Jean 3, 6

Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit.

Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit.
Concile œcuménique
À toute époque, à la vérité, et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le craint et pratique la justice (cf. Ac 10, 35). Cependant le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté. C’est pourquoi il s’est choisi Israël pour être son peuple avec qui il a fait alliance et qu’il a progressivement instruit, se manifestant, lui-même et son dessein, dans l’histoire de ce peuple et se l’attachant dans la sainteté. Tout cela cependant n’était que pour préparer et figurer l’Alliance Nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ, et la révélation plus totale qui serait transmise par le Verbe de Dieu lui-même, fait chair. « Voici venir les jours, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une Alliance Nouvelle... Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors, je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Tous me connaîtront du plus petit jusqu’au plus grand, dit le Seigneur » (Jr 31, 31-34). Cette alliance nouvelle, le Christ l’a instituée : c’est la Nouvelle Alliance dans son sang (cf. 1 Co 11, 25), il appelle la foule des hommes de parmi les Juifs et de parmi les Gentils, pour former un tout non selon la chair mais dans l’Esprit et devenir le nouveau Peuple de Dieu. Ceux, en effet, qui croient au Christ, qui sont « re-nés » non d’un germe corruptible mais du germe incorruptible qui est la parole du Dieu vivant (cf. 1 P 1, 23), non de la chair, mais de l’eau et de l’Esprit Saint (cf. Jn 3, 5-6), ceux-là constituent finalement « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis, ceux qui autrefois n’étaient pas un peuple étant maintenant le Peuple de Dieu » (1 P 2, 9-10).
Louis-Claude Fillion
Jésus continue d’expliquer, par ce rapprochement, le « naître de nouveau » et sa nécessité. Il rappelle en deux exemples la loi des ressemblances : Les fils sont de la même nature que leurs pères ; les effets de la même nature que leurs causes. Donc, ce qui est né de la chair est chair (notez cette formule abstraite qui a beaucoup plus de force que le concret « est charnel »). Par « chair » il faut entendre la nature humaine avec ses instincts corrompus. L’état charnel se transmet de génération en génération, de telle sorte qu’il n’est possible à aucun homme naturel de sortir par sa propre force de ce cercle fatal : de là la nécessité de la régénération. Cf. Gen. 5. 3. En effet, « La chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu, et la corruption ne possédera point cet héritage incorruptible », 1 Cor. 15, 50. - Par contre, ce qui est né de l’Esprit est esprit. L’esprit, c’est ici la nature spirituelle avec ses instincts célestes, ses aspirations supérieures. - Voilà des vérités absolues, indiscutables, tout à fait palpables : elles renversent complètement la singulière opposition de Nicodème. Que gagnerait un homme à rentrer dans le sein de sa mère, puisqu’il renaîtrait avec les mêmes faiblesses, la même nature déchue ? C’est spirituellement qu’il faut renaître, pour entrer dans le royaume de cieux.
Saint Thomas d'Aquin
423. Après avois montré [n° 335-422] la puissance qu’a le Christ de changer la nature, l’Evangéliste montre maintenant, et c’est son intention principale, la puissance qu’a le Christ de recréer par la grâce. Or la recréation par la grâce se fait par la régénération spirituelle et par le don de bienfaits à ceux qui sont régénérés. Il va donc traiter en premier lieu de la régénération spi rituelle, puis du don des bienfaits spirituels à ceux qui sont divinement régénérés .

Concernant le premier de ces deux points, deux choses sont à considérer : d’une part la régénération spirituelle accordée aux Juifs ch. III, d’autre part le fait que les fruits de cette régénération s’étendent jus qu’aux nations étrangères IV, n° .

En ce qui concerne la régénération spirituelle des Juifs, l’Evangéliste montre comment le Christ la révèle d’abord par des paroles — en exposant la nécessité de cette régénération spirituelle , son mode et sa qualité , sa cause et sa raison — puis l’accomplit par des actes .

Pour montrer la nécessité de cette régénération spi rituelle, l’Evangéliste commence par indiquer ce qui a été pour le Christ l’occasion de l’affirmer , puis il rapporte l’affirmation même du Christ .

L’occasion de l’affirmation du Christ est donnée par Nicodème, que l’Evangéliste décrit d’abord dans son personnage , puis d’après le temps le moment de sa visite , enfin d’après ce qu’il reconnaît du Christ .

