Jean 3, 32

il témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage.

il témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage.
Louis-Claude Fillion
De l’origine céleste de Jésus le Précurseur déduit la perfection de son enseignement. Voyez plus haut (verset 11) une idée tout à fait semblable émise par le Sauveur lui-même. - Ce qu’il a vu et entendu C’est par les sens de la vue et de l’ouïe que nous acquérons la connaissance la plus immédiate et la plus sûre des choses ; aussi les témoins oculaires et auriculaires sont-ils ceux que l’on croit le plus volontiers. Or dans le ciel, qui est, d’après le verset 13, le lieu de toute science, dans le ciel où il a éternellement résidé, Jésus a contemplé et entendu des merveilles admirables, qu’il n’a été donné à aucun homme de connaître. Cf. 1, 18. - Il rend témoignage. Le pronom est solennel : cela même, et pas autre chose, est l’objet de son témoignage. Voyez 5, 38 ; 6, 46 ; 7, 18 ; 8, 26 ; 10, 25 ; 15, 5 des constructions analogues, aimées de S. Jean. - Personne ne reçoit. Note pathétique, qui contraste avec la joie du verset 29. C’est une hyperbole, car le Précurseur lui-même va supposer immédiatement (verset 33) que le témoignage de Jésus ne demeurait pas tout à fait stérile ; mais les croyants étaient en réalité si peu nombreux ! Donc, « personne » relativement à l’énorme quantité de ceux qui demeuraient incrédules, et vu le zèle qu’avait Jean-Baptiste de préparer au Messie « un peuple bien disposé », Luc. 1, 17. Comme le dit très délicatement Bengel, « Jean désire si ardemment la suprématie du Christ, qu'au lieu de dire tous (un mot utilisé par ses disciples, Cf. v. 36) il dit personne. Dans le texte grec, le verbe implique le maintien de ce qu’on a reçu, par opposition à la réception pure et simple, sans idée ultérieure. La locution « recevoir le témoignage » est d’ailleurs propre à notre évangéliste. Cf. versets 11, 33 ; verset 34 ; 1 Joan. 5, 9.
Saint Thomas d'Aquin
513. Voici maintenant la réponse de Jean à la discussion qui lui avait été rapportée par ses disciples . Cette discussion impliquait de la part des disciples de Jean deux griefs, l’un portant sur le ministère que le Christ s’était approprié — LE VOILA QUI BAPTISE —, l’autre sur le fait que le Christ conquérait l’opinion et l’estime des hommes : ET TOUS VIENNENT A LUI – Aussi Jean fait-il porter sa réponse sur ces deux points : il commence par répondre au grief concernant le ministère assumé, et répond ensuite au second grief, portant sur la renommée croissante du Christ .

Pour répondre au premier grief, il montre d’abord l’origine du ministère du Christ et du sien , puis ce qui les distingue , et enfin quel est le rôle propre du Christ et quel est le sien dans l’exercice de leurs ministères .

514. Dans la réponse de Jean, plusieurs choses sont à remarquer. En premier lieu, alors que ses disciples lui rapportent leur discussion dans une mauvaise intention, et qu’ils méritent pour cela d’être blâmés, Jean cependant ne leur fait pas de vifs reproches, et cela à cause de leur imperfection. Il craignait en effet que, se révoltant devant une réprimande, ils ne se séparent de lui et que, se joignant aux Pharisiens, ils ne tendent publiquement des pièges au Christ. En agissant ainsi, Jean réalise ce qui est dit du Seigneur : Il ne brisera pas le roseau froissé, il n’éteindra pas la mèche qui fume encore En même temps, il faut aussi remarquer qu’au début de sa réponse, Jean n’affirme pas au sujet du Christ des choses difficiles et élevées, mais des choses humbles et simples, et cela à cause de la jalousie de ses disciples. En effet, ce qui dans l’autre nous dépasse, provoque la jalousie; Jean aurait donc entretenu celle de ses disciples s’il avait d’emblée mis sous leurs yeux la transcendance du Christ.

515. Jean affirme donc ici quelque chose d’humble, avec l’intention de leur inspirer de la crainte. Le fait que tous accourent vers le Christ, veut-il leur faire comprendre, ne peut venir que de Dieu, car l’homme ne peut rien recevoir, en fait de perfection et de bien, qui ne lui ait été donné du ciel. Si donc vous vous opposez au Christ, c’est à Dieu que vous vous opposez — Si ce dessein ou cette œuvre est des hommes, elle se détruira; mais si elle est de Dieu, vous ne pourrez la détruire . Voilà l’explication que donne Chrysostome, qui applique au Christ l’affirmation de Jean .

Augustin, lui, l’applique à Jean lui-même , et c’est préférable. En ce sens, L’HOMME NE PEUT RIEN RECEVOIR QUI NE LUI AIT ETE DONNE DU CIEL signifie : "Vous, vous êtes jaloux pour moi et vous voulez que je sois plus grand que le Christ;" mais cela ne m’a pas été donné et je ne veux pas l’usurper — Nul ne s’attribue cet honneur, mais on est appelé par Dieu, comme Aaron . Voilà donc manifestée l’origine du ministère du Christ et de celui de Jean ils viennent du ciel.

516. Il s’agit maintenant de ce qui distingue le ministère du Christ de celui de Jean. D’après le témoignage que je Lui ai rendu, dit Jean, vous pouvez savoir quel ministère m’a été confié, et quel ministère a été confié au Christ; car VOUS ME RENDEZ VOUS-MEMES TE MOIGNAGE, c’est-à-dire vous pouvez témoigner, QUE J’AI DIT : JE NE SUIS PAS, MOI, LE CHRIST — Il confessa, il ne nia pas, il confessa : Je ne suis pas le Christ Mais j’ai dit cela, poursuit-il, parce que j'ai été envoyé devant Lui, comme un héraut devant un juge. Ain si, par mon témoignage, vous pouvez savoir quel est mon ministère : précéder le Christ et Lui préparer la voie — Il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin... —, alors que le ministère du Christ est de juger et d’exercer l’autorité.

Enfin, si l’on est attentif, on remarquera que Jean, dans sa manière de répondre, agit avec prudence : il réfute ceux qui avaient suscité la discussion en s’appuyant sur leurs propres paroles — C’est par ta propre bouche que je te juge .

