Jean 10, 13
Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
Jésus insiste encore sur le motif d'une manière de faire si indigne : parce qu’il est
mercenaire ; son seul nom dit tout, il ne pense qu'à son salaire et il est sans cœur pour les brebis ; il ne se
soucie pas (οὐ μέλει αὐτῷ; il ne se soucie point) des brebis. L'application se fait d'elle-même, et le nom
de mercenaire a passé dans le langage chrétien pour stigmatiser ces prêtres, rares aujourd'hui, grâce à
Dieu, qui négligent le soin sacré des âmes pour s'occuper avant tout de leurs intérêts privés. Comparez au
contraire 1 Petr. 5, 7. - Les mots le mercenaire s’enfuit, placés en tête de ce verset, n'ont rien qui leur
corresponde dans les manuscrits א, B, D, L et dans plusieurs versions ; ils pourraient bien avoir été ajoutés
au texte.
1364. Ayant montré que son enseignement a une puissance illuminative , le Seigneur montre ensuite qu’il a une puissance vivificatrice; cela d’abord par la parole, puis par un miracle, au chapitre . Il montre d’abord que lui-même possède une puissance vivificatrice, puis la manière dont il vivifie et enfin le pouvoir de vivifier .
Cette première partie se divise elle-même en trois. Le Seigneur propose une parabole, puis l’Evangéliste laisse entendre la nécessité de son explication enfin le Seigneur lui-même donne l’explication de la parabole .
A. LA PARABOLE
Il leur propose cette parabole en disant
Il s’agit, dans cette parabole, du voleur et du pasteur des brebis. Le Seigneur met d’abord en avant la condition du voleur et du bandit, puis celle du pasteur ; enfin, l’effet de l’action de l’un et de l’autre sur les brebis .
La condition du voleur.
1365. Pour avoir l’intelligence de tout cela, il faut d’abord considérer qui sont les brebis; ce sont ceux qui ont la foi dans le Christ, et ceux qui sont dans la grâce de Dieu — Nous sommes son peuple et les brebis de son pâturage . — Quant à vous, mon troupeau, les brebis de mon pâturage, vous êtes des hommes, et moi je suis le Seigneur votre Dieu . Donc, le bercail des brebis, c’est l’assemblée du peuple qui a la foi — Je te rassemblerai, Jacob, tout entier; je réunirai le reste d’Israël ensemble, je l’établirai comme un troupeau dans le bercail La porte du bercail est comprise de manière différente par Chrysostome et par Augustin.
1366. D’après Chrysostome , le Christ appelle "porte" les Saintes Ecritures [Scriptura Sacra], selon ce passage : Priant en même temps aussi pour nous, afin que Dieu nous ouvre la porte de la parole . L’Ecriture sainte est appelée porte, comme le dit Chrysostome, d’abord parce que, par elle, nous avons accès à la connaissance de Dieu — Ce qu’il avait autrefois promis par ses Prophètes dans les Saintes Ecritures au sujet de son Fils, qui a été fait selon la chair de la race de David ; ensuite parce que, de même que la porte garde les brebis, de même l’Ecriture sainte conserve la vie de ceux qui ont la foi — Vous scrutez les Ecritures, parce que vous pensez avoir la vie en elles enfin parce que, de même que la porte empêche les loups d’arriver par surprise, de même la Sainte Ecriture empêche les hérétiques de nuire aux fidèles — Toute Ecriture divinement inspirée est utile pour enseigner, argumenter, corriger, éduquer dans la justice IL N’ENTRE donc PAS PAR LA PORTE, celui qui, pour enseigner le peuple, n’entre pas par la Sainte Ecriture. C’est pourquoi le Seigneur dit de tels hommes, en citant Isaïe : C’est en vain qu’ils me rendent un culte, eux qui enseignent les enseignements et les commandements des hommes . — Vous avez annulé le commandement de Dieu à cause de vos traditions . C’est donc la condition du voleur qu’il n’entre pas par la porte, mais par ailleurs.
Le Seigneur ajoute : IL ESCALADE, ce qui s’accorde avec la parabole, puisque les voleurs, au lieu d’entrer par la porte, escaladent les murs et se précipitent dans le bercail. Cela s’accorde aussi avec la vérité la raison pour laquelle certains enseignent d’une autre manière que ce que juge l’Ecriture sainte vient avant tout de l’orgueil — Si quelqu’un enseigne autrement et ne s’attache pas aux paroles sacrées, il est orgueilleux, ne sachant rien . Et à ce propos il dit : IL ESCALADE, c’est-à-dire par l’orgueil. CELUI, dis-je, QUI ESCALADE PAR AILLEURS, CELUI-LÀ EST UN VOLEUR, s’emparant de ce qui n’est pas sien, ET UN BRIGAND, tuant ce dont il s’empare — Si des voleurs étaient entrés chez toi, des bandits pendant la nuit, comment te serais-tu caché ?
Et ainsi, selon cette explication, le texte se rattache à ce qui précède de cette manière : parce que le Seigneur leur avait dit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché , les Juifs auraient pu répondre et dire : ce n’est pas à cause de notre aveuglement que nous ne croyons pas en toi, mais à cause de ton erreur; c’est elle qui nous fait nous détourner de toi. Et c’est pourquoi le Seigneur, rejetant cela, veut montrer qu’il n’est pas dans l’erreur parce qu’il entre par la porte, c’est-à-dire par la Sainte Ecriture — autrement dit, il enseigne ce que contient la Sainte Ecriture.
1367. Mais quelque chose va contre cette interprétation : dans son explication de la parabole, le Seigneur dit plus loin Moi, je suis la porte il semble donc que, par la porte, on doive entendre le Christ.
A cela Chrysostome répond que dans cette parabole, le Seigneur affirme qu’il est lui-même et la porte et le pasteur. C’est pourquoi, selon que lui-même se nomme de différentes manières, "porte" a des sens différents; car en tant qu’il se dit pasteur, il faut que la porte soit autre chose que lui-même, puisque le pasteur et la porte ne sont pas la même chose. Or rien d’autre en dehors du Christ ne peut être appelé "porte" d’une manière qui convienne mieux que la Sainte Ecriture, pour les raisons qu’on a dites. Il convient donc d’appeler "porte" la Sainte Ecriture.
1368. Selon Augustin , par la porte on entend ici le Christ; et cela parce que c’est par lui qu’on entre — Après cela, je vis une grande porte ouverte dans le ciel . Quiconque donc entre dans le bercail doit entrer par cette porte, le Christ, et non par ailleurs. Mais remarquons qu’entrer dans le bercail revient au pasteur et à la brebis; à la brebis pour y être gardée, au pasteur pour garder les brebis. Si donc tu veux entrer comme brebis pour être gardé là, ou comme pasteur pour garder les brebis, il te faut entrer par le Christ. Certains en effet ont cru pouvoir entrer dans le bercail par ailleurs que par le Christ, comme les philosophes qui ont traité des vertus et les pharisiens qui établissaient les cérémonies traditionnelles. Mais ces gens-là ne sont ni des pasteurs ni des brebis, parce que, comme dit le Seigneur : CELUI QUI N’ENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES BREBIS, c’est-à-dire par le Christ, MAIS L’ESCALADE PAR AILLEURS, CELUI-LÀ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND; parce qu’il tue et lui-même et les autres . Car le Christ, et non un autre est la porte du bercail, c’est-à-dire de l’assemblée de ceux qui ont la foi — Nous avons la paix avec Dieu par le Christ, lui par qui nous avons accès par la foi à cette grâce en laquelle nous nous tenons, et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des fils de Dieu . — Il n'est pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes en lequel il nous faille être sauvés .
Et selon cette explication, le texte se rattache à ce qui précède de cette manière ils disaient en effet qu’ils voyaient sans le Christ, selon ce qu’il a dit plus haut. Maintenant, parce que vous dites : "Nous voyons", votre péché demeure ; le Seigneur, en disant : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CELUI QUI N’ENTRE PAS PAR LA PORTE... montre donc que cela est faux, parce qu’ils n’entrent pas par la porte.
Or, de même que celui qui, comme brebis, n’entre pas par la porte ne peut être gardé, de même celui qui entre comme pasteur ne peut pas garder, à moins de passer par la porte, c’est-à-dire par le Christ. Par cette porte entrent les vrais pasteurs dont parle l’épître aux Hébreux Personne ne s'attribue cet honneur, mais celui qui est appelé par Dieu, comme Aaron Les mauvais pasteurs n’entrent pas par la porte, mais par l’ambition, la puissance du monde et la simonie ; et ceux-là sont des voleurs et des bandits — Ils ont régné par eux-mêmes et non de par moi, ils se sont prétendus princes et je ne les ai pas connus , c’est-à-dire je ne les ai pas approuvés.
Et il dit MAIS L’ESCALADE PAR AILLEURS. En effet, cette porte qui est le Christ, est petite par l’humilité — Venez à moi, carie suis doux et humble de cœur ; ne peuvent donc entrer que ceux qui imitent l’humilité du Christ. Ceux donc qui n’entrent pas par la porte escaladent par ailleurs; autrement dit, ils sont orgueilleux et ils n’imitent pas celui qui, alors qu’il était Dieu, s’est fait homme , et ils ne reconnaissent pas son humilité.
La condition du pasteur.
1369. Ici, il s’agit du pasteur. Le Seigneur expose d’abord la condition du pasteur, puis il montre par des signes qui est le pasteur .
1370. La condition du vrai pasteur est d’entrer par la porte. Selon le commentaire de Chrysostome, cela doit s’entendre ainsi : le Christ, QUI ENTRE PAR LA PORTE, c’est-à-dire par les témoignages de la Sainte Ecriture, est le vrai PASTEUR. C’est pourquoi il disait : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été dit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes . — Et moi je n'ai pas été troublé en te suivant comme pasteur — Gomme le pasteur visite son troupeau durant le jour, quand il est au milieu de ses brebis dispersées .
Mais si par la porte on entend le Christ, comme l’interprète Augustin, alors en entrant par la porte, il entre par lui-même. Cela, c’est le propre du Christ, car personne ne peut entrer par la porte, c’est-à-dire [aller] vers la béatitude, si ce n’est par la vérité, parce que la béatitude n’est rien d’autre que la joie de la vérité . Or le Christ en tant que Dieu est la Vérité; et c’est pourquoi, en tant qu’homme, il entre par lui-même, c’est-à-dire par la Vérité que lui-même est en tant que Dieu. Nous, nous ne sommes pas la Vérité elle-même, mais nous sommes fils de la lumière, par participation de la Lumière véritable et incréée; et c’est pourquoi il nous faut entrer par la Vérité, qui est le Christ — Sanctifie-les dans la vérité — Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé.
Mais si quelqu’un veut aussi entrer comme pasteur, il faut qu’il entre par la porte, le Christ, c’est-à-dire selon sa volonté et ce qu’il ordonne; c’est pourquoi il dit : Je leur donnerai un pasteur qui les fera paître, mon serviteur David comme s’il disait : c’est par moi qu’ils doivent être donnés, et non par d’autres ou par eux-mêmes.
1371. Le Seigneur expose ici à quels signes on reconnaît le bon pasteur; ils sont au nombre de trois.
Le premier se prend du point de vue du portier, c’est-à-dire de celui qui l’introduit : À LUI, LE PORTIER OUVRE. Le portier, selon Chrysostome , est celui qui ouvre la voie à la connaissance de l’Ecriture sainte; ce fut d’abord Moïse, qui, le premier, reçut et institua les Saintes Ecritures. Et ici, il ouvre au Christ, parce que, comme il est dit plus haut : Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez peut-être aussi en moi; c’est de moi en effet qu’il a écrit
Ou bien, selon Augustin, le portier, c’est le Christ lui-même, parce que c’est lui-même qui introduit les hommes à lui. Il dit : "Lui-même s’ouvre, lui qui se révèle lui-même, et nous n’entrons que par sa grâce ." — C’est par grâce que vous êtes sauvés, et non par vous-mêmes .
Il importe peu que celui-là même qui est la porte soit aussi le portier; car, dans les réalités spirituelles, certaines choses s’accordent qui ne le peuvent dans les réalités matérielles. Or il semble que le pasteur diffère plus de la porte que la porte du portier. Puis donc que le Christ est dit pasteur et porte, comme on l’a dit, il peut encore plus être dit porte et portier . Mais si tu cherches comme portier une autre personne que Moïse et le Christ, vois l’Esprit-Saint comme portier, selon ce que dit Augustin Il appartient en effet au service du portier d’ouvrir la porte, et il est dit de l’Esprit-Saint. Il vous enseignera la vérité tout entière . Le Christ, en effet, est la porte, en tant qu’il est la Vérité.
1372. Le second signe [caractéristique du bon pasteur] se prend du point de vue des brebis, c’est-à-dire du fait qu’elles lui obéissent : ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX. Cela, certes, est dit avec raison, si on le considère à partir de la similitude du pasteur; en effet, les brebis reconnaissent la voix du pasteur à partir de leur imagination qui y est habituée. Et ainsi, ceux qui ont la foi et qui sont justes écoutent la voix du Christ — Aujourd’hui, si vous écoutez sa voix .