424. Le personnage de Nicodème est décrit sous trois aspects. D’abord celui de sa religion : c’est un Pharisien. Il y avait en effet deux partis chez les Juifs : les Phari siens et les Sadducéens. Les premiers étaient plus pro ches de nous dans leurs convictions, car ils croyaient à la résurrection et affirmaient l’existence de créatures spirituelles. Les Sadducéens différaient davantage, par ce qu’ils ne croyaient ni à la résurrection future, ni à l’existence de l’esprit. On appelait les premiers "Pharisiens" pour signifier qu’ils étaient séparés des autres.

Et c’est parce que la croyance des Pharisiens était plus probable et plus proche de la vérité, que Nicodème se convertit plus facilement au Christ — J’ai vécu en Pha risien, suivant cette secte qui est la plus austère de notre religion .

425. Jean le décrit ensuite par son nom. NICODEME — dont le nom signifie en grec "victorieux" ou "victoire du peuple" — représente ceux d’entre les Juifs qui, convertis au Christ, sont par leur foi victorieux du monde : Telle est la victoire qui a vaincu le monde : notre foi.

426. Enfin il le décrit par sa dignité : c’était UN NOTABLE DES JUIFS. En effet, pour que l’on n’attribuât pas la puissance de la foi à la sagesse et au pouvoir de l’homme, le Seigneur, au commencement, n’a pas choisi des sages, des puissants ou des gens bien nés Frères, dit l’Apôtre, considérez votre vocation : il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés; mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages.... Cependant Il voulut que dès le commencement quelques sages et quelques puissants se convertissent à Lui; parce que, s’il n’y avait eu que des gens sans noblesse et sans sagesse à recevoir son enseignement, on aurait pu Le mépriser et attribuer l’importance du nombre des croyants à la rusticité et à la sottise des convertis plutôt qu’à la puis sance de la foi. Néanmoins le Seigneur voulut que ces nobles et ces puissants fussent peu nombreux à se convertir, pour éviter (comme on l’a dit) qu’on n’attri buât leur conversion à la puissance ou à la sagesse humaine. C’est pourquoi il est dit que quelques-uns des chefs crurent en Lui , parmi lesquels il y eut ce Nicodème — Les grands des peuples se sont assemblés

427. L’Evangéliste décrit ensuite Nicodème en faisant appel au temps. A ce sujet il faut savoir que l’Ecriture a coutume, à propos de certaines personnes, de préciser les circonstances de temps pour manifester leur mentalité ou lecaractère de leur action. L’Evangéliste relève ici l’obscurité de l’heure : IL VINT DE NUIT. La nuit en effet est obscure et cela s’accordait bien avec la nature des sentiments de Nicodème, qui ne venait pas à Jésus sans inquiétude et ouvertement, mais avec crainte, car il était de ces chefs dont il est dit qu’ils crurent en Jésus, mais ne se déclaraient pas à cause des Pharisiens, de peur d’être chassés de la synagogue. Leur amour en effet était imparfait; aussi l’Evangéliste ajoute-t-il. Car ils aimaient la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. La nuit s’accordait bien aussi avec l’ignorance de Nicodème et la connaissance imparfaite qu’il avait du Christ — La nuit est avancée, le jour est proche. Rejetons les œuvres de ténèbres et revêtons les armes de lumière Ils n’ont ni savoir ni intelligence; ils marchent dans les ténèbres.

428. L’Evangéliste décrit enfin Nicodème par ce qu’il reconnaît du Christ : il reconnaît ici le ministère du Christ dans son enseignement et sa puissance dans ses œuvres. Sur ces deux points Nicodème dit vrai, mais il n’en dit pas assez. En effet il proclame une vérité en appelant le Seigneur RABBI, c’est-à-dire "Maître", car le Seigneur dira aux Apôtres : Vous m’appe lez, vous, Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis . Nicodème avait lu ce qui est écrit dans Joèl Fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur de votre Dieu, parce qu’Il vous a donné un maître de justice Cependant Nicodème ne dit pas assez, car s’il affirme que Jésus est venu de la part de Dieu comme maître, il ne dit pas qu’Il est Dieu. Venir comme maître de la part de Dieu est commun à tous ceux qui exercent une charge dans l’Eglise en bons serviteurs : Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur, ils vous feront paître avec intelligence et sagesse ; cela n’est donc pas propre au Christ, bien que la manière d’enseigner soit autre pour les hommes, autre pour le Christ. Les autres maîtres, en effet, enseignent seulement de l’extérieur, mais le Christ enseigne aussi de l’intérieur, parce qu’Il est la lumière, la vraie, qui illumine tout homme C’est pourquoi Lui seul donne la sagesse et peut dire ce qu’aucun homme, seulement homme, ne peut dire : Je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle nul de vos adversaires ne pourra résister ni contredire

