Jean 2, 17
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment.
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment.
Ce souvenir vint sur le champ à l’esprit des disciples (Cfr. v. 22). L’impression produite en eux par
le spectacle dont ils avaient été témoins leur fit découvrir, la grâce de Dieu aidant, une frappante harmonie
entre le mot de David, Le zèle de votre maison me dévore, et le rôle de leur Maître. Ce mot, le psalmiste se
l’était appliqué directement ; mais il convient beaucoup mieux encore au Messie, dont David était le type et
la figure. Du reste, le psaume auquel il est emprunté (68, 10) est cité comme messianique en plusieurs
endroits du Nouveau Testament. Cf. Joan. 15, 25 ; 19, 18 ; Act. 1, 20 ; Rom. 11, 9, 10 ; 15, 3. - Me dévore
(belle métaphore). - Il est écrit. S. Jean use habituellement de cette tournure. Cf. 6, 31, 45 ; 10, 34 ; 12, 14. Il
n’emploie qu’une fois (8, 17) la formule grecque des autres évangélistes. - L’expulsion des vendeurs dont le
quatrième évangile vient de nous fournir le récit ne doit pas être confondue avec celle que les synoptiques
relateront plus tard. Comp. Matth. 21, 12 et ss. ; Marc. 11, 15 et ss. ; Luc. 19, 45 et 46. Sans doute, on a
parfois proposé dans les camps protestant et rationaliste (Lücke, de Wette, Strauss, von Ammon, etc.)
d’identifier les deux scènes. S. Jean, nous dit-on, se serait permis de placer au début de la vie publique, à la
façon d’un programme de son héros, ce qui n’aurait eu lieu en réalité qu’aux derniers jours de Jésus ; ou
bien, cette transposition serait le fait de synoptiques. Mais une pareille opinion est absolument inadmissible.
En effet : 1° les écrivains sacrés ne prennent jamais de libertés si étranges à l’égard des faits qu’ils
racontent ; 2° ils fixent ici très nettement les dates de part et d’autre : s’il y a identité, ou S. Jean ou les
synoptiques se sont trompés ; or nous ne saurions admettre une erreur de ce genre ; 3° chacun des récits,
malgré des points communs, a « sa physionomie individuelle » (Hengstenberg) et présente des différences
importantes : notamment, en ce qui concerne les paroles de Jésus, l’usage du fouet, les conséquences
immédiates de l’acte ; 4° la tradition a toujours distingué deux faits, et tel est aussi le sentiment de la plupart
des exégètes modernes (Cf. S. August., de Cons. Evang., 2, 67 ; A. Maier, Evang. des Johannes, p. 273 et
ss.) ; 5° enfin la répétition du même incident n’a rien d’impossible, ni du côté des Juifs qui ne tardèrent pas,
la première émotion une fois calmée, à reprendre leurs tristes habitudes, ni du côté de Notre-Seigneur, qui
voulut signaler le commencement et le fin de son ministère par cet acte de zèle, tout en tolérant l’abus durant
les séjours intermédiaires qu’il fit à Jérusalem.
366. Plus haut l’Evangéliste a exposé le signe que fit le Christ pour affermir ses disciples; ce signe relevait de son pouvoir de transformer la nature. Ici, il s’agit de sa Résurrection, qui relève de ce même pouvoir et que le Christ annonça dans le dessein de convertir les foules.
L’Evangéliste commence c'est l’objet de cette leçon par exposer l’occasion de l’annonce du miracle de la Résurrection; il rapporte ensuite la prophétie elle-même .
Au sujet de l’occasion, l’Evangéliste nous décrit le lieu , puis indique le fait qui fut l’occasion de l’annonce du miracle .
Le lieu où cela se passa est Jérusalem; c’est pour quoi l’Evangéliste montre graduellement dans quel ordre le Seigneur se rendit à Jérusalem : il montre comment Il descendit d’abord à Capharnaüm, puis comment Il monta à Jérusalem .
En ce qui concerne la descente de Jésus à Capharnaüm, Jean commence par indiquer le lieu ; puis il décrit l’entourage de Jésus ; enfin il indique la durée de son séjour .
367. Le lieu où Jésus descendit est Capharnaüm; c’est pourquoi Jean dit : APRES CELA, c’est-à-dire après le miracle du vin, IL DESCENDIT A CAPHARNAÜM. Il semble, du point de vue historique, que cette affirmation soit contredite par Matthieu ; pour lui, le Seigneur serait descendu à Capharnaüm après l’emprisonnement de Jean-Baptiste : or ce que l’Evangéliste rapporte ici est tout à fait antérieur à l’emprisonnement de Jean : car Jean n’avait pas encore été mis en prison
Pour comprendre cette question, il faut savoir que, d’après l’Histoire ecclésiastique , les autres Evangélistes, c’est-à-dire Matthieu, Marc et Luc, commencèrent leur récit évangélique à l’époque de l’emprisonnement de Jean-Baptiste. Ainsi Matthieu, aussitôt après avoir raconté le baptême du Christ, son jeûne et sa tentation, commence son récit à partir de l’emprisonnement de Jean-Baptiste : Comme Jésus avait appris l’arrestation de Jean-Baptiste, Il se retira en Galilée . Marc fait de même et écrit : Après l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus vint en Galilée . Lorsque Jean l’Evangéliste, qui survécut aux trois autres Evangélistes, eut connaissance de leurs écrits, il en approuva la fidélité et la vérité. Cependant, voyant qu’il y manquait certains faits — les actions du Seigneur au temps de sa première prédicationet avant l’emprisonnement de Jean —, à la prière des fidèles il fit remonter plus haut son Evangile en rapportant les actions du Seigneur avant l’arrestation de Jean, c’est-à-dire en partant de l’année où Jésus fut baptisé, comme on le voit dans l’ordre du récit de son Evangile. Ainsi les Evangélistes ne s’opposent pas, parce que le Seigneur descendit deux fois à Capharnaüm : une première fois avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste — il s’agit de celle dont Jean parle ici; et une autre fois, après — celle dont parlent Matthieu et Luc .
368. Capharnaüm veut dire "ville très belle" et signifie ce monde dont la beauté provient de l’ordre et de la disposition pensée par la divine Sagesse — La beauté des champs est en ma possession dit le Seigneur Le Seigneur descendit donc à Capharnaüm, c’est-à-dire dans ce monde, avec sa mère, ses frères et ses disciples. Car au ciel, le Seigneur a un Père, mais pas de mère; sur terre, Il a une Mère, mais pas de père; aussi Jean nomme-t-il expressément sa Mère seule . Au ciel, Il n’a pas non plus de frères, car Il est le Fils unique qui est dans le sein du Père ; mais, sur terre, Il est le premier-né d’une multitude de frères . Sur terre, le Christ a des disciples à qui Il enseigne les mystères de la divinité auparavant inconnus des hommes, car l’Apôtre dit : Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils .
Capharnaüm peut encore se traduire par "champ de consolation", et signifie alors tout homme qui porte du bon fruit — Voici, l’odeur de mon fils est comme l’odeur d’un champ fertile, que le Seigneur a béni Isaac de son fils Jacob Un tel homme est appelé "champ de consolation" car il console le Seigneur qui se réjouit de ses progrès — Comme l’épousée fait l’allégresse de l’époux, tu feras l’allégresse de ton Dieu , et parce que les anges se réjouissent de sa bonté — Il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence .
369. L’Evangéliste dit : IL DESCENDIT AVEC SA MERE. Jésus était donc accompagné en premier lieu de sa Mère, car elle était venue aux noces et c’est elle qui avait sollicité le miracle; le Seigneur la reconduisait à Nazareth , ville de Galilée dont la métropole était Capharnaüm.
370. En second lieu, Jésus était accompagné de SES FRERES. A ce sujet il faut se garder de deux erreurs. En premier lieu celle d’Elvidius, pour qui la Vierge eut d’autres fils après le Christ; ce sont ceux-là qu’il appelle "frères" du Seigneur, ce qui est hérétique. Notre foi tient que la Mère du Christ, vierge avant l’enfantement, le demeura pendant et après l’enfantement.
Ensuite, l’erreur de ceux qui prétendent que Joseph avait engendré d’une autre épouse des fils qu’on appelait "frères" du Seigneur; mais l’Eglise ne l’admet pas. Aussi Jérôme les condamne-t-il. En effet le Seigneur, suspendu à la croix, confia la Vierge, sa Mère, à la garde du disciple vierge; donc, puisque Joseph a été le gardien spécial de la Vierge et même du Sauveur pendant son enfance, on peut croire qu’il fut vierge lui-même.
En conséquence, selon une saine intelligence du texte, nous disons que les "frères" du Seigneur étaient des parents consanguins de la Vierge, sa Mère, à un degré quelconque, ou encore de Joseph que l’on croyait père de Jésus; cela est conforme à l’usage de la Sainte Ecriture, qui appelle en général "frères" les parents consanguins. On lit par exemple dans la Genèse : Abraham dit à Lot : "Qu’il n’y ait pas de discorde entre toi et moi, car nous sommes frères" , alors que Lot était le neveu d’Abraham. Remarquons d’autre part que l’Evangéliste nomme séparément les FRERES et les DISCIPLES de Jésus, parce que tous les parents consanguins du Christ n’étaient pas ses disciples — Même ses frères ne croyaient pas en Lui .
371. Enfin Jésus avait pour compagnons SES DISCIPLES. Cela pose une question : qui étaient ces disciples? Il semble, selon Matthieu, que les premiers à se convertir au Christ furent Pierre et André, Jean et Jacques; mais le Christ les appela après l’emprisonnement de Jean-Baptiste, Matthieu le dit clairement ne semble donc pas que ceux-ci soient descendus avec le Christ à Capharnaüm, comme Jean le dit ici, puisque cette descente à Capharnaüm eut lieu avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste.
A cela on peut donner deux réponses. Selon Augustin , Matthieu ne respecte pas l’ordre historique des faits, mais, récapitulant ce qu’il avait laissé de côté, il rapporte après l’emprisonnement de Jean-Baptiste des événements qui réalité sont antérieurs. Aussi, sans marquer d’aucune manière un rapport chronologique, Matthieu dit : Jésus marchant près de la mer vit deux frères, Simon (...) et André , sans ajouter "après cela" ou "en ces jours-ci".
L’autre réponse, également d’Augustin , est que par "disciples" l'Evangile n’entend pas seulement les douze que le Christ choisit et nomma Apôtres , mais aussi tous ceux qui croyaient en Lui et qui étaient instruits par son enseignement sur le Royaume des Cieux. Il se peut donc que, bien que les douze n’eussent pas encore suivi Jésus, d’autres cependant qui s’étaient joints à Lui soient appelés ici SES DISCIPLES. Cependant la première réponse est meilleure.
372. Jean résume ici brièvement le court séjour à Capharnaüm. La raison en est que les habitants de cette ville, parce qu’ils étaient très corrompus, ne montrèrent aucun empressement à recevoir la doctrine du Christ; c’est pourquoi Matthieu dit que le Seigneur les réprimanda, parce que ni les prodiges accomplis chez eux, ni son enseignement ne les avaient amenés à faire pénitence : Toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jus qu’au ciel? (...) jusqu’aux enfers tu descendras. Parce que, si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle serait encore là aujourd’hui . Cependant, bien qu’ils fussent mauvais, le Seigneur descendit là pour y reconduire sa Mère, et Il s’y arrêta quel que temps afin de la consoler et de l’honorer .
373. Au sens mystique, l’Evangile de Jean nous fait connaître par là que certains ne peuvent retenir beau coup de paroles du Christ mais se contentent de peu pour leur illumination, à cause du peu de capacité de leur intelligence. C’est pourquoi, selon Origène , auprès de ceux-là le Christ ne s’attarde pas à de longs enseignements — J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent .
374. L’Evangéliste indique ensuite le lieu où monta Jésus. A ce sujet il rapporte d’abord l’occasion de sa montée à Jérusalem; puis il parle de la montée elle-même .
375. L’occasion de sa montée fut la Pâque des Juifs, qui était imminente. Dans l’Exode, il est prescrit que, trois fois par an, tous les mâles viendront devant le Seigneur ; et la Pâque était l’une de ces trois époques. Comme le Seigneur était venu pour donner à tous l’exemple de l’humilité et de la perfection, Il voulut, aussi longtemps qu’elle serait en vigueur, observer la Loi; car Il vint non l’abolir, mais l’accomplir, comme Il le dit Lui-même ; pour ce motif, comme LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE, JESUS MONTA A JERUSALEM. A l’exemple du Christ, nous devons donc observer avec soin les préceptes divins. Si en effet, célébrant les solennités, le Fils de Dieu a accompli les prescriptions de la Loi qu’Il avait donnée, avec quelle grande application pour les bonnes œuvres ne devons-nous pas pré parer et célébrer les fêtes?
376. Remarquons que Jean, dans son Evangile, fait mention de la Pâque en trois endroits : ici, puis plus loin à propos du miracle des pains : La Pâque était proche, jour de la fête des Juifs ; et, plus loin encore : Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue.... Nous savons donc, d’après cet Evangile, qu’après le miracle du vin le Christ prêcha durant deux ans, plus le temps compris entre son baptême et la Pâque; car le fait dont nous parlons eut lieu vers la Pâque, comme le dit ici Jean. Après une année révolue, à un moment proche de la Pâque suivante, Jésus fit le miracle des pains, et c’est à cette époque que Jean-Baptiste fut décapité. C’est bien aux environs de la Pâque qu’il fut décapité, puisque, comme le dit Matthieu , aussitôt après la décollation de Jean-Baptiste, le Christ se retira au désert et y fit le miracle des pains qui eut lieu aux alentours de la Pâque comme Jean le dit plus loin . Toutefois on célèbre la fête de cette décollation le jour de la découverte de la tête de Jean-Baptiste. Enfin Jésus souffrit sa passion lors d’une autre Pâque.
Selon l’opinion de ceux pour qui le miracle effectué aux noces et les faits rapportés ici eurent lieu l’année même du baptême du Christ, deux années et demie se seraient donc écoulées du baptême à la passion; ainsi, d’après eux, Jean dit que la PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE pour montrer que Jésus avait été baptisé peu de jours auparavant.
Cependant l’Eglise soutient le contraire. Nous croyons en effet que le Christ accomplit le miracle du vin un an jour pour jour après son baptême; que, un an plus tard, aux approches de la Pâque, Jean-Baptiste fut décapité; et que, depuis cette Pâque aux environs de laquelle Jean fut décapité, jusqu’à la Pâque où souffrit le Christ, il s’écoula une année. Il faut donc qu’il y ait eu, entre le baptême du Christ et le miracle du vin, une autre Pâque dont aucun évangéliste ne fait mention.
Ainsi, selon ce que l’Eglise affirme, le Christ prêcha trois ans et demi.
377. Si Jean dit LA PAQUE DES JUIFS, ce n’est pas parce que des hommes d’une autre nation auraient eux aussi célébré la Pâque, mais pour deux raisons qui sont les suivantes . Nous disons en effet qu’une fête célébrée d’une manière sainte et avec pureté d’intention est une fête célébrée pour le Seigneur; si au contraire on ne la célèbre ni purement, ni saintement, on célèbre non pour le Seigneur, mais pour soi-même — c’est pour quoi le Seigneur dit : Mon âme a horreur de vos nouvelles lunes et de vos fêtes autrement dit : parce que vous les célébrez non pour moi, mais pour vous, elles me déplaisent. Quand vous jeûniez, (...) était-ce pour moi que vous jeûniez? Non veut-il dire, mais pour vous. Et puisque les Juifs dont il est question ici étaient corrompus et célébraient mal leur Pâque, l’Evangéliste ne dit pas : "La Pâque du Seigneur", mais : LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE.
Ou encore, Jean s’exprime ainsi pour différencier la Pâque DES JUIFS de la nôtre; la Pâque DES JUIFS était préfigurative, car elle était célébrée par l’immolation d’un agneau, figure du Christ; tandis que notre Pâque est la véritable : en elle, nous commémorons la véritable passion de l’Agneau immaculé — Le Christ, notre Pâque, a été immolé .
378. Notons ici que, selon l’ordre historique des faits, Jésus est monté à deux reprises à Jérusalem vers la fête de la Pâque et a chassé du Temple acheteurs et vendeurs : une première fois avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste (c’est ce que rappelle ici l’Evangéliste); une autre fois, alors que le temps de la passion était imminent, comme le raconte Matthieu . En effet, à plusieurs reprises le Seigneur a fait les mêmes œuvres : on le constate à propos des deux aveugles à qui Il a donné la vue, guérisons dont l’une est rapportée par Matthieu , l’autre par Marc . De la même façon, Il chasse deux fois du Temple vendeurs et acheteurs.
379. JESUS MONTA A JERUSALEM peut être pris au sens mystique. Jérusalem, qui veut dire "vision de paix", signifie la béatitude éternelle vers laquelle Il monta et conduisit les siens. Et le fait que Jésus descende à Capharnaüm pour ensuite monter à Jérusalem n’est pas sans signification mystique; car s’Il n’était pas d’abord descendu, Il n’aurait pu monter — Celui qui est descendu, c’est le même qui est aussi monté . Cependant l’Evangéliste ne fait pas mention des disciples dans la montée vers Jérusalem parce que l’ascension des disciples est la conséquence de l’ascension du Christ — Personne n’est monté au ciel si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel .
380. L’Evangéliste rapporte ici le fait qui amena le Christ à donner aux Juifs le signe de la Résurrection; il montre d’abord la perversion des Juifs, puis il indique le remède que le Christ lui applique , où il voit la réalisation d’une parole prophétique .
381. A propos de cette perversion des Juifs, il faut savoir que le diable tend des embûches dans les choses de Dieu et s’efforce de les corrompre. Parmi les divers moyens dont il use pour corrompre les choses saintes, le principal est le vice de l’avarice — Les pasteurs d’Israël ne comprennent rien, ils se détournent pour suivre leur propre chemin, chacun suit son avarice, du plus grand au plus petit . C’est ce qu’a fait le diable depuis les temps les plus reculés. Car les prêtres de l’Ancien Testament, qui avaient été établis pour vaquer aux choses divines, s’adonnaient à l’avarice. Or Dieu avait ordonné dans la Loi qu’en certaines solennités on immolât au Seigneur tels et tels animaux; pour accomplir ce précepte, ceux qui habitaient près du Temple y venaient en amenant les animaux avec eux, mais ceux qui venaient de loin ne pouvaient agir de même. Aussi, comme ce genre d’offrande profitait aux prêtres, pour que ceux qui venaient de loin soient pourvus d’animaux à offrir, les prêtres eux-mêmes s’arrangèrent pour qu’on vendît ces animaux dans le Temple; à cet effet ils les faisaient exposer dans le Temple, c’est-à-dire sur les parvis du Temple. C’est ce que dit Jean : Le Seigneur TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VENDAIENT DES BŒUFS, DES BREBIS ET DES COLOMBES. Il mentionne ici deux espèces d’animaux vivant sur terre qui, selon la Loi, pouvaient être offerts au Seigneur en sacrifice : le bœuf et la brebis. Une troisième espèce qu’on offrait aussi et qui vit sur terre, la chèvre, est comprise avec la brebis. De la même façon, la tourterelle est comprise avec la colombe; en effet, parmi les oiseaux on en offrait deux au Seigneur : la colombe et la tourterelle.
382. Comme il arrivait parfois que certains se rendent au Temple sans animaux ni argent, et ne puissent donc rien acheter, les prêtres trouvèrent une astuce d’avare : ils installèrent des changeurs et des banquiers qui prêtaient de l’argent à ceux qui n’en avaient pas. Ceux-ci ne pratiquaient pas l’usure, parce que cela était interdit par la Loi, mais ils recevaient à la place de petits cadeaux et des objets sans valeur qui, eux aussi, passaient au profit des prêtres. C’est à cela que Jean fait allusion en disant que le Seigneur trouva DES CHANGEURS ASSIS dans le Temple, disposés à prêter de l’argent.
383. Au sens mystique, les paroles de l'Evangéliste peuvent s’entendre de trois manières. D’abord, vendeurs et acheteurs signifient ceux qui vendent ou achètent les biens ecclésiastiques. Les BREBIS, les BŒUFS et les COLOMBES symbolisent les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié. Car ces biens ont été consacrés et ratifiés par la doctrine des Apôtres et des docteurs, symbolisés par les BŒUFS — Où les récoltes sont abondantes, la force du bœuf paraît clairement , et par le sang des martyrs, symbolisés par les BREBIS : c’est en leur nom que parlent le Psalmiste et l’Apôtre : On nous regarde comme des brebis d’abattoir . Il y a enfin les dons du Saint-Esprit, symbolisés par les COLOMBES car, comme le dit Jean : J’ai vu l’Esprit des cendre du ciel comme une colombe . C’est donc la doctrine même des Apôtres, le sang des martyrs et les dons du Saint-Esprit, que vendent ceux qui osent vendre les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié.
II arrive également que certains prélats ou intendants des Eglises vendent BŒUFS, BREBIS et COLOMBES, non pas ouvertement, par simonie, mais inconsciemment, par négligence : par exemple quand ils convoitent et s’occupent des richesses temporelles au point d’en négliger le salut spirituel de ceux qui leur sont soumis; car, ce faisant, ils vendent BREBIS, BŒUFS et COLOMBES, c’est-à-dire les trois sortes d’hommes qui leur sont soumis. D’abord les prédicateurs et les responsables d’œuvres, symbolisés par les BŒUFS — Heureux vous qui semez partout où il y a de l’eau, et laissez en liberté le pied du bœuf et de l’âne. Car les prélats doivent assigner leur place aux BŒUFS, c’est-à-dire aux docteurs et aux sages, parmi les ânes , c’est-à-dire les incultes et les simples. Ils tirent aussi profit des exécutants et de ceux qui s’acquittent d’un service, symbolisés par les BREBIS — Mes brebis entendent ma voix ... Et ceux-ci qui sont des brebis, qu’ont-ils fait? Enfin ils tirent profit des contemplatifs, symbolisés par les COLOMBES — Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe? Alors je volerais et me reposerais, je m’enfuirais au loin et j’irais demeurer au désert .
Par le TEMPLE de Dieu, on peut aussi entendre l’âme spirituelle — Le temple de Dieu est saint, et ce temple c’est vous. L’homme vend donc BREBIS, BŒUFS et COLOMBES dans le TEMPLE quand il garde dans son âme les instincts bestiaux, pour lesquels il se vend au diable. Les bœufs, qui servent à l’agriculture, symbolisent les désirs terrestres; la brebis, animal stupide, signifie la sottise humaine; la colombe est le symbole de l’instabilité de l’homme : autant de choses que Dieu chasse du cœur des hommes.
384. C’est pourquoi Jean expose aussitôt le remède qu’employa le Seigneur, remède de l’œuvre et de la parole, pour apprendre à ceux qui ont la charge de l’Eglise le devoir qu’ils ont de corriger leurs sujets par des actes et des paroles. Jean expose d’abord le remède que le Seigneur appliqua par des actes, ensuite celui qu’Il appliqua par sa parole .
385. Le premier remède de Jésus consiste en trois actions : chasser les hommes, puis les brebis et les bœufs, enfin jeter par terre la monnaie. Il chasse les hommes avec un fouet, comme le dit Jean : SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA TOUS DU TEMPLE, ce qu’Il ne put faire qu’en usant de sa puissance divine; car, ainsi que le rapporte Origène , la puissance divine de Jésus pouvait, quand Il le voulait, étouffer la colère enflammée chez les hommes, comme Il pouvait calmer l’agitation des esprits — Le Seigneur, en effet, réduit à néant les pensées des hommes . Le Christ fait un FOUET DE CORDES parce que, selon Augustin , il tire de nos fautes la matière de notre punition; on appelle en effet CORDES l’enchaînement ininterrompu de péchés s’ajoutant les uns aux autres — Le méchant est lié par les cordes du péché . Malheur à vous qui vous servez des mensonges comme de cordes pour traîner une longue suite d’iniquités . Et de même qu’Il chassa les marchands du Temple, de même le Seigneur jeta à terre la monnaie des changeurs et renversa leurs tables.
386. Remarquons-le, si le Christ chassa du Temple ce qui paraissait d’une certaine manière licite parce que cela était ordonné au culte de Dieu, à combien plus forte raison n’aurait-Il pas agi ainsi s’Il y avait trouvé des choses illicites. Il LES CHASSA donc parce que les prêtres ne cherchaient pas en cela l’honneur de Dieu, mais leurs intérêts propres; c’est pourquoi il est dit : Vous avez mis des incirconcis de cœur et de chair pour garder mes observances dans mon sanctuaire . Et le Seigneur montre du zèle pour l’observance de la Loi afin de confondre par là même les pontifes et les prêtres qui allaient Le calomnier à propos de cette Loi.
En chassant tout cela du Temple, Jésus donna aussi à entendre que les temps étaient proches où les sacrifices de la Loi devraient cesser et où le vrai culte de Dieu passerait aux gentils Il le dira un jour explicitement aux Juifs : Le Royaume de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui en produira les fruits . Et de même Il montrait que se damnent ceux qui ven dent les choses spirituelles — Périsse ton argent avec toi, puisque tu as pensé acquérir le don de Dieu à prix d’argent .
387. Jean expose ici le remède que Jésus appliqua par sa parole. Remarquons que, d’après ce texte, les Simoniaques doivent être aussitôt chassés de l'Eglise. Cependant, tant qu’ils vivent, ils peuvent se convertir en usant de leur libre arbitre et revenir à l’état de grâce avec l’aide de Dieu; ils ne doivent donc pas désespérer. Mais s’ils ne se convertissent pas, alors ils ne sont même plus chassés, ils sont liés par ceux à qui il est dit : Liez-lui pieds et mains et jetez-le dans les ténèbres du dehors . C’est pourquoi le Seigneur, observant cela, les avertit d’abord par ces paroles : ENLEVEZ CELA D’ICI; et ensuite Il leur donne la raison de son avertissement : NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC.
388. Le Seigneur avertit donc les vendeurs de colombes en les réprimandant parce qu’ils symbolisent ceux qui vendent les dons du Saint-Esprit, c’est-à-dire les Simoniaques.
389. Et il donne la raison de son avertissement en disant : NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC... Otez de devant mes yeux la malignité de vos pensées . Remarquons que, d’après Matthieu , le Seigneur déclare : Ne faites pas de ma maison un repaire de brigands; mais qu’ici Il dit : UNE MAISON DE TRAFIC. Le Seigneur agit ainsi parce que, comme un bon médecin, Il commence par des remèdes assez doux pour en présenter ensuite de plus âpres. Le fait rapporté ici par Jean est le premier qui eut lieu. Aussi le Christ, au début, ne les appelle pas" brigands", mais" trafiquants". Cependant, parce qu’à cause de leur dureté ils n’avaient toujours pas cessé ce commerce, le Seigneur, les chassant de nouveau, les réprimande durement, traitant de brigandage ce qu’Il avait d’abord appelé négoce.
Le Seigneur dit LA MAISON DE MON PERE, afin de prévenir l’erreur des Manichéens qui disaient que le Père du Christ n’avait pas été le Dieu de l’Ancien Testament, mais le Dieu du Nouveau. Si cela était vrai, puisque le Temple était la maison du Dieu de l’Ancien Testament, le Christ n’aurait certainement pas appelé le Temple la maison de son Père.
390. Mais pourquoi les Juifs ne sont-ils pas troublés de ce qu’Il appelle ici Dieu son PERE, alors que l’Evangéliste, plus loin , dit qu’ils Le persécutaient pour ce motif? A cette question il faut répondre que Dieu est le Père de certains par adoption, c’est-à-dire des justes, et que cela n’était pas nouveau pour les Juifs — Tu m’appelleras mon Père, et tu ne te sépareras pas de moi . Mais, par nature, Dieu n’est Père que du Christ — Le Seigneur m’a dit : Tu es mon Fils, c’est-à-dire mon propre et véritable FILS ; et cela était inouï pour les Juifs. C’est parce que Jésus se disait le vrai Fils de Dieu que les Juifs Le persécutaient : Voilà pourquoi les Juifs cherchaient encore plus à Le faire mourir, parce que non seulement Il violait le sabbat, mais Il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant l’égal de Dieu Mais quand cette fois-ci Jésus appela Dieu son Père, les Juifs crurent que c’était par adoption.
391. Que la maison de Dieu ne doive pas devenir une MAISON DE TRAFIC, le prophète Zacharie l’avait dit : En ces jours-là il n’y aura plus de marchands dans la maison du Seigneur des armées ; et on lit dans les Psaumes, selon la version des Septante : Parce que je n’ai pas connu le négoce, je pénétrerai dans la puissance du Seigneur .
392. Jean cite ici la parole prophétique d’un Psaume . Il faut savoir à ce propos que ZELE en latin zelus, qui signifie encore "jalousie" exprime à proprement parler une certaine intensité d’amour, en vertu de laquelle celui qui aime intensément ne supporte rien qui s’oppose à son amour. C’est pourquoi on dit "jaloux" les maris qui, dans leur amour intense pour leur épouse, ne peuvent souffrir auprès d’elle la compagnie des autres, la trouvant contraire à leur amour. Donc, à proprement parler, on est "zélé" pour Dieu quand on ne peut supporter sans impatience rien qui soit contraire à l’honneur de Dieu, qu’on aime à l’extrême — Je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur, le Dieu des armées .
Or nous devons aimer la maison du Seigneur — Seigneur, j’aime la beauté de ta maison . Nous devons tellement l’aimer que son zèle doit nous dévorer, en sorte que, si nous voyons faire quelque chose qui lui soit opposé, si chers que nous soient les coupables, nous nous efforcions d’y mettre fin sans craindre les maux qui peuvent en résulter pour nous. Aussi la Glose dit-elle : "Le bon zèle est la ferveur de l’âme, en vertu de laquelle l’esprit, rejetant la crainte, s’enflamme pour la défense de la vérité. En est dévoré celui qui, à la vue de n’importe quel désordre, s’efforce de le corriger et, s’il ne le peut, le supporte et gémit."
L’Evangéliste commence c'est l’objet de cette leçon par exposer l’occasion de l’annonce du miracle de la Résurrection; il rapporte ensuite la prophétie elle-même .
Au sujet de l’occasion, l’Evangéliste nous décrit le lieu , puis indique le fait qui fut l’occasion de l’annonce du miracle .
Le lieu où cela se passa est Jérusalem; c’est pour quoi l’Evangéliste montre graduellement dans quel ordre le Seigneur se rendit à Jérusalem : il montre comment Il descendit d’abord à Capharnaüm, puis comment Il monta à Jérusalem .
En ce qui concerne la descente de Jésus à Capharnaüm, Jean commence par indiquer le lieu ; puis il décrit l’entourage de Jésus ; enfin il indique la durée de son séjour .
367. Le lieu où Jésus descendit est Capharnaüm; c’est pourquoi Jean dit : APRES CELA, c’est-à-dire après le miracle du vin, IL DESCENDIT A CAPHARNAÜM. Il semble, du point de vue historique, que cette affirmation soit contredite par Matthieu ; pour lui, le Seigneur serait descendu à Capharnaüm après l’emprisonnement de Jean-Baptiste : or ce que l’Evangéliste rapporte ici est tout à fait antérieur à l’emprisonnement de Jean : car Jean n’avait pas encore été mis en prison
Pour comprendre cette question, il faut savoir que, d’après l’Histoire ecclésiastique , les autres Evangélistes, c’est-à-dire Matthieu, Marc et Luc, commencèrent leur récit évangélique à l’époque de l’emprisonnement de Jean-Baptiste. Ainsi Matthieu, aussitôt après avoir raconté le baptême du Christ, son jeûne et sa tentation, commence son récit à partir de l’emprisonnement de Jean-Baptiste : Comme Jésus avait appris l’arrestation de Jean-Baptiste, Il se retira en Galilée . Marc fait de même et écrit : Après l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus vint en Galilée . Lorsque Jean l’Evangéliste, qui survécut aux trois autres Evangélistes, eut connaissance de leurs écrits, il en approuva la fidélité et la vérité. Cependant, voyant qu’il y manquait certains faits — les actions du Seigneur au temps de sa première prédicationet avant l’emprisonnement de Jean —, à la prière des fidèles il fit remonter plus haut son Evangile en rapportant les actions du Seigneur avant l’arrestation de Jean, c’est-à-dire en partant de l’année où Jésus fut baptisé, comme on le voit dans l’ordre du récit de son Evangile. Ainsi les Evangélistes ne s’opposent pas, parce que le Seigneur descendit deux fois à Capharnaüm : une première fois avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste — il s’agit de celle dont Jean parle ici; et une autre fois, après — celle dont parlent Matthieu et Luc .
368. Capharnaüm veut dire "ville très belle" et signifie ce monde dont la beauté provient de l’ordre et de la disposition pensée par la divine Sagesse — La beauté des champs est en ma possession dit le Seigneur Le Seigneur descendit donc à Capharnaüm, c’est-à-dire dans ce monde, avec sa mère, ses frères et ses disciples. Car au ciel, le Seigneur a un Père, mais pas de mère; sur terre, Il a une Mère, mais pas de père; aussi Jean nomme-t-il expressément sa Mère seule . Au ciel, Il n’a pas non plus de frères, car Il est le Fils unique qui est dans le sein du Père ; mais, sur terre, Il est le premier-né d’une multitude de frères . Sur terre, le Christ a des disciples à qui Il enseigne les mystères de la divinité auparavant inconnus des hommes, car l’Apôtre dit : Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils .
Capharnaüm peut encore se traduire par "champ de consolation", et signifie alors tout homme qui porte du bon fruit — Voici, l’odeur de mon fils est comme l’odeur d’un champ fertile, que le Seigneur a béni Isaac de son fils Jacob Un tel homme est appelé "champ de consolation" car il console le Seigneur qui se réjouit de ses progrès — Comme l’épousée fait l’allégresse de l’époux, tu feras l’allégresse de ton Dieu , et parce que les anges se réjouissent de sa bonté — Il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence .
369. L’Evangéliste dit : IL DESCENDIT AVEC SA MERE. Jésus était donc accompagné en premier lieu de sa Mère, car elle était venue aux noces et c’est elle qui avait sollicité le miracle; le Seigneur la reconduisait à Nazareth , ville de Galilée dont la métropole était Capharnaüm.
370. En second lieu, Jésus était accompagné de SES FRERES. A ce sujet il faut se garder de deux erreurs. En premier lieu celle d’Elvidius, pour qui la Vierge eut d’autres fils après le Christ; ce sont ceux-là qu’il appelle "frères" du Seigneur, ce qui est hérétique. Notre foi tient que la Mère du Christ, vierge avant l’enfantement, le demeura pendant et après l’enfantement.
Ensuite, l’erreur de ceux qui prétendent que Joseph avait engendré d’une autre épouse des fils qu’on appelait "frères" du Seigneur; mais l’Eglise ne l’admet pas. Aussi Jérôme les condamne-t-il. En effet le Seigneur, suspendu à la croix, confia la Vierge, sa Mère, à la garde du disciple vierge; donc, puisque Joseph a été le gardien spécial de la Vierge et même du Sauveur pendant son enfance, on peut croire qu’il fut vierge lui-même.
En conséquence, selon une saine intelligence du texte, nous disons que les "frères" du Seigneur étaient des parents consanguins de la Vierge, sa Mère, à un degré quelconque, ou encore de Joseph que l’on croyait père de Jésus; cela est conforme à l’usage de la Sainte Ecriture, qui appelle en général "frères" les parents consanguins. On lit par exemple dans la Genèse : Abraham dit à Lot : "Qu’il n’y ait pas de discorde entre toi et moi, car nous sommes frères" , alors que Lot était le neveu d’Abraham. Remarquons d’autre part que l’Evangéliste nomme séparément les FRERES et les DISCIPLES de Jésus, parce que tous les parents consanguins du Christ n’étaient pas ses disciples — Même ses frères ne croyaient pas en Lui .
371. Enfin Jésus avait pour compagnons SES DISCIPLES. Cela pose une question : qui étaient ces disciples? Il semble, selon Matthieu, que les premiers à se convertir au Christ furent Pierre et André, Jean et Jacques; mais le Christ les appela après l’emprisonnement de Jean-Baptiste, Matthieu le dit clairement ne semble donc pas que ceux-ci soient descendus avec le Christ à Capharnaüm, comme Jean le dit ici, puisque cette descente à Capharnaüm eut lieu avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste.
A cela on peut donner deux réponses. Selon Augustin , Matthieu ne respecte pas l’ordre historique des faits, mais, récapitulant ce qu’il avait laissé de côté, il rapporte après l’emprisonnement de Jean-Baptiste des événements qui réalité sont antérieurs. Aussi, sans marquer d’aucune manière un rapport chronologique, Matthieu dit : Jésus marchant près de la mer vit deux frères, Simon (...) et André , sans ajouter "après cela" ou "en ces jours-ci".
L’autre réponse, également d’Augustin , est que par "disciples" l'Evangile n’entend pas seulement les douze que le Christ choisit et nomma Apôtres , mais aussi tous ceux qui croyaient en Lui et qui étaient instruits par son enseignement sur le Royaume des Cieux. Il se peut donc que, bien que les douze n’eussent pas encore suivi Jésus, d’autres cependant qui s’étaient joints à Lui soient appelés ici SES DISCIPLES. Cependant la première réponse est meilleure.
372. Jean résume ici brièvement le court séjour à Capharnaüm. La raison en est que les habitants de cette ville, parce qu’ils étaient très corrompus, ne montrèrent aucun empressement à recevoir la doctrine du Christ; c’est pourquoi Matthieu dit que le Seigneur les réprimanda, parce que ni les prodiges accomplis chez eux, ni son enseignement ne les avaient amenés à faire pénitence : Toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jus qu’au ciel? (...) jusqu’aux enfers tu descendras. Parce que, si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle serait encore là aujourd’hui . Cependant, bien qu’ils fussent mauvais, le Seigneur descendit là pour y reconduire sa Mère, et Il s’y arrêta quel que temps afin de la consoler et de l’honorer .
373. Au sens mystique, l’Evangile de Jean nous fait connaître par là que certains ne peuvent retenir beau coup de paroles du Christ mais se contentent de peu pour leur illumination, à cause du peu de capacité de leur intelligence. C’est pourquoi, selon Origène , auprès de ceux-là le Christ ne s’attarde pas à de longs enseignements — J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent .
374. L’Evangéliste indique ensuite le lieu où monta Jésus. A ce sujet il rapporte d’abord l’occasion de sa montée à Jérusalem; puis il parle de la montée elle-même .
375. L’occasion de sa montée fut la Pâque des Juifs, qui était imminente. Dans l’Exode, il est prescrit que, trois fois par an, tous les mâles viendront devant le Seigneur ; et la Pâque était l’une de ces trois époques. Comme le Seigneur était venu pour donner à tous l’exemple de l’humilité et de la perfection, Il voulut, aussi longtemps qu’elle serait en vigueur, observer la Loi; car Il vint non l’abolir, mais l’accomplir, comme Il le dit Lui-même ; pour ce motif, comme LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE, JESUS MONTA A JERUSALEM. A l’exemple du Christ, nous devons donc observer avec soin les préceptes divins. Si en effet, célébrant les solennités, le Fils de Dieu a accompli les prescriptions de la Loi qu’Il avait donnée, avec quelle grande application pour les bonnes œuvres ne devons-nous pas pré parer et célébrer les fêtes?
376. Remarquons que Jean, dans son Evangile, fait mention de la Pâque en trois endroits : ici, puis plus loin à propos du miracle des pains : La Pâque était proche, jour de la fête des Juifs ; et, plus loin encore : Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue.... Nous savons donc, d’après cet Evangile, qu’après le miracle du vin le Christ prêcha durant deux ans, plus le temps compris entre son baptême et la Pâque; car le fait dont nous parlons eut lieu vers la Pâque, comme le dit ici Jean. Après une année révolue, à un moment proche de la Pâque suivante, Jésus fit le miracle des pains, et c’est à cette époque que Jean-Baptiste fut décapité. C’est bien aux environs de la Pâque qu’il fut décapité, puisque, comme le dit Matthieu , aussitôt après la décollation de Jean-Baptiste, le Christ se retira au désert et y fit le miracle des pains qui eut lieu aux alentours de la Pâque comme Jean le dit plus loin . Toutefois on célèbre la fête de cette décollation le jour de la découverte de la tête de Jean-Baptiste. Enfin Jésus souffrit sa passion lors d’une autre Pâque.
Selon l’opinion de ceux pour qui le miracle effectué aux noces et les faits rapportés ici eurent lieu l’année même du baptême du Christ, deux années et demie se seraient donc écoulées du baptême à la passion; ainsi, d’après eux, Jean dit que la PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE pour montrer que Jésus avait été baptisé peu de jours auparavant.
Cependant l’Eglise soutient le contraire. Nous croyons en effet que le Christ accomplit le miracle du vin un an jour pour jour après son baptême; que, un an plus tard, aux approches de la Pâque, Jean-Baptiste fut décapité; et que, depuis cette Pâque aux environs de laquelle Jean fut décapité, jusqu’à la Pâque où souffrit le Christ, il s’écoula une année. Il faut donc qu’il y ait eu, entre le baptême du Christ et le miracle du vin, une autre Pâque dont aucun évangéliste ne fait mention.
Ainsi, selon ce que l’Eglise affirme, le Christ prêcha trois ans et demi.
377. Si Jean dit LA PAQUE DES JUIFS, ce n’est pas parce que des hommes d’une autre nation auraient eux aussi célébré la Pâque, mais pour deux raisons qui sont les suivantes . Nous disons en effet qu’une fête célébrée d’une manière sainte et avec pureté d’intention est une fête célébrée pour le Seigneur; si au contraire on ne la célèbre ni purement, ni saintement, on célèbre non pour le Seigneur, mais pour soi-même — c’est pour quoi le Seigneur dit : Mon âme a horreur de vos nouvelles lunes et de vos fêtes autrement dit : parce que vous les célébrez non pour moi, mais pour vous, elles me déplaisent. Quand vous jeûniez, (...) était-ce pour moi que vous jeûniez? Non veut-il dire, mais pour vous. Et puisque les Juifs dont il est question ici étaient corrompus et célébraient mal leur Pâque, l’Evangéliste ne dit pas : "La Pâque du Seigneur", mais : LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE.
Ou encore, Jean s’exprime ainsi pour différencier la Pâque DES JUIFS de la nôtre; la Pâque DES JUIFS était préfigurative, car elle était célébrée par l’immolation d’un agneau, figure du Christ; tandis que notre Pâque est la véritable : en elle, nous commémorons la véritable passion de l’Agneau immaculé — Le Christ, notre Pâque, a été immolé .
378. Notons ici que, selon l’ordre historique des faits, Jésus est monté à deux reprises à Jérusalem vers la fête de la Pâque et a chassé du Temple acheteurs et vendeurs : une première fois avant l’emprisonnement de Jean-Baptiste (c’est ce que rappelle ici l’Evangéliste); une autre fois, alors que le temps de la passion était imminent, comme le raconte Matthieu . En effet, à plusieurs reprises le Seigneur a fait les mêmes œuvres : on le constate à propos des deux aveugles à qui Il a donné la vue, guérisons dont l’une est rapportée par Matthieu , l’autre par Marc . De la même façon, Il chasse deux fois du Temple vendeurs et acheteurs.
379. JESUS MONTA A JERUSALEM peut être pris au sens mystique. Jérusalem, qui veut dire "vision de paix", signifie la béatitude éternelle vers laquelle Il monta et conduisit les siens. Et le fait que Jésus descende à Capharnaüm pour ensuite monter à Jérusalem n’est pas sans signification mystique; car s’Il n’était pas d’abord descendu, Il n’aurait pu monter — Celui qui est descendu, c’est le même qui est aussi monté . Cependant l’Evangéliste ne fait pas mention des disciples dans la montée vers Jérusalem parce que l’ascension des disciples est la conséquence de l’ascension du Christ — Personne n’est monté au ciel si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel .
380. L’Evangéliste rapporte ici le fait qui amena le Christ à donner aux Juifs le signe de la Résurrection; il montre d’abord la perversion des Juifs, puis il indique le remède que le Christ lui applique , où il voit la réalisation d’une parole prophétique .
381. A propos de cette perversion des Juifs, il faut savoir que le diable tend des embûches dans les choses de Dieu et s’efforce de les corrompre. Parmi les divers moyens dont il use pour corrompre les choses saintes, le principal est le vice de l’avarice — Les pasteurs d’Israël ne comprennent rien, ils se détournent pour suivre leur propre chemin, chacun suit son avarice, du plus grand au plus petit . C’est ce qu’a fait le diable depuis les temps les plus reculés. Car les prêtres de l’Ancien Testament, qui avaient été établis pour vaquer aux choses divines, s’adonnaient à l’avarice. Or Dieu avait ordonné dans la Loi qu’en certaines solennités on immolât au Seigneur tels et tels animaux; pour accomplir ce précepte, ceux qui habitaient près du Temple y venaient en amenant les animaux avec eux, mais ceux qui venaient de loin ne pouvaient agir de même. Aussi, comme ce genre d’offrande profitait aux prêtres, pour que ceux qui venaient de loin soient pourvus d’animaux à offrir, les prêtres eux-mêmes s’arrangèrent pour qu’on vendît ces animaux dans le Temple; à cet effet ils les faisaient exposer dans le Temple, c’est-à-dire sur les parvis du Temple. C’est ce que dit Jean : Le Seigneur TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VENDAIENT DES BŒUFS, DES BREBIS ET DES COLOMBES. Il mentionne ici deux espèces d’animaux vivant sur terre qui, selon la Loi, pouvaient être offerts au Seigneur en sacrifice : le bœuf et la brebis. Une troisième espèce qu’on offrait aussi et qui vit sur terre, la chèvre, est comprise avec la brebis. De la même façon, la tourterelle est comprise avec la colombe; en effet, parmi les oiseaux on en offrait deux au Seigneur : la colombe et la tourterelle.
382. Comme il arrivait parfois que certains se rendent au Temple sans animaux ni argent, et ne puissent donc rien acheter, les prêtres trouvèrent une astuce d’avare : ils installèrent des changeurs et des banquiers qui prêtaient de l’argent à ceux qui n’en avaient pas. Ceux-ci ne pratiquaient pas l’usure, parce que cela était interdit par la Loi, mais ils recevaient à la place de petits cadeaux et des objets sans valeur qui, eux aussi, passaient au profit des prêtres. C’est à cela que Jean fait allusion en disant que le Seigneur trouva DES CHANGEURS ASSIS dans le Temple, disposés à prêter de l’argent.
383. Au sens mystique, les paroles de l'Evangéliste peuvent s’entendre de trois manières. D’abord, vendeurs et acheteurs signifient ceux qui vendent ou achètent les biens ecclésiastiques. Les BREBIS, les BŒUFS et les COLOMBES symbolisent les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié. Car ces biens ont été consacrés et ratifiés par la doctrine des Apôtres et des docteurs, symbolisés par les BŒUFS — Où les récoltes sont abondantes, la force du bœuf paraît clairement , et par le sang des martyrs, symbolisés par les BREBIS : c’est en leur nom que parlent le Psalmiste et l’Apôtre : On nous regarde comme des brebis d’abattoir . Il y a enfin les dons du Saint-Esprit, symbolisés par les COLOMBES car, comme le dit Jean : J’ai vu l’Esprit des cendre du ciel comme une colombe . C’est donc la doctrine même des Apôtres, le sang des martyrs et les dons du Saint-Esprit, que vendent ceux qui osent vendre les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié.
II arrive également que certains prélats ou intendants des Eglises vendent BŒUFS, BREBIS et COLOMBES, non pas ouvertement, par simonie, mais inconsciemment, par négligence : par exemple quand ils convoitent et s’occupent des richesses temporelles au point d’en négliger le salut spirituel de ceux qui leur sont soumis; car, ce faisant, ils vendent BREBIS, BŒUFS et COLOMBES, c’est-à-dire les trois sortes d’hommes qui leur sont soumis. D’abord les prédicateurs et les responsables d’œuvres, symbolisés par les BŒUFS — Heureux vous qui semez partout où il y a de l’eau, et laissez en liberté le pied du bœuf et de l’âne. Car les prélats doivent assigner leur place aux BŒUFS, c’est-à-dire aux docteurs et aux sages, parmi les ânes , c’est-à-dire les incultes et les simples. Ils tirent aussi profit des exécutants et de ceux qui s’acquittent d’un service, symbolisés par les BREBIS — Mes brebis entendent ma voix ... Et ceux-ci qui sont des brebis, qu’ont-ils fait? Enfin ils tirent profit des contemplatifs, symbolisés par les COLOMBES — Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe? Alors je volerais et me reposerais, je m’enfuirais au loin et j’irais demeurer au désert .
Par le TEMPLE de Dieu, on peut aussi entendre l’âme spirituelle — Le temple de Dieu est saint, et ce temple c’est vous. L’homme vend donc BREBIS, BŒUFS et COLOMBES dans le TEMPLE quand il garde dans son âme les instincts bestiaux, pour lesquels il se vend au diable. Les bœufs, qui servent à l’agriculture, symbolisent les désirs terrestres; la brebis, animal stupide, signifie la sottise humaine; la colombe est le symbole de l’instabilité de l’homme : autant de choses que Dieu chasse du cœur des hommes.
384. C’est pourquoi Jean expose aussitôt le remède qu’employa le Seigneur, remède de l’œuvre et de la parole, pour apprendre à ceux qui ont la charge de l’Eglise le devoir qu’ils ont de corriger leurs sujets par des actes et des paroles. Jean expose d’abord le remède que le Seigneur appliqua par des actes, ensuite celui qu’Il appliqua par sa parole .
385. Le premier remède de Jésus consiste en trois actions : chasser les hommes, puis les brebis et les bœufs, enfin jeter par terre la monnaie. Il chasse les hommes avec un fouet, comme le dit Jean : SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA TOUS DU TEMPLE, ce qu’Il ne put faire qu’en usant de sa puissance divine; car, ainsi que le rapporte Origène , la puissance divine de Jésus pouvait, quand Il le voulait, étouffer la colère enflammée chez les hommes, comme Il pouvait calmer l’agitation des esprits — Le Seigneur, en effet, réduit à néant les pensées des hommes . Le Christ fait un FOUET DE CORDES parce que, selon Augustin , il tire de nos fautes la matière de notre punition; on appelle en effet CORDES l’enchaînement ininterrompu de péchés s’ajoutant les uns aux autres — Le méchant est lié par les cordes du péché . Malheur à vous qui vous servez des mensonges comme de cordes pour traîner une longue suite d’iniquités . Et de même qu’Il chassa les marchands du Temple, de même le Seigneur jeta à terre la monnaie des changeurs et renversa leurs tables.
386. Remarquons-le, si le Christ chassa du Temple ce qui paraissait d’une certaine manière licite parce que cela était ordonné au culte de Dieu, à combien plus forte raison n’aurait-Il pas agi ainsi s’Il y avait trouvé des choses illicites. Il LES CHASSA donc parce que les prêtres ne cherchaient pas en cela l’honneur de Dieu, mais leurs intérêts propres; c’est pourquoi il est dit : Vous avez mis des incirconcis de cœur et de chair pour garder mes observances dans mon sanctuaire . Et le Seigneur montre du zèle pour l’observance de la Loi afin de confondre par là même les pontifes et les prêtres qui allaient Le calomnier à propos de cette Loi.
En chassant tout cela du Temple, Jésus donna aussi à entendre que les temps étaient proches où les sacrifices de la Loi devraient cesser et où le vrai culte de Dieu passerait aux gentils Il le dira un jour explicitement aux Juifs : Le Royaume de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui en produira les fruits . Et de même Il montrait que se damnent ceux qui ven dent les choses spirituelles — Périsse ton argent avec toi, puisque tu as pensé acquérir le don de Dieu à prix d’argent .
387. Jean expose ici le remède que Jésus appliqua par sa parole. Remarquons que, d’après ce texte, les Simoniaques doivent être aussitôt chassés de l'Eglise. Cependant, tant qu’ils vivent, ils peuvent se convertir en usant de leur libre arbitre et revenir à l’état de grâce avec l’aide de Dieu; ils ne doivent donc pas désespérer. Mais s’ils ne se convertissent pas, alors ils ne sont même plus chassés, ils sont liés par ceux à qui il est dit : Liez-lui pieds et mains et jetez-le dans les ténèbres du dehors . C’est pourquoi le Seigneur, observant cela, les avertit d’abord par ces paroles : ENLEVEZ CELA D’ICI; et ensuite Il leur donne la raison de son avertissement : NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC.
388. Le Seigneur avertit donc les vendeurs de colombes en les réprimandant parce qu’ils symbolisent ceux qui vendent les dons du Saint-Esprit, c’est-à-dire les Simoniaques.
389. Et il donne la raison de son avertissement en disant : NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC... Otez de devant mes yeux la malignité de vos pensées . Remarquons que, d’après Matthieu , le Seigneur déclare : Ne faites pas de ma maison un repaire de brigands; mais qu’ici Il dit : UNE MAISON DE TRAFIC. Le Seigneur agit ainsi parce que, comme un bon médecin, Il commence par des remèdes assez doux pour en présenter ensuite de plus âpres. Le fait rapporté ici par Jean est le premier qui eut lieu. Aussi le Christ, au début, ne les appelle pas" brigands", mais" trafiquants". Cependant, parce qu’à cause de leur dureté ils n’avaient toujours pas cessé ce commerce, le Seigneur, les chassant de nouveau, les réprimande durement, traitant de brigandage ce qu’Il avait d’abord appelé négoce.
Le Seigneur dit LA MAISON DE MON PERE, afin de prévenir l’erreur des Manichéens qui disaient que le Père du Christ n’avait pas été le Dieu de l’Ancien Testament, mais le Dieu du Nouveau. Si cela était vrai, puisque le Temple était la maison du Dieu de l’Ancien Testament, le Christ n’aurait certainement pas appelé le Temple la maison de son Père.
390. Mais pourquoi les Juifs ne sont-ils pas troublés de ce qu’Il appelle ici Dieu son PERE, alors que l’Evangéliste, plus loin , dit qu’ils Le persécutaient pour ce motif? A cette question il faut répondre que Dieu est le Père de certains par adoption, c’est-à-dire des justes, et que cela n’était pas nouveau pour les Juifs — Tu m’appelleras mon Père, et tu ne te sépareras pas de moi . Mais, par nature, Dieu n’est Père que du Christ — Le Seigneur m’a dit : Tu es mon Fils, c’est-à-dire mon propre et véritable FILS ; et cela était inouï pour les Juifs. C’est parce que Jésus se disait le vrai Fils de Dieu que les Juifs Le persécutaient : Voilà pourquoi les Juifs cherchaient encore plus à Le faire mourir, parce que non seulement Il violait le sabbat, mais Il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant l’égal de Dieu Mais quand cette fois-ci Jésus appela Dieu son Père, les Juifs crurent que c’était par adoption.
391. Que la maison de Dieu ne doive pas devenir une MAISON DE TRAFIC, le prophète Zacharie l’avait dit : En ces jours-là il n’y aura plus de marchands dans la maison du Seigneur des armées ; et on lit dans les Psaumes, selon la version des Septante : Parce que je n’ai pas connu le négoce, je pénétrerai dans la puissance du Seigneur .
392. Jean cite ici la parole prophétique d’un Psaume . Il faut savoir à ce propos que ZELE en latin zelus, qui signifie encore "jalousie" exprime à proprement parler une certaine intensité d’amour, en vertu de laquelle celui qui aime intensément ne supporte rien qui s’oppose à son amour. C’est pourquoi on dit "jaloux" les maris qui, dans leur amour intense pour leur épouse, ne peuvent souffrir auprès d’elle la compagnie des autres, la trouvant contraire à leur amour. Donc, à proprement parler, on est "zélé" pour Dieu quand on ne peut supporter sans impatience rien qui soit contraire à l’honneur de Dieu, qu’on aime à l’extrême — Je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur, le Dieu des armées .
Or nous devons aimer la maison du Seigneur — Seigneur, j’aime la beauté de ta maison . Nous devons tellement l’aimer que son zèle doit nous dévorer, en sorte que, si nous voyons faire quelque chose qui lui soit opposé, si chers que nous soient les coupables, nous nous efforcions d’y mettre fin sans craindre les maux qui peuvent en résulter pour nous. Aussi la Glose dit-elle : "Le bon zèle est la ferveur de l’âme, en vertu de laquelle l’esprit, rejetant la crainte, s’enflamme pour la défense de la vérité. En est dévoré celui qui, à la vue de n’importe quel désordre, s’efforce de le corriger et, s’il ne le peut, le supporte et gémit."
Il jette dehors non-seulement les acheteurs et les vendeurs, mais tout ce qui leur appartenait : « Les brebis, les bœufs , et il jeta par terre l'argent des changeurs, et renversa leurs tables, » c'est-à-dire les comptoirs qui contenaient leur argent.
Le zèle, pris en bonne part, est une certaine ardeur de l'âme qui l'enflamme du désir de défendre la vérité en méprisant toute crainte des hommes.
Dans le sens allégorique, Dieu entre tous les jours dans sa maison pour y considérer la manière dont chacun s'y conduit. Gardons-nous donc de nous laisser aller dans l'Eglise de Dieu à des futilités, à des rires, à des haines, à des désirs passionnés, si nous ne voulons qu'il ne vienne à l'improviste nous chasser à coups de fouet hors de sa maison.
Aussitôt son arrivée à Jérusalem, Nôtre-Seigneur se rend immédiatement au temple pour prier, et nous donne ainsi l'exemple, quelque part que nous allions, de nous rendre aussitôt dans la maison du Seigneur pour lui offrir nos prières : « Et il trouva, dit l'Evangéliste, des hommes qui vendaient des bœufs, des brebis et des colombes.»
Mais comme ceux qui venaient de loin ne pouvaient porter avec eux les victimes qu'ils devaient immoler, ils en apportaient le prix. C'est ce qui donna lieu à l'usage établi par les scribes et les pharisiens de vendre les animaux destinés aux sacrifices ; les pèlerins achetaient ces animaux et les offraient à Dieu, et les scribes et les pharisiens les revendaient à d'autres après qu'ils avaient été offerts, et augmentaient ainsi leurs bénéfices. Des changeurs se tenaient à leurs comptoirs pour faciliter les transactions entre les acheteurs et les vendeurs, c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Et les changeurs assis à leurs tables. » Le Seigneur ne veut pas souffrir dans sa maison le moindre trafic terrestre, n'eut-il rien que de légitime, et il chasse dehors, sans distinction, tous les trafiquants.
Nous voyons ici clairement les deux natures en Jésus-Christ, la nature humaine, parce qu'il est accompagné de sa mère ; et la nature divine, parce qu'il se déclare le vrai Fils de Dieu. En effet, écoutons la suite : « Et il dit à ceux qui vendaient des colombes : Emportez cela d'ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. »
En effet, les disciples, témoins de ce zèle si ardent, se ressouvinrent que c'était le zèle pour la maison de son Père, qui lui faisait chasser les impies hors du temple.
Ceux-là donc vendent les colombes, qui ne donnent pas gratuitement, comme Dieu l'ordonne, la grâce de l'Esprit saint, mais qui la vendent à prix d'argent ; ou bien si ce n'est point à prix d'argent, c'est pour un vain désir de popularité qu'ils accordent l'imposition des mains qui appelle le Saint-Esprit dans les âmes, et ils confèrent les saints ordres, non d'après le mérite de la vie, mais en sacrifiant à la faveur ou à la complaisance.
Ou bien, les brebis sont les œuvres d'innocence et de piété. Vendre les brebis, c'est donc pratiquer la piété en vue des louanges des hommes ; les changeurs d'argent dans le temple sont ceux qui se livrent publiquement dans l'Eglise aux intérêts de la terre. On fait encore de la maison du Seigneur une maison de commerce, non-seulement quand on confère les saints ordres pour recevoir en échange de l'argent, des louanges, des honneurs, mais encore quand on exerce le ministère tout spirituel qu'on tient de Dieu, avec une intention qui n'est pas droite, et en vue d'une récompense toute humaine.
Après avoir fait un fouet avec des cordes, il chasse les vendeurs hors du temple, c'est-à-dire, qu'il exclut du sort et de l'héritage des saints ceux qui se trouvant mêlés parmi les saints pratiquent la vertu par hypocrisie ou commettent ouvertement le mal. Il chasse également les brebis et les bœufs pour montrer que leur vie comme leur doctrine sont également dignes de condamnation. Il jette à terre l'argent des changeurs, et renverse leurs tables, parce que les réprouvés à la fin du monde se verront enlever jusqu'à la figure de ce qu'ils avaient aimé. Il commande de faire disparaître du temple la vente des colombes, pour nous apprendre que la grâce de l'Esprit saint que nous recevons gratuitement, doit aussi être donnée gratuitement.
Ces sacrifices que Dieu avait imposés à ce peuple étaient en rapport avec ses inclinations charnelles, et avaient pour but de le détourner du culte des idoles ; ils immolaient donc des bœufs, des brebis et des colombes.
l flagelle le premier ceux qui devaient un jour le flageller : « Et ayant fait comme un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, » etc.
Il est évident que le fait dont il s'agit s'est répété deux fois, saint Jean raconte ici le premier, et les trois autres Evangélistes le second.
Ce temple n'était encore qu'un temple figuratif, et le Seigneur en chasse tous ceux qui venaient y faire le trafic. Et qu'y vendaient-ils ? Les victimes nécessaires aux sacrifices alors en usage. Qu'aurait fait Jésus-Christ s'il y avait trouvé des hommes plongés dans l'ivresse ? Si la maison de Dieu ne doit pas être une maison de commerce , doit-on en faire une maison de buveurs?
Celui qui est dévoré du zèle de la maison de Dieu s'efforce d'en bannir tout ce qui pourrait la déshonorer, et si cela lui est impossible, il gémit en souffrant un mal qu'il ne peut empêcher ; vous prenez soin qu'aucune action mauvaise ne se fasse dans votre maison, devez-vous donc la souffrir, si vous pouvez l'empêcher dans la maison de Dieu, où le salut éternel vous est annoncé ? Est-ce votre ami qui lui manque de respect ? avertissez-le avec douceur; est-ce votre épouse ? mettez un frein sévère à sa légèreté ; est-ce votre servante ? employez même les châtiments extérieurs pour la maintenir ; en un mot, faites tout ce que vous pouvez, eu égard à la position que vous occupez.
Ou bien encore, ces vendeurs dans l'Eglise sont ceux qui cherchent leurs intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ. (Ph2) Tout est vénal chez eux parce qu'ils veulent être payés de tout. Pourquoi Simon voulait-il acheter l'Esprit saint ? Parce qu'il voulait le vendre. Il était du nombre de ceux qui vendent les colombes, car c'est sous la forme d'une colombe que l'Esprit saint a voulu apparaître, cette colombe ne se vend pas, elle se donne gratuitement, parce qu'elle s'appelle grâce.
Les bœufs représentent les Apôtres et les prophètes, par le moyen desquels Dieu nous a transmis les saintes Ecritures. Ceux donc qui se servent des Ecritures pour tromper la multitude, afin d'en recevoir des honneurs, vendent les bœufs, les brebis, c'est-à-dire, les peuples eux-mêmes ; et à qui les vendent-ils ? au démon, car tout ce qui est détaché de l'Eglise qui est une, est emporté par le démon qui, comme un lion rugissant, tourne autour de nous, cherchant quelqu'un à dévorer. (1 P 5, 8.)
L'action de Nôtre-Seigneur, faisant un fouet avec des cordes pour chasser les vendeurs hors du temple, renferme un sens mystérieux et caché. Tout homme qui ne cesse d'ajouter de nouveaux péchés à ceux qu'il a commis, se fait comme une corde de ses iniquités. Lors donc que les hommes souffrent parce qu'ils sont coupables, qu'ils reconnaissent que Dieu se fait comme un fouet avec des cordes, et les avertit de changer de conduite, sinon ils entendront à la fin de leur vie cette parole terrible : « Liez-lui les mains et les pieds. » (Mt 22)
Il appelle Dieu son Père, et ils ne s'irritent point contre lui, parce qu'ils prennent cette appellation dans le sens le moins rigoureux. Mais lorsque plus tard, il s'exprimera plus clairement, de manière à leur faire comprendre qu'il est égal et consubstantiel à son Père, ils donneront un libre cours à leur fureur. Saint Matthieu ajoute qu'en les chassant, il disait : « Cessez de faire de cette maison une caverne de voleurs. » Il parlait ainsi aux approches de sa passion, et son langage était plus sévère. Au contraire, le fait raconté par saint Jean avait lieu au début de sa vie publique et pleine de miracles ; aussi ses expressions sont moins dures, et ses reproches plus modérés.
Mais pourquoi Nôtre-Seigneur manifeste-t-il un si grand courroux ? Il devait opérer des guérisons le jour du sabbat, et faire un grand nombre d'œuvres qui paraissaient aux Juifs une véritable transgression de la loi de Dieu. C'est donc pour leur prouver qu'il n'est point en opposition avec Dieu, qu'il chasse, au péril de sa vie, les marchands hors du temple, et il donne à comprendre que celui qui s'expose ainsi au danger pour défendre l'honneur de la maison, ne peut être accusé de mépriser le maître de la maison ; aussi pour montrer la parfaite harmonie qui règne entre Dieu et lui, il ne dit pas : La maison sainte, mais : « La maison de mon Père. » C'est pour la même raison que l'Evangéliste ajoute : « Ses disciples se ressouvinrent alors qu'il est écrit : Le zèle de votre maison me dévore. »
Examinons sérieusement cette action qui peut nous paraître excessive, puisque nous y voyons le Fils de Dieu se faire un fouet avec des cordes pour chasser ces vendeurs hors du temple. A toutes les difficultés qu'on pourrait objecter, nous aurons toujours pour réponse la puissance divine de Jésus, qui pouvait, lorsqu'il le voulait, réprimer la fureur de ses ennemis, malgré leur nombre, et apaiser l'agitation tumultueuse de leurs esprits ; « car le Seigneur dissipe les desseins des nations, il rend vaines les pensées des peuples, et il renverse les conseils des princes. » (Ps 32, 10.) Ce fait ne le cède en rien aux miracles les plus éclatants de la vie du Sauveur, on peut même assurer qu'il y déploie une puissance plus grande que lorsqu'il changea l'eau en vin ; car dans ce dernier miracle, il agit sur une matière inanimée, tandis que dans le premier, c'est sur des milliers d'hommes qu'il exerce sa domination.
D'après saint Jean, le Sauveur ne chassa que les vendeurs, tandis que saint Matthieu y joint les acheteurs. Or, le nombre des acheteurs était beaucoup plus considérable que celui des vendeurs, et il fallait pour les chasser hors du temple, une puissance supérieure à celle du fils d'un charpentier, comme on l'appelait ; aussi était-ce par un effet de la puissance divine, qu'il commanda, comme nous l'avons dit, à toute cette multitude.
Il peut arriver, en effet, que même un habitant de Jérusalem tombe dans cette faute, et que les plus intelligents comme les plus instruits s'écartent du droit chemin, et s'ils ne reviennent au plutôt de leurs erreurs, ils perdent la force et la pénétration de leur esprit. Jésus trouve donc quelquefois dans le temple (c'est-à-dire, au milieu des fonctions saintes et dans l'exercice de la prédication de la parole divine), des hommes qui font de la maison de son Père une maison de commerce. Ils mettent en vente les bœufs qu'ils auraient dû réserver pour la charrue et empêcher de retourner en arrière pour les rendre propres au royaume de Dieu. Il en est aussi qui préfèrent les richesses d'iniquité aux brebis qui auraient pu suffire à leur entretien et à leur ornement. Il en est enfin qui dédaignent la simplicité et l'innocence, et leur préfèrent l'amertume du cœur et les emportements de la colère, et pour un vil motif d'intérêt, ils sacrifient la fidélité de ceux qui sont figurés par les colombes. Lorsque le Sauveur trouve ces hommes dans la maison sainte, il fait un fouet avec des cordes et les chasse dehors avec leurs brebis ; il jette à terre leur argent, renverse les comptoirs dressés dans l'âme des avares, et défend de vendre désormais des colombes dans la maison de Dieu. Ce fait renferme encore, si je ne me trompe, un enseignement mystérieux et caché. Jésus veut nous faire comprendre que les sacrifices que Dieu exigeait des prêtres ne devaient plus être conformes aux sacrifices extérieurs de la loi, et que la loi elle-même ne serait plus observée comme le voulaient les Juifs encore charnels. En chassant les bœufs et les brebis, en commandant d'emporter les colombes, qui étaient les victimes ordinaires des Juifs ; en renversant les tables couvertes de cette monnaie matérielle qui était la figure indirecte de la loi divine, c'est-à-dire, de ce qui était honnête et licite, à ne consulter que la lettre de l'Ecriture ; enfin en prenant un fouet pour chasser le peuple du temple, Nôtre-Seigneur nous apprenait que tout ce qui faisait partie de l'ancienne loi devait être détruit et dispersé, et que le royaume ou le sacerdoce des Juifs devait être transféré à ceux qui, parmi les nations, ont embrassé la foi.
Le temple peut encore être considéré comme la figure de l'âme attentive à son salut, parce que la parole de Dieu habite en elle, et qui avant d'avoir reçu les divins enseignements de Jésus-Christ, servait d'habitation aux passions terrestres et aux instincts des animaux sans raison. Le bœuf qui sert à la culture des champs, est le symbole des passions de la terre, la brebis, le plus stupide des animaux, est la figure des mouvements contraires à la raison ; la colombe est l'image des âmes légères et inconstantes, et les pièces d'argent, la figure de ceux qui portent l'apparence de la vertu, et que Jésus-Christ chasse par sa divine doctrine en défendant que la maison de son Père soit plus longtemps une place publique.