1373. On peut objecter que nombreuses sont les brebis du Christ qui n’ont cependant pas entendu sa voix, comme Paul. En outre, certains l’ont entendue et n’ont pas été les brebis du Christ, comme Judas .
A cela on pourrait répondre que Judas était à ce moment-là une brebis du Christ, quant à la justice présente. Et Paul, quand il n’entendait pas la voix du Christ, n’était pas une brebis, mais un loup; mais la voix du Christ, en survenant, a transformé le loup en brebis .
On pourrait soutenir une telle réponse si ce que dit Ezéchiel ne lui était pas contraire : Celle qui avait été blessée, vous ne l’avez pas pansée, et celle qui était égarée, vous ne l’avez pas ramenée . A partir de là, on voit que, alors qu’elles étaient encore blessées et dans l’erreur, elles étaient des brebis. C’est pourquoi il faut dire que le Seigneur parle ici de ses brebis non seulement quant à la justice présente, mais aussi selon la prédestination éternelle . Il est en effet une parole du Christ que nul ne peut entendre s’il n’est prédestiné, c’est-à-dire : Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé . C’est pourquoi il dit ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX; les Juifs auraient pu en effet s’excuser de leur manque de foi en disant que non seulement eux-mêmes, mais aussi aucun des chefs du peuple ne croyaient en lui . Pour répondre à cela il dit : ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX, comme pour dire : eux-mêmes ne croient pas en moi parce qu’ils ne sont pas de mes brebis.
1374. Le troisième signe [caractéristique du bon pasteur] se prend des actes du pasteur lui-même : ET SES BREBIS À LUI, IL LES APPELLE PAR LEUR NOM, ET IL LES CONDUIT DEHORS. ET QUAND IL A FAIT SORTIR CELLES QUI SONT À LUI, IL VA DEVANT ELLES. Dans ce passage, le Christ expose quatre actes propres au bon pasteur. En premier lieu il connaît ses brebis. C’est pourquoi il dit que SES BREBIS À LUI, IL LES APPELLE PAR LEUR NOM : il montre en cela la connaissance qu’il a de ses brebis et l’intimité qu’il a avec elles . En effet, ce sont ceux que nous connaissons intimement [familialiter] que nous appelons par leur nom — Moi je t’ai connu par ton nom. Cela convient certes au service du bon pasteur, selon la parole du livre des Proverbes : Considère avec attention le visage de ton troupeau . Et cela convient au Christ, selon la connaissance présente [qu'il a des hommes], ou surtout selon la prédestination éternelle en laquelle, de toute éternité, il connaît jusqu’à leur nom — Lui qui compte la multitude des étoiles et les appelle toutes par leur nom . — Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui .
En second lieu, il les CONDUIT DEHORS, c’est-à-dire qu’il les sépare de la société des impies — Il les a fait sortir des ténèbres et de l’ombre de la mort .
En troisième lieu, après avoir séparé les brebis des impies et les avoir fait entrer dans le bercail, de nouveau il les fait sortir du bercail. D’abord certes pour le salut des autres — Parmi ceux qui auront été sauvés, j’en enverrai en Lydie [...] vers ceux qui n'ont pas entendu parler de moi et qui n'ont pas vu ma gloire, et ils annonceront ma gloire aux nations — Voici que moi je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups … pour que vous en fassiez des brebis. Et aussi en direction et sur la voie du salut éternel — Pour diriger nos pas vers le chemin de la paix .
En quatrième lieu, il les précède par l’exemple d’une bonne conduite IL VA DEVANT ELLES. Il n’en est certes pas ainsi du berger d’animaux, qui lui suit plutôt les brebis — Il le prit de derrière les brebis mères . Le bon pasteur, lui, marche devant [ses brebis] par l’exemple — Non pas en exerçant une domination sur le peuple de Dieu, mais devenant par l’esprit le modèle du troupeau . Et dans ces deux manières de sortir, il va devant elles : le premier, il a subi la mort pour avoir enseigné la vérité — Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive et il a précédé tous les hommes dans la vie éternelle — Il vient en ouvrant le chemin devant eux .
L’effet de l’action du voleur et du pasteur sur les brebis.
1375. Le Christ montre ici quel est l’effet de l’action du voleur et du pasteur sur les brebis. D’abord celui du bon pasteur, puis celui du loup et du voleur .
1376. Le Seigneur a dit plus haut quelles sont les conditions du voleur et du pasteur; ici il affirme : ET LES BREBIS LE SUIVENT, c’est-à-dire celui qui marche devant elles. Et certes, il va de soi que les subordonnés doivent suivre les traces de ceux qui ont l’autorité dans l’Eglise, parce que le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses traces. — Ses traces, mon pied les a suivies Et cela PARCE QU’ELLES CONNAISSENT SA VOIX, c’est-à-dire qu’elles la reconnaissent et se réjouissent en elle — Que ta voix résonne à mes oreilles, car ta voix est douce .
1377. L’effet de l’action du voleur est que les brebis ne le suivent pas longtemps, mais seulement pour un temps; c’est pourquoi il dit : ELLES NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, c’est-à-dire qu’elles ne suivent pas un docteur menteur et hérétique — Les fils d’étrangers m’ont menti C’est ainsi que Paul n’a pas suivi longtemps les docteurs qui étaient dans le mensonge. MAIS ELLES S’ENFUIENT LOIN DE LUI, et cela parce que, comme il est dit, les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs ELLES S’ENFUIENT LOIN DE LUI, PARCE QU’ELLES NE CONNAISSENT PAS, c’est-à-dire qu’elles n’approuvent pas, LA VOIX DES ÉTRANGERS, c’est-à-dire leur doctrine, qui s’insinue sournoisement comme un chancre.
B. LA NÉCESSITÉ DE L’EXPLICATION
1378. L’Évangéliste souligne ici la nécessité d’expliquer la similitude exposée plus haut; cette nécessité a pour cause l’ignorance des auditeurs. D’abord, il relève la cause de l’ignorance; puis il manifeste l’ignorance elle-même .
1379. La cause de l’ignorance fut que le Christ s’exprimait sous une forme énigmatique : JÉSUS LEUR DIT CE PROVERBE Au sens propre, il y a "proverbe" quand on met une chose à la place d’une autre, c’est-à-dire quand on donne à entendre une parole à partir d’une similitude avec autre chose; c’est ce qu’on appelle aussi parabole.
Or le Seigneur parlait sous forme de proverbes en premier lieu à cause des méchants, pour leur cacher les mystères du Royaume céleste — A vous, il a été donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu, mais pour tous les autres, c’est en paraboles . En second lieu à cause des bons, pour qu’à partir des proverbes ils s’exercent à chercher; voilà pourquoi, lorsque le Christ avait proposé des proverbes ou des paraboles aux foules, ses disciples l’interrogeaient à part, comme on le voit dans les évangiles de Matthieu et de Marc. C’est pourquoi aussi saint Augustin dit : "Le Seigneur fait paître par des paroles manifestes", à savoir les foules qui croyaient en lui, "et exerce par des paroles obscures", à savoir les disciples .
1380. L’Évangéliste met en lumière l’ignorance des auditeurs lorsqu’il dit : MAIS EUX NE CONNURENT PAS CE QU’IL LEUR DISAIT. L’ignorance qui provenait des proverbes proposés par le Christ était certes utile, et [en même temps] funeste. Elle est utile aux bons et aux justes pour s’exercer et pour louer Dieu; car, en ne comprenant pas et en croyant, ils glorifient le Seigneur et sa sagesse qui les dépasse — La gloire de Dieu est de cacher la parole . Mais cette ignorance est funeste aux méchants parce que, ne comprenant pas, ils blasphèment, selon cette parole de l’épître canonique de Jude : Tout ce qu’ils ignorent, ils le blasphèment . En effet, comme le dit Augustin , lorsque l’homme pieux et l’impie entendent les paroles de l’Evangile, et que ni l’un ni l’autre ne les comprennent, l’homme pieux dit : Il dit vrai et ce qu’il a dit est bon, mais nous, nous ne comprenons pas. Et là certes, il frappe déjà, lui à qui il est juste que l’on ouvre, si toutefois il persiste . Quant à l’impie, il dit : Il n’a rien dit, ce qu’il dit est mauvais.
C. L’EXPLICATION DE LA PARABOLE PAR LE CHRIST
1381. Le Seigneur donne maintenant le sens de la parabole.
Si on considère d’une manière droite cette parabole, elle contenait deux affirmations principales dont les autres dé pendent. La première est celle-ci : CELUI QUI N’ENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES BREBIS […] CELUI-LÀ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND. Et la seconde est celle-ci : MAIS CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. C’est la raison pour laquelle cette partie du texte se divise en deux.
En effet, le Christ donne d’abord le sens de la première affirmation [de la parabole], en expliquant ce qu’elle contenait, puis en le prouvant . Il donnera ensuite le sens de la seconde affirmation .
Première affirmation de la parabole.
Dans la première affirmation de la parabole, il est fait mention de la porte, ainsi que du voleur et du brigand. Le Christ donne le sens de ces deux éléments.
1382. JÉSUS LEUR DIT DONC DE NOUVEAU, pour les rendre plus attentifs et pour qu’ils comprennent la similitude — Il pénétrera la parabole et son interprétation, les paroles des sages et leurs énigmes — : AMEN, AMEN, JE VOUS DIS, c’est-à-dire en vérité, QUE MOI JE SUIS LA PORTE DES BREBIS. En effet, la fonction de la porte est que, par elle, on accède à l’intérieur de la maison; et cela convient au Christ, car c’est par lui que tout homme doit entrer dans les secrets de Dieu — Voici la porte du Seigneur, à savoir le Christ, les justes entreront par elle .
Il dit DES BREBIS, parce que ce ne sont pas seulement les pasteurs qui Sont introduits dans l’Eglise présente par le Christ, ou qui s’avancent par le Christ vers la béatitude éternelle; ce sont aussi les brebis, et c’est pourquoi il est dit plus loin : Mes brebis écoutent ma voix et elles me suivent, et moi je leur donne la vie éternelle .
1383. Ici, le Seigneur explique ce qu’il a dit du voleur et du bandit. Il montre d’abord qui est un voleur et un bandit; il en donne ensuite un signe.
1384. Il faut ici prendre garde à l’erreur des manichéens : condamnant l’Ancien Testament, ils affirment à partir de ce qui est dit ici que les pères de l’Ancien Testament, qui furent avant le Christ, furent mauvais et ont été damnés .
Il apparaît que cela est faux, pour trois raisons. Première raison : ce qui a été dit dans la parabole. En effet, ce qui est dit ici : TOUS CEUX QUI SONT VENUS, est présenté comme une explication de ce qui précède CELUI QUI N’ENTRE PAS... Donc, TOUS CEUX QUI SONT VENUS, c’est-à-dire non pas par moi, à savoir en n’entrant pas par la porte, SONT DES VOLEURS ET DES BRIGANDS. Or il est établi que tous les prophètes et les patriarches sont entrés par la porte, c’est-à-dire le Christ; en effet, le Christ qui devait venir les envoyait en hérauts. Bien qu’il ait pris chair dans le temps et qu’il se soit fait homme, il était cependant de toute éternité le Verbe de Dieu — Jésus — Christ est le même hier et aujourd’hui, et dans les siècles . Or les prophètes ont été envoyés par le Verbe de Dieu et la Sagesse — La Sagesse de Dieu se communique à toutes les nations dans des âmes saintes, et elle en fait des prophètes et des amis de Dieu. C’est pourquoi nous lisons clairement dans les Prophètes que la sagesse du Seigneur est advenue à tel ou tel prophète : ils ont prophétisé comme par participation du Verbe de Dieu.
La deuxième raison est que le Seigneur dit : ILS SONT VENUS, comme pour dire de leur propre mouvement, et non pas envoyés par Dieu, mais en s’ingérant. D’eux il est dit : Je ne les envoyais pas, et ils couraient d’eux-mêmes . Ces gens-là certes ne sont pas venus du Verbe de Dieu — Malheur aux prophètes insensés qui suivent leur propre esprit et ne voient rien Tels ne furent pas les pères de l’Ancien Testament, comme on l’a déjà dit.
La troisième raison est un fait : la conséquence de leurs paroles. En effet, il est dit ici : MAIS LES BREBIS NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS. Ceux donc que les brebis ont écoutés n’ont pas été des voleurs et des bandits. Or le peuple d’Israël a écouté les prophètes. C’est la raison pour laquelle, dans la Sainte Ecriture, ceux qui ne les ont pas écoutés sont blâmés — Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté ? — Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés .
1385. Cette erreur étant ainsi évitée, il faut dire : TOUS CEUX QUI SONT VENUS, c’est-à-dire en dehors de moi, en dehors de l’inspiration et de l’autorité divines, et en ayant l’intention non pas de chercher la gloire divine, mais de s’arroger une gloire propre, SONT DES VOLEURS, en tant qu’ils s’attribuent ce qui ne leur appartient pas, à savoir l’autorité pour enseigner — Tes chefs sont infidèles, ils s’associent aux voleurs ; et ils sont DES BRKANDS, parce qu’ils tuent par une doctrine perverse — Vous, vous en avez fait une caverne de brigands — Conspirant avec les brigands qui tuent sur le chemin de Sichem . Mais ceux-là, les voleurs et les brigands, LES BREBIS, qui sont prédestinées, NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS, c’est-à-dire avec persévérance; autrement, elles n’auraient pas fait partie des brebis du Christ, qui NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, MAIS S’ENFUIENT LOIN DE LUI, comme il est dit plus haut. Cela était aussi prescrit dans le Deutéronome : Tu n'écouteras pas les paroles de ce prophète, ou de ce rêveur .
1386. Le Christ met ensuite en lumière l’explication de la parabole. D’abord le sens qu’il a donné à la porte — pour cela, il résume ce qu’il a l’intention d’expliquer aussitôt —, puis le sens qu’il a donné au voleur.
1387. Il résume ce qu’il a dit par ces mots : MOI JE SUIS LA PORTE — Si c’est une porte, recouvrons-la de planches de cèdre , c’est-à-dire attribuons-lui une puissance imputrescible.
SI QUELQU’UN ENTRE PAR MOI, IL SERA SAUVÉ. ET IL ENTRERA ET SORTIRA, ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES.
1388. Le Christ donne ici le sens de ce qui précède. Il montre d’abord que l’utilité de la porte, qui est de sauver les brebis, se rapporte à lui, puis il laisse entendre la manière de sauver .
1389. La porte sauve en retenant ceux qui sont à l’intérieur, les empêchant de sortir, et en défendant contre ceux qui sont à l’extérieur, les empêchant de pénétrer. Et cela convient au Christ, car c’est par lui que nous sommes sauvés et justifiés. C’est ce qu’il dit SI QUELQU’UN, sans être mensonger, ENTRE dans la société de l’Eglise et de ceux qui ont la foi, PAR MOI, la porte, IL SERA SAUVÉ. Ajoutons : s’il a persévéré — Il n'est pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes en lequel il nous faille être sauvés . — Combien plus serons-nous sauvés en sa vie .
1390. On montre ici le mode du salut; et ces paroles peuvent être expliquées de quatre manières.
D’abord, selon Chrysostome , on ne donne ici rien d’autre à entendre que la sécurité et la liberté de ceux qui adhèrent au Christ. Celui qui escalade par ailleurs que par la porte ne peut pas entrer et sortir librement; mais celui qui entre par la porte peut aussi sortir librement. Ces paroles : ET IL ENTRERA ET SORTIRA ont donc pour sens, selon cette similitude, que les Apôtres, en adhérant au Christ, entrèrent avec sécurité, conversant avec les croyants qui sont à l’intérieur de l’Eglise et avec les incroyants qui sont à l’extérieur, quand ils furent devenus seigneurs de toute la terre, et que personne n’eut la puissance de les rejeter — Que le Seigneur, Dieu des esprits de toute chair, pourvoie ce peuple d’un homme qui puisse entrer et sortir : que le peuple du Seigneur ne soit pas comme des brebis sans pasteur . [Et les Apôtres ont trouvé] DES PÂTURAGES, c’est-à-dire la douceur de vivre avec les croyants , et aussi une joie dans les persécutions qu’ils subissent de la part des incroyants pour le nom du Christ, selon cette parole des Actes : Les Apôtres s’en allèrent tout joyeux de devant le grand conseil, parce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir le mépris pour le nom de Jésus .
1391. Ces paroles peuvent aussi être expliquées à la manière d’Augustin dans son commentaire de saint Jean . Deux choses incombent à quiconque veut bien agir qu’il se comporte bien à l’égard de ce qui est au-dedans de lui, et à l’égard de ce qui est à l’extérieur. Or, dans l’homme, l’intérieur c’est l’esprit; et l’extérieur c’est le corps — Bien que notre homme qui est à l’extérieur se corrompe, celui qui est à l’intérieur se renouvelle de jour en jour . Celui donc qui adhère au Christ accède par la contemplation à la garde de la conscience — Entrant dans ma maison, c’est-à-dire la conscience, je me reposerai auprès d’elle , c’est-à-dire la Sagesse. ET IL SORTIRA au dehors, par une action bonne, pour maîtriser son corps — L’homme sortira pour son ouvrage, pour son action jusqu’au soir . ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES, à savoir dans une conscience pure et livrée à Dieu — J’entrerai devant ta face, je me rassasierai quand sera apparue ta gloire . ET, dans l’action droite, IL TROUVERA DES PÂTURAGES, c’est-à-dire un fruit — Revenant, ils viendront avec exultation, en portant leurs gerbes .
1392. La troisième interprétation de ces paroles est encore d’Augustin et aussi de Grégoire dans son commentaire d’Ezéchiel IL ENTRERA, dans l’Eglise, en croyant — J’avancerai vers la tente admirable , ce qui est s’avancer vers l’Eglise militante; ET IL SORTIRA, de l’Eglise militante à l’Eglise triomphante — Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon avec la couronne dont l’a couronné sa mère au jour de ses épousailles . ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES dans l’Eglise militante, ceux de la doctrine et de la grâce — Il m’a mené dans le lieu de son pâturage , et dans l’Eglise triomphante, ceux de la gloire — Je les ferai paître dans des pâturages très abondants .
1393. Le quatrième sens est exposé dans le livre De l’esprit et de l’âme, que l’on attribue à saint Augustin, bien qu’il ne soit pas de lui . Il y est dit qu’ils entrent, les saints, pour contempler la divinité du Christ, et qu’ils sortent pour considérer son humanité; et dans l’une et l’autre ils trouvent des pâturages, parce qu’ils goûtent dans l’une et l’autre les joies de la contemplation — Ils verront le Roi dans sa splendeur .
1394. Il s’agit ici du voleur. D’abord, le Christ montre la propriété du voleur, puis il s’attribue la propriété contraire .
1395. Il dit donc : ceux qui n’entrent pas par la porte, c’est-à-dire qui sont venus en dehors de moi, ceux-là sont des voleurs et des brigands, dont la condition est mauvaise. Car d’abord, certes, LE VOLEUR NE VIENT QUE POUR VOLER, pour s’approprier ce qui n’est pas à lui, c’est-à-dire comme les séditieux et les hérétiques entraînant avec eux ceux qui sont au Christ — Il est à l’affût pour se saisir du pauvre . Ensuite, le voleur vient POUR METTRE À MORT, c’est-à-dire pour tuer en introduisant une doctrine perverse, ou même des mœurs dépravées — Elle conspire avec les voleurs qui tuent les passants venant de Sichem . En troisième lieu, il vient POUR PERDRE, en envoyant à la perdition éternelle — Mon peuple est devenu un troupeau perdu . Et certes, ces conditions ne sont pas en moi.
. En effet, MOI, JE SUIS VENU POUR QU’ON AIT LA VIE... Autrement dit, ces gens-là ne sont pas venus par moi, parce qu’autrement ils feraient des choses semblables â celles que moi je fais. Mais eux-mêmes agissent d’une manière contraire, parce qu’ils volent, ils tuent et ils perdent. MOI, JE SUIS VENU POUR QU’ON AIT LA VIE, c’est-à-dire la vie de la justice en entrant dans l’Eglise militante par la foi — Celui qui est incrédule, son âme en lui ne sera pas droite, mais le juste vivra par sa foi . — Mon juste vit par la foi . De cette vie il est dit : Nous savons pourquoi nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères . ET QU’ON L’AIT SURABONDANTE, c’est-à-dire dans la vie éternelle en sortant du corps; de cette vie, il est dit plus loin : Telle est la vie éternelle, qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ .
Seconde affirmation de la parabole.
1397. Le Seigneur donne ici le sens de cette deuxième affirmation de la parabole qui précède : CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. Après en avoir donné l’explication, il la met en lumière . Il explique cette proposition en disant que lui-même est le pasteur. Puis, ayant affirmé qu’il est le pasteur, il montre quel est le service du bon pasteur ; enfin il montre le contraire, à propos du mauvais pasteur .
1398. Que le Christ soit pasteur, cela lui convient manifestement; car, de même que par le pasteur, le troupeau est gouverné et nourri, de même, par le Christ, les forces de ceux qui croient sont refaites par une nourriture spirituelle, et même par son propre corps et son propre sang — Vous étiez comme des brebis sans berger C’est aussi ce que dit Isaïe : Gomme un berger fait paître son troupeau .
Mais pour le différencier du mauvais pasteur et du voleur, il ajoute BON. BON, dis-je, parce qu’il remplit parfaitement le service du pasteur, comme on dit bon soldat celui qui remplit jusqu’au bout son rôle de soldat. Mais, comme le Christ avait dit plus haut que le pasteur entre par la porte, et aussi que lui-même est la porte, et puisqu’ici il dit qu’il est le pasteur, il faut donc que lui-même entre par lui-même. Et certes il entre par lui-même, parce qu’il se manifeste lui-même, et parce qu’il connaît le Père par lui-même. Nous, nous entrons par lui, parce que c’est lui que nous prêchons .
Mais soyons attentif au fait que personne d’autre que lui n’est la porte, parce que personne d’autre n’est la lumière véritable. Les autres le sont par participation — Celui-là, Jean Baptiste, n’était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière . Mais du Christ, il est dit Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme . Et c’est pourquoi personne ne dit de lui-même qu’il est la porte : cela, le Christ se l’est réservé en propre. Par contre, être pasteur, il l’a communiqué à d’autres, et il l’a donné à ses membres. Car Pierre fut pasteur, ainsi que tous les autres Apôtres, et tous les bons évêques — Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur . Et bien que les intendants de l’Eglise, qui sont des fils, soient tous des pasteurs, comme le dit Augustin, cependant il dit d’une manière unique : MOI JE SUIS LE BON PASTEUR, pour donner à entendre qu’il s’agit de la vertu de charité. Nul en effet n’est bon pasteur sinon par la charité qui le rend un avec le Christ et le fait membre du pasteur véritable.
1399. L’office du bon pasteur est la charité; c’est pourquoi il dit LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME POUR SES BREBIS. Il faut en effet savoir qu’il existe une différence entre le bon et le mauvais pasteur le bon pasteur a en vue l’intérêt du troupeau, le mauvais son propre intérêt. Cette différence est soulignée dans un passage d’Ezéchiel, concernant les pasteurs qui se font paître eux-mêmes. N’est-ce pas les troupeaux que les pasteurs doivent faire paître ? Celui donc qui utilise le troupeau uniquement pour se faire paître lui-même n’est pas un bon pasteur; mais celui qui a l’intention de faire paître le troupeau, celui-là est un bon pasteur.
Il s’ensuit que le mauvais pasteur, même quand il s’agit de celui qui s’occupe d’animaux, ne veut supporter aucun inconvénient en faveur de son troupeau, puisqu’il ne cherche pas l’avantage des brebis mais le sien propre. Mais le bon pasteur, même celui qui s’occupe d’animaux, supporte beaucoup pour son troupeau, dont il a le bien en vue. C’est pourquoi Jacob dit : Jour et nuit, j’étais brûlé par le gel et la chaleur Pour les pasteurs d’animaux, on n’exige pas du bon pasteur qu’il s’expose à la mort pour le salut du troupeau, puisque sa vie l’emporte sur le salut du troupeau. Mais parce que le salut du troupeau spirituel l’emporte sur la vie corporelle du pasteur, lorsqu’un péril imminent menace le salut du troupeau, celui qui est pasteur dans l’ordre spirituel doit supporter la perte de sa vie corporelle pour le salut du troupeau. C’est ce que le Seigneur dit : LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME, c’est-à-dire sa vie corporelle, POUR SES BREBIS. IL LA DONNE, c’est-à-dire par autorité et par charité; en effet, l’une et l’autre sont exigées il faut que les brebis lui appartiennent, et qu’il les aime. La première sans la seconde ne suffit pas.
Le Christ nous a donné l’exemple de cet enseignement Si le Christ a livré son âme pour nous, nous aussi, nous devons livrer notre âme pour nos frères .
1400. Le Christ traite ici du mauvais pasteur, en montrant qu’en lui se trouvent les conditions contraires à celles du bon pasteur.
Il expose d’abord quelles sont les conditions du mauvais pasteur — avant d’évoquer le péril imminent qui menace le troupeau du mauvais pasteur — puis il montre comment ces conditions se rattachent nécessairement les unes aux autres .
1401. Il faut remarquer qu’on peut découvrir, à partir de ce qui a été dit du bon pasteur et de ce qui est dit ici du mauvais, trois différences entre leurs conditions respectives. La première distinction concerne l’intention; la seconde l’amour la troisième la sollicitude .