429. Nicodème reconnaît la puissance de Jésus aux signes qu’il a vus : "Je crois que TU ES VENU EN MAITRE DE LA PART DE DIEU, parce que PERSONNE NE PEUT FAIRE LES SIGNES QUE TU FAIS SI DIEU N’EST AVEC LUI." Nicodème dit vrai, car les signes accomplis par le Christ ne peuvent être accomplis que par une puissance divine et parce que Dieu était avec Lui. Celui qui m’a envoyé, dira plus loin Christ, est avec moi . Cependant Nicodème ne dit pas assez, car il croyait que le Christ n’accomplissait pas ces signes par son propre pouvoir, mais qu’Il avait besoin d’une puissance venant d’ailleurs, comme si Dieu n’avait pas été avec Lui par l’unité de l’essence, mais seulement par le don de la grâce. Ce qui est assurément faux, car Jésus accomplissait ces signes, non par un pouvoir venant d’ailleurs, mais par sa propre puissance; en effet la puissance de Dieu et celle du Christ sont la même. La veuve de Sarepta la résurrection de son fils s’exprime d’une manière semblable celle de Nicodème quand elle dit à Elie : A cela je reconnais mainte nant que tu es un homme de Dieu

430. L’affirmation de la nécessité de la régénération spirituelle est suscitée par l’ignorance de Nicodème; c’est pourquoi le Christ commence par dire AMEN, AMEN. Remarquons d’abord ici que le mot Amen est hébreu. Le Christ l’a prononcé souvent et, par respect pour Lui, aucun traducteur ni grec ni latin n’a voulu le traduire. Tantôt Amen signifie "c’est vrai" ou "en vérité", tantôt "qu’il en soit ainsi" fiat. Ainsi, dans les psaumes , et , là où nous avons Fiat, fiat, l’hébreu porte Amen, amen. Jean est le seul Evangéliste à doubler ce mot. En voici la raison : les autres Evangélistes nous rapportent principalement ce qui a trait à l’humanité du Christ, ce qui, étant plus facile à croire, ne demandait qu’une affirmation moins appuyée; tandis que Jean traite principalement de ce qui relève de la divinité du Christ et qui, étant caché et éloigné de la connaissance des hommes, avait besoin d’être affirmé avec plus de force.

431. Il faut remarquer ensuite que cette réponse du Christ, si l’on n’y réfléchit pas attentivement, semble ne pas correspondre du tout aux propos de Nicodème. Comment en effet la parole de Nicodème : RABBI, NOUS SAVONS QUE C’EST DE LA PART DE DIEU QUE TU ES VENU... s’accorde-t-elle avec la réponse du Seigneur :

PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU? Rappelons-nous que Nicodème avait du Christ une opinion imparfaite, puisqu’en ce maître qui accomplissait ces signes, il ne reconnaissait qu’un homme. Le Seigneur veut donc lui montrer comment il pourrait parvenir à une plus haute connaissance de Lui. Sans doute le Seigneur aurait-Il pu à ce sujet entamer une discussion; mais c’eût été donner dans la dispute, contredisant ainsi ce qui est écrit de Lui : Il ne disputera pas . Aussi est-ce avec douceur qu’Il voulut conduire Nicodème à la vraie connaissance. Sa réponse revient à dire : Il n’est pas étonnant que tu me croies seulement homme, car personne, à moins d’avoir reçu la régénération spirituelle, ne peut connaître les secrets de la divinité : PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU.