517. Jean montre ici quel est son rôle propre dans l’exercice de son ministère. Il donne d’abord une comparaison, puis l’applique à ce qu’il veut montrer . La comparaison qu’il donne se rapporte d’abord au Christ, puis à lui-même .

518. Il faut à ce sujet souligner que, dans les choses humaines, il appartient à l’époux seul de disposer de l’épouse, d’exercer à son égard l’autorité et de l’avoir à lui. Voilà pourquoi Jean dit : CELUI QUI A L’EPOUSE, c’est-à-dire celui à qui il appartient d’avoir l’épouse, EST L’EPOUX. Or cet époux, c’est le Christ — Et lui, comme un époux sortant de sa chambre nuptiale... — et son épouse est l'Eglise, qui lui est unie par la foi — Je t’épouserai dans la foi La parole de Séphora à Moïse — Tu es pour moi un époux de sang — est une figure de ces noces; et c’est d’elles qu’il est dit dans l’Apocalypse Voici venues les noces de l’Agneau . Ainsi, parce que le Christ est l’époux, il Lui appartient d’avoir l’épouse, c’est-à-dire l'Eglise; mais à moi, dit Jean, il m’appartient seulement de me réjouir de ce que l’époux a l’épouse. C’est pourquoi il ajoute :

519. Plus haut, Jean avait dit qu’il n’était pas digne de délier la courroie de la chaussure de Jésus ; mais ici, pour faire comprendre la fidélité de son amour pour le Christ, il se nomme son AMI – En effet, pour ce qui concerne son maître, le serviteur n’est pas mû par un sentiment d’amour, mais par un esprit de servitude ; tandis que l’ami, lui, s’occupe par amour des biens de son ami, et le fait avec fidélité. C’est pourquoi le serviteur fidèle est comme l’ami de son maître : Si tu as un serviteur fidèle, qu’il soit pour toi comme ton âme Et la fidélité du serviteur se manifeste quand il se réjouit du bien de son maître et quand il s’occupe de ses biens non pour lui-même, mais pour son maître. Ainsi, parce que Jean n’a pas gardé pour lui, mais pour l’époux, l’épouse qui lui avait été confiée, il fut serviteur fidèle et AMI DE L’EPOUX. C’est pour faire comprendre cela qu’il se dit L’AMI DE L’EPOUX

C’est ainsi que doivent agir les hommes amis de la vérité, afin de ne pas faire servir à leur propre intérêt et à leur propre gloire l’épouse confiée à leurs soins, mais de la garder avec respect pour l’honneur et la gloire de l’époux; autrement ils ne seraient pas amis de l’époux, mais plutôt adultères. C’est pourquoi Grégoire dit que le serviteur par l’intermédiaire de qui l’époux transmet ses dons est coupable de pensées adultères s’il désire plaire à l’épouse . L’Apôtre ne faisait pas cela, lui qui disait Je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure Et Jean aussi faisait de même, puisqu’il ne garda pas pour lui l’épouse, c’est-à-dire le peuple croyant, mais le conduisit à l’époux, au Christ .

520. Ainsi, en se disant L’AMI DE L’EPOUX, Jean fait comprendre la fidélité de son amour. Puis il fait comprendre sa constance en disant qu’il SE TIENT LA, ferme dans son amitié et sa fidélité, sans s’élever au-dessus de lui-même — A mon poste de garde je me tiendrai . Soyez fermes et inébranlables, vous donnant toujours plus à l’œuvre du Seigneur Si l’ami demeure constant, il sera comme ton égal .

Jean fait comprendre encore son attention en disant : ET QUI L’ENTEND, c’est-à-dire qui considère avec attention la manière dont l’époux est uni à l’épouse. En disant cela il dévoile, selon Chrysostome , le mode de ces épousailles. Celles-ci, en effet, sont célébrées dans la foi (comme on l’a dit plus haut); or la foi vient de ce que l’on entend QUI L’ENTEND peut encore vouloir dire qui obéit avec un grand respect, en disposant de l’épouse selon l’ordre de l’époux — Dès le matin il éveille mon oreille pour que je l’écoute comme un maître . Voilà qui condamne les mauvais prélats, qui ne disposent pas de l’Eglise conformément aux commandements du Christ.

Enfin Jean fait connaître sa joie spirituelle en disant que L’AMI DE L’EPOUX est RAVI DE JOIE A LA VOIX DE L’EPOUX, c’est-à-dire lorsque celui-ci s’adresse à l’épouse. Il dit qu’il est RAVI DE JOIE SE REJOUIT DE JOIE pour montrer la vérité et la perfection de sa joie. En effet, celui qui ne se réjouit pas du bien ne se réjouit pas d’une vraie joie. C’est pourquoi, "si je m’affligeais de ce que le Christ, qui est l’Epoux véritable, évangélise l’épouse, c’est-à-dire l’Eglise, je ne serais pas l’ami de l’époux; mais je ne m’en afflige pas".

521. Non, je ne m’en afflige pas, dit Jean; bien au contraire CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST A SON COMBLE, puisque je vois ce que j’ai longtemps désiré l’époux s’adressant à l’épouse. Ou encore, CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST A SON COMBLE en ce sens qu’elle atteint sa mesure parfaite dès lors que l’épouse est unie à l’époux; car je suis désormais comblé et j’ai accompli mon ministère — Pour moi je me réjouirai dans le Seigneur, et j’exulterai en Dieu mon Sauveur mon Jésus .

522. Jean met maintenant fin à la discussion en répondant au grief concernant la renommée croissante du Christ. Pour cela il montre d’abord qu’il convenait que cette renommée croisse , puis il en donne la raison .

523. Voici ce que dit Jean : Vous dites, vous que tous accourent vers le Christ, et qu’ainsi Il grandit en considération et en popularité; mais moi je dis qu’il n’y a rien à redire à cela, car IL FAUT QUE LUI CROISSE, non en Lui-même, mais par rapport aux autres, en ce sens que sa puissance doit se faire connaître d’eux de plus en plus; mais il faut QUE MOI JE DIMINUE en considération et en popularité; car ce n’est pas à moi que sont dus l’honneur et la considération, comme si je tenais la première place, mais au Christ. C’est pour quoi sa venue met fin aux marques de considération qui m’étaient données, et les fait croître à son égard, comme la venue du prince met fin à la fonction de son envoyé — Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel sera aboli . De même que dans le ciel l’éclat de l’étoile du matin précède le lever du soleil, mais que la venue du soleil met fin à son éclat, ainsi Jean a précédé le Christ, et c’est pourquoi on le compare à l’étoile du matin — Fais-tu lever en son temps l’étoile du matin?

