Matthieu 26, 26
Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit et, le donnant aux disciples, il dit : « Prenez, mangez : ceci est mon corps. »
Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit et, le donnant aux disciples, il dit : « Prenez, mangez : ceci est mon corps. »
Eucharistie parce qu’il est action de grâces à Dieu. Les mots eucharistein (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24) et eulogein (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22) rappellent les bénédictions juives qui proclament – surtout pendant le repas – les œuvres de Dieu : la création, la rédemption et la sanctification.
Au cours du grand Jubilé de l'An 2000, il m'a été donné de célébrer l'Eucharistie au Cénacle, à Jérusalem, là où, selon la tradition, elle a été accomplie pour la première fois par le Christ lui- même. Le Cénacle est le lieu de l'institution de ce très saint Sacrement. C'est là que le Christ prit le pain dans ses mains, qu'il le rompit et le donna à ses disciples en disant: « Prenez et mangez-en tous: ceci est mon corps, livré pour vous » (cf. Mt 26, 26; Lc 22, 19; 1 Co 11, 24). Puis il prit dans ses mains le calice du vin et il leur dit: « Prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés » (cf. Mc 14, 24; Lc 22, 20; 1 Co 11, 25). Je rends grâce au Seigneur Jésus de m'avoir permis de redire au même endroit, dans l'obéissance à son commandement « Vous ferez cela en mémoire de moi » (Lc 22, 19), les paroles qu'il a prononcées il y a deux mille ans.
Les Apôtres qui ont pris part à la dernière Cène ont-ils compris le sens des paroles sorties de la bouche du Christ? Peut-être pas. Ces paroles ne devaient se clarifier pleinement qu'à la fin du Triduum pascal, c'est-à-dire de la période qui va du Jeudi soir au Dimanche matin. C'est dans ces jours-là que s'inscrit le mysterium paschale; c'est en eux aussi que s'inscrit le mysterium eucharisticum.
Les Apôtres qui ont pris part à la dernière Cène ont-ils compris le sens des paroles sorties de la bouche du Christ? Peut-être pas. Ces paroles ne devaient se clarifier pleinement qu'à la fin du Triduum pascal, c'est-à-dire de la période qui va du Jeudi soir au Dimanche matin. C'est dans ces jours-là que s'inscrit le mysterium paschale; c'est en eux aussi que s'inscrit le mysterium eucharisticum.
Ceci est mon corps. Jésus ne dit pas : Ceci est la figure de mon corps ; ni : Dans ceci ou avec ceci est mon corps ; mais absolument : Ceci est mon corps, ce qui implique clairement la transsubstantiation.
Les synoptiques, qui ont passé
rapidement sur la cène légale, s'étendent davantage sur le banquet eucharistique, car il avait pour eux une
tout autre importance. En distribuant à ses Apôtres un peu de pain, un peu de vin, et en leur donnant l'ordre
d'agir de même dans la suite des âges à l'égard des chrétiens, Jésus n'instituait-il pas le plus sublime des
sacrements ? Ne laissait-il pas à son Église le mémorial le plus parfait de son amour, en même temps que la
continuation du sacrifice du Calvaire ? Cf. Conc. Trid. Sess. 13, c. 2. Voici donc notre véritable agneau
pascal, qui va remplacer les ombres et les figures. - Pendant qu'ils dînaient. Le texte latin pourrait avoir le
sens de « pendant qu'ils dînaient », ou bien de « alors qu'ils avaient dîné ». Bynaeus, Wetstein, Kuinoel,
Baumgarten Crusius et d'autres adoptent la seconde traduction, qui est en réalité plus conforme aux récits de
S. Luc, 22, 20, et de S. Paul, 1 Cor. 11, 25. La plupart des exégètes anciens et modernes admettent la
première qui est plus grammaticale. Au fond, cela revient à peu près au même. En droit, le repas légal n'était
pas régulièrement terminé quand Jésus institua le sacrement de l'autel, puisque le calice eucharistique se
confond avec la cinquième coupe pascale (voir les notes des versets 21 et 27) ; néanmoins, on pouvait dire
qu'il l'était de fait, puisqu'on avait dû cesser de manger avant même de prendre la troisième coupe. Un
évangéliste a donc pu employer l'expression « pendant le repas », un autre écrire « après le repas » ; tout
dépend du point de vue auquel chacun d'eux s'est placé. S. Matthieu, qui veut nous montrer le Nouveau
Testament sortant de l'Ancien comme une fleur naît de la racine, rattache la cène eucharistique à la cène
légale. Les termes « pendant qu'ils dînaient » sont parallèles à « pendant qu'ils mangeaient » du verset 21. -
Jésus prit du pain. Il n'y avait alors dans le cénacle et dans la maison que du pain azyme, le seul, nous
l'avons vu, qui fût licite depuis le milieu du 14 nisan jusqu'au soir du 21. L'Église latine suit donc fidèlement
l'exemple de Jésus, quand elle se sert exclusivement de pain sans levain pour la confection de la sainte
Eucharistie. - Du pain, du vin, telles sont entre les mains du Sauveur, telles seront à tout jamais les seules
matières du sacrifice par excellence. Ainsi se réalisait la prédiction juive d'après laquelle, lorsque le Messie
viendrait remplir les fonctions de prêtre selon l'ordre de Melchisédech, les substances animales cesseraient
d'être immolées en sacrifice, car elles céderaient la place à deux espèces végétales, le pain et le vin ! Cf.