432. Il faut ici avoir présent à l’esprit que, la vision étant une opération vitale, il y a diverses visions correspondant aux divers degrés de vie. II y a en effet une vie charnelle qui est commune à tous les animaux, et cette vie possède une vision ou une connaissance charnelle. Il y a aussi une vie spirituelle par laquelle l’homme est conforme à Dieu et aux êtres spirituels saints; cette vie possède une vision spirituelle. La vision charnelle ne permet pas de voir les réalités spirituelles — l’homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu —, mais la vision spirituelle les perçoit; c’est pourquoi Paul dit aussi que nul ne connaît ce qui est de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu . Or c’est l’Esprit qui régénère, et c’est pourquoi l’Apôtre dit : Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d’adoption . Et cet esprit, nous le recevons assurément par la régénération spirituelle : Il nous a sauvés par le bain de régénération et de rénovation de l’Esprit Saint . Si donc il n’y a de vision spirituelle que par l’Esprit Saint et si l’Esprit Saint est répandu en nous par le bain de la régénération spirituelle, alors nous ne pouvons VOIR LE REGNE DE DIEU que par le bain de la régénération. Voilà pourquoi le Seigneur dira ensuite : A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NUL NE PEUT EN TRER DANS LE ROYAUME DE DIEU — comme s’Il disait : Il n’est pas étonnant que tu ne voies pas LE REGNE DE DIEU, car nul ne peut le voir s’il ne reçoit l’Esprit Saint, par qui il naît de nouveau comme fils de Dieu.

433. Or, au règne n’appartient pas seulement le trône royal, mais aussi tout ce qui regarde le gouvernement du roi : la dignité royale, le privilège d’accorder les grâces, et les voies de la justice qui font la solidité d’un règne. Aussi le Christ dit-Il que qui ne renaît pas NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU, autrement dit la gloire et la dignité de Dieu, c’est-à-dire les mystères du salut éternel où le regard ne pénètre que par la justice de la foi — Le Royaume règne de Dieu n’est pas nourriture et boisson, il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint .

Il y eut bien dans l’ancienne Loi une régénération spirituelle, mais elle était imparfaite et n’était qu’une figure — Nos pères ont tous été (...) baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, c’est-à-dire : ils reçurent le baptême en figure. Voilà pourquoi ils voyaient certes les mystères du Royaume de Dieu, mais seulement en figures — C’est dans la foi qu’ils moururent tous sans avoir reçu l’objet des promesses, mais ils l’ont vu et salué de loin .

Dans la nouvelle Loi au contraire, la régénération spirituelle a été manifestée; elle est toutefois demeurée imparfaite, car nous ne sommes renouvelés par la grâce qu’intérieurement, nous ne le sommes pas extérieurement par l’incorruptibilité — Même si notre homme extérieur se corrompt, notre homme intérieur se renou velle de jour en jour. C’est pourquoi nous voyons le Règne de Dieu et les mystères du salut éternel, mais imparfaitement — Nous voyons à présent dans un mi roir, en énigme .

C’est dans la patrie que la régénération est parfaite, parce que nous y serons renouvelés intérieurement et extérieurement. Aussi verrons-nous le Royaume de Dieu parfaitement — Nous verrons alors face à face. Lors que le Seigneur se manifestera, nous Lui serons sembla bles, parce que nous Le verrons tel qu’Il est .

434. Il est donc manifeste que, de même qu’il faut être né pour posséder la vision corporelle, de même on ne peut posséder la vision spirituelle à moins d’être né DE NOUVEAU, et qu’aux trois modes de régénération dont on vient de parler correspondent trois modes de vision.

435. Remarquons que le texte grec ne dit pas "de nouveau", mais anothen, c’est-à-dire "d’en haut", que Jérôme a traduit par "de nouveau" (ce qui exprime la même chose que "d’en haut"), pour signifier que cette génération s’ajoute à la précédente. Ainsi Jérôme, en disant PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, a compris : PERSONNE, à moins de naître une seconde fois, d’une naissance surnaturelle, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU.

Pour Chrysostome NAITRE D’EN HAUT est le propre du Fils de Dieu, car Lui seul est né d’en haut. Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous. Nous disons que le Christ est né d’en haut quant au temps (s’il est permis de parler ainsi), parce qu’Il est engendré de toute éternité. Avant l’étoile du matin, je t’ai engendré et qu’Il est né D’EN HAUT quant au principe de sa génération, parce qu’Il est sorti du Père qui est au-dessus des cieux; c'est pourquoi Lui-même dit : Je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, moi, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. Or notre régénération spirituelle est à l’image de la génération du Fils de Dieu, car ceux que Dieu a connus d’avance, Il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils. Par conséquent, puisque la génération du Christ est d’en haut, la nôtre l’est aussi : selon le temps, par notre prédestination éternelle, car Dieu nous a élus en Lui dès avant la fondation du monde ; et en ce qui concerne le don de Dieu, car dira le Christ nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire. C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu .

436. L’Evangéliste expose ici le mode de cette régénération spirituelle; à ce sujet il rapporte d’abord une objection de Nicodème , puis la réponse du Christ .

437. Au sujet de l’objection de Nicodème, il faut sa voir que l’homme naturel ne perçoit pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu ; aussi Nicodème, encore charnel et naturel, ne put-il comprendre que d’une manière charnelle les paroles de Jésus. C’est pourquoi, ce que le Seigneur avait dit de la régénération spirituelle, lui l’entendait d’un nouvel engendrement charnel. D’où son interrogation : COMMENT UN HOMME PEUT-IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? Selon Chrysostome , Nicodème a voulu faire une objection aux paroles du Sauveur. Mais son objection est dérisoire, car le Christ parle de la régénération spirituelle tandis que l’objection porte sur une renaissance charnelle. De même sont dérisoires toutes les raisons alléguées pour attaquer les choses de la foi, parce qu’elles ne rejoignent pas l’intention de l’Ecriture Sainte.

438. L’objection de Nicodème aux paroles du Seigneur — l’homme doit naître de nouveau — était dou ble, en ce sens que ce qu’avait dit le Seigneur lui parais sait doublement impossible. D’abord à cause de l’irré versibilité de la vie humaine, car un homme ne peut, de la vieillesse, revenir à l’enfance; aussi Job dit-il : Je marche sur un chemin, celui de la vie présente, par lequel je ne reviendrai pas . Ainsi l’interrogation de Nicodème COMMENT UN HOMME PEUT-IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? revient à dire : Deviendra-t-il à nouveau enfant, pour renaître? ne dit-il pas encore : L’homme ne reviendra plus dans sa maison, et son lieu ne le reconnaîtra plus? Ensuite à cause du processus de la génération charnelle; les dimensions de l’homme, au commencement de sa génération, sont si réduites que le sein maternel peut le contenir; mais après sa naissance elles ne cessent de s’accroître peu à peu, si bien que le sein maternel ne pourrait plus le contenir. Aussi Nicodème dit-il : PEUT-IL RENTRER DANS LE SEIN DE SA MERE ET RENAITRE? ce qui revient à dire : Non, car ce sein ne peut plus le contenir.

439. Mais ces objections sont sans portée dans le cas de la génération spirituelle; en effet, si vieilli qu’il soit spirituellement par le péché — Parce que je me suis tu PARCE que j’ai tu mon péché, mes os ont vieilli —, l’homme peut, avec le secours de la grâce divine, redevenir jeune — Le Seigneur, qui pardonne toute tes offenses (...), renouvellera ta jeunesse comme celle de l’aigle et, si grand qu’il soit, il peut, par le sacrement de baptême, entrer dans le sein spirituel, celui de l’Eglise. Qu’il y ait un sein spirituel, c’est manifeste : autrement il ne serait pas dit dans l’Ecriture : De mon sein, avant l’étoile du matin, je t’ai engendré .

Néanmoins il y a bien dans ce qu’exprime Nicodème une certaine similitude avec la génération spirituelle. En effet, de même que l’homme, une fois né selon la chair, ne peut plus naître, de même, une fois né spirituellement par le baptême, le chrétien ne peut naître de nouveau, en ce sens qu’il ne doit pas être bapti sé de nouveau : "Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême".

440. L’Evangéliste rapporte ici la réponse du Christ, dans laquelle on peut distinguer trois moments. Le Christ, en effet, commence par réduire à rien les objec tions de Nicodème en montrant la qualité de la régénéra tion ; puis Il s’explique par un raisonnement ; enfin Il donne une image .

441. Le Christ réduit donc à rien les objections de Nicodème, en montrant que la régénération dont Il parle est spirituelle et non charnelle : AMEN, AMEN JE TE LE DIS, PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, comme s’Il disait : Toi, tu penses à une régénération charnelle, mais moi, je par le d’une régénération spirituelle.

Remarquez que, plus haut, le Seigneur avait dit NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU; alors qu’ici Il dit : NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU. Cela revient au même, car nul ne voit ce qui appartient au Règne de Dieu, s’il ne pénètre dans le Royaume de Dieu; et il voit dans la mesure où il pénètre — Au vainqueur je donnerai un caillou blanc, et sur ce caillou se trouve écrit un nom nouveau que nul ne connaît, sinon celui qui le reçoit .