Que le Christ doive croître et Jean diminuer, cela est signifié aussi dans la naissance et la mort de Jean. Dans sa naissance, car il naquit à l’époque où les jours commencent à décroître, tandis que la naissance du Christ eut lieu le huitième jour des calendes de janvier, au moment où les jours commencent à croître. Et dans sa mort, car Jean mourut diminué par la décapitation, tandis que le Christ mourut grandi par l’élévation sur la croix .

524. Au sens moral , il doit en être ainsi de chacun de nous : IL FAUT QUE LUI, le Christ, CROISSE en toi, c’est-à-dire qu’il faut que tu progresses dans la connaissance et l’amour du Christ. En effet, plus tu deviens capable de Le percevoir par la connaissance et l’amour, plus le Christ grandit en toi; comme, à celui qui voit de mieux en mieux une même et unique lumière, il semble que cette lumière grandit .

Du même coup, les hommes qui progressent ainsi diminuent dans l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes; car plus on progresse dans la connaissance de la grandeur de Dieu, moins on a de considération pour la petitesse humaine. C’est pourquoi, au livre des Proverbes, aussi tôt après l’annonce Vision qu’a racontée l’homme avec qui est Dieu, on lit : "Je suis le plus insensé des hommes, et la sagesse des hommes n’est pas avec moi" . Et au livre de Job : Mon oreille avait entendu parler de toi, mais maintenant mon œil te voit; c’est pourquoi je m’accuse moi-même, et je fais pénitence dans la poussière et la cendre .

525. Jean donne ici la raison de ce qu’il a dit précédemment : IL FAUT QUE LUI CROISSE ET QUE MOI JE DIMINUE; et cela de deux points de vue : du point de vue de l’origine et du point de vue de l’enseignement .

526. Toute réalité, pour être parfaite, doit parvenir au terme qui lui est dû en raison de son origine. Par exemple, celui qui est né d’un roi doit grandir jusqu’à ce qu’il puisse devenir roi. Or le Christ a une origine transcendante et éternelle; il faut donc que, par la manifestation de sa puissance, Il grandisse devant les autres jusqu’à ce que l’on reconnaisse qu’Il est AU-DESSUS DE TOUS. Voilà pourquoi Jean dit CELUI QUI VIENT D’EN HAUT, en parlant du Christ selon sa divinité — Personne n’est monté au ciel, si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel . Vous, vous êtes d’en bas; moi je suis d’en haut .

527. On peut dire aussi que le Christ VIENT D’EN HAUT selon la nature humaine, en ce sens qu’Il vient de ce qu’il y a de plus élevé dans cette nature, en l’assumant dans ce qu’elle a de plus élevé en chacun de ses états .

On peut en effet distinguer trois états de la nature humaine. Le premier état est celui d’avant le péché; de celui-là le Christ a pris la pureté, en assumant une chair non souillée par la contagion de la faute originelle — Ce sera un agneau sans tache, mâle, âgé d’un an . Le second état de la nature humaine est celui d’après le péché; de celui-là le Christ a pris la capacité de souffrir et de mourir, en assumant une chair semblable à celle du péché du point de vue de la peine, et non pas le péché lui-même comme faute : Dieu, en envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair... . Enfin, le troisième état de la nature humaine est celui de la résurrection et de la gloire; et de celui-là le Christ a pris l’impossibilité de pécher et l’épanouissement plénier de l’âme .

528. Mais il faut se garder ici d’une erreur. Certains, en effet, soutiennent qu’il serait demeuré en Adam, matériellement, quelque chose de non souillé par la tache originelle, qui aurait été transmis pur à ses descendants, jusqu’à la bienheureuse Vierge; et que c’est de cela que le corps du Christ aurait été formé. Une telle affirmation est hérétique; car tout ce qui a existé matériellement en Adam a été souillé par la tache du péché originel; et la matière à partir de laquelle a été formé le corps du Christ fut purifiée par la puissance de l’Esprit Saint sanctifiant la bienheureuse Vierge.

529. Ainsi le Christ vient d’en haut selon la divinité et selon la nature humaine, et Il est au-dessus de tous par l’éminence de son rang — Il est élevé au-dessus de toutes les nations, le Seigneur, et sa gloire est au-dessus des cieux — ainsi que par son autorité et sa puissance : Le Père de la gloire (...) L’a établi chef sur toute l’Eglise .

530. C’est ensuite du point de vue de l’enseignement que Jean donne la raison de ce qu’il avait dit précédemment IL FAUT QUE LUI CROISSE ET QUE MOI JE DIMINUE . Pour cela il montre d’abord quel est le mode de l’enseignement du Christ, et sa profondeur, puis la diversité des réactions certains reçoivent cet enseignement, d’autres ne le reçoivent pas .

Pour faire ressortir quel est le mode de l’enseignement du Christ, Jean expose d’abord la condition de son propre enseignement , puis celle de l’enseignement du Christ .

531. C’est principalement à son langage que l’on connaît l’homme — Ton langage te fait reconnaître . La bouche parle de l’abondance du cœur . Voilà pour quoi ce qui constitue l’enseignement d’un homme se découvre à partir de la condition de cet homme, et celle-ci à partir de ce qui caractérise son origine.

Pour connaître ce qui constitue l’enseignement de Jean, il faut donc considérer en premier lieu ce qui caractérise l’origine de Jean. Lui-même nous la dit il EST ISSU DE LA TERRE, non seulement matériellement, mais aussi selon la cause efficiente, puisque son corps fut formé par une puissance créée, comme pour tous ceux qui habitent des maisons de boue, et qui ont un fondement de terre . Il faut ensuite considérer la condition de Jean, qui est terrestre; lui-même la manifeste en disant que CELUI QUI EST DE LA TERRE est DE LA TERRE, c’est-à-dire terrestre. Et c’est pourquoi, en troisième lieu, il décrit son enseignement comme terrestre en disant qu’il PARLE DE LA TERRE, c’est-à-dire des choses terrestres C’est de la terre que tu parleras, et de la poussière que sera entendue ta parole .