1402. Ils diffèrent donc d’abord dans l’intention; et cela ressort du nom que portent l’un et l’autre. Le premier est appelé PASTEUR, par où on donne à entendre qu’il a l’intention de faire paître le troupeau — N’est-ce pas les troupeaux que les pasteurs font paître’? Mais l’autre, le mauvais, est appelé MERCENAIRE [mercenarius], comme étant celui qui cherche une récompense [merces]. Ainsi donc ils diffèrent en ceci, que le bon pasteur cherche l’avantage du troupeau et que le mercenaire cherche principalement son propre intérêt. Cette différence existe aussi entre le roi et le tyran, comme le dit le Philosophe , parce que le roi, dans son gouvernement, cherche l’avantage de ceux qui sont soumis; mais le tyran cherche son propre avantage, c’est pourquoi il est comme le mercenaire — Si cela est bien à vos yeux, apportez-moi ma récompense .
1403. Mais les bons pasteurs peuvent-ils aussi chercher une récompense? Il semble que oui — "Donne une récompense, Seigneur, à ceux qui t’attendent avec patience". — Voici, sa récompense est avec lui — Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont des pains en abondance !
Je réponds : il faut dire que la récompense peut être prise de deux manières, d’une manière commune et au sens propre. D’une manière commune, certes, tout ce qui est donné en réponse à des mérites est appelé récompense; et parce que la vie éternelle elle-même, qui est Dieu — Celui-ci est le véritable Dieu et la vie éternelle —, est donnée en réponse à des mérites, cette vie même est dite récompense. Et cette récompense-là, tout bon pasteur peut et doit la chercher.
Mais, au sens propre, on appelle récompense quelque chose qui ne relève pas d’un héritage. Cela, le fils véritable ne doit en avoir aucun souci, puisqu’il est directement concerné par l’héritage; mais les serviteurs et les mercenaires, eux, y sont intéressés. Ainsi, puisque la vie éternelle est notre héritage, celui qui agit en considération d’elle agit comme fils; mais celui qui a en vue quelque chose en dehors d’elle (par exemple celui qui convoite avidement les avantages terrestres, celui qui se réjouit de l’honneur de la prélature), est un mercenaire.
1404. En second lieu, [les bons et les mauvais pasteurs] sont distingués quant à leur sollicitude. Du bon pasteur il est dit que les brebis sont siennes, non seulement parce qu’elles lui sont remises, mais aussi par l’amour et la sollicitude — Du fait que je vous ai dans mon cœur et dans mes liens . Mais du mercenaire il est dit : LUI... DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES SIENNES PROPRES, c’est-à-dire : il n’a pas de sollicitude pour elles — Et les pasteurs n’ont pas cherché mon troupeau, mais ils se faisaient paître eux-mêmes .
1405. En troisième lieu, ils diffèrent quant à l’amour car le bon pasteur, parce qu’il aime son troupeau, donne son âme pour lui, c’est-à-dire s’expose au péril de la vie corporelle. Mais le mauvais pasteur, parce qu’il n’a aucun amour pour le troupeau, fuit quand il voit le loup. C’est pourquoi il dit : VOIT-IL que le danger est imminent, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT.
Ce loup peut s’entendre de trois manières. D’abord, certes, c’est le diable en train de tenter Si le loup s’est une fois lié avec l’agneau, ainsi le pécheur avec le juste . Mais, en second lieu, c’est l’hérétique qui cause la ruine — Prenez garde aux faux prophètes qui viennent vêtus en brebis, mais au dedans ce sont des loups rapaces . — Moi je sais qu’après mon départ des loups rapaces entreront parmi vous, n’épargnant pas le troupeau. En troisième lieu, c’est le tyran qui s’acharne avec fureur — Ses princes au milieu de lui sont comme des loups arrachant leur proie .
Le bon pasteur doit donc protéger ceux qui [lui] sont soumis contre ces trois loups; [il le fait] lorsque, voyant le loup, c’est-à-dire la tentation du diable, la tromperie de l’hérétique et la fureur du tyran, il s’y oppose. D’où le reproche fait en Ezéchiel Vous ne vous êtes pas élevés contre un adversaire, et vous ne vous êtes pas opposés tel un mur devant la maison d’Israël C’est pourquoi il est dit du mauvais pasteur qu’il LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT : O pasteur, et idole qui abandonne le troupeau Comme s’il disait : tu n’es pas un pasteur mais tu fais paraître une similitude et une idole du pasteur — Ses mercenaires en son milieu comme des veaux engraissés se sont retournés et ont fui tous ensemble, ils n’ont pu tenir .
1406. Mais à cela s’oppose ce qui est dit en saint Matthieu : Si vous êtes persécutés dans une ville, fuyez dans une autre . Il semble donc qu’il soit permis au pasteur de fuir.
Je réponds qu’il y a à cela deux solutions. L’une est d’Augustin dans son commentaire de saint Jean . Il existe en effet deux fuites : celle de l’âme et celle du corps. Or ce qui est dit ici : IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT s’entend de la fuite de l’âme. Car, craignant pour lui-même le péril qui vient du loup, le mauvais pasteur n’ose pas résister à son injustice, mais il s’enfuit non pas en changeant de lieu, mais en s’octroyant par en dessous un soulagement, c’est-à-dire en fuyant le soin du troupeau.
Cette explication s’impose quand il s’agit du premier loup, car, en face du diable, il ne s’agit pas de fuir physiquement [corporaliter]. Mais parce qu’il arrive aussi qu’un pasteur prenne la fuite physiquement à cause des loups, c’est-à-dire d’un hérétique ayant la puissance et d’un tyran, il faut donner une autre réponse, qu’Augustin propose dans la Lettre à Honoratus . Car, comme lui-même le dit, il semble qu’il soit permis de fuir même physiquement les loups : non seulement à cause de l’autorité du Seigneur [mentionnée plus haut], mais aussi à cause de l’exemple de certains saints, comme Athanase et d’autres, fuyant leurs persécuteurs.
Mais la solution est évidente à partir des paroles elles-mêmes du Seigneur. En effet le mercenaire est blâmé non pas parce qu’il s’enfuit, mais parce qu’il laisse les brebis. S’il pouvait s’enfuir en ne laissant pas les brebis, cela ne serait pas blâmable. Il arrive parfois, en effet, qu’on recherche la personne du prélat; parfois, tout le troupeau. Or il est manifeste que si on ne cherche que la seule personne du prélat, d’autres peuvent être députés à sa place à la garde du troupeau, qui le consolent et le gouvernent à sa place. C’est pourquoi, s’il s’enfuit ainsi, on ne dit pas qu’il laisse les brebis et de cette manière, quand cela arrive, il est permis de s’enfuir. Mais si on recherche tout le troupeau, ou bien il faut que tous les pasteurs soient ensemble avec les brebis, ou bien il faut que certains d’entre eux restent et que d’autres s’en aillent. S’ils délaissent totalement le troupeau, alors ce qui est dit ici leur convient : VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT.
1407. Ici est exposé le péril imminent, qui est double. L’un est le vol des brebis. C’est pourquoi il dit : ET LE LOUP S’EN EMPARE, puisque ce qui est à un autre, il en prend possession pour lui-même. En effet, ceux qui croient dans le Christ sont ses brebis. Ainsi, celui qui est hérésiarque et loup s’empare des brebis quand il attire vers sa fausse doctrine ceux qui croient en le Christ — Mon troupeau a été livré au pillage de toutes les bêtes des champs.
L’autre péril est la dispersion des brebis. C’est pourquoi il dit : ET DISPERSE LES BREBIS, en tant que les unes sont séduites et que d’autres résistent — Mes troupeaux ont été dispersés, et il n’est personne pour les chercher .
1408. Ici, il montre comment les conditions qu’on a dites plus haut sont liées les unes aux autres. Car des deux premières s’ensuit la troisième. En effet, de ce qu’il cherche sa propre utilité et qu’il n’est pas attaché au troupeau par l’amour et la sollicitude, il s’ensuit qu’il ne veut pas supporter une difficulté pour lui-même. Et c’est pourquoi il dit : LE MERCENAIRE S’ENFUIT, autrement dit PARCE QU’IL EST MERCENAIRE, c’est-à-dire cherche sa propre commodité — ce qui se rapporte à la première condition; ET IL N’A PAS SOUCI DES BREBIS, c’est-à-dire qu’il ne les aime pas, ni n’a souci d’elles — cela quant à la seconde condition. C’est pourquoi il est dit à son sujet : Il est dur pour ses fils . C’est le contraire quand il s’agit du bon pasteur : il cherche l’intérêt du troupeau, et non le sien propre. L’Apôtre dit : Je ne cherche pas un don, mais un fruit . Et il a souci de ce qui concerne les brebis, c’est-à-dire qu’il les aime et qu’il a soin d’elles — Du fait que je vous ai dans mon cœur et dans mes liens .
Cette première partie se divise elle-même en trois. Le Seigneur propose une parabole, puis l’Evangéliste laisse entendre la nécessité de son explication enfin le Seigneur lui-même donne l’explication de la parabole .
A. LA PARABOLE
Il leur propose cette parabole en disant
Il s’agit, dans cette parabole, du voleur et du pasteur des brebis. Le Seigneur met d’abord en avant la condition du voleur et du bandit, puis celle du pasteur ; enfin, l’effet de l’action de l’un et de l’autre sur les brebis .
La condition du voleur.
1365. Pour avoir l’intelligence de tout cela, il faut d’abord considérer qui sont les brebis; ce sont ceux qui ont la foi dans le Christ, et ceux qui sont dans la grâce de Dieu — Nous sommes son peuple et les brebis de son pâturage . — Quant à vous, mon troupeau, les brebis de mon pâturage, vous êtes des hommes, et moi je suis le Seigneur votre Dieu . Donc, le bercail des brebis, c’est l’assemblée du peuple qui a la foi — Je te rassemblerai, Jacob, tout entier; je réunirai le reste d’Israël ensemble, je l’établirai comme un troupeau dans le bercail La porte du bercail est comprise de manière différente par Chrysostome et par Augustin.
1366. D’après Chrysostome , le Christ appelle "porte" les Saintes Ecritures [Scriptura Sacra], selon ce passage : Priant en même temps aussi pour nous, afin que Dieu nous ouvre la porte de la parole . L’Ecriture sainte est appelée porte, comme le dit Chrysostome, d’abord parce que, par elle, nous avons accès à la connaissance de Dieu — Ce qu’il avait autrefois promis par ses Prophètes dans les Saintes Ecritures au sujet de son Fils, qui a été fait selon la chair de la race de David ; ensuite parce que, de même que la porte garde les brebis, de même l’Ecriture sainte conserve la vie de ceux qui ont la foi — Vous scrutez les Ecritures, parce que vous pensez avoir la vie en elles enfin parce que, de même que la porte empêche les loups d’arriver par surprise, de même la Sainte Ecriture empêche les hérétiques de nuire aux fidèles — Toute Ecriture divinement inspirée est utile pour enseigner, argumenter, corriger, éduquer dans la justice IL N’ENTRE donc PAS PAR LA PORTE, celui qui, pour enseigner le peuple, n’entre pas par la Sainte Ecriture. C’est pourquoi le Seigneur dit de tels hommes, en citant Isaïe : C’est en vain qu’ils me rendent un culte, eux qui enseignent les enseignements et les commandements des hommes . — Vous avez annulé le commandement de Dieu à cause de vos traditions . C’est donc la condition du voleur qu’il n’entre pas par la porte, mais par ailleurs.
Le Seigneur ajoute : IL ESCALADE, ce qui s’accorde avec la parabole, puisque les voleurs, au lieu d’entrer par la porte, escaladent les murs et se précipitent dans le bercail. Cela s’accorde aussi avec la vérité la raison pour laquelle certains enseignent d’une autre manière que ce que juge l’Ecriture sainte vient avant tout de l’orgueil — Si quelqu’un enseigne autrement et ne s’attache pas aux paroles sacrées, il est orgueilleux, ne sachant rien . Et à ce propos il dit : IL ESCALADE, c’est-à-dire par l’orgueil. CELUI, dis-je, QUI ESCALADE PAR AILLEURS, CELUI-LÀ EST UN VOLEUR, s’emparant de ce qui n’est pas sien, ET UN BRIGAND, tuant ce dont il s’empare — Si des voleurs étaient entrés chez toi, des bandits pendant la nuit, comment te serais-tu caché ?
Et ainsi, selon cette explication, le texte se rattache à ce qui précède de cette manière : parce que le Seigneur leur avait dit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché , les Juifs auraient pu répondre et dire : ce n’est pas à cause de notre aveuglement que nous ne croyons pas en toi, mais à cause de ton erreur; c’est elle qui nous fait nous détourner de toi. Et c’est pourquoi le Seigneur, rejetant cela, veut montrer qu’il n’est pas dans l’erreur parce qu’il entre par la porte, c’est-à-dire par la Sainte Ecriture — autrement dit, il enseigne ce que contient la Sainte Ecriture.
1367. Mais quelque chose va contre cette interprétation : dans son explication de la parabole, le Seigneur dit plus loin Moi, je suis la porte il semble donc que, par la porte, on doive entendre le Christ.
A cela Chrysostome répond que dans cette parabole, le Seigneur affirme qu’il est lui-même et la porte et le pasteur. C’est pourquoi, selon que lui-même se nomme de différentes manières, "porte" a des sens différents; car en tant qu’il se dit pasteur, il faut que la porte soit autre chose que lui-même, puisque le pasteur et la porte ne sont pas la même chose. Or rien d’autre en dehors du Christ ne peut être appelé "porte" d’une manière qui convienne mieux que la Sainte Ecriture, pour les raisons qu’on a dites. Il convient donc d’appeler "porte" la Sainte Ecriture.
1368. Selon Augustin , par la porte on entend ici le Christ; et cela parce que c’est par lui qu’on entre — Après cela, je vis une grande porte ouverte dans le ciel . Quiconque donc entre dans le bercail doit entrer par cette porte, le Christ, et non par ailleurs. Mais remarquons qu’entrer dans le bercail revient au pasteur et à la brebis; à la brebis pour y être gardée, au pasteur pour garder les brebis. Si donc tu veux entrer comme brebis pour être gardé là, ou comme pasteur pour garder les brebis, il te faut entrer par le Christ. Certains en effet ont cru pouvoir entrer dans le bercail par ailleurs que par le Christ, comme les philosophes qui ont traité des vertus et les pharisiens qui établissaient les cérémonies traditionnelles. Mais ces gens-là ne sont ni des pasteurs ni des brebis, parce que, comme dit le Seigneur : CELUI QUI N’ENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES BREBIS, c’est-à-dire par le Christ, MAIS L’ESCALADE PAR AILLEURS, CELUI-LÀ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND; parce qu’il tue et lui-même et les autres . Car le Christ, et non un autre est la porte du bercail, c’est-à-dire de l’assemblée de ceux qui ont la foi — Nous avons la paix avec Dieu par le Christ, lui par qui nous avons accès par la foi à cette grâce en laquelle nous nous tenons, et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire des fils de Dieu . — Il n'est pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes en lequel il nous faille être sauvés .
Et selon cette explication, le texte se rattache à ce qui précède de cette manière ils disaient en effet qu’ils voyaient sans le Christ, selon ce qu’il a dit plus haut. Maintenant, parce que vous dites : "Nous voyons", votre péché demeure ; le Seigneur, en disant : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CELUI QUI N’ENTRE PAS PAR LA PORTE... montre donc que cela est faux, parce qu’ils n’entrent pas par la porte.
Or, de même que celui qui, comme brebis, n’entre pas par la porte ne peut être gardé, de même celui qui entre comme pasteur ne peut pas garder, à moins de passer par la porte, c’est-à-dire par le Christ. Par cette porte entrent les vrais pasteurs dont parle l’épître aux Hébreux Personne ne s'attribue cet honneur, mais celui qui est appelé par Dieu, comme Aaron Les mauvais pasteurs n’entrent pas par la porte, mais par l’ambition, la puissance du monde et la simonie ; et ceux-là sont des voleurs et des bandits — Ils ont régné par eux-mêmes et non de par moi, ils se sont prétendus princes et je ne les ai pas connus , c’est-à-dire je ne les ai pas approuvés.
Et il dit MAIS L’ESCALADE PAR AILLEURS. En effet, cette porte qui est le Christ, est petite par l’humilité — Venez à moi, carie suis doux et humble de cœur ; ne peuvent donc entrer que ceux qui imitent l’humilité du Christ. Ceux donc qui n’entrent pas par la porte escaladent par ailleurs; autrement dit, ils sont orgueilleux et ils n’imitent pas celui qui, alors qu’il était Dieu, s’est fait homme , et ils ne reconnaissent pas son humilité.
La condition du pasteur.
1369. Ici, il s’agit du pasteur. Le Seigneur expose d’abord la condition du pasteur, puis il montre par des signes qui est le pasteur .
1370. La condition du vrai pasteur est d’entrer par la porte. Selon le commentaire de Chrysostome, cela doit s’entendre ainsi : le Christ, QUI ENTRE PAR LA PORTE, c’est-à-dire par les témoignages de la Sainte Ecriture, est le vrai PASTEUR. C’est pourquoi il disait : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été dit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes . — Et moi je n'ai pas été troublé en te suivant comme pasteur — Gomme le pasteur visite son troupeau durant le jour, quand il est au milieu de ses brebis dispersées .
Mais si par la porte on entend le Christ, comme l’interprète Augustin, alors en entrant par la porte, il entre par lui-même. Cela, c’est le propre du Christ, car personne ne peut entrer par la porte, c’est-à-dire [aller] vers la béatitude, si ce n’est par la vérité, parce que la béatitude n’est rien d’autre que la joie de la vérité . Or le Christ en tant que Dieu est la Vérité; et c’est pourquoi, en tant qu’homme, il entre par lui-même, c’est-à-dire par la Vérité que lui-même est en tant que Dieu. Nous, nous ne sommes pas la Vérité elle-même, mais nous sommes fils de la lumière, par participation de la Lumière véritable et incréée; et c’est pourquoi il nous faut entrer par la Vérité, qui est le Christ — Sanctifie-les dans la vérité — Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé.
Mais si quelqu’un veut aussi entrer comme pasteur, il faut qu’il entre par la porte, le Christ, c’est-à-dire selon sa volonté et ce qu’il ordonne; c’est pourquoi il dit : Je leur donnerai un pasteur qui les fera paître, mon serviteur David comme s’il disait : c’est par moi qu’ils doivent être donnés, et non par d’autres ou par eux-mêmes.
1371. Le Seigneur expose ici à quels signes on reconnaît le bon pasteur; ils sont au nombre de trois.
Le premier se prend du point de vue du portier, c’est-à-dire de celui qui l’introduit : À LUI, LE PORTIER OUVRE. Le portier, selon Chrysostome , est celui qui ouvre la voie à la connaissance de l’Ecriture sainte; ce fut d’abord Moïse, qui, le premier, reçut et institua les Saintes Ecritures. Et ici, il ouvre au Christ, parce que, comme il est dit plus haut : Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez peut-être aussi en moi; c’est de moi en effet qu’il a écrit
Ou bien, selon Augustin, le portier, c’est le Christ lui-même, parce que c’est lui-même qui introduit les hommes à lui. Il dit : "Lui-même s’ouvre, lui qui se révèle lui-même, et nous n’entrons que par sa grâce ." — C’est par grâce que vous êtes sauvés, et non par vous-mêmes .
Il importe peu que celui-là même qui est la porte soit aussi le portier; car, dans les réalités spirituelles, certaines choses s’accordent qui ne le peuvent dans les réalités matérielles. Or il semble que le pasteur diffère plus de la porte que la porte du portier. Puis donc que le Christ est dit pasteur et porte, comme on l’a dit, il peut encore plus être dit porte et portier . Mais si tu cherches comme portier une autre personne que Moïse et le Christ, vois l’Esprit-Saint comme portier, selon ce que dit Augustin Il appartient en effet au service du portier d’ouvrir la porte, et il est dit de l’Esprit-Saint. Il vous enseignera la vérité tout entière . Le Christ, en effet, est la porte, en tant qu’il est la Vérité.
1372. Le second signe [caractéristique du bon pasteur] se prend du point de vue des brebis, c’est-à-dire du fait qu’elles lui obéissent : ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX. Cela, certes, est dit avec raison, si on le considère à partir de la similitude du pasteur; en effet, les brebis reconnaissent la voix du pasteur à partir de leur imagination qui y est habituée. Et ainsi, ceux qui ont la foi et qui sont justes écoutent la voix du Christ — Aujourd’hui, si vous écoutez sa voix .
1373. On peut objecter que nombreuses sont les brebis du Christ qui n’ont cependant pas entendu sa voix, comme Paul. En outre, certains l’ont entendue et n’ont pas été les brebis du Christ, comme Judas .
A cela on pourrait répondre que Judas était à ce moment-là une brebis du Christ, quant à la justice présente. Et Paul, quand il n’entendait pas la voix du Christ, n’était pas une brebis, mais un loup; mais la voix du Christ, en survenant, a transformé le loup en brebis .
On pourrait soutenir une telle réponse si ce que dit Ezéchiel ne lui était pas contraire : Celle qui avait été blessée, vous ne l’avez pas pansée, et celle qui était égarée, vous ne l’avez pas ramenée . A partir de là, on voit que, alors qu’elles étaient encore blessées et dans l’erreur, elles étaient des brebis. C’est pourquoi il faut dire que le Seigneur parle ici de ses brebis non seulement quant à la justice présente, mais aussi selon la prédestination éternelle . Il est en effet une parole du Christ que nul ne peut entendre s’il n’est prédestiné, c’est-à-dire : Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé . C’est pourquoi il dit ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX; les Juifs auraient pu en effet s’excuser de leur manque de foi en disant que non seulement eux-mêmes, mais aussi aucun des chefs du peuple ne croyaient en lui . Pour répondre à cela il dit : ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX, comme pour dire : eux-mêmes ne croient pas en moi parce qu’ils ne sont pas de mes brebis.
1374. Le troisième signe [caractéristique du bon pasteur] se prend des actes du pasteur lui-même : ET SES BREBIS À LUI, IL LES APPELLE PAR LEUR NOM, ET IL LES CONDUIT DEHORS. ET QUAND IL A FAIT SORTIR CELLES QUI SONT À LUI, IL VA DEVANT ELLES. Dans ce passage, le Christ expose quatre actes propres au bon pasteur. En premier lieu il connaît ses brebis. C’est pourquoi il dit que SES BREBIS À LUI, IL LES APPELLE PAR LEUR NOM : il montre en cela la connaissance qu’il a de ses brebis et l’intimité qu’il a avec elles . En effet, ce sont ceux que nous connaissons intimement [familialiter] que nous appelons par leur nom — Moi je t’ai connu par ton nom. Cela convient certes au service du bon pasteur, selon la parole du livre des Proverbes : Considère avec attention le visage de ton troupeau . Et cela convient au Christ, selon la connaissance présente [qu'il a des hommes], ou surtout selon la prédestination éternelle en laquelle, de toute éternité, il connaît jusqu’à leur nom — Lui qui compte la multitude des étoiles et les appelle toutes par leur nom . — Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui .
En second lieu, il les CONDUIT DEHORS, c’est-à-dire qu’il les sépare de la société des impies — Il les a fait sortir des ténèbres et de l’ombre de la mort .
En troisième lieu, après avoir séparé les brebis des impies et les avoir fait entrer dans le bercail, de nouveau il les fait sortir du bercail. D’abord certes pour le salut des autres — Parmi ceux qui auront été sauvés, j’en enverrai en Lydie [...] vers ceux qui n'ont pas entendu parler de moi et qui n'ont pas vu ma gloire, et ils annonceront ma gloire aux nations — Voici que moi je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups … pour que vous en fassiez des brebis. Et aussi en direction et sur la voie du salut éternel — Pour diriger nos pas vers le chemin de la paix .
En quatrième lieu, il les précède par l’exemple d’une bonne conduite IL VA DEVANT ELLES. Il n’en est certes pas ainsi du berger d’animaux, qui lui suit plutôt les brebis — Il le prit de derrière les brebis mères . Le bon pasteur, lui, marche devant [ses brebis] par l’exemple — Non pas en exerçant une domination sur le peuple de Dieu, mais devenant par l’esprit le modèle du troupeau . Et dans ces deux manières de sortir, il va devant elles : le premier, il a subi la mort pour avoir enseigné la vérité — Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive et il a précédé tous les hommes dans la vie éternelle — Il vient en ouvrant le chemin devant eux .
L’effet de l’action du voleur et du pasteur sur les brebis.
1375. Le Christ montre ici quel est l’effet de l’action du voleur et du pasteur sur les brebis. D’abord celui du bon pasteur, puis celui du loup et du voleur .
1376. Le Seigneur a dit plus haut quelles sont les conditions du voleur et du pasteur; ici il affirme : ET LES BREBIS LE SUIVENT, c’est-à-dire celui qui marche devant elles. Et certes, il va de soi que les subordonnés doivent suivre les traces de ceux qui ont l’autorité dans l’Eglise, parce que le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses traces. — Ses traces, mon pied les a suivies Et cela PARCE QU’ELLES CONNAISSENT SA VOIX, c’est-à-dire qu’elles la reconnaissent et se réjouissent en elle — Que ta voix résonne à mes oreilles, car ta voix est douce .
1377. L’effet de l’action du voleur est que les brebis ne le suivent pas longtemps, mais seulement pour un temps; c’est pourquoi il dit : ELLES NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, c’est-à-dire qu’elles ne suivent pas un docteur menteur et hérétique — Les fils d’étrangers m’ont menti C’est ainsi que Paul n’a pas suivi longtemps les docteurs qui étaient dans le mensonge. MAIS ELLES S’ENFUIENT LOIN DE LUI, et cela parce que, comme il est dit, les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs ELLES S’ENFUIENT LOIN DE LUI, PARCE QU’ELLES NE CONNAISSENT PAS, c’est-à-dire qu’elles n’approuvent pas, LA VOIX DES ÉTRANGERS, c’est-à-dire leur doctrine, qui s’insinue sournoisement comme un chancre.
B. LA NÉCESSITÉ DE L’EXPLICATION
1378. L’Évangéliste souligne ici la nécessité d’expliquer la similitude exposée plus haut; cette nécessité a pour cause l’ignorance des auditeurs. D’abord, il relève la cause de l’ignorance; puis il manifeste l’ignorance elle-même .
1379. La cause de l’ignorance fut que le Christ s’exprimait sous une forme énigmatique : JÉSUS LEUR DIT CE PROVERBE Au sens propre, il y a "proverbe" quand on met une chose à la place d’une autre, c’est-à-dire quand on donne à entendre une parole à partir d’une similitude avec autre chose; c’est ce qu’on appelle aussi parabole.
Or le Seigneur parlait sous forme de proverbes en premier lieu à cause des méchants, pour leur cacher les mystères du Royaume céleste — A vous, il a été donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu, mais pour tous les autres, c’est en paraboles . En second lieu à cause des bons, pour qu’à partir des proverbes ils s’exercent à chercher; voilà pourquoi, lorsque le Christ avait proposé des proverbes ou des paraboles aux foules, ses disciples l’interrogeaient à part, comme on le voit dans les évangiles de Matthieu et de Marc. C’est pourquoi aussi saint Augustin dit : "Le Seigneur fait paître par des paroles manifestes", à savoir les foules qui croyaient en lui, "et exerce par des paroles obscures", à savoir les disciples .
1380. L’Évangéliste met en lumière l’ignorance des auditeurs lorsqu’il dit : MAIS EUX NE CONNURENT PAS CE QU’IL LEUR DISAIT. L’ignorance qui provenait des proverbes proposés par le Christ était certes utile, et [en même temps] funeste. Elle est utile aux bons et aux justes pour s’exercer et pour louer Dieu; car, en ne comprenant pas et en croyant, ils glorifient le Seigneur et sa sagesse qui les dépasse — La gloire de Dieu est de cacher la parole . Mais cette ignorance est funeste aux méchants parce que, ne comprenant pas, ils blasphèment, selon cette parole de l’épître canonique de Jude : Tout ce qu’ils ignorent, ils le blasphèment . En effet, comme le dit Augustin , lorsque l’homme pieux et l’impie entendent les paroles de l’Evangile, et que ni l’un ni l’autre ne les comprennent, l’homme pieux dit : Il dit vrai et ce qu’il a dit est bon, mais nous, nous ne comprenons pas. Et là certes, il frappe déjà, lui à qui il est juste que l’on ouvre, si toutefois il persiste . Quant à l’impie, il dit : Il n’a rien dit, ce qu’il dit est mauvais.
C. L’EXPLICATION DE LA PARABOLE PAR LE CHRIST
1381. Le Seigneur donne maintenant le sens de la parabole.
Si on considère d’une manière droite cette parabole, elle contenait deux affirmations principales dont les autres dé pendent. La première est celle-ci : CELUI QUI N’ENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES BREBIS […] CELUI-LÀ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND. Et la seconde est celle-ci : MAIS CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. C’est la raison pour laquelle cette partie du texte se divise en deux.
En effet, le Christ donne d’abord le sens de la première affirmation [de la parabole], en expliquant ce qu’elle contenait, puis en le prouvant . Il donnera ensuite le sens de la seconde affirmation .
Première affirmation de la parabole.
Dans la première affirmation de la parabole, il est fait mention de la porte, ainsi que du voleur et du brigand. Le Christ donne le sens de ces deux éléments.
1382. JÉSUS LEUR DIT DONC DE NOUVEAU, pour les rendre plus attentifs et pour qu’ils comprennent la similitude — Il pénétrera la parabole et son interprétation, les paroles des sages et leurs énigmes — : AMEN, AMEN, JE VOUS DIS, c’est-à-dire en vérité, QUE MOI JE SUIS LA PORTE DES BREBIS. En effet, la fonction de la porte est que, par elle, on accède à l’intérieur de la maison; et cela convient au Christ, car c’est par lui que tout homme doit entrer dans les secrets de Dieu — Voici la porte du Seigneur, à savoir le Christ, les justes entreront par elle .
Il dit DES BREBIS, parce que ce ne sont pas seulement les pasteurs qui Sont introduits dans l’Eglise présente par le Christ, ou qui s’avancent par le Christ vers la béatitude éternelle; ce sont aussi les brebis, et c’est pourquoi il est dit plus loin : Mes brebis écoutent ma voix et elles me suivent, et moi je leur donne la vie éternelle .
1383. Ici, le Seigneur explique ce qu’il a dit du voleur et du bandit. Il montre d’abord qui est un voleur et un bandit; il en donne ensuite un signe.
1384. Il faut ici prendre garde à l’erreur des manichéens : condamnant l’Ancien Testament, ils affirment à partir de ce qui est dit ici que les pères de l’Ancien Testament, qui furent avant le Christ, furent mauvais et ont été damnés .
Il apparaît que cela est faux, pour trois raisons. Première raison : ce qui a été dit dans la parabole. En effet, ce qui est dit ici : TOUS CEUX QUI SONT VENUS, est présenté comme une explication de ce qui précède CELUI QUI N’ENTRE PAS... Donc, TOUS CEUX QUI SONT VENUS, c’est-à-dire non pas par moi, à savoir en n’entrant pas par la porte, SONT DES VOLEURS ET DES BRIGANDS. Or il est établi que tous les prophètes et les patriarches sont entrés par la porte, c’est-à-dire le Christ; en effet, le Christ qui devait venir les envoyait en hérauts. Bien qu’il ait pris chair dans le temps et qu’il se soit fait homme, il était cependant de toute éternité le Verbe de Dieu — Jésus — Christ est le même hier et aujourd’hui, et dans les siècles . Or les prophètes ont été envoyés par le Verbe de Dieu et la Sagesse — La Sagesse de Dieu se communique à toutes les nations dans des âmes saintes, et elle en fait des prophètes et des amis de Dieu. C’est pourquoi nous lisons clairement dans les Prophètes que la sagesse du Seigneur est advenue à tel ou tel prophète : ils ont prophétisé comme par participation du Verbe de Dieu.
La deuxième raison est que le Seigneur dit : ILS SONT VENUS, comme pour dire de leur propre mouvement, et non pas envoyés par Dieu, mais en s’ingérant. D’eux il est dit : Je ne les envoyais pas, et ils couraient d’eux-mêmes . Ces gens-là certes ne sont pas venus du Verbe de Dieu — Malheur aux prophètes insensés qui suivent leur propre esprit et ne voient rien Tels ne furent pas les pères de l’Ancien Testament, comme on l’a déjà dit.
La troisième raison est un fait : la conséquence de leurs paroles. En effet, il est dit ici : MAIS LES BREBIS NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS. Ceux donc que les brebis ont écoutés n’ont pas été des voleurs et des bandits. Or le peuple d’Israël a écouté les prophètes. C’est la raison pour laquelle, dans la Sainte Ecriture, ceux qui ne les ont pas écoutés sont blâmés — Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté ? — Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés .
1385. Cette erreur étant ainsi évitée, il faut dire : TOUS CEUX QUI SONT VENUS, c’est-à-dire en dehors de moi, en dehors de l’inspiration et de l’autorité divines, et en ayant l’intention non pas de chercher la gloire divine, mais de s’arroger une gloire propre, SONT DES VOLEURS, en tant qu’ils s’attribuent ce qui ne leur appartient pas, à savoir l’autorité pour enseigner — Tes chefs sont infidèles, ils s’associent aux voleurs ; et ils sont DES BRKANDS, parce qu’ils tuent par une doctrine perverse — Vous, vous en avez fait une caverne de brigands — Conspirant avec les brigands qui tuent sur le chemin de Sichem . Mais ceux-là, les voleurs et les brigands, LES BREBIS, qui sont prédestinées, NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS, c’est-à-dire avec persévérance; autrement, elles n’auraient pas fait partie des brebis du Christ, qui NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, MAIS S’ENFUIENT LOIN DE LUI, comme il est dit plus haut. Cela était aussi prescrit dans le Deutéronome : Tu n'écouteras pas les paroles de ce prophète, ou de ce rêveur .
1386. Le Christ met ensuite en lumière l’explication de la parabole. D’abord le sens qu’il a donné à la porte — pour cela, il résume ce qu’il a l’intention d’expliquer aussitôt —, puis le sens qu’il a donné au voleur.
1387. Il résume ce qu’il a dit par ces mots : MOI JE SUIS LA PORTE — Si c’est une porte, recouvrons-la de planches de cèdre , c’est-à-dire attribuons-lui une puissance imputrescible.
SI QUELQU’UN ENTRE PAR MOI, IL SERA SAUVÉ. ET IL ENTRERA ET SORTIRA, ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES.
1388. Le Christ donne ici le sens de ce qui précède. Il montre d’abord que l’utilité de la porte, qui est de sauver les brebis, se rapporte à lui, puis il laisse entendre la manière de sauver .
1389. La porte sauve en retenant ceux qui sont à l’intérieur, les empêchant de sortir, et en défendant contre ceux qui sont à l’extérieur, les empêchant de pénétrer. Et cela convient au Christ, car c’est par lui que nous sommes sauvés et justifiés. C’est ce qu’il dit SI QUELQU’UN, sans être mensonger, ENTRE dans la société de l’Eglise et de ceux qui ont la foi, PAR MOI, la porte, IL SERA SAUVÉ. Ajoutons : s’il a persévéré — Il n'est pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes en lequel il nous faille être sauvés . — Combien plus serons-nous sauvés en sa vie .
1390. On montre ici le mode du salut; et ces paroles peuvent être expliquées de quatre manières.
D’abord, selon Chrysostome , on ne donne ici rien d’autre à entendre que la sécurité et la liberté de ceux qui adhèrent au Christ. Celui qui escalade par ailleurs que par la porte ne peut pas entrer et sortir librement; mais celui qui entre par la porte peut aussi sortir librement. Ces paroles : ET IL ENTRERA ET SORTIRA ont donc pour sens, selon cette similitude, que les Apôtres, en adhérant au Christ, entrèrent avec sécurité, conversant avec les croyants qui sont à l’intérieur de l’Eglise et avec les incroyants qui sont à l’extérieur, quand ils furent devenus seigneurs de toute la terre, et que personne n’eut la puissance de les rejeter — Que le Seigneur, Dieu des esprits de toute chair, pourvoie ce peuple d’un homme qui puisse entrer et sortir : que le peuple du Seigneur ne soit pas comme des brebis sans pasteur . [Et les Apôtres ont trouvé] DES PÂTURAGES, c’est-à-dire la douceur de vivre avec les croyants , et aussi une joie dans les persécutions qu’ils subissent de la part des incroyants pour le nom du Christ, selon cette parole des Actes : Les Apôtres s’en allèrent tout joyeux de devant le grand conseil, parce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir le mépris pour le nom de Jésus .
1391. Ces paroles peuvent aussi être expliquées à la manière d’Augustin dans son commentaire de saint Jean . Deux choses incombent à quiconque veut bien agir qu’il se comporte bien à l’égard de ce qui est au-dedans de lui, et à l’égard de ce qui est à l’extérieur. Or, dans l’homme, l’intérieur c’est l’esprit; et l’extérieur c’est le corps — Bien que notre homme qui est à l’extérieur se corrompe, celui qui est à l’intérieur se renouvelle de jour en jour . Celui donc qui adhère au Christ accède par la contemplation à la garde de la conscience — Entrant dans ma maison, c’est-à-dire la conscience, je me reposerai auprès d’elle , c’est-à-dire la Sagesse. ET IL SORTIRA au dehors, par une action bonne, pour maîtriser son corps — L’homme sortira pour son ouvrage, pour son action jusqu’au soir . ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES, à savoir dans une conscience pure et livrée à Dieu — J’entrerai devant ta face, je me rassasierai quand sera apparue ta gloire . ET, dans l’action droite, IL TROUVERA DES PÂTURAGES, c’est-à-dire un fruit — Revenant, ils viendront avec exultation, en portant leurs gerbes .
1392. La troisième interprétation de ces paroles est encore d’Augustin et aussi de Grégoire dans son commentaire d’Ezéchiel IL ENTRERA, dans l’Eglise, en croyant — J’avancerai vers la tente admirable , ce qui est s’avancer vers l’Eglise militante; ET IL SORTIRA, de l’Eglise militante à l’Eglise triomphante — Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon avec la couronne dont l’a couronné sa mère au jour de ses épousailles . ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES dans l’Eglise militante, ceux de la doctrine et de la grâce — Il m’a mené dans le lieu de son pâturage , et dans l’Eglise triomphante, ceux de la gloire — Je les ferai paître dans des pâturages très abondants .
1393. Le quatrième sens est exposé dans le livre De l’esprit et de l’âme, que l’on attribue à saint Augustin, bien qu’il ne soit pas de lui . Il y est dit qu’ils entrent, les saints, pour contempler la divinité du Christ, et qu’ils sortent pour considérer son humanité; et dans l’une et l’autre ils trouvent des pâturages, parce qu’ils goûtent dans l’une et l’autre les joies de la contemplation — Ils verront le Roi dans sa splendeur .
1394. Il s’agit ici du voleur. D’abord, le Christ montre la propriété du voleur, puis il s’attribue la propriété contraire .
1395. Il dit donc : ceux qui n’entrent pas par la porte, c’est-à-dire qui sont venus en dehors de moi, ceux-là sont des voleurs et des brigands, dont la condition est mauvaise. Car d’abord, certes, LE VOLEUR NE VIENT QUE POUR VOLER, pour s’approprier ce qui n’est pas à lui, c’est-à-dire comme les séditieux et les hérétiques entraînant avec eux ceux qui sont au Christ — Il est à l’affût pour se saisir du pauvre . Ensuite, le voleur vient POUR METTRE À MORT, c’est-à-dire pour tuer en introduisant une doctrine perverse, ou même des mœurs dépravées — Elle conspire avec les voleurs qui tuent les passants venant de Sichem . En troisième lieu, il vient POUR PERDRE, en envoyant à la perdition éternelle — Mon peuple est devenu un troupeau perdu . Et certes, ces conditions ne sont pas en moi.
. En effet, MOI, JE SUIS VENU POUR QU’ON AIT LA VIE... Autrement dit, ces gens-là ne sont pas venus par moi, parce qu’autrement ils feraient des choses semblables â celles que moi je fais. Mais eux-mêmes agissent d’une manière contraire, parce qu’ils volent, ils tuent et ils perdent. MOI, JE SUIS VENU POUR QU’ON AIT LA VIE, c’est-à-dire la vie de la justice en entrant dans l’Eglise militante par la foi — Celui qui est incrédule, son âme en lui ne sera pas droite, mais le juste vivra par sa foi . — Mon juste vit par la foi . De cette vie il est dit : Nous savons pourquoi nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères . ET QU’ON L’AIT SURABONDANTE, c’est-à-dire dans la vie éternelle en sortant du corps; de cette vie, il est dit plus loin : Telle est la vie éternelle, qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ .
Seconde affirmation de la parabole.
1397. Le Seigneur donne ici le sens de cette deuxième affirmation de la parabole qui précède : CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. Après en avoir donné l’explication, il la met en lumière . Il explique cette proposition en disant que lui-même est le pasteur. Puis, ayant affirmé qu’il est le pasteur, il montre quel est le service du bon pasteur ; enfin il montre le contraire, à propos du mauvais pasteur .
1398. Que le Christ soit pasteur, cela lui convient manifestement; car, de même que par le pasteur, le troupeau est gouverné et nourri, de même, par le Christ, les forces de ceux qui croient sont refaites par une nourriture spirituelle, et même par son propre corps et son propre sang — Vous étiez comme des brebis sans berger C’est aussi ce que dit Isaïe : Gomme un berger fait paître son troupeau .
Mais pour le différencier du mauvais pasteur et du voleur, il ajoute BON. BON, dis-je, parce qu’il remplit parfaitement le service du pasteur, comme on dit bon soldat celui qui remplit jusqu’au bout son rôle de soldat. Mais, comme le Christ avait dit plus haut que le pasteur entre par la porte, et aussi que lui-même est la porte, et puisqu’ici il dit qu’il est le pasteur, il faut donc que lui-même entre par lui-même. Et certes il entre par lui-même, parce qu’il se manifeste lui-même, et parce qu’il connaît le Père par lui-même. Nous, nous entrons par lui, parce que c’est lui que nous prêchons .
Mais soyons attentif au fait que personne d’autre que lui n’est la porte, parce que personne d’autre n’est la lumière véritable. Les autres le sont par participation — Celui-là, Jean Baptiste, n’était pas la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière . Mais du Christ, il est dit Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme . Et c’est pourquoi personne ne dit de lui-même qu’il est la porte : cela, le Christ se l’est réservé en propre. Par contre, être pasteur, il l’a communiqué à d’autres, et il l’a donné à ses membres. Car Pierre fut pasteur, ainsi que tous les autres Apôtres, et tous les bons évêques — Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur . Et bien que les intendants de l’Eglise, qui sont des fils, soient tous des pasteurs, comme le dit Augustin, cependant il dit d’une manière unique : MOI JE SUIS LE BON PASTEUR, pour donner à entendre qu’il s’agit de la vertu de charité. Nul en effet n’est bon pasteur sinon par la charité qui le rend un avec le Christ et le fait membre du pasteur véritable.
1399. L’office du bon pasteur est la charité; c’est pourquoi il dit LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME POUR SES BREBIS. Il faut en effet savoir qu’il existe une différence entre le bon et le mauvais pasteur le bon pasteur a en vue l’intérêt du troupeau, le mauvais son propre intérêt. Cette différence est soulignée dans un passage d’Ezéchiel, concernant les pasteurs qui se font paître eux-mêmes. N’est-ce pas les troupeaux que les pasteurs doivent faire paître ? Celui donc qui utilise le troupeau uniquement pour se faire paître lui-même n’est pas un bon pasteur; mais celui qui a l’intention de faire paître le troupeau, celui-là est un bon pasteur.
Il s’ensuit que le mauvais pasteur, même quand il s’agit de celui qui s’occupe d’animaux, ne veut supporter aucun inconvénient en faveur de son troupeau, puisqu’il ne cherche pas l’avantage des brebis mais le sien propre. Mais le bon pasteur, même celui qui s’occupe d’animaux, supporte beaucoup pour son troupeau, dont il a le bien en vue. C’est pourquoi Jacob dit : Jour et nuit, j’étais brûlé par le gel et la chaleur Pour les pasteurs d’animaux, on n’exige pas du bon pasteur qu’il s’expose à la mort pour le salut du troupeau, puisque sa vie l’emporte sur le salut du troupeau. Mais parce que le salut du troupeau spirituel l’emporte sur la vie corporelle du pasteur, lorsqu’un péril imminent menace le salut du troupeau, celui qui est pasteur dans l’ordre spirituel doit supporter la perte de sa vie corporelle pour le salut du troupeau. C’est ce que le Seigneur dit : LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME, c’est-à-dire sa vie corporelle, POUR SES BREBIS. IL LA DONNE, c’est-à-dire par autorité et par charité; en effet, l’une et l’autre sont exigées il faut que les brebis lui appartiennent, et qu’il les aime. La première sans la seconde ne suffit pas.
Le Christ nous a donné l’exemple de cet enseignement Si le Christ a livré son âme pour nous, nous aussi, nous devons livrer notre âme pour nos frères .
1400. Le Christ traite ici du mauvais pasteur, en montrant qu’en lui se trouvent les conditions contraires à celles du bon pasteur.
Il expose d’abord quelles sont les conditions du mauvais pasteur — avant d’évoquer le péril imminent qui menace le troupeau du mauvais pasteur — puis il montre comment ces conditions se rattachent nécessairement les unes aux autres .
1401. Il faut remarquer qu’on peut découvrir, à partir de ce qui a été dit du bon pasteur et de ce qui est dit ici du mauvais, trois différences entre leurs conditions respectives. La première distinction concerne l’intention; la seconde l’amour la troisième la sollicitude .
1402. Ils diffèrent donc d’abord dans l’intention; et cela ressort du nom que portent l’un et l’autre. Le premier est appelé PASTEUR, par où on donne à entendre qu’il a l’intention de faire paître le troupeau — N’est-ce pas les troupeaux que les pasteurs font paître’? Mais l’autre, le mauvais, est appelé MERCENAIRE [mercenarius], comme étant celui qui cherche une récompense [merces]. Ainsi donc ils diffèrent en ceci, que le bon pasteur cherche l’avantage du troupeau et que le mercenaire cherche principalement son propre intérêt. Cette différence existe aussi entre le roi et le tyran, comme le dit le Philosophe , parce que le roi, dans son gouvernement, cherche l’avantage de ceux qui sont soumis; mais le tyran cherche son propre avantage, c’est pourquoi il est comme le mercenaire — Si cela est bien à vos yeux, apportez-moi ma récompense .
1403. Mais les bons pasteurs peuvent-ils aussi chercher une récompense? Il semble que oui — "Donne une récompense, Seigneur, à ceux qui t’attendent avec patience". — Voici, sa récompense est avec lui — Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont des pains en abondance !
Je réponds : il faut dire que la récompense peut être prise de deux manières, d’une manière commune et au sens propre. D’une manière commune, certes, tout ce qui est donné en réponse à des mérites est appelé récompense; et parce que la vie éternelle elle-même, qui est Dieu — Celui-ci est le véritable Dieu et la vie éternelle —, est donnée en réponse à des mérites, cette vie même est dite récompense. Et cette récompense-là, tout bon pasteur peut et doit la chercher.
Mais, au sens propre, on appelle récompense quelque chose qui ne relève pas d’un héritage. Cela, le fils véritable ne doit en avoir aucun souci, puisqu’il est directement concerné par l’héritage; mais les serviteurs et les mercenaires, eux, y sont intéressés. Ainsi, puisque la vie éternelle est notre héritage, celui qui agit en considération d’elle agit comme fils; mais celui qui a en vue quelque chose en dehors d’elle (par exemple celui qui convoite avidement les avantages terrestres, celui qui se réjouit de l’honneur de la prélature), est un mercenaire.
1404. En second lieu, [les bons et les mauvais pasteurs] sont distingués quant à leur sollicitude. Du bon pasteur il est dit que les brebis sont siennes, non seulement parce qu’elles lui sont remises, mais aussi par l’amour et la sollicitude — Du fait que je vous ai dans mon cœur et dans mes liens . Mais du mercenaire il est dit : LUI... DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES SIENNES PROPRES, c’est-à-dire : il n’a pas de sollicitude pour elles — Et les pasteurs n’ont pas cherché mon troupeau, mais ils se faisaient paître eux-mêmes .
1405. En troisième lieu, ils diffèrent quant à l’amour car le bon pasteur, parce qu’il aime son troupeau, donne son âme pour lui, c’est-à-dire s’expose au péril de la vie corporelle. Mais le mauvais pasteur, parce qu’il n’a aucun amour pour le troupeau, fuit quand il voit le loup. C’est pourquoi il dit : VOIT-IL que le danger est imminent, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT.
Ce loup peut s’entendre de trois manières. D’abord, certes, c’est le diable en train de tenter Si le loup s’est une fois lié avec l’agneau, ainsi le pécheur avec le juste . Mais, en second lieu, c’est l’hérétique qui cause la ruine — Prenez garde aux faux prophètes qui viennent vêtus en brebis, mais au dedans ce sont des loups rapaces . — Moi je sais qu’après mon départ des loups rapaces entreront parmi vous, n’épargnant pas le troupeau. En troisième lieu, c’est le tyran qui s’acharne avec fureur — Ses princes au milieu de lui sont comme des loups arrachant leur proie .
Le bon pasteur doit donc protéger ceux qui [lui] sont soumis contre ces trois loups; [il le fait] lorsque, voyant le loup, c’est-à-dire la tentation du diable, la tromperie de l’hérétique et la fureur du tyran, il s’y oppose. D’où le reproche fait en Ezéchiel Vous ne vous êtes pas élevés contre un adversaire, et vous ne vous êtes pas opposés tel un mur devant la maison d’Israël C’est pourquoi il est dit du mauvais pasteur qu’il LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT : O pasteur, et idole qui abandonne le troupeau Comme s’il disait : tu n’es pas un pasteur mais tu fais paraître une similitude et une idole du pasteur — Ses mercenaires en son milieu comme des veaux engraissés se sont retournés et ont fui tous ensemble, ils n’ont pu tenir .
1406. Mais à cela s’oppose ce qui est dit en saint Matthieu : Si vous êtes persécutés dans une ville, fuyez dans une autre . Il semble donc qu’il soit permis au pasteur de fuir.
Je réponds qu’il y a à cela deux solutions. L’une est d’Augustin dans son commentaire de saint Jean . Il existe en effet deux fuites : celle de l’âme et celle du corps. Or ce qui est dit ici : IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT s’entend de la fuite de l’âme. Car, craignant pour lui-même le péril qui vient du loup, le mauvais pasteur n’ose pas résister à son injustice, mais il s’enfuit non pas en changeant de lieu, mais en s’octroyant par en dessous un soulagement, c’est-à-dire en fuyant le soin du troupeau.
Cette explication s’impose quand il s’agit du premier loup, car, en face du diable, il ne s’agit pas de fuir physiquement [corporaliter]. Mais parce qu’il arrive aussi qu’un pasteur prenne la fuite physiquement à cause des loups, c’est-à-dire d’un hérétique ayant la puissance et d’un tyran, il faut donner une autre réponse, qu’Augustin propose dans la Lettre à Honoratus . Car, comme lui-même le dit, il semble qu’il soit permis de fuir même physiquement les loups : non seulement à cause de l’autorité du Seigneur [mentionnée plus haut], mais aussi à cause de l’exemple de certains saints, comme Athanase et d’autres, fuyant leurs persécuteurs.