442. Que la régénération spirituelle se fasse par l’Esprit, cela s’explique. Car l’engendré doit être engendré semblable à celui qui l’engendre; or la régénération qui fait de nous des fils de Dieu nous rend semblables au Fils véritable : il faut donc que la régénération se fasse par ce par quoi nous sommes rendus semblables au Fils véritable; et nous Lui sommes rendus semblables du fait que nous avons son Esprit — Si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, il ne Lui appartient pas . A ceci nous savons que nous demeurons en Lui et Lui en nous, à ce qu’Il nous a donné de son Esprit . Il faut donc que la régénération spirituelle se fasse par l’Esprit Saint — Vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d’adoption C’est l’Esprit qui vivifie... .

443. A cette régénération l’eau également est nécessaire, pour trois raisons. D’abord à cause de la condition de la nature humaine. L’homme est en effet composé d’une âme et d’un corps; si dans cette régénération l’Esprit seul était présent, seul apparaîtrait régénéré ce qui est spirituel dans l’homme. Il faut donc, pour que la chair aussi soit régénérée, que, comme l’Esprit est là pour régénérer l’âme, il y ait de même quelque chose de corporel pour régénérer le corps, et c’est l’eau.

L’eau est nécessaire aussi à cause de la connaissance humaine. Selon Denys en effet, "la Sagesse divine ordon ne toutes choses en sorte de pourvoir à chacun conformément à sa nature" . Or l’homme est naturellement capable de connaître; il faut donc que les dons spirituels soient accordés aux hommes de telle manière qu’ils les connaissent Nous avons reçu (...) L’Esprit qui est de Dieu, afin de connaître les dons qui nous ont été faits par Dieu. Mais le mode naturel de cette connaissance est de saisir les choses spirituelles par les sensibles, puisque toute notre connaissance commence par les sens. Il fallait donc, pour que nous comprenions ce qui est spi rituel dans cette régénération, qu’il y eût en elle quelque chose de sensible et de matériel, l’eau, grâce à quoi nous comprenions que le baptême lave et purifie intérieurement l’esprit de l’homme, comme l’eau lave et purifie extérieurement le corps.

Enfin, l’eau est nécessaire parce que cela convient à la cause de notre régénération, qui est le Verbe incar né. C’est Lui qui a donné à tous ceux qui L’ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu . Il convient donc que, dans les sacrements qui tiennent leur efficacité de la puissance du Verbe incarné, il y ait quelque chose qui corresponde au Verbe et quelque chose de corporel qui corresponde à la chair ou au corps. Ainsi en est-il spécialement de l’eau dans le sacrement du baptême par elle nous sommes configurés à la mort du Christ en étant plongés trois fois en elle lors du baptême, com me le Christ fut trois jours dans le sein de la terre. Nous avons en effet été ensevelis avec Lui par le baptême dans la mort .

Ce mystère avait été symbolisé au début de la création, lorsque l’Esprit du Seigneur planait sur les eaux. Mais le contact de la chair très pure du Christ conféra aux eaux une vertu plus grande; car au commencement, les eaux produisaient le reptile à l’âme vivante ; mais, du fait que le Christ a été baptisé dans le Jourdain, l’eau rend les âmes spirituelles.

444. Les paroles du Christ PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU mon trent clairement que l’Esprit Saint est Dieu. En effet le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui ne sont nés ni du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu . A partir de ces textes on peut former ce raisonnement : Celui de qui les hommes renaissent spirituellement est Dieu; or, comme on le dit ici, les hommes renaissent par l’Esprit Saint; donc l’Esprit Saint est Dieu.

445. Mais ici deux questions se posent. La première est celle-ci : si nul n’entre dans le Royaume de Dieu à moins de renaître de l’eau, nos pères de l’Ancien Testament, qui ne sont pas renés de l’eau puisqu’ils n’ont pas été baptisés, ne sont donc pas entrés dans le Royaume de Dieu.

La seconde question est la suivante. Il y a trois baptêmes : celui du sang, celui du feu et celui de l’eau. Or beaucoup ont été baptisés des deux premiers et nous disons qu’ils sont entrés aussitôt dans le Royaume de Dieu (bien qu’ils ne soient pourtant pas renés de l’eau). Il semble donc que ces paroles : PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, ne soient pas vraies.