532. Mais comment parle-t-il DE LA TERRE, celui qui fut rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère ?

A cela on peut répondre, avec Chrysostome , que si Jean dit qu’il parle des choses terrestres, c’est en comparaison de l’enseignement du Christ. Autrement dit, les choses dont il parle sont petites et humbles, susceptibles d’être saisies par une nature terrestre, comparativement à Ce que peut dire Celui en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu . Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées .

Ou bien l’on peut répondre avec Augustin , et c’est même préférable; qu’en tout homme il faut distinguer ce qu’il possède de lui-même et ce qu’il tient d’un autre. Or Jean, et de même tout homme comme tel, n’a par lui-même que d’être DE LA TERRE; et donc, pour ce qui est de lui, il ne peut parler que DE LA TERRE, et s’il dit des choses divines, il le tient d’une illumination de Dieu — Ton cœur est en proie à des imaginations (...) à moins qu’elles ne te soient envoyées par le Très-Haut dans une vision, n’y abandonne pas ton cœur . C’est pourquoi l’Apôtre dit : Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi . Et Jésus Lui-même : Ce n’est pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous . Ainsi, pour ce qui est de lui, Jean est DE LA TERRE et PARLE DE LA TERRE. S’il y eut en lui quel que chose de divin, il faut l’attribuer non à celui qui reçoit, mais à celui qui illumine.

533. Jean montre ici ce qui constitue l’enseignement du Christ, en trois points. Il commence par dire ce qui caractérise l’origine du Christ : elle est céleste, Il VIENT DU CIEL. En effet, si le corps du Christ a été, matériellement, tiré de la terre, il est cependant venu du ciel dans son principe efficient, en ce sens qu’il a été formé par la puissance divine. Le Christ vient aussi du ciel en ce sens que c’est la personne éternelle et incréée du Fils de Dieu qui vient du ciel en assumant la chair : Personne n’est monté au ciel, si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel .

Jean montre ensuite la dignité de la condition du Christ, qui est souverainement élevée : Il EST AU-DESSUS DE TOUS, affirmation qui a été commentée plus haut .

Enfin Jean conclut en affirmant la dignité de l’enseignement du Christ, qui est absolument sûr, car CE QU’IL A VU ET ENTENDU, C’EST DE CELA QU’IL TEMOIGNE. En effet le Christ, en tant que Dieu, est la Vérité même; mais en tant qu’homme Il est témoin de la Vérité : Si je suis né et si je suis venu dans le monde, c’est pour rendre témoignage à la Vérité . Voilà pourquoi Il se rend témoignage à Lui-même ce que Lui reprocheront les Pharisiens : Tu te rends témoignage à toi-même mais ce dont Il témoigne est certain, parce qu’Il témoigne de ce qu’Il a vu auprès de son Père — Pour moi, ce que j’ai vu auprès de mon Père, je le dis — et de ce qu’Il a entendu — Et moi, ce que j’ai entendu de Lui, je le dis au monde . A leur tour les Apôtres diront : Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons .

534. Notons ici qu’on ne connaît pas une réalité de la même manière par la vue et par l’ouïe. Par la vue, en effet, on connaît la réalité par la réalité même que l’on voit; tandis que par l’ouïe on ne connaît pas la réalité par la voix même que l’on entend, mais par l’intelligence de celui qui parle. Parce que le Seigneur possède la science qu’Il reçoit de son Père, on parle de CE QU’IL A VU en tant qu’Il procède de l’essence du Père, et de CE QU’IL A ENTENDU en tant qu’Il procède, comme Verbe, de l’intelligence du Père. Dans les réalités intelligentes, autre est l’être, autre le connaître; et, à cause de cela, elles reçoivent leur connaissance autrement de la vue et de l’ouïe. Mais en Dieu le Père, l’être et le connaître sont identiques; et c’est pourquoi, dans le Fils, voir et entendre sont identiques. De même encore, ce n’est pas l’essence même de la réalité en elle-même qui est en celui qui voit, mais une similitude de cette réalité; et en celui qui entend n’est pas sent ce que conçoit "celui qui parle", mais un signe de ce concept; et, à cause de cela, celui qui voit n’est pas l’essence même de la réalité en elle-même, et celui qui entend n’est pas le verbe, ou ce que conçoit, celui qui parle. Mais dans le Fils est l’essence même du Père, reçue par génération, et le Fils est Lui-même le Verbe du Père; voir et entendre sont donc en Lui identiques .

Jean conclut donc de là : "Puisque l’enseignement du Christ est plus élevé et plus certain que le mien, il faut écouter le Christ plus que moi."

535. Plus haut, Jean-Baptiste a attiré l’attention de ses disciples sur l’enseignement du Christ ; il parle maintenant de la foi qu’il faut avoir en cet enseignement, en montrant d’abord la rareté des croyants, c’est-à-dire de ceux qui reçoivent le témoignage , puis le devoir de croire , et enfin la récompense de la foi .

536. Jean déclare donc : "J’affirme que le Christ possède la science certaine et qu’Il dit la vérité. Cependant peu reçoivent son témoignage; mais cela ne diminue en rien son enseignement, parce que cela ne provient pas de Lui mais de ceux qui ne reçoivent pas son témoignage", autrement dit les disciples de Jean qui ne croyaient pas encore et les Pharisiens, qui s’opposaient à l’enseignement du Christ. Voilà pourquoi Jean dit : ET SON TEMOIGNAGE, PERSONNE NE LE REÇOIT.

537. PERSONNE, ici, peut s’entendre en deux sens. PERSONNE peut ici vouloir dire "peu" — si toutefois il en est quelques-uns pour le recevoir. De fait, que quelques-uns le reçoivent, il le montre en ajoutant : CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE... L’Evangéliste s’est déjà exprimé de la même manière en disant plus haut qu’Il est venu chez Lui et que les siens ne l’ont pas reçu , parce que peu L’ont reçu. D’autre part, recevoir le témoignage de Dieu, c’est croire en Dieu; mais nul ne peut croire en Dieu par lui-même : on ne le peut que par Dieu — C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous, car c’est un don de Dieu . En ce sens Jean veut dire que PERSONNE NE LE REÇOIT par lui-même, que seul le reçoit celui à qui cela est donné par Dieu.