Sepp, Leben Jesu, Th. 3, p. 410. - Il le bénit. D'après S. Thomas d'Aquin et plusieurs interprètes (Maldonat,
Luc de Bruges, etc.), cette expression représenterait l'acte même de la consécration sacramentelle. On croit
très généralement qu'elle correspond à la bénédiction que le père de famille prononçait sur les pains azymes,
avant de les distribuer aux convives (voir l'explication du v. 21), et qui consistait pour l'ordinaire dans la
phrase suivante : « Béni soit Celui qui produit le pain de la terre ». - Le rompit. De même qu'il avait
précédemment rompu les pains azymes avant de manger la Pâque. Cette fraction du pain dans la cène légale
symbolisait les souffrances qu'avait autrefois endurées le peuple juif ; elle figurait, dans la cène eucharistique, la Passion et l'immolation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. On sait que ce rite, imité par les
apôtres et leurs successeurs, avait fait donner aux mystères eucharistiques le nom de « fraction du pain »
dans la primitive Église. Cf. Act. 2, 42 ; 1 Cor. 10, 16, etc. - Et le donna : Jésus ne communia pas les Apôtres
d'après le mode aujourd'hui usité dans l'Église ; il leur déposa successivement dans la main un morceau du
pain consacré. Cela ressort du mot « prenez » et des anciennes coutumes ecclésiastiques. - Ceci est...
« Hélas ! S'écrie le protestant Olshausen, Bibl. Comment. über saemmtl. Schrift. des N. Test. 3ème édit. t. 2
p. 441, en abordant l'explication des paroles de la consécration, le banquet de l'amour a servi jusqu'à notre
époque d'occasion aux polémiques les plus violentes et les plus tristes que l'histoire de l'Église et l'histoire
du dogme aient à enregistrer ». Les expressions employées par Notre-Seigneur sont cependant si claires dans
leur sublimité ! Mais la théologie négative a tout fait pour amonceler des nuages autour d'elles. Il n'entre pas
dans notre plan de les étudier ici au point de vue dogmatique ; de nombreux et d'illustres auteurs ont publié
en ce sens des essais remarquables dans lesquels la matière est traitée à fond : nous y renvoyons le lecteur.
Voir en particulier Wiseman, The real presence of the body and blood of our Lord J. Chr. in the blessed
Eucharist. Londres, 1855 (excellent traité traduit dans les Démonstrations Evangéliq. de Migne, t. 15, col.
