut, et qu'il n'est pas défendu aux hommes de travailler à leur salut le jour du sabbat.

Peut-être encore cette circoncision était la figure du Seigneur, car qu'est-ce que la circoncision, sinon le dépouillement de la chair ? Elle signifiait donc que le cœur était dépouillé de toutes les convoitises charnelles. Et ce n'est pas sans raison que la circoncision était opérée sur le membre qui sert à la génération, « car c'est par un seul homme que le péché est entré dans le monde. » (Rm 5) Tout homme naît avec le prépuce de sa chair, parce qu'il naît avec le vice qu'il tire de son origine, et c'est par Jésus-Christ seul, que Dieu le purifie, soit de ce vice originel, soit de ceux qu'il ajoute volontairement par une vie criminelle. La circoncision s'opérait avec des couteaux de pierre, et la pierre est la figure de Jésus-Christ. La circoncision avait lien le huitième jour, parce que c'est après le septième jour de la semaine que Nôtre-Seigneur est ressuscité le dimanche. C'est cette même résurrection qui nous circoncit, c'est-à-dire qui nous dépouille de tous les désirs charnels. Comprenez donc que cette circoncision était la figure de cette bonne oeuvre, par laquelle j'ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat, je l'ai guéri pour rendre la santé à son corps, et sa foi lui a procuré la santé de l'âme. La loi vous interdit les œuvres serviles le jour du sabbat. Est-ce donc une œuvre servile que de guérir un homme le jour du sabbat ? Vous mangez et vous buvez le jour du sabbat, parce que le soin de votre santé l'exige, et vous prouvez ainsi que ce qui est nécessaire à la conservation de la santé n'est nullement défendu le jour du sabbat.

La recommandation que fait ici Nôtre-Seigneur, de ne point juger d'après les personnes, est très-difficile à observer en ce monde. Cet avertissement qu'il donne aux Juifs, il nous le donne à nous-mêmes. C'est pour nous que toute parole importante, tombée des lèvres du Sauveur, a été écrite, qu'elle est conservée, et qu'elle est répétée. Le Seigneur est dans les cieux, mais il continue d'être la vérité sur la terre : le corps qu'il a ressuscité peut n'être que dans un seul lien, mais sa vérité est répandue par toute la terre. Quel est donc celui qui ne juge point sur l'apparence et d'après les personnes ? Celui qui a pour tous les hommes une même charité. Ce n'est pas que nous ayons à craindre de faire acception de personnes, lorsque nous rendons aux hommes les honneurs qui sont dus à leur position. Ainsi, par exemple, un père est en litige avec son fils, nous ne rendons pas au fils un honneur égal à celui du père, nous lui faisons simplement justice, si sa cause est bonne. Egalons le père au fils dans la vérité, et de cette manière nous rendrons à chacun l'honneur qui lui est dû, sans sacrifier les droits de la justice et de l'équité.
Saint Jean Chrysostome
Les Juifs formulaient deux accusations contre Jésus-Christ, l'une qu'il violait le sabbat, l'autre qu'il appelait Dieu son Père, et se faisait ainsi l'égal de Dieu. Il confirme cette dernière proposition en montrant qu'il n'est nullement opposé à Dieu, et qu'il enseigne la même doctrine. Quant à la violation du sabbat, voici comment il y répond : « Est-ce que Moïse ne vous a pas donné la loi ? et personne de vous n'accomplit la loi, » paroles dont voici le sens : La loi dit : Vous ne tuerez pas, et cependant vous vous rendez coupables de meurtre, comme il le leur reproche ouvertement : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » c'est-à-dire, supposons que j'aie violé la loi en guérissant cet homme, au moins cette transgression a-t-elle eu pour objet de le sauver ; vous, au contraire, vous violez le sabbat pour commettre le mal ; je vous récuse donc pour juges dans cette question. Il leur oppose donc deux moyens de défense, et en leur reprochant de chercher à le mettre à mort, et en leur prouvant que le meurtre qu'ils méditent, les rend indignes de se constituer les juges d'un autre.

« Vous êtes surpris, étonnés, » c'est-à-dire, vous êtes en proie au trouble, à l'agitation. Voyez avec quelle prudence il raisonne contre eux en s'appuyant sur la loi même. Il veut leur prouver qu'en guérissant cet homme, il n'a point transgressé la loi, car il est beaucoup d'autres points plus importants que le précepte du sabbat, et dont l'observation accomplit la loi, loin de la violer. Il ajoute donc : « Cependant Moïse vous a donné la circoncision (bien qu'elle soit non de Moïse, mais des patriarches), et vous la pratiquez le jour du sabbat. »

C'est-à-dire, violer la loi du sabbat pour donner la circoncision, c'est observer la loi ; c'est ainsi que j'ai moi-même observé la loi en guérissant un homme le jour du sabbat ; et vous qui n'êtes point des législateurs, vous défendez la loi outre mesure. Moïse, au contraire, ordonne de transgresser la loi pour observer un précepte qui ne vient pas de la loi, mais qui a été donné aux patriarches. En disant : « J'ai rendu un homme sain tout entier, » il montre que la circoncision ne rendait l'homme sain qu'en partie.

Nôtre-Seigneur ne dit pas : J'ai fait une œuvre plus grande que la circoncision, il se contente d'exposer le fait, et leur en laisse l'appréciation : « Ne jugez pas selon l'apparence, mais jugez selon la justice. » C'est-à-dire, vous avez pour Moïse une plus grande estime que pour moi, mais ce n'est point sur l'importance des personnes que vous devez appuyer votre jugement, c'est sur la nature même des choses ; car c'est là juger selon la justice. Or, personne n'a accusé Moïse d'avoir ordonné que le précepte d'observer le jour du sabbat, le céderait au précepte de la circoncision qui avait été établi en dehors de la loi. Moïse doit donc être plus digne de foi à vos yeux, lui qui vous commande de violer la loi pour observer un commandement établi antérieurement à la loi.