On peut encore donner une autre interprétation. L’Ecriture a coutume de parler d’un seul peuple comme de deux. Parce que, tant que nous sommes en ce monde, les méchants sont mêlés aux bons, l’Ecriture parle du "peuple" tantôt avec l’intention de parler des méchants, tantôt avec l’intention de parler des bons. On trouve cette manière de parler dans Jérémie, qui dit d’abord (au chapitre 26), que tout le peuple et les prêtres cherchaient à le tuer — avec ici l’intention de parler des méchants —’ pour dire aussitôt après, en parlant cette fois des bons, que tout le peuple cherchait à le libérer . De même Jean-Baptiste, portant le regard vers la gauche, c’est-à-dire vers les méchants , dit : ET SON TEMOIGNAGE PERSONNE NE LE REÇOIT; puis, se tournant vers la droite, c’est-à-dire vers les bons, il dit : CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE...

538. Jean montre ici l’exigence de la foi, qui consiste à se soumettre à la vérité divine. Pour cela il commence par affirmer la vérité divine , puis parle de l’annonce de cette vérité , puis de la capacité de l’annoncer , et donne enfin la raison de cette capacité .

539. Ce que la foi exige de l’homme, c’est qu’il se soumette à la vérité divine. C’est pourquoi Jean dit que CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE — car, bien que peu le reçoivent, il en est cependant quelques-uns pour le recevoir —, celui-là, quel qu’il soit, CERTIFIE , c’est-à-dire doit poser sur son cœur comme un sceau attestant que le Christ est Dieu, et qu’Il EST VERIDIQUE parce qu’Il se dit Lui-même Dieu; s’Il ne l’était pas, Il ne serait pas véridique or il est écrit que Dieu est véridique C’est de ce sceau qu’il est écrit Pose-moi comme un sceau sur ton cœur et La solide fondation de Dieu tient debout, munie de ce sceau : le Seigneur connaît ceux qui sont à Lui .

On peut encore comprendre avec Chrysostome CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE, celui-là CERTIFIE, c’est-à-dire manifeste, QUE DIEU, le Père, EST VERIDIQUE parce qu’Il a envoyé son Fils qu’Il avait promis d’envoyer. Et l’Evangéliste dit cela pour montrer que ceux qui ne croient pas au Christ nient la vérité du Père. C’est pourquoi il attire aussitôt l’attention sur la vérité divine en disant : "EN EFFET, CELUI QUE DIEU A ENVOYE DIT LES PAROLES DE DIEU".

540. Autrement dit, CELUI QUI REÇOIT SON TE MOIGNAGE CERTIFIE que CELUI dont il reçoit le témoignage, le Christ, QUE DIEU A ENVOYE, DIT LES PAROLES DE DIEU. Voilà pourquoi celui qui croit à Lui croit au Père. Celui qui m’a envoyé est véridique; et moi, ce que j’ai entendu de Lui, je le dis au monde Le Christ ne disait donc que le Père et les paroles du Père, parce qu’Il avait été envoyé par le Père et parce qu’Il est Lui-même le Verbe du Père; et de là vient encore que, quand Il parle de Lui-même, c’est du Père qu’Il parle.

Les paroles DIEU EST VERIDIQUE peuvent aussi se rapporter au Christ. Elles donnent alors à entendre la distinction des personnes. En effet, puisque le Père est le Dieu VERIDIQUE et que le Christ est le Dieu VERIDIQUE, il s’ensuit que le vrai Dieu a envoyé le vrai Dieu, distinct de Lui dans la personne, non dans la nature.

541. Le Christ possède au plus haut degré le pouvoir d’annoncer la vérité parce qu’Il n’a pas reçu l’Esprit AVEC MESURE. Voilà pourquoi Jean dit ici que DIEU NE DONNE PAS L’ESPRIT AVEC MESURE. On pourrait dire en effet que, bien qu’Il ait été envoyé par Dieu, tout ce qu’Il dit ne vient pas de Dieu, mais seulement une partie; car les prophètes eux-mêmes ont parlé tantôt par eux-mêmes, selon leur propre esprit, tantôt en étant mus par l’Esprit de Dieu. On lit par exemple, au second livre de Samuel, que le prophète Nathan, parlant selon son propre esprit, conseilla à David de construire le temple; mais que, par la suite, mû par l’Esprit de Dieu et obéissant à son ordre, il retira ce qu’il avait dit . Mais le Baptiste montre qu’il n’en va pas ainsi pour le Christ; car si les prophètes reçoivent l’Esprit de Dieu avec mesure, c’est-à-dire pour certaines choses et non pour toutes, et, de ce fait, ne disent pas à propos de tout LES PAROLES DE DIEU, le Christ, Lui, parce qu’Il a reçu l’Esprit sans mesure et pour toutes choses, DIT en toutes choses LES PAROLES DE DIEU.

542. Mais comment l’Esprit Saint peut-Il être donné à quelqu’un avec mesure, puisqu’Il est immense, comme l’affirme Athanase dans son Symbole : "Immense est le Père, immense le Fils, immense le Saint-Esprit "

A cela je réponds qu’aux hommes l’Esprit Saint est donné avec mesure, non pas quant à son essence et à sa puissance, selon lesquelles Il est infini, mais quant à ses dons qui, eux, sont donnés avec mesure : A chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don du Christ

543. Il faut noter aussi que ce qui est dit ici du Christ, à savoir que DIEU, le Père, ne Lui a pas donné L’ESPRIT AVEC MESURE, peut s’entendre de deux manières : on peut l’entendre du Christ en tant qu’Il est Dieu ou en tant qu’Il est homme. En effet, si l’on donne quelque chose à quelqu’un, c’est pour que celui-ci le possède, qu’il l’ait. Or avoir l’Esprit Saint convient au Christ à la fois en tant que Dieu et en tant qu’homme; c’est donc à ce double titre qu’Il a l’Esprit Saint. Cependant, en tant qu’homme, Il a l’Esprit Saint comme Celui qui Le sanctifie L’Esprit du Seigneur est sur moi par ce que le Seigneur m’a oint , c’est-à-dire oint en moi l’homme; tandis que, comme Dieu, Il a l’Esprit Saint comme Celui qui seulement Le manifeste, parce qu’Il procède de Lui Celui-là me glorifiera, parce qu’Il recevra de ce qui est à moi, et Il vous l’annoncera .

Ainsi, de l’une et l’autre manière, en tant qu’Il est Dieu et en tant qu’Il est homme, le Christ a l’Esprit Saint sans mesure. Car nous disons qu’au Christ en tant que Dieu, DIEU le Père NE DONNE PAS L’ESPRIT AVEC MESURE parce qu’Il Lui donne le pouvoir et la puissance de spirer l’Esprit Saint. Celui-ci étant infini, le Père Le Lui donne infiniment, et Il Le Lui donne comme Il Le possède Lui-même : c’est-à-dire que, comme Il procède du Père, ainsi l’Esprit procède aussi du Fils. Et cela, le Père le donne au Fils par la génération éternelle. De même le Christ, en tant qu’homme, n’a pas eu Lui L’ESPRIT AVEC MESURE. Aux hommes, en effet, l’Esprit Saint est donné avec mesure parce que c’est avec mesure que sa grâce leur est donnée; mais le Christ, en tant qu’homme, n’a pas reçu la grâce avec mesure, et donc Il n’a pas reçu l’ESPRIT Saint AVEC MESURE.

544. Il faut noter ici qu’il y a dans le Christ trois grâces la grâce d’union, la grâce propre à la personne, ou grâce habituelle, et la grâce capitale, qui est une grâce de fécondité. Chacune de ses grâces a été reçue sans mesure par le Christ.

La grâce d’union, qui n’est pas la grâce habituelle, est un don gratuit accordé au Christ pour qu’Il soit Dieu, Fils de Dieu, non par participation, mais par nature, dans la nature humaine, en tant que la nature humaine du Christ elle-même est unie dans la personne au Fils de Dieu. Cette union est dite "grâce" car le Christ l’a reçue sans aucun mérite antérieur. Et parce que être Dieu par nature est infini , le Christ a reçu, par cette union même, un don infini. Il n’a donc pas reçu AVEC MESURE l’Esprit, c’est-à-dire le don et la grâce de l’union qui, en tant que gratuite, est attribuée à l’Esprit Saint.

On appelle habituelle la grâce selon laquelle l’âme du Christ fut pleine de grâce et de sagesse, comme il a été dit plus haut : nous L’avons vu comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité Cette grâce, on peut se demander s’Il ne l’a pas reçue avec mesure. En effet, puisqu’une telle grâce est un don créé, il faut reconnaître qu’elle a une essence finie .

Certes, dans son essence, en tant qu’elle est quel que chose de créé, la grâce habituelle du Christ fut finie reçue donc limitée; cependant on dit que le Christ l’a reçue sans mesure, pour trois raisons.

D’abord à cause de celui qui reçoit cette grâce. Il est manifeste que la capacité de toute nature est finie; car, même si elle peut recevoir le bien infini en le connaissant, en l’aimant et en jouissant de lui, elle ne le reçoit cependant pas infiniment. Chaque créature a, suivant son espèce et sa nature, une mesure déterminée de capacité; ce qui n’empêche pas que la puissance divine pourrait faire de cette créature une autre créature douée d’une plus grande capacité; mais alors cette dernière ne serait plus de même nature selon l’espèce — de même que, si l’on ajoute une unité au nombre trois, il devient alors une autre espèce de nombre. Quand donc il n’est pas donné à une réalité autant de bonté divine qu’en peut recevoir la capacité naturelle de son espèce, il apparaît que le don lui a été fait avec mesure. Quand, au contraire, toute la capacité naturelle est comblée, il ne semble pas que le don lui soit fait avec mesure, parce que, même s’il y a mesure du côté de celui qui reçoit, il n’y a pas mesure du côté de celui qui donne, lequel est prêt à tout donner. Si quelqu’un porte au fleuve un vase, il y trouve à sa disposition de l’eau sans mesure, bien qu’il la reçoive avec mesure à cause des dimensions limitées du vase. Ainsi, bien que la grâce habituelle du Christ soit finie selon son essence, on dit qu’elle Lui est donnée infiniment, et non avec mesure, parce qu’elle Lui est donnée autant que la nature créée peut la recevoir.

La seconde raison pour laquelle on dit que le Christ a reçu la grâce sans mesure est du côté du don reçu. En effet, toute forme ou tout acte, considéré en lui-même, n’est pas fini à la manière dont il est limité par le sujet en lequel il est reçu; mais rien n’empêche qu’il soit fini selon son essence, en tant que son acte d’être est reçu dans quelque chose. Est infini selon son essence Celui qui a toute la plénitude de l’acte d’être : mais cela ne convient qu’à Dieu, qui est son être. Supposons maintenant qu’une forme particulière, par exemple la blancheur ou la chaleur, existe sans être reçue dans un sujet : elle n’aurait certes pas une essence infinie, puisque son essence serait limitée à un genre ou une espèce; néanmoins elle posséderait toute la plénitude de l’espèce, et donc, considérée en tant qu’espèce, elle serait sans limite ou sans mesure, possédant tout ce qui peut appartenir à cette espèce. Mais si la blancheur ou la chaleur est reçue dans un sujet, elle n’a pas toujours tout ce qui appartient nécessairement et toujours à cette forme considérée en elle-même : elle ne l’a que quand elle est possédée aussi parfaitement qu’elle peut l’être, c’est-à-dire de telle sorte que le mode de possession soit adéquat à la capacité de la réalité possédée. Ainsi, la grâce habituelle du Christ fut certes finie selon son essence, et pourtant on dit qu’elle fut sans limite et sans mesure parce que, tout ce qui pouvait appartenir à la grâce considérée en elle-même , le Christ l’a reçu en totalité. Les autres, eux, ne reçoivent pas tout : l’un reçoit de telle manière, l’autre de telle autre : Il y a répartition des grâces .

Enfin, la troisième raison pour laquelle on dit que le Christ a reçu la grâce sans mesure relève de la cause même de la grâce. Car dans la cause est contenu d’une certaine manière l’effet. On dira donc, de celui (quel qu’il soit) en qui se trouve une cause ayant une puissance infinie de produire un effet, qu’il possède cet effet sans mesure et en quelque sorte infiniment. Par exemple, si quelqu’un possédait une source capable de jaillir infiniment, on dirait qu’il possède l’eau sans me sure et infiniment. De même l’âme du Christ possède une grâce infinie et sans mesure, parce qu’elle est unie au Verbe qui est le principe infini et inépuisable de toute l’émanation des créatures .

De ce qui vient d’être dit il ressort clairement que la grâce du Christ, qu’on appelle "capitale" parce que le Christ est la tête de l’Eglise , est elle aussi infinie dans sa fécondité notre égard. En effet, du seul fait qu’Il possède la grâce, Il la répand. Et donc, parce qu’Il a reçu sans mesure les dons de l’Esprit, Il possède sans mesure la puissance de les répandre, de sorte que la grâce du Christ suffit non seulement au salut de quelques hommes, mais à celui des hommes du monde entier : Il est Lui-même victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier — on pourrait même ajouter : et de plusieurs mondes, s’ils existaient.

545. Le Christ possède aussi la capacité qui convient pour annoncer la vérité divine, parce que tout est en sa puissance. Voilà pourquoi Jean dit : LE PERE AIME LE FILS, ET IL A TOUT REMIS DANS SA MAIN, ce qui peut se rapporter au Christ en tant qu’homme et au Christ en tant que Dieu, mais de deux manières différentes.

Si ces paroles se rapportent au Christ selon sa nature divine, alors AIME n’exprime pas une relation de principe , mais de Signe; car nous ne pouvons pas dire que le Père donne tout au Fils parce qu’Il L’aime, et cela pour deux raisons. D’abord parce que aimer est un acte de la volonté, alors que donner au Fils sa nature, c’est L’engendrer; si donc c’était par sa volonté que le Père donnait au Fils sa nature, c’est la volonté du Père qui serait le principe de la génération du Fils, et par conséquent le Père engendrerait le Fils par sa volonté et non par sa nature — ce que prétend l’hérésie arien ne. En second lieu, parce que l’amour du Père pour le Fils est l’Esprit Saint. Si donc la raison pour laquelle le Père a TOUT REMIS entre les mains du Fils était son amour pour Lui, le Saint-Esprit serait principe de la génération du Fils — ce qui n’est pas conforme à la foi. Il faut donc dire que AIME inclut seulement relation de signe; autrement dit l’amour parfait dont le Père aime le Fils est signifié] par y le fait que le Père a TOUT REMIS DANS SA MAIN, c’est-à-dire tout ce que Lui, le Père, possède — Tout m’a été remis par mon Père . Sachant que le Père avait tout remis dans ses mains...

Mais si ces paroles se rapportent au Christ en tant qu’homme, AIME est comme leur principe. On veut dire alors que le Père a TOUT REMIS entre les mains du Fils, c’est-à-dire tout ce qui est au ciel et sur la terre Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre Dieu (...) a établi Fils héritier de toutes choses . Et pour quelle raison le Père a-t-Il TOUT REMIS au Fils? parce qu’Il L’aime. C’est pourquoi Jean dit : LE PERE AIME LE FILS, car c’est bien l’amour du Père qui est la raison de la création de toute créature Tu aimes tout ce qui est, et tu ne hais rien de ce que tu as fait . L’Ecriture nous parle de cet amour du Père pour le Fils : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis ma complaisance . Dieu le Père (...) nous a transférés dans le Royaume du Fils de son amour , c’est-à-dire de son Fils bien-aimé.

546. Par ces paroles le Baptiste montre quel est le fruit de la foi, et cela en exposant d’abord la récompense de la foi , puis le châtiment de l’infidélité rejet de la foi .

547. La récompense de la foi est inestimable : c’est la vie éternelle. Jean le dit ici, et ce qui précède le montre. Si le Père A TOUT REMIS au Fils, c’est-à-dire s’Il Lui a donné tout ce qu’Il a, et s’Il a la vie éternelle, Il a donc donné aussi au Fils d’être la vie éternelle Com me le Père a la vie en Lui-même, ainsi a-t-Il donné au Fils d’avoir la vie en Lui-même , ce qui convient au Christ en tant qu’Il est le vrai Fils de Dieu par nature — Afin que nous soyons en son vrai Fils, Jésus-Christ. C’est Lui le véritable Dieu et la vie éternelle . Celui qui croit en Lui a ce vers quoi il tend, c’est-à-dire le Fils Lui-même en qui il croit. Et parce qu’Il est Lui-même la vie éternelle, celui qui croit en Lui a la vie éternelle Mes brebis écoutent ma voix (...) et moi je leur donne la vie éternelle .

548. Le châtiment de l’infidélité est intolérable, tant en ce qui concerne la peine du dam, qu’en ce qui regarde la peine du sens .

Il est intolérable en ce qui concerne la peine du dam, parce qu’on est privé de la vie. C’est pourquoi Jean dit : CELUI QUI REFUSE DE CROIRE AU FILS NE VERRA PAS LA VIE. Il ne dit pas : "n’aura pas", mais NE VER RA PAS, parce que la vie éternelle consiste dans la vision de la vraie vie — La vie éternelle, c’est qu’ils te connais sent, toi le seul vrai Dieu, et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ . Cette vision et cette connaissance, ceux qui refusent de croire ne l’auront pas : l’impie, dit le livre de Job, ne voit pas couler les ruisseaux d’huile], les torrents de miel et de laitage , c’est-à-dire la vie éternelle. Et Jean dit NE VERRA PAS, parce que voir la vie elle-même est la récompense propre de la foi formée

Le châtiment de l’infidélité du rejet de la foi est également intolérable en ce qui concerne la peine du sens, parce qu’on est lourdement puni. C’est pourquoi Jean dit : LA COLERE DE DIEU DEMEURE SUR LUI – L’Ecriture, en effet, parle de la "colère" de Dieu pour exprimer la peine dont Il punit les méchants. Par conséquent, dire LA COLERE DE DIEU le Père DEMEURE SUR LUI, c’est dire : il ressentira la peine infligée par Dieu le Père. Et bien que le Père ait remis au Fils tout jugement , le Baptiste attribue cependant cela au Père, dans le dessein d’amener par là les Juifs à croire au Fils. Et de ce jugement il est dit qu’il est terrible de tomber aux mains du Dieu vivant . S’il dit que la colère de Dieu DEMEURE sur ceux qui refusent de croire, c’est parce que cette peine qu’ils devront subir ne cessera jamais, et parce que tous ceux qui naissent en cette vie mortelle ont sur eux la colère de Dieu que porta le premier Adam — Nous étions par nature, c’est-à-dire par notre naissance, fils de colère . Or, de cette colère, nous ne sommes délivrés que par la foi au Christ; c’est pourquoi ceux qui ne croient pas en le Christ, Fils de Dieu, LA COLERE DE DIEU DEMEURE sur eux.
Saint Théophylacte d'Ohrid
Jésus-Christ, en effet, vient d'en haut et descend du Père, et il occupe une place si élevée qu'elle le distingue et le sépare de tous les hommes.

En entendant ces paroles : « Il rend témoignage de ce qu'il a vu et entendu, » n'allez pas croire que le Fils de Dieu ait besoin d'apprendre quelque chose de son Père ; tout ce que le Fils connaît en vertu de sa nature vient de son Père, et c'est en ce sens qu'il apprend de son Père tout ce qu'il sait. Mais qu'est-ce que le Fils a pu entendre du Père ? Peut-être la parole du Père ? Mais il est lui-même la parole, le Verbe du Père.
La Glose
C'est-à-dire celui qui vient du Père est au-dessus de tous de deux manières : Premièrement, au-dessus de la nature humaine, qu'il n'a prise que dans un état exempt de péché, et secondement, parce qu'il partage l'élévation du Père dont il est l'égal.
Alcuin d'York
Ou bien encore : « Il vient d'en haut, » c'est-à-dire des hauteurs que la nature humaine occupait avant le péché du premier homme. C'est sur ces hauteurs que le Verbe de Dieu a pris la nature humaine, dont il a revêtu les peines, sans prendre la faute.
Saint Augustin
Ou bien, ces paroles : « Il parle de la terre, » doivent s'entendre de l'homme qui suitses propres inspirations ; car lorsqu'il parle un langage divin, c'est Dieu qui l'éclairé et qui l'inspire, comme le reconnaît le grand Apôtre : « Ce n'est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi.» (1 Co 15, 10.) C'est-à-dire que Jean, considéré en lui-même, vient de la terre, et parle le langage de la terre, et s'il vous a fait entendre le langage du ciel, ce n'est point de lui-même, mais par un effet de la grâce qui l'a rempli de ses lumières.

Lorsque vous concevez la parole que vous devez dire, vous voulez exprimer une idée, et la conception de cette idée est déjà une parole dans votre cœur. Or, de même que vous avez dans votre cœur la parole que vous devez dire, et qu'elle est vraiment en vous, ainsi Dieu a produit sa parole, son Verbe, c'est-à-dire a engendré son Fils. Donc, comme le Verbe de Dieu est le Fils de Dieu et que c'est le Fils de Dieu qui a parlé, celui qui parlait le Verbe du Père a voulu nous faire connaître non sa parole, mais le Verbe, la parole du Père. Jean-Baptiste a exposé ce mystère autant qu'il était nécessaire de le faire, et de la manière la plus convenable.
Saint Jean Chrysostome
Jean-Baptiste, ayant étouffé tout sentiment d'envie dans le cœur de ses disciples, leur parle de Jésus-Christ avec une plus grande liberté, car tout ce qu'il aurait pu dire auparavant eut été inutile, et n'eût point trouvé d'écho dans des esprits si mal disposés. Il continue donc en ces termes : « Celui qui vient du ciel est au dessus de tous. »

De même que le ver ronge le bois, et la rouille le fer, ainsi la vaine gloire perd l'âme qui la nourrit et l'entretient. Aussi devons-nous mettre tous nos soins à détruire en nous celte malheureuse passion. Malgré tant de raisons convaincantes, Jean-Baptiste peut à peine guérir ses disciples atteints de cette funeste maladie, et il est comme obligé de leur apporter de nouvelles raisons : « Celui qui vient d'en haut, est au-dessus de tous. » Puisque vous avez en si grande estime mon témoignage, leur dit-il, et que vous ne voyez rien qui soit plus digne de foi, sachez donc que ce n'est pas à celui qui habite la terre, à recommander comme digne d'être cru celui qui vient du ciel. Tel est le sens de ces paroles : « Il est au-dessus de tous, » c'est-à-dire, il se suffît à lui-même, et sa grandeur est en dehors de toute comparaison.

Cependant Jean-Baptiste ne venait pas tout entier de la terre, il avait une âme et il participait de l'esprit, qui ne vannent point de la terre. Pourquoi donc déclare-t-il qu'il vient de la terre ? Cette manière de s'exprimer signifie simplement dans l'intention du Précurseur, qu'il est peu de chose, parce qu'il vient de la terre, qu’il est né sur la terre, et qu'il ne peut en aucune sorte entrer en comparaison avec Jésus-Christ qui est venu du ciel : « Il parle de la terre, » non pas dans ce sens qu'il parle d'après ses propres inspirations, mais comparativement à la doctrine de Jésus-Christ, comme s'il disait : Ma personne, ma doctrine sont trop inférieures pour entrer en comparaison avec la personne et la doctrine de Jésus-Christ ; elles sont ce qu'il convient d'être à la nature humaine et terrestre, comparée à celui en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu. (Col 2, 3.)

Après ces idées si hautes et si relevées sur Jésus-Christ, Jean-Baptiste descend de ces hauteurs et parle, pour ainsi dire, un langage plus humain : « Et ce qu'il a vu et entendu, il en rend témoignage. » C'est par ces deux sens de l'ouïe et de la vue que nous arrivons à une connaissance certaine de toutes choses, et nous sommes regardés comme des maîtres dignes de foi, lorsque nous enseignons les choses que nous avons vues ou entendues. Jean-Baptiste applique cette vérité à Jésus-Christ en disant de lui : « Et ce qu'il a vu et entendu, il en rend témoignage, » il établit ainsi que les paroles du Sauveur ne renferment aucune erreur et qu'elles sont la vérité même. Quant à moi, semble-t-il dire, j'ai besoin d'être instruit par celui qui vient du ciel, et j'annonce ce qu'il a vu et entendu, c'est-à-dire les vérités dont il a seul une connaissance entière et parfaite.