1159 et ss.) ; Franzelin, Tractatus de SS. Eucharistiae Sacramento et Sacrificio, Romae 1868, p. 31-70. Notre
rôle consiste donc simplement à faire l'exégèse des paroles prononcées par Jésus en ce moment solennel,
paroles des plus importantes qui soient sorties de sa bouche, puisqu'elles établissent tout ensemble le
sacrifice de la nouvelle Alliance, le sacrement de l'Eucharistie et le nouveau sacerdoce destiné à remplacer
celui de la race lévitique. - Le pronom démonstratif « ceci » est pris substantivement. C'est à dessein que le
Christ l'a employé au neutre ; le masculin « ce » n'eût désigné directement que le pain, « ce pain ». « Ceci »
signifie d'une manière générale : Ce que je vous présente, ce qui de mes mains va passer dans les vôtres. - La
copule « est » n'a sans doute pas été proférée par Notre-Seigneur, car le langage araméen, dans lequel il
s'exprimait alors, l'omet en pareille circonstance. Mais la copule était exigée par le génie des idiomes
indo-germaniques, et c'est à bon droit qu'on l'a insérée dans la formule de consécration. Toutefois, de ce que
nous venons de dire il ressort évidemment que « est » ne saurait signifier ici, non plus qu'au v. 28, « signifie,
représente », comme l'a si souvent requis depuis Zwingle. Si je montrais à un enfant une pierre, un morceau
de pain, en lui disant : Ceci du pain, ceci une pierre, songerait-il jamais à traduire : Ceci représente une
pierre, du pain ? Ceci mon corps, ou ceci est mon corps ne peut donc signifier qu'une chose : Ce que vous
voyez est vraiment mon corps, indépendamment de toutes les apparences. Ainsi le veulent la grammaire, la
logique, et le simple bon sens. - Mon corps. La grammaire, la logique et le simple bon sens exigent
pareillement que l'on traduise ces deux mots par « mon corps », mon vrai corps. Prétendre que Jésus ne
pensait à offrir aux Apôtres que le symbole de son corps est une assertion tout à fait gratuite, pour ne rien
dire de plus. Quand on présente un symbole, on l'indique de quelque manière, à moins que le fait ne soit
évident par lui-même. Or, le Sauveur a montré au contraire d'une façon très expresse qu'il entendait parler
d'une réalité, lorsqu'il a caractérisé la valeur de ce corps donné aux apôtres, cf. Luc. 22, 19 ; 1 Cor. 11, 24. Le
corps de Jésus livré pour nous n'était assurément pas un symbole. - On aura déjà remarqué la grande
ressemblance qui existe entre les cérémonies de la cène eucharistique et celles de la cène légale que nous
avons résumées plus haut : Jésus bénit, partage et distribue à ses disciples le pain consacré, de même qu'il
avait béni, qu'il avait rompu, qu'il leur avait distribué les pains azymes. Ce n'est pas tout encore. En
découpant l'Agneau pascal, il avait prononcé une formule particulière que nous n'avons pas encore citée :
« Ceci est le corps de l'agneau pascal » ; cf. Buxtorf, Dissert. Phil.-theolog. Bâle, 1662, p. 346. On voit que
d'un bout à l'autre, à part les modifications nécessaires, la cène nouvelle est en quelque sorte calquée sur
l'ancienne, Jésus voulant ainsi montrer la relation qui existait entre la réalité et la figure. Mais on voit en
même temps que, si l'ancienne formule désignait un vrai corps, en chair et en os, la formule nouvelle ne peut
désigner, elle aussi, qu'un vrai corps et non pas un simple symbole. Nous rendrons compte en un autre
endroit (Commentaire sur S. Luc. 22, 19) de la différence qui existe entre les formules de consécration dans
les Évangiles et dans les Liturgies. - Tel est le sens naturel des mots « Ceci est mon corps ». Les Apôtres, la
tradition tout entière les ont compris et traduits comme le fait l'Église. L'erreur en matière si grave serait
inconcevable. - Quand Jésus eût proféré ces merveilleuses paroles, un miracle de premier ordre fut
instantanément produit : le pain, pour employer le langage de l'Église, fut aussitôt transsubstantié au corps du
Sauveur ; les accidents restèrent, mais la substance avait disparu et la promesse faite autrefois par le Christ,
cf. Joan. ch. 6, était accomplie. Nous avions une nourriture céleste qui donne l'immortalité.
2653. Plus haut, l’évangéliste a présenté la célébration de l’ancienne Pâque ; ici, l’institution du sacrement de l’autel est présentée : premièrement, le sacrement est institué ; deuxièmement, le scandale à venir des disciples [est présenté], en cet endroit : ALORS JÉSUS LEUR DIT : «VOUS TOUS, VOUS ALLEZ SUCCOMBER À CAUSE DE MOI» [26, 31].
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, le sacrement pascal est institué ; deuxièmement, [il prononce] l’hymne d’action de grâce, en cet endroit : APRÈS AVOIR DIT L’HYMNE, ILS PARTIRENT VERS LE MONT DES OLIVIERS [26, 30].
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, l’institution du sacrement est présentée sous l’espèce du pain ; deuxièmement, sous l’espèce du vin, en cet endroit : PRENANT UNE COUPE, IL RENDIT GRÂCE, etc. [26, 27].
2654. À propos du premier point, [Matthieu] aborde d’abord les gestes du Christ ; en second lieu, ses paroles, en cet endroit : PRENEZ ET MANGEZ : CECI EST MON CORPS [26, 26].
Pour ce qui est des gestes, cinq choses doivent être notées : premièrement, le moment est présenté ; deuxièmement, la matière [du sacrement] est désignée ; troisièmement, la bénédiction ; quatrièmement, la fraction ; cinquièmement, la communion ou distribution.