En ce qui concerne la première question, il faut savoir que la régénération par l’eau et l’Esprit Saint se fait de deux manières : en vérité et en figure. Les anciens pères, bien qu’ils n’aient pas été régénérés de la véritable régénération, renaquirent cependant d’une régénération figurative, car ils eurent toujours un signe sensible dans lequel était préfigurée la vraie régénération; et renés grâce à ce signe, ils entrèrent dans le Royaume de Dieu, une fois payé le prix de la Rédemption.

A la seconde question il faut répondre que ceux qui renaissent par le baptême du sang et du feu, bien qu’ils n’aient pas la régénération de l’eau en acte, l’ont néan moins par le désir; autrement, en effet, le baptême du sang serait sans valeur et le baptême de l’Esprit ne pourrait exister.

Ainsi donc, pour que l’homme entre dans le Royau me de Dieu, il faut qu’il y ait baptême d’eau, soit réel lement, comme c’est le cas de tous les baptisés; soit par le désir, comme c’est le cas des martyrs et des catéchu mènes "que la mort a emportés avant l’accomplissement de leur désir"; soit en figure, comme pour les anciens pères.

446. De ces paroles : PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE L’EAU ET DE L’ESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, les Pélagiens ont conclu faussement que les enfants sont baptisés, non certes pour être purifiés des péchés que, d’après eux, ils n’ont pas encore, mais afin de pouvoir entrer dans le Royaume de Dieu. Mais cela est faux; car, comme le dit Augustin, il ne convient pas que l’image de Dieu, c’est-à-dire l’homme, soit privé du Royaume de Dieu si ce n’est à cause d’un empêchement; or il ne peut y avoir d'autre obstacle au Royaume de Dieu que le péché. Il faut donc que, chez les enfants privés du Royaume, il y ait un péché, et c’est le péché originel .

447. Le Seigneur prouve ici par un raisonnement la nécessité de naître de l’eau et de l’Esprit Saint. Son raisonnement est le suivant. Nul ne peut parvenir au Royaume de Dieu s’il n’est rendu spirituel; mais on ne peut devenir spirituel que grâce à l’Esprit Saint; donc, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît de l’Esprit Saint. Le Seigneur dit donc : CE QUI EST NE DE LA CHAIR EST CHAIR, c’est-à-dire que la naissance selon la chair fait naître à une vie charnelle — Ce n’est pas ce qui est spirituel qui a été fait d’abord, mais ce qui est charnel; ensuite ce qui est spirituel. Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre, le second, venu du ciel est céleste — ; et CE QUI EST NE DE L’ESPRIT, c’est-à-dire de la puissance de l’Esprit Saint, est esprit, c’est-à-dire spirituel.

448. Remarquons que la préposition "de" la chair, DE l’Esprit désigne soit la cause matérielle, comme lorsque je dis : "le couteau de fer", soit la cause efficiente : "la maison est de l’architecte". On peut donc comprendre de deux manières CE QUI EST NE DE LA CHAIR EST CHAIR : selon la causalité efficiente et selon la causalité matérielle. Selon la causa lité efficiente, car c’est la puissance présente dans la chair qui est capable d’être cause efficiente de la génération; selon la causalité matérielle, puisque c’est quelque chose de charnel qui est chez les animaux la matière de la réalité engendrée. Quant à l’esprit, on ne dit pas que de lui naisse quelque chose selon la causalité matérielle, puisque l’esprit est immuable, alors que la matière est le sujet du changement; mais on le dit selon la causalité efficiente.

D’après ce qui précède on peut donc parler d’une triple génération. La première est de la chair selon les causes matérielle et efficiente, et est commune à tous ceux dont la condition est d’être charnel. La seconde est de l’Esprit selon la cause efficiente : nous y sommes régénérés comme fils de Dieu par la grâce de l’Esprit Saint, et rendus spirituels. La troisième, intermédiaire entre les deux, est de la chair uniquement selon la causalité matérielle, et est de l’Esprit Saint selon la causa lité efficiente : elle est unique et propre au Christ. Il tient en effet sa chair, selon la causalité matérielle, de la chair de la mère dont il naît; et, selon la causalité efficiente, de l’Esprit Saint — Ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint. Aussi est-Il né saint : L’Es prit Saint surviendra en toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c’est pourquoi le saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu .