Jean 12, 8

Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. »

Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. »
Catéchisme de l'Église catholique
Dès l’Ancien Testament, toutes sortes de mesures juridiques (année de rémission, interdiction du prêt à intérêt et de la conservation d’un gage, obligation de la dîme, paiement quotidien du journalier, droit de grappillage et de glanage) répondent à l’exhortation du Deutéronome : " Certes les pauvres ne disparaîtront point de ce pays ; aussi je te donne ce commandement : tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays " (Dt 15, 11). Jésus fait sienne cette parole : " Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous : mais moi, vous ne m’aurez pas toujours " (Jn 12, 8). Par là il ne rend pas caduque la véhémence des oracles anciens : " Parce qu’ils vendent le juste à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales ... " (Am 8, 6), mais il nous invite à reconnaître sa présence dans les pauvres qui sont ses frères (cf. Mt 25, 40) :
Louis-Claude Fillion
Vous avez toujours... Cette parole est presque identiquement la même dans les trois narrations. S. Jean la reproduit avec une légère inversion au début, et elle est un peu plus complète dans S. Marc. Notons le pluriel avez après l'emploi du singulier ; le Sauveur s'adresse maintenant à toute l'assistance. - Mais moi... Le pronom est en tête de la phrase, parce qu'il porte l'idée principale. Les pauvres ont donc leurs droits (Cf. Deut. 15,11), que Jésus a toujours fidèlement reconnus ; mais ses droits à lui ne sont pas moins urgents dans les circonstances où il se trouve actuellement. Ses amis auront le temps de faire du bien aux pauvres ; il ne leur en reste que fort peu pour l'honorer et lui témoigner leur affection. C'est ainsi que, dans notre vie morale, « il y a un temps pour chaque chose » (Eccl. 3, 1) : à nous de saisir avec intelligence toute occasion de pratiquer pour le mieux notre devoir. - S. Jean omet la glorieuse prophétie de Notre-Seigneur au sujet de Marie, Matth. 26, 13, et Marc. 14, 9 ; mais en citant le nom de la femme si zélée qui avait répandu le parfum, il aida l'oracle à se réaliser.
Saint Thomas d'Aquin
LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST

1589. Auparavant l'Évangéliste a montré la puissance de la divinité du Christ à travers ce qu'il a fait et enseigné pendant sa vie ; ici il commence à montrer la puissance de sa divinité dans sa Passion et dans sa mort : il traite d'abord de sa Passion et de sa mort, puis de sa Résurrection [n°2470].

La première partie est divisée en trois : dans la première, il montre les causes ou les circonstances de sa Passion et de sa mort ; dans la deuxième, il expose comment le Christ prépare ses disciples avant de leur être retiré physiquement par sa Passion et par sa mort [n° 1727] ; dans la troisième, il traite de sa Passion et de sa mort [n° 2271]. La cause ou la circonstance de la Passion du Christ fut double : la gloire même du Christ, qui a suscité la jalousie, et l'incrédulité des Juifs. L'Évangéliste traite d'abord de la gloire du Christ, puis de l'incrédulité des Juifs [n° 1688].

I – LA GLOIRE DU CHRIST

À propos de la gloire du Christ, il montre comment le Christ a été glorifié par les hommes, puis comment il a été glorifié par Dieu [n° 1649].

A. LE CHRIST GLORIFIE PAR LES HOMMES

L'Évangéliste montre d'abord comment le Christ a été glorifié par ses amis et par ses proches, puis par la foule des Juifs [n° 1612] et, en troisième lieu, comment il a été glorifié par les Gentils [n° 1631].

a) Le Christ glorifié par ses intimes et par ses proches.

Jean commence par montrer la gloire du Christ à travers le service que lui ont prodigué ses intimes, puis la jalousie suscitée par cela chez le traître [n° 1600].

La gloire du Christ à travers le service que lui ont prodigué ses intimes.

Il décrit le temps, puis le lieu [n° 1592], et enfin l'hommage rendu au Christ [n° 1593].

1590. Il dit donc d'abord que le Christ, avant la fête de la Pâque, s'en alla dans une région proche du désert et que, la solennité de la Pâque étant toute proche, les Juifs le cherchaient.

Ainsi, comme approchait le temps de la Pâque où l'agneau symbolique était immolé, Jésus lui-même, l'agneau véritable, s'avança vers le lieu de sa Passion, car il devait être immolé de son plein gré pour le salut du monde - Il s'est offert parce que lui-même l’α voulu.

Il dit AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE pour que tu comprennes le jour de la Pâque non pas comme le quatorzième jour du premier mois où, le soir venu, l'agneau pascal était immolé, comme on le voit au chapitre 12 de l'Exode, mais plutôt ici comme le quinzième jour - qui était tout entier un jour de fête -, et cette année-là ce fut le sixième jour de la semaine que le Seigneur souffrit ; c'est ainsi que le sixième jour avant la Pâque fut le premier jour de la semaine, c'est-à-dire le jour du Seigneur, où le Seigneur entra dans Jérusalem [accueilli] avec des rameaux de palmiers. Et le jour précédent, autrement dit le jour du sabbat, le Christ vint à Béthanie : c'est pourquoi il est dit AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE.

1591. Or ce chiffre convient bien aux mystères. D'abord quant au chiffre lui-même : en effet, un nombre composé de six est parfait, d'où il vient que Dieu acheva l'œuvre de la création en six jours, comme il est dit au premier chapitre de la Genèse. Et à cause de cela il convenait que l'œuvre de la Passion, par laquelle tout a été repris, fût en quelque sorte accomplie en six jours - Pacifiant par le sang de sa Croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les deux- Dans le Christ Dieu se réconciliait le monde.

D'autre part, il convient au mystère quant à ce qu'il représente. En effet, il est prescrit au livre 12 de l'Exode que chacun, le dixième jour du premier mois, prenne par famille un agneau pascal à immoler. C'est la raison pour laquelle le Seigneur a voulu entrer à Jérusalem le dixième jour du premier mois, qui est le sixième jour avant le quinzième, comme pour s'avancer vers le lieu de son immolation. Cela est manifeste d'après ce qui est dit plus loin : Le lendemain, la foule nombreuse qui était venue pour le jour de la fête, ayant appris que Jésus venait à Jérusalem, prit des rameaux de palmiers et sortit au-devant de lui.

1592. C'est ensuite le lieu qui est décrit. Or c'était un village proche de Jérusalem et dont le nom signifie littéralement « maison d'obéissance » - ce qui convenait au mystère.

Premièrement quant à la cause de la Passion : Il s'est fait obéissant - au Père -jusqu'à la mort ; deuxièmement quant à son fruit, que seuls obtiennent ceux qui lui obéissent - II a été fait, pour tous ceux qui lui obéissent, cause de salut éternel.

En outre, il est clairement ajouté : OÙ ÉTAIT MORT LAZARE, QUE JÉSUS AVAIT RELEVÉ [D'ENTRE LES MORTS], parce que dans la maison d'obéissance ceux qui sont morts spirituellement dans leurs péchés sont ressuscites en étant ramenés à la vie de la justice - Par l'obéissance d'un seul la multitude sera constituée juste. Mais cela est dit aussi au sens littéral pour montrer que le Christ vint à Béthanie pour faire mémoire de la résurrection de Lazare – Il a laissé un mémorial de ses merveilles, le Seigneur compatissant et miséricordieux.

1593. L'Évangéliste montre ensuite l'hommage rendu au Christ par ses intimes, et cela d'abord en général, de la part de tous, puis en particulier, de la part de chacun [n° 1595].

1594. Or il convenait au mystère que ce fût LÀ - à Béthanie - qu'ON LUI FIT UN REPAS, parce que le Seigneur se repose, au sens spirituel, dans la maison d'obéissance, en se réjouissant de notre obéissance - Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, et je prendrai mon repas avec lui et lui avec moi.

1595. Trois personnes sont ensuite présentées, qui se tiennent auprès de lui ou qui le servent : Marthe, Lazare et Marie.

Marthe représente ceux qui ont l'autorité dans l'Église, qui sont institués dans les Églises pour le service - Qu'on nous regarde comme des serviteurs du Christ et des intendants des mystères de Dieu. C'est pourquoi il est dit : MARTHE SERVAIT - Marthe était absorbée par les multiples soins du service.

Quant à Lazare ressuscité, il représente ceux qui, ayant été ramenés de leurs péchés à l'état de justice, sont remis à l'autorité des supérieurs de l'Église, et qui, avec les autres justes, mangent, au sens spirituel, à la table du Seigneur - Les justes festoieront et ils exulteront en présence de Dieu, et ils se réjouiront d'une grande joie .

Marie représente les contemplatifs. Il est dit en effet en saint Luc que Marie, assise aux pieds du Seigneur, écoutait ses paroles.

1596. À propos du service de Marie on traite de trois aspects qui concernent le sens littéra1. Premièrement le parfum avec lequel elle a rendu hommage au Christ, puis l'hommage qu'elle a rendu - [ELLE] OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ; enfin l'effet de son hommage - ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM.

Par rapport au parfum on note d'abord sa quantité car il y en avait beaucoup : UNE LIVRE, dit l'Évangéliste - Si tu as beaucoup, distribue avec abondance. Puis sa matière : il était fait de NARD - Tandis que le roi était étendu sur sa couche, mon nard a donné son odeur. Le nard, en effet, est une herbe de petite taille, avec des épis, de couleur noire, à partir de laquelle est fait un parfum qui a une vertu réconfortante par son arôme. Enfin, l'Évangéliste note la qualité de sa composition, puisqu'il dit : PUR, DE GRAND PRIX. Selon Augustin, ce parfum est dit PUR en raison du lieu où le nard poussait, mais il vaut mieux comprendre PUR au sens de « fidèle » ou « fiable », c'est-à-dire qui n'a pas été rendu artificiel par quelque mélange, car pistis en grec signifie la même chose que fides (foi, fidélité). En outre il ajoute DE GRAND PRIX, parce que ce parfum avait été confectionné à partir d'un épi de nard, dont on fait un parfum précieux et auquel on mélange parfois d'autres choses précieuses. En cela nous apprenons que les choses qui sont les plus précieuses à nos yeux, nous devons les offrir à Dieu -Je t'offrirai de gras holocaustes avec la fumée des béliers. - Maudit soit le fourbe qui possède dans son troupeau un mâle et qui, pour faire un vœu, offre au Seigneur une bête avariée.

Par rapport à l'hommage rendu par Marie, remarque d'abord son humilité : elle OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS en se jetant à ses pieds - Nous adorerons dans le lieu où se sont arrêtés ses pieds. Puis sa soumission aimante (devotio), car elle LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX pour offrir en quelque sorte l'hommage de sa propre personne - Présentez vos membres comme des armes de justice au service de Dieu.

L'effet de son hommage au Christ est ensuite montré quand il est dit : ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM ; cela nous indique la bonté du parfum dont l'odeur a rempli toute la maison - Nous courrons à l'odeur de tes parfums.

1597. Quant à savoir si la femme dont on dit ici qu'elle a oint le Seigneur est la même que celle dont il est question dans Luc, Matthieu et Marc, cela est mis en doute.

Selon Jérôme et Chrysostome, beaucoup pensent que la femme pécheresse dont parle Luc ne serait pas Marie, la sœur de Lazare, dont il est dit qu'elle a oint le Seigneur.

Origène, lui, ajoute que ce ne serait même pas la même femme que celle dont parlent Matthieu et Marc mais encore une troisième : et cela, il veut le prouver de trois manières. Premièrement d'après le temps : en effet, celle-ci a oint le Seigneur avant les six jours de la Pâque, et celle dont parlent Matthieu et Marc, moins de deux jours avant la Pâque. De fait, juste avant, Matthieu précise que le Seigneur avait dit : Vous savez que la Pâque tombe dans deux jours . Et Marc : La Pâque et les Azymes allaient avoir lieu deux jours plus tard. Deuxièmement d'après le lieu : en effet, au sujet de cette femme-là nous lisons qu'elle a oint le Seigneur dans la maison de Simon le lépreux ; or il est montré ici que cela s'est produit dans la maison de Marthe, puisqu'il est dit que Marthe servait, comme le dit aussi Augustin. Troisièmement d'après le fait lui-même : on lit que cette femme-là a parfumé la tête du Seigneur et celle-ci ses pieds.

Cependant selon Augustin et Grégoire , c'est une seule et même femme qui, rapportent les quatre Évangélistes, a oint le Seigneur, mais elle l'a fait deux fois.

Une première fois au début de sa conversion, au temps de la prédication du Christ - ce que rapporte Luc * ; et une deuxième fois, alors que la Passion du Christ était imminente - ce que rapportent les trois autres Évangélistes. C'est donc le même fait qui est raconté ici et que l'on trouve dans Matthieu et Marc.

Pour répondre à la première objection qui montre la discordance de temps, il faut dire, selon Augustin, que Jean garde l'ordre historique, alors que Matthieu et Marc placent ce fait, à la manière d'un souvenir, juste avant la trahison de Judas dont on croit qu'il a été l'occasion.

Quant à l'objection concernant le lieu, on peut comprendre que la maison de Simon le lépreux serait aussi celle de Marie et de Marthe dont Simon aurait été le chef de famille, et qu'il était appelé « le lépreux » parce qu'il avait d'abord été lépreux et avait été guéri par le Christ.

À la troisième objection au sujet du fait lui-même, il faut répondre, selon Augustin, que la femme a parfumé à la fois les pieds et la tête du Seigneur.

1598. Et si quelqu'un fait une objection à ce que dit Marc, à savoir que, ayant brisé le flacon, elle versa le parfum sur la tête de Jésus alors qu'il était à table, on peut répondre de deux manières.

D'une première manière, qu'il ne fut pas brisé sans qu'il en soit resté de quoi lui oindre aussi les pieds. D'une autre manière, on peut dire qu'elle a d'abord oint ses pieds et qu'ensuite, après avoir brisé le flacon, elle a versé tout le reste sur sa tête.

1599. Selon le mystère, la livre de parfum que Marie a prise signifie une œuvre de justiceen effet, c'est à la justice qu'il appartient de mesurer et de peser les réalités singulières - Leur poids sera égal par rapport à la mesure du kor. Or une œuvre de justice doit être parfaite, grâce à l'apport de quatre vertus. Premièrement la piété, et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : DE PARFUM. Le parfum, parce qu'il adoucit, signifie la miséricorde - Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n'a pas fait miséricorde. Deuxièmement l'humilité, et c'est pourquoi il dit : D'UN NARD. Le nard, étant une herbe de petite taille, signifie l'humilité - Humilie-toi en toutes choses d'autant plus que tu es grand. Troisièmement la fidélité, et c'est pourquoi il dit : PUR, c'est-à-dire fidèle (fidelis) - Mon juste vivra par la foi (fide) . Quatrièmement la charité : DE GRAND PRIX, car seule la charité garantit le prix de la vie éternelle - Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres (...) si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

C'est bien par une œuvre de justice que les pieds de Jésus sont oints, ainsi que sa tête. Par ses pieds nous entendons le mystère de son humanité et par sa tête sa divinité, selon ce passage de la première épître aux Corinthiens : La tête du Christ est Dieu, pour que celui qui vénère sa divinité et son humanité comprenne qu'il doit oindre et la tête et les pieds du Christ. Ou bien par sa tête nous pouvons entendre la personne même du Christ, selon ce passage de l'épître aux Éphésiens : Il l'a établi tête sur toute l'Église \ Et par ses pieds, les fidèles du Christ, dont Matthieu dit : Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. Et Isaïe : Qu'ils sont beaux sur les montagnes, les pieds de celui qui annonce et proclame la paix ! Ainsi, celui qui vénère le Christ lui-même oint la tête du Christ et celui qui honore ses fidèles oint ses pieds. Et parce que les cheveux sont produits par surabondance, les pieds du Seigneur sont essuyés avec les cheveux, puisque quelqu'un subvient au manque de ses proches en prenant de son superflu - Donnez plutôt en aumônes ce que vous avez en trop. C'est pourquoi Augustin dit : « Si tu as du superflu, donne-le aux pauvres, et tu as essuyé les pieds du Seigneur. » D'autre part, à travers les paroles suivantes : ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM, il est signifié que, grâce aux œuvres de justice, la bonne renommée remplit toute l'Église - Par nous, il répand en tout lieu le parfum de sa connaissance : car nous sommes la bonne odeur du Christ.

La jalousie du traître.

1600. Puis nous est montrée la jalousie du traître que le service dont nous venons de parler [le geste de Marie] a suscitée. Et cela de deux manières : l'Évangéliste montre d'abord la jalousie du traître, puis la correction de cette jalousie [n° 1607].

Il montre la jalousie du traître d'abord en décrivant sa personne, puis en exposant ses paroles [n° 1602], et enfin en manifestant la malice de son intention [n° 1603].

Sa personne

1601. Sa personne est manifestée par trois choses. En premier lieu par sa dignité, lorsqu'il est dit : ALORS L'UN DE SES DISCIPLES (...) DIT, pour montrer que personne, quelle que soit l'excellence en laquelle il a été établi, ne doit présumer de lui-même, car il est dit dans Job : Chez ses anges il a trouvé une faute.

En second lieu par son nom : JUDAS ISCARIOTE. Or Judas signifie « celui qui confesse * », pour signifier qu'outre la confession qui relève de la vertu et dont il est dit dans l'épître aux Romains : La confession des lèvres se fait en vue du salut, il y a une certaine confession blâmable et intéressée dont parle le psaume : Il te confessera (flattera) lorsque tu lui auras fait du bien.

En troisième lieu par son crime : CELUI QUI ALLAIT LE LIVRER - Celui qui mangeait mon pain a levé le talon contre moi.

Ses paroles

1602. Ensuite sont exposées les paroles mêmes de Judas, à partir desquelles il nous est montré qu'à la bonne odeur du parfum il était mort spirituellement, selon ce passage de la deuxième épître aux Corinthiens : Nous sommes la bonne odeur du Christ : pour les uns, une odeur de mort qui conduit à la mort ; pour les autres, une odeur de vie qui conduit à la vie. Il lui déplaisait en effet que le parfum n'ait pas été vendu, mais répandu en hommage au Christ ; c'est pour cette raison qu'il dit : POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ÉTÉ VENDU TROIS CENTS DENIERS ? Mais comme il est dit, les ministres de Satan se déguisent en ministres de justice. Voilà pourquoi il cachait son iniquité sous une apparence de piété, en disant : QU'ON AURAIT DONNÉS AUX PAUVRES - Son cœur fait l'iniquité pour feindre et pour parler à Dieu en le trompant d'une manière fourbe.

1603. Aussi l'Évangéliste met-il à découvert l'intention trompeuse de Judas en ajoutant : OR IL DIT CELA, NON PARCE QU'IL SE SOUCIAIT DES PAUVRES. En effet il ne se souciait pas de leur venir en aide, parce que, comme il est dit dans les Proverbes : Les entrailles des impies sont cruelles ; MAIS PARCE QU'IL ÉTAIT VOLEUR, il avait l'habitude de voler et déplorait que l'occasion de voler lui ait été enlevée par l'effusion du parfum ; et c'est par cette avarice qu'il a été conduit à la trahison. Il est dit en effet dans l'Ecclésiastique : Pour l'avare, rien n'est trop criminel. - Le voleur ne vient que pour voler, et pour mettre à mort et pour perdre .

Du fait donc qu'il avait l'habitude de voler, l'Évangéliste ajoute cette explication : ET QUE TENANT LA BOURSE, c'est-à-dire établi gardien de la bourse du Seigneur, il portait avec lui, en raison de son service, CE QU'ON Y METTAIT, les dons des fidèles destinés à l'usage du Christ et des pauvres, mais il les emportait en voleur.

1604. Ici on remarque deux choses. Premièrement, le fait que le Christ vivait d'aumônes, comme un pauvre - Et moi je suis mendiant et pauvre. Deuxièmement, que ce n'est pas un manque de perfection que de garder des aumônes en réserve ; c'est pourquoi, ce qui est dit dans Matthieu : Ne vous inquiétez pas du lendemain, ne signifie pas qu'il ne faut rien garder en réserve pour le lendemain, puisque le Seigneur a fait cela, lui qui fut le modèle souverain de la perfection.

1605. Mais, demande-t-on, pourquoi le Seigneur a-t-il confié à Judas la garde de la bourse, alors qu'il le savait voleur ?

À cela il faut répondre de trois manières. D'abord, selon Augustin, le Christ a fait cela pour que son Église, lorsqu'elle a à souffrir de voleurs, les supporte : car celui qui n'a pas pu supporter les mauvais n'est pas bon - Comme le lis entre les chardons, ainsi est ma bien-aimée entre les jeunes femmes*. D'autre part, le Seigneur lui a confié la bourse pour lui enlever une occasion de trahison, puisqu'il avait avec la bourse de quoi apaiser sa convoitise ; mais, comme il est dit dans l'Ecclésiaste : L'avare ne se rassasiera pas d'argent. Enfin, selon d'autres, c'est pour enseigner que les choses spirituelles doivent être confiées aux plus grands mais les choses temporelles aux moins dignes ; c'est pourquoi les Apôtres ont dit : Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables, mais ont confié ce service à l'un des sept diacres.

1606. On se demande aussi comment il est dit ici que seul Judas a fait une remarque sur ce parfum répandu, alors que d'après Matthieu ce sont des disciples.

Mais là il faut dire que Matthieu emploie le pluriel à la place du singulier, de même qu'il est dit : Ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant. Ou bien on peut dire que d'abord Judas a murmuré et que, à cause de lui, les autres ensuite ont été poussés à proférer des paroles semblables, bien que n'ayant pas la même intention.

1607. Après avoir exposé la jalousie du traître à cause de l'hommage de la femme, l'Évangéliste montre ici la correction de cette jalousie : d'abord le Seigneur repousse l'accusation calomnieuse que Judas avait portée contre la femme ; puis il exclut la raison pieuse que ce même Judas avait prétendue [n° 1610].

1608. Il dit donc : LAISSEZ-LA, c'est-à-dire : ne l'empêchez pas. Il faut savoir en effet que beaucoup de bonnes œuvres sont accomplies, que nous n'aurions pas conseillé de faire si on nous avait demandé conseil auparavant, parce que peut-être elles auraient pu être meilleures ; cependant, une fois qu'elles ont été commencées, pourvu qu'elles soient bonnes, on ne doit pas les empêcher. Et comme le dit Chrysostome, Jésus, avant que la femme eût répandu le parfum, aurait peut-être plutôt choisi qu'il fut donné aux pauvres ; mais puisque cela avait déjà été fait, il arrête ceux qui l'en empêchent, en disant : LAISSEZ-LA - N'empêchez pas celui qui fait le bien ; et si tu le peux, toi-même jais le bien.

Et il ajoute : C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM : ici, il annonce pour la première fois l'imminence de sa mort et l'hommage que cette femme aurait été prête à lui rendre pour son ensevelissement, si elle n'avait été devancée par la prompte Résurrection du Christ : en effet, comme on le lit dans Marc, Marie-Madeleine ainsi que d'autres femmes achetèrent des aromates pour aller oindre Jésus. C'est pourquoi il dit : C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM, c'est-à-dire non pas celui qui a été répandu mais un parfum semblable soit par l'espèce, soit par le genre, soit par l'usage qui en a été fait, comme s'il disait : ne l'empêchez pas de faire pour moi tant que je vis ce qu'elle ne pourra pas faire quand je serai mort ; car, comme il a été dit, elle a été devancée par la prompte Résurrection du Christ. Et cela est exprimé davantage dans Marc : D'avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement.

1609. Mais a-t-elle pressenti la mort du Christ ? Il faut dire que non : en effet elle n'avait pas l'intelligence de ce qu'elle faisait ; mais elle a été mue par un certain « instinct » intérieur à faire cela. Car souvent certains sont poussés à faire quelque chose qu'ils ne comprennent pas, comme Caïphe, plus haut. C'est pourquoi ces choses-là sont appelées présages en tant qu'elles se produisent avant les faits [qu'elles annoncent].

LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS, MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS.

1610. Ensuite il exclut la raison pieuse prétendue par Judas - Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été vendu trois cents deniers qu'on aurait donnés aux pauvres ? C'est bien à cause de cela que le Seigneur ajoute : LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS.

Ici, il faut savoir que parfois il faut faire ce qui est moins nécessaire, s'il reste l'occasion d'accomplir ce qui est plus nécessaire, surtout si l'occasion de faire ce qui est moins nécessaire va nous être retirée. Et, pour cette raison, bien qu'il fût plus nécessaire que ce parfum fût donné aux pauvres, plutôt que d'en oindre les pieds de Jésus, cependant puisque cela peut encore être fait, vu que les pauvres, nous les aurons toujours avec nous, le Seigneur a permis que fût accompli ce qui était moins nécessaire.

Et dans ce qu'il dit - LES PAUVRES, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS - il laisse entendre la familiarité que les riches doivent avoir envers les pauvres - Fais-toi aimer de la communauté des pauvres.

MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS.

1611. Cela semble aller à rencontre de ce qu'il dit dans Matthieu : Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles.

Je réponds que, selon saint Augustin, le Seigneur, en disant : MAIS MOI VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS, parlait de la présence de son corps, en tant qu'il apparaît sous la forme avec laquelle il s'élèverait dans le ciel - De nouveau, je quitte le monde. Mais quant à la présence de sa divinité, il est toujours avec nous ; et de même d'une manière sacramentelle dans l'Église.

Ou bien on peut répondre autrement, en disant que le Seigneur, lorsqu'il dit cela, entend la présence de sa divinité. En effet, certains semblent avoir le Christ spirituellement soit dans le sacrement, soit dans la confession de la foi, qui cependant ne sont pas destinés à l'avoir toujours, puisqu'ils sont d'Église seulement quant au nombre mais pas quant au mérite - et tels sont les esclaves. Les fils, eux, sont destinés à l'avoir toujours : car, comme il est dit plus haut : Le fils demeure dans la maison pour l'éternité. Il dit donc à Judas : MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS parce que tu t'en es rendu indigne. En cela, comme le dit Chrysostome, le Seigneur réprimande Judas : en effet, en ayant mal supporté cet hommage rendu au Christ, il semble être accablé par la présence du Christ ; et c'est pourquoi le Christ dit : MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS, comme s'il disait : je suis gênant et pesant pour toi, mais attends un peu et je m'en irai.