2655. Le moment est abordé lorsqu’il dit : TANDIS QU’ILS MANGEAIENT, etc., c’est-à-dire tandis qu’ils étaient en train de prendre le repas du soir, qu’ils dînaient. Et pourquoi l’a-t-il institué durant le repas lui-même, et non avant ? Il y a une double raison. Parce que le Seigneur voulait que celui-ci succède à l’ancien sacrement, comme la vérité à la figure. C’est pourquoi il a institué le nouveau [sacrement] après l’institution de l’ancien sacrement. Lv 26, 10 : À l’arrivée du neuf vous rejetterez l’ancien. C’était aussi pour une autre raison : il voulait qu’il soit fixé dans [leur] mémoire. En effet, ce qu’on entend au dernier moment se fixe plus nettement dans la mémoire. Lm 3, 19 : Souviens-toi de ma pauvreté et de ma faute, de l’absinthe et du fiel.
2656. Pourquoi donc l’Église a-t-elle établi que les hommes devaient recevoir ce sacrement à jeun ? Il faut dire que c’est par respect pour le sacrement. En effet, il est convenable qu’il soit reçu avant la nourriture. Et cela doit s’entendre du même jour. En effet, comme le jour commence au milieu de la nuit, on ne doit rien prendre depuis le milieu de la nuit jusqu’à la réception de ce sacrement. Mais certains se sont demandé si, en entrant dans la bouche, quelque chose empêche l’absorption du sacrement, par exemple, si l’on boit de l’eau. Il faut comprendre qu’il y a un double jeûne : le jeûne de l’Église et le jeûne naturel. Boire de l’eau ne rompt pas le jeûne de l’Église, mais rompt le jeûne naturel, car même si l’eau ne nourrit pas par elle-même, elle nourrit avec d’autres choses. Et vous devez comprendre qu’on prend de l’eau et on boit si on se lave la bouche et avale une goutte par accident. Il ne faut cependant pas la rejeter pour cette raison ; elle est plutôt considérée comme de la salive.
À propos de la nourriture, je dis la même chose : si l’on mange de l’anis et qu’il en reste quelque chose entre les dents, et si on l’avale par accident, il ne faut pas pour autant le rejeter. De même, certains se font une obligation de conscience de ne pas le recevoir s’ils n’ont pas dormi. Cela n’a pas sa place, car cela ne vient pas d’une disposition de l’Église. Aussi cela n’a-t-il pas d’importance qu’on dorme ou qu’on ne dorme pas.
2657. JÉSUS PRIT DU PAIN, etc. Ici est touchée la matière [du sacrement]. Il faut remarquer que, sous un aspect, ce sacrement se rattache à l’Ancien Testament comme la vérité à la figure. Le sacrement [de l’Ancien Testament] était pris comme nourriture parce que le commandement était qu’on devait manger un agneau ; le sacrement [nouveau], qui est pris à sa place, doit se prendre comme une nourriture. De même que cet agneau-là était une véritable nourriture, de même cet agneau-ci [l’est-il]. Jn 6, 56 : Ma chair est vraiment une nourriture. L’opinion de ceux qui affirmaient que le Christ n’était là que sous un signe est donc fausse, car, s’il en était ainsi, qu’est-ce que ce signe aurait de plus qu’un autre ? Le signe [de l’Ancien Testament] n’était qu’un signe, mais celui-ci est à la fois figure et vérité.
2658. Mais n’est-ce pas un manque de respect de la part de quelqu’un de manger le corps du Christ ? Il faut dire que cette nourriture diffère des autres nourritures, car les autres nourritures sont changées en notre corps ; ce serait donc un manque de respect si le Christ était ainsi changé. Mais il n’en est pas ainsi ; c’est plutôt le contraire, comme dit Augustin : «Tu ne me changeras pas en toi, mais tu seras changé en moi.»
Ce sacrement est donc la fin et la perfection de tous les sacrements. La raison en est que l’être par essence est la fin et la perfection des choses qui existent par participation : les autres sacrements contiennent le Christ par participation, mais dans celui-ci le Christ existe selon sa substance. C’est pourquoi Denys dit qu’il n’y a aucun sacrement qui ne soit accompli dans l’eucharistie. Si un adulte est baptisé, on doit lui donner l’eucharistie. [Le Christ] doit être pris en nourriture afin que la vérité réponde à la figure.
2659. Et pourquoi [n’est-il] pas pris sous sa propre espèce ? Une raison tient au mérite de la foi, car la foi à laquelle la raison humaine apporte l’expérience n’a pas de mérite. C’est aussi pour que soient épargnés ceux qui le prennent, car ce n’est pas la coutume de manger de la chair humaine. De même, c’est pour le défendre contre la dérision des infidèles.
Et pourquoi sous une telle espèce ? Parce qu’il a voulu qu’il soit célébré par tous partout dans le monde. Il a donc voulu leur donner une matière qui soit commune à tous. Or, la nourriture commune des hommes est le pain, et la boisson commune est le vin. C’est ainsi que le pain et le vin constituent la nourriture principale, et qu’une autre [nourriture] est plutôt comme une préférence particulière. De même, en est-il pour les autres sacrements : pour l’onction, on ne prend pas n’importe quelle huile, mais [une huile] commune, qu’on dit être l’huile de plusieurs oliviers. Ainsi l’unité de l’Église [se réalise-t-elle] par la multitude des fidèles. Il apparaît aussi que nos sacrements sont plus anciens que les sacrements de l’ancienne loi, car les sacrements de l’ancienne loi ont débuté avec Moïse et Aaron, mais les sacrements de la nouvelle loi ont débuté avec Melchisédech, qui offrit à Abraham du pain et du vin. C’est pourquoi on dit que le Christ est devenu prêtre selon l’ordre de Melchisédech, Ps 109[110], 4.
2660. Ensuite, il est question de la bénédiction, et cette bénédiction porte sur trois choses : sur la matière, car il a béni le fruit de la terre, par quoi est signifié que la malédiction d’Adam a été annulée par le Christ, alors que [le Seigneur] lui avait dit, Gn 3, 17 : Que la terre soit maudite pour ton travail…Elle te donnera des épines et des chardons. De même porte-t-elle sur ce qui était contenu [dans ce sacrement], c’est-à-dire le Christ, plus haut, 21, 9 : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Elle porte encore sur le fruit du sacrement, car par lui seront bénis les fidèles, et l’on passe ainsi de la tête aux membres. Pr 10, 6 : La bénédiction du Seigneur descend sur la tête du juste.
2661. Ensuite est abordée la fraction [du pain] : IL LE ROMPIT, et cela signifie trois choses. Premièrement, cela signifie le mystère de la passion à venir, car, dans la passion, les membres ont été percés, conformément à Ps 21[22], 17 : Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. Et ceci a eu lieu parce qu’il l’a lui-même voulu. Is 53, 7 : Il a été immolé parce qu’il l’a voulu. Cela signifie aussi que, rompue, [la matière] passe de l’unité à la multiplicité ; elle signifie donc l’incarnation, car, alors que le Verbe de Dieu était simple, il est venu dans cette multiplicité, sans abandonner sa simplicité. De même indique-t-il l’effet qu’il entraîne pour chacun, car, selon l’Apôtre, 1 Co 12, 4, les grâces sont réparties, mais l’Esprit est unique.
2662. La distribution est aussi présentée : IL LE DONNA À SES DISCIPLES. Si 29, 33 : Avec ce que tu as en main, nourris chacun. Et il dit : [SES] DISCIPLES, car ce sacrement ne doit être donné à personne qui ne soit baptisé. De même que ne l’accomplirait pas un prêtre s’il n’était consacré, de même [ce sacrement] ne doit-il être administré qu’à un baptisé. Aussi ne doit-il être donné qu’aux fidèles ; bien plus, il ne doit pas être permis aux infidèles de voir ce sacrement. C’est ainsi que, dans l’Église primitive, alors que les catéchumènes étaient nombreux, ils étaient accueillis dans l’église jusqu’à l’évangile, puis ils en étaient renvoyés.
2663. De même, lorsqu’il dit : À SES DISCIPLES, on se demande si Judas y était. Tous disent que [le Seigneur] le donna en même temps à tous, même à Judas, et cela afin de le ramener du péché par sa douceur. C’était aussi afin de donner à l’Église l’enseignement que, aussi longtemps qu’un pécheur est occulte, il ne doit pas être empêché de recevoir ce sacrement : en effet, les hommes n’ont pas à juger des choses occultes. Hilaire dit ici que Judas n’était pas là, puisqu’il était déjà parti. Il veut le démontrer par ce qui est dit en Jn 13, 25, lorsque les disciples demandèrent : Qui te trahira ? [Jésus] leur répondit : Celui à qui je donnerai la bouchée que je trempe. [Hilaire] montre donc que [Judas] était déjà parti. Mais il faut plutôt accepter ce que les autres disent.
2664. IL DIT : «PRENEZ ET MANGEZ, CECI EST MON CORPS.» Ici sont présentées les paroles, et par ces paroles, il fait trois choses : premièrement, il exhorte à recevoir ; deuxièmement, à manger ; troisièmement, il fait connaître la vérité.
[Le Seigneur] dit : PRENEZ ET MANGEZ. Ce qu’il dit : PRENEZ, doit être mis en rapport avec la réception spirituelle, car [ce sacrement] ne doit être pris qu’avec foi et charité. Jn 6, 55 : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Il incite aussi à manger : MANGEZ, non seulement spirituellement, mais aussi sacramentellement. Ct 5, 1 : Amis, mangez et buvez ! Il indique aussi la réalité : CECI EST MON CORPS. La forme du sacrement est contenue dans ces paroles, qui sont des paroles du Seigneur, car le sacrement se réalise par les paroles du Seigneur. De sorte que si la parole d’Élie a eu une telle puissance qu’elle fit descendre le feu du ciel, à bien plus forte raison la parole de Dieu pourra-t-elle changer un corps en un autre.
2665. On se demande alors si la puissance se trouve dans les paroles. Il n’est pas douteux qu’il en soit ainsi. Aussi est-il dit en Ps 57[58], 34 : Il a fait de sa voix une voix puissante. Qo 8, 4 : Sa parole est remplie de puissance. Le prêtre agit donc au nom du Christ et n’emploie pas [ces] paroles en son nom propre, mais au nom du Christ. Mais quelle est cette efficacité ? Comment est-elle si grande ? Certains disent qu’il n’y a là aucune efficacité, mais seulement la puissance du Christ, qui est là présent. Mais il ne semble pas, car les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils représentent. Mais quelle efficacité a-t-il exercée ? Il faut dire qu’il existe une cause active principale, qui agit par une efficacité qui se trouve en elle-même. Il existe aussi une cause instrumentale, et celle-ci n’agit pas par une efficacité qui se trouve en elle-même, mais [par une efficacité] qui passe en elle à partir d’un autre. Ainsi les sacrements sont des causes, non pas comme des causes principales, mais comme des causes instrumentales par lesquelles passe [la puissance] d’un autre.
2666. Mais alors se pose une question sur ce qui est accompli : est-ce que ce PRENEZ ET MANGEZ fait partie de la forme du sacrement ? Il faut dire que seulement CECI EST MON CORPS fait partie de la forme du sacrement. Il faut donc comprendre qu’il en va autrement de ce sacrement et des autres sacrements, car la consécration de la matière fait parfois nécessairement partie du sacrement, et parfois non. Ainsi, dans le baptême, la consécration de la matière ne fait pas nécessairement partie du baptême, mais, dans le cas des onctions, aucune onction n’est pratiquée sans que l’huile ait été bénite. Dans les autres sacrements, le sacrement n’est pas reçu par le fait de bénir, mais de répandre, car l’huile et l’eau, puisqu’elles sont inanimées, ne contiennent pas la grâce. De sorte que, puisque la grâce est la fin du sacrement, celle-ci ne peut être apportée que par la réception du sacrement. Mais, dans le sacrement [de l’eucharistie], celui qui est la plénitude de la grâce est contenu. Il ne s’accomplit donc pas en nous, mais par la consécration de la matière. Ainsi, à supposer que personne ne le reçoive, ce ne serait pas moins un sacrement. Son usage découle donc [de la réalité du sacrement] et n’en fait pas nécessairement partie. Ainsi, dans les autres [sacrements], ce qui se rapporte à l’usage fait partie de la forme ; mais [le sacrement de l’eucharistie] ne se rapporte pas à l’usage, mais à la sainteté de la matière. De sorte que ce qui est dit : PRENEZ ET MANGEZ, qui se rapporte à l’usage, ne fait pas partie de la forme.
2667. De même, on a l’habitude de soulever la question de savoir si le Seigneur a réalisé le sacrement par ces paroles. Il semble que non, car il est dit en cet endroit : IL PRIT DU PAIN, LE BÉNIT. Il semble donc qu’il l’ait consacré par la bénédiction. Certains ont donc dit qu’il ne l’avait pas consacré d’abord principalement par les paroles, mais par une efficacité spirituelle. Et il a pu faire cela en raison de sa puissance d’excellence, car il pouvait conférer la réalité du sacrement sans le sacrement, puisqu’il n’avait pas lié sa puissance aux sacrements. Il pouvait donc faire cela par sa puissance d’excellence. D’autres disent qu’il a dit [les paroles] d’abord de manière cachée et, par la suite, en public. Il est mieux de dire qu’il [les] a dites une seule fois, et non deux, et qu’il a consacré par ces paroles. Il faut donc lire que ce qui est dit : IL DIT : «PRENEZ ET MANGEZ», se rapporte à ce qui précède. Parlant ainsi, il dit : CECI EST MON CORPS.
2668. Ici on se demande ce qu’indique ce pronom : CECI. Certains ont dit qu’il montre, non pas pour les sens, mais pour l’intelligence, car cela ne se rapporte qu’à la substance du pain et qu’en vue de la signification. Le sens est donc : CECI EST MON CORPS, c’est-à-dire ce qui est désigné par cela est mon corps. Et cela n’est pas acceptable, car les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils signifient. Il ne fait donc rien d’autre que ce qu’il désigne, et il désigne le corps du Christ. Et ainsi, il n’y a que le corps du Christ sous le signe.
2669. D’autres disent que le CECI indique la substance même du corps. Mais comment cela peut-il être ? Est-ce le corps du Christ dès qu’il dit : CECI ? Il est clair que non, car si le prêtre mourait, [le pain] ne serait pas consacré à moins qu’il n’ait terminé. C’est pourquoi certains disent que le CECI retarde sa signification et indique ce qui existera après que ce mot : MON [CORPS] aura été proféré. Cela non plus ne convient pas, car, de la sorte, il semblerait dire la même chose que s’il disait : «Mon corps est mon corps.» Et cela ne convient pas à Dieu.
D’autres disent que les paroles sont proférées matériellement, mais non selon [leur] sens. Et cela n’est pas acceptable, car Augustin dit : «La parole atteint l’élément, et le sacrement apparaît.»
2670. De quoi s’agit-il donc ? Il faut dire que [ces paroles] dont dites sous forme de récit et, simultanément, sous forme de récit et selon [leur] sens. Pourquoi ? Parce que le prêtre] parle au nom du Christ et agit comme si le Christ était présent ; autrement, [ses] paroles n’atteindraient pas leur propre matière. De quoi donc s’agit-il ? Il faut dire qu’il en va autrement dans les paroles sacramentelles et dans les autres paroles humaines, car la parole humaine ne fait qu’indiquer le sens, mais la [parole] divine indique le sens et le réalise. De sorte que les paroles sacramentelles ont une efficacité divine en vertu de la puissance divine. Ainsi, elle dit et, par la puissance divine, elle réalise. C’est pourquoi cette parole n’indique pas seulement un sens, mais est réalisatrice. Elle réalise d’abord, puis signifie. En effet, dans une réalisation matérielle, il se fait que quelque chose de commun préexiste à toute transmutation, et ce qui est commun se retrouve sous un terme de la transmutation et, à la fin, sous un autre. Par exemple, supposons que de noire une chose devienne blanche : lors de cette transmutation, il existait un corps, mais, au départ, il se trouvait sous le noir et, par la suite, sous la blancheur. Ainsi, pour une part, elle est semblable, à savoir qu’il y a quelque chose de commun ; mais [elle est aussi] dissemblable, car [elle n’existe pas] de la même façon. Car, dans les autres transmutations matérielles, le sujet est commun et la forme, différente. Mais, ici, c’est le contraire, car l’accident est commun et la substance est différente. La substance est donc changée, l’accident commun demeure. Qu’indique donc le CECI ? Il faut dire que le sens est : CECI EST MON CORPS, c’est-à-dire que mon corps est contenu sous l’accident. Ou bien, il se fait que ce qui est contenu sous les accidents est mon corps. C’est pourquoi à la fin [le Seigneur] a employé le nom, mais, au début, le pronom, qui signifie une substance indéterminée, alors que par le nom [est signifiée] une forme déterminée. Ainsi, au départ, il n’y a pas de forme, mais [il y en a] à la fin.
2671. Mais comment le corps du Christ est-il là ? Il y a eu une opinion selon laquelle, en même temps que le corps du Christ, la substance du pain demeurait. De sorte que lorsqu’il dit : CECI EST MON CORPS, cela se rapporte au seul corps. D’autres disent que la substance du pain passe dans la matière préexistante, et qu’apparaît là le corps du Christ en raison du fait que la substance du pain est transformée dans le corps du Christ. Ceci est écarté de la manière suivante : il semble ainsi que commence à exister une réalité qui n’existait pas auparavant, ce qui ne peut se produire que s’il y a changement selon le lieu ou si quelque chose est changé en elle. Comme si on disait : «Il n’y a pas de feu ici. Si donc il y en a par la suite, cela ne peut être que parce que quelqu’un l’y a apporté ou que quelque chose qui était là a été changé en feu.» Mais, selon cette opinion, le mode de la conversion est écarté. Il ne reste donc que le changement local. Or, il est impossible que le même corps soit dans des lieux différents. Ainsi donc, etc.