Mais la solution est évidente à partir des paroles elles-mêmes du Seigneur. En effet le mercenaire est blâmé non pas parce qu’il s’enfuit, mais parce qu’il laisse les brebis. S’il pouvait s’enfuir en ne laissant pas les brebis, cela ne serait pas blâmable. Il arrive parfois, en effet, qu’on recherche la personne du prélat; parfois, tout le troupeau. Or il est manifeste que si on ne cherche que la seule personne du prélat, d’autres peuvent être députés à sa place à la garde du troupeau, qui le consolent et le gouvernent à sa place. C’est pourquoi, s’il s’enfuit ainsi, on ne dit pas qu’il laisse les brebis et de cette manière, quand cela arrive, il est permis de s’enfuir. Mais si on recherche tout le troupeau, ou bien il faut que tous les pasteurs soient ensemble avec les brebis, ou bien il faut que certains d’entre eux restent et que d’autres s’en aillent. S’ils délaissent totalement le troupeau, alors ce qui est dit ici leur convient : VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET S’ENFUIT.
1407. Ici est exposé le péril imminent, qui est double. L’un est le vol des brebis. C’est pourquoi il dit : ET LE LOUP S’EN EMPARE, puisque ce qui est à un autre, il en prend possession pour lui-même. En effet, ceux qui croient dans le Christ sont ses brebis. Ainsi, celui qui est hérésiarque et loup s’empare des brebis quand il attire vers sa fausse doctrine ceux qui croient en le Christ — Mon troupeau a été livré au pillage de toutes les bêtes des champs.
L’autre péril est la dispersion des brebis. C’est pourquoi il dit : ET DISPERSE LES BREBIS, en tant que les unes sont séduites et que d’autres résistent — Mes troupeaux ont été dispersés, et il n’est personne pour les chercher .
1408. Ici, il montre comment les conditions qu’on a dites plus haut sont liées les unes aux autres. Car des deux premières s’ensuit la troisième. En effet, de ce qu’il cherche sa propre utilité et qu’il n’est pas attaché au troupeau par l’amour et la sollicitude, il s’ensuit qu’il ne veut pas supporter une difficulté pour lui-même. Et c’est pourquoi il dit : LE MERCENAIRE S’ENFUIT, autrement dit PARCE QU’IL EST MERCENAIRE, c’est-à-dire cherche sa propre commodité — ce qui se rapporte à la première condition; ET IL N’A PAS SOUCI DES BREBIS, c’est-à-dire qu’il ne les aime pas, ni n’a souci d’elles — cela quant à la seconde condition. C’est pourquoi il est dit à son sujet : Il est dur pour ses fils . C’est le contraire quand il s’agit du bon pasteur : il cherche l’intérêt du troupeau, et non le sien propre. L’Apôtre dit : Je ne cherche pas un don, mais un fruit . Et il a souci de ce qui concerne les brebis, c’est-à-dire qu’il les aime et qu’il a soin d’elles — Du fait que je vous ai dans mon cœur et dans mes liens .
Ce n'est, du reste, que dans les temps d'épreuve qu'on peut distinguer parfaitement le pasteur du mercenaire ; dans les temps de paix, le mercenaire veille ordinairement à la garde du troupeau comme le véritable pasteur : mais lorsque le loup survient, il découvre les vrais motifs qui inspiraient cette vigilance.
Il propose ensuite à notre imitation l'exemple de sa bonté et de son dévouement pour ses brebis. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Il a fait lui-même ce qu'il nous enseigne ; il pratique le commandement qu'il nous a impose, il a donné sa vie pour ses brebis, afin de faire de son corps et de son sang un véritable sacrement pour nous, et rassasier de sa chair, devenue notre aliment, les brebis qu'il avait rachetées, il nous a tracé, pour que nous la suivions, la voie du mépris de la mort ; il nous a donné le modèle que nous devons reproduire. Notre premier devoir est de distribuer charitablement nos biens à ses brebis ; le second, de sacrifier généreusement, s'il le faut, notre vie pour elles. Mais celui qui ne sacrifie même pas ses biens pour ses brebis, quand sera-t-il disposé à sacrifier sa vie ?
Il en est quelques-uns qui, en préférant dans leur affection les avantages de la terre, aux brebis elles-mêmes, perdent justement le nom de pasteur ; car celui qui ne conduit pas ses brebis par un sentiment d'amour, mais pour un gain terrestre, n'est pas un pasteur, c'est un mercenaire. Le mercenaire, en effet, est celui qui tient la place du pasteur, mais ne cherche pas l'intérêt des âmes, ne soupire qu'après les richesses de la terre, et se complaît dans les prérogatives de sa dignité.
Le loup vient encore fondre sur les brebis toutes les fois qu'un homme injuste ou ravisseur opprime les fidèles et les humbles. Or, celui qui n'avait que l'extérieur du pas-leur et ne l'était pas en effet, laisse les brebis et s'enfuit à son approche, parce que le danger qu'il redoute pour lui le rend incapable de résister à l'injustice ; et il s'enfuit non pas en changeant de lieu, mais en privant ses brebis de son appui. A la vue des dangers que court son troupeau, le mercenaire n'est enflammé d'aucun sentiment de zèle ; et il supporte avec indifférence les maux qui viennent fondre sur ses brebis, parce qu'il n'est préoccupé que de ses intérêts personnels. « Le mercenaire s'enfuit, » etc. L'unique raison pour laquelle le mercenaire s'enfuit, c'est qu'il est mercenaire ; et voici le sens de ces paroles : Celui qui dirige les brebis non par un sentiment d'amour, mais en vue d'un gain sordide, ne peut supporter le danger qui menace les brebis, et il redoute de l'affronter, parce qu'il craint de perdre ce qu'il aime.
Or, le Christ n'est pas le seul qui ait donné personnellement cette preuve de charité, et cependant on peut dire que c'est lui seul qui l'a donnée, dans la personne de ceux qui étaient ses membres ; car lui seul pouvait la donner sans eux, tandis qu'ils ne pouvaient, sans lui, accomplir cet acte de dévouement.
Il cherche donc dans l'Eglise autre chose que Dieu ; s'il cherchait Dieu, il serait chaste, car le légitime époux de l'âme c'est Dieu, et celui qui demande à Dieu autre chose que Dieu lui-même, ne le cherche pas avec des dispositions pures.
Notre-Seigneur nous a déjà expliqué deux choses qu'il nous avait proposées sous le voile de la parabole ; nous savons déjà qu'il est lui-même la porte, nous savons qu'il est lui-même le pasteur ; il va maintenant prouver qu'il est le bon pasteur : « Je suis le bon pasteur. » (Traité 47.) Il avait dit précédemment que le pasteur entre par la porte ; si donc il est lui-même la porte, comment peut-il entrer par lui-même ? Le Fils de Dieu connaît le Père par lui-même, et nous ne le connaissons que par lui ; ainsi il entre dans la bergerie par lui-même, tandis que nous n'y entrons que par lui. Nous, qui prêchons Jésus-Christ, nous entrons par la porte ; Jésus-Christ, au contraire, se prêche lui-même, car la lumière se manifeste elle-même en découvrant les autres objets qu'elle éclaire. (Traité 46.) Si les chefs de l'Eglise, qui sont ses enfants, sont pasteurs, comment peut-il dire qu'il n'y a qu'un seul pasteur, si ce n'est parce qu'ils sont tous les membres d'un seul et même pasteur ? (Traité 47.) Il a communiqué à ses membres son titre et ses fonctions de pasteur ; ainsi Pierre est pasteur, les autres apôtres sont pasteurs, tons les saints apôtres sont eux-mêmes pasteurs. Mais personne d'entre nous n'ose se dire la porte ; c'est une prérogative que le Sauveur s'est réservée à l'exclusion de tout autre. Il n'aurait pas ajouté au nom de pasteur la qualification de bon, s'il n'y avait de mauvais pasteurs ; ce sont les voleurs et les larrons, ou du moins les mercenaires, qui sont en grand nombre.
Tous cependant ont été de bons pasteurs, non-seulement parce qu'ils ont versé leur sang, mais parce qu'ils l'ont versé pour leurs brebis, et qu'ils l'ont versé non par orgueil, mais par charité. Il est des hérétiques, en effet, qui osent décorer du nom de martyre les tribulations qu'ils ont pu souffrir à cause de leurs erreurs et de leurs iniquités, et qui se couvrent de ce manteau pour pouvoir plus facilement voler et piller, parce qu'ils sont de véritables loups. Mais gardons-nous de croire que tous ceux qui livrent leur corps au supplice même du feu versent leur sang pour les brebis, c'est bien plutôt contre elles qu'elles le versent. Car, comme dit l'Apôtre : « Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1 Co 13) Or, comment peut-on prétendre avoir le moindre degré de charité, quand on n'aime pas l'unité de la communion chrétienne ? C'est pour nous recommander cette unité que le Seigneur ne veut point dire qu'il y a plusieurs pasteurs, mais un seul, en disant : « Je suis le bon pasteur. »
Voici que le loup saisit la brebis à la gorge, le démon persuade à un fidèle de commettre un adultère, vous devez l'excommunier ; mais cette excommunication le rendra votre ennemi déclaré, il vous tendra des pièges, et vous nuira autant qu'il le pourra ; vous gardez le silence, vous ne lui faites aucun reproche ; vous avez vu le loup qui venait, et vous vous êtes enfui ; vous êtes resté de corps, mais vous vous êtes enfui d'esprit ; car c'est par les affections que notre âme se meut, elle se répand par la foi, se resserre par la tristesse, marche par le désir, et s'enfuit par la crainte.
Les serviteurs de Jésus-Christ, les ministres de sa parole et de ses sacrements peuvent fuir de ville en ville, peuvent fuir de ville en ville,et spécial de la haine des persécuteurs, à la condition que l'Eglise ne soit pas abandonnée par ceux qu'épargne la persécution. Mais lorsque le danger devient commun pour tous, pour les évoques, pour les clercs, pour les simples fidèles, ceux qui ont besoin du ministère de leurs frères, ne doivent pas être abandonnés par eux. Que tous donc s'enfuient alors dans des lieux de sûreté, ou que ceux qui sont obligés de rester ne soient pas privés du ministère de ceux qui doivent pourvoir à leurs besoins spirituels. Ainsi il est permis aux ministres de Jésus-Christ, de fuir devant la persécution, quand ils ne laissent pas derrière eux tout un peuple qui réclame leur ministère, ou lorsque ce ministère peut être rempli par ceux qui n'ont pas les mêmes raisons de fuir. Mais si le peuple est obligé de rester et que les ministres le laissent sans secours en s'enfuyant, c'est la fuite honteuse et inexcusable des mercenaires qui n'ont aucun souci de leurs brebis.
Le loup, c'est le démon et tous ceux qui font profession de le suivre ; car, Nôtre-Seigneur lui-même nous dit que, tout revêtus qu'ils sont de peaux de brebis, ils sont au dedans des loups ravisseurs. (Mt 7)
Les Apôtres étaient des pasteurs et non des mercenaires, et pourquoi donc fuyaient-ils devant la persécution, obéissant en cela au conseil du Sauveur : « S'ils vous persécutent, fuyez » (Mt 10, 23.) Frappons, quelqu'un nous ouvrira.
Parmi les bons, il nous faut donc compter la porte, le portier, le pasteur et les brebis ; parmi les mauvais, les voleurs, les larrons, les mercenaires et les loups.
Il faut aimer le pasteur, se garder du voleur, supporter le mercenaire, car le mercenaire peut être utile tant qu'il ne voit point le loup, le voleur ou le larron, mais à leur vue seule, il s'enfuit.
On ne lui donne le nom de mercenaire, que parce qu'il est payé par celui qui le loue. Les enfants attendent patiemment l'héritage de leur père, le mercenaire soupire ardemment après le salaire qu'il regarde comme le prix de son travail, et cependant la gloire du divin Sauveur se répand par la bouche de chacun d'eux. Le mercenaire n'est donc nuisible que lorsqu'il fait mal et non lorsqu'il annonce la bonne doctrine : cueillez le raisin, gardez-vous des épines. Quelquefois, en effet, la grappe de raisin qu'a produite le cep de vigne, pend aux branches d'un buisson ; il en est beaucoup dans l'Eglise, qui cherchent leurs avantages temporels en prêchant Jésus-Christ, la voix de Jésus-Christ se l'ait entendre par eux, et les brebis suivent alors, non pas le mercenaire, mais la voix de Jésus-Christ qui se fait entendre par le mercenaire.
Nôtre-Seigneur en vient ensuite à parler de sa passion, et à montrer qu'elle avait pour objet le salut du monde, et qu'il allait volontairement au-devant d'elle. Puis il expose de nouveau les signes distinctifs du pasteur et du mercenaire. « Mais le mercenaire et celui qui n'est pas le pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, voit venir le loup, laisse là les brebis et s'enfuit. »