Il faut donc dire autre chose, à savoir que le corps commence à y être, non par mouvement local, mais par conversion d’un autre en lui-même, et, en celui-ci, la forme demeure, mais le sujet change. Le changement se produit donc d’un sujet à [un autre] sujet, qui est le principe d’individuation, non pas parce que le corps du Christ existe en même temps que la substance du pain ou qu’est annihilée la substance du pain, mais par le fait qu’elle est changée en lui par conversion.
2672. Mais comment cela peut-il se faire en un si petit espace ? Il faut dire que quelque chose se trouve là par l’efficacité du sacrement, et il s’agit principalement [du corps du Christ], mais quelque chose s’y trouve par concomitance. S’y trouve par l’efficacité du sacrement ce à quoi aboutit la conversion. Et parce que le pain est converti en corps du Christ, ce qui est signifié est le corps du Christ, et celui-ci n’existe pas sans âme ni divinité. Toutefois, le pain n’est pas non plus converti en âme et en divinité, mais [ces réalités] sont là par concomitance. De sorte que si quelqu’un avait célébré durant le triduum [pascal], alors que l’âme [du Christ] était séparée de [son] corps, l’âme n’y serait pas. En effet, dans le pain, il y a deux choses : la substance et les accidents. Les accidents demeurent, la substance change. Cela donc s’y trouve principalement à quoi aboutit la conversion. Or, elle aboutit à la substance. La substance s’y trouve donc principalement, mais les accidents [s’y trouvent] par concomitance. Or, les dimensions sont des accidents. Et le corps du Christ dans le sacrement ne se compare pas au lieu par ses dimensions propres, mais par les dimensions du pain préexistant.
2673. De même, IL LE ROMPIT. Mais est-ce que tout le corps se trouve en chaque parcelle ? Je dis que oui. Vous devez comprendre qu’on dit que [le corps du Christ] est présent dans un lieu d’une manière différente de celle d’un objet dans un lieu, car l’objet se compare au lieu par ses dimensions, mais ce n’est pas le cas [pour le corps du Christ]. C’est pourquoi il faut remarquer que partout où il y a une différence de quantité, cela ne fait pas de différence pour la substance ; mais s’il existe quelque chose qui découle de la quantité, cela se divise selon la quantité. Mais l’âme ne reçoit pas de la quantité de recevoir sa totalité, mais elle reçoit sa totalité en chacune de ses parties. Donc, le corps du Christ ne se compare pas à ce corps [que sont les parcelles] selon la quantité, mais seulement selon la substance. De même donc que l’âme existe dans toutes les parties du corps, de même le Christ [existe-t-il] dans chaque parcelle d’hostie. Qu’arrivera-t-il de ces accidents ? Il faut dire qu’ils demeurent sans sujet par la puissance divine. Et comment cela peut-il se produire, puisque les accidents dépendent de la substance ? Il faut dire que Dieu est le principe de l’être. Il peut donc produire un effet séparé d’un sujet et sans [ses] principes. Ainsi, comme le principe de la substance est de conserver les accidents dans l’existence, Dieu peut [les] conserver sans leurs principes. Si tu demandes si cela est vrai de tous les accidents, il faut dire que tous les accidents se rapportent à la substance par l’intermédiaire des dimensions, par lesquelles ils sont d’une certaine manière individués. C’est pourquoi les dimensions existent sans sujet, mais la qualité existe dans les dimensions comme dans un sujet.
Le sens est donc : CECI, à savoir, ce qui est contenu sous ces accidents, lesquels accidents demeurent avec leurs dimensions, car la substance, qui était d’abord sous-jacente à ces accidents, est transformée en corps du Christ.
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, le sacrement pascal est institué ; deuxièmement, [il prononce] l’hymne d’action de grâce, en cet endroit : APRÈS AVOIR DIT L’HYMNE, ILS PARTIRENT VERS LE MONT DES OLIVIERS [26, 30].
À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, l’institution du sacrement est présentée sous l’espèce du pain ; deuxièmement, sous l’espèce du vin, en cet endroit : PRENANT UNE COUPE, IL RENDIT GRÂCE, etc. [26, 27].
2654. À propos du premier point, [Matthieu] aborde d’abord les gestes du Christ ; en second lieu, ses paroles, en cet endroit : PRENEZ ET MANGEZ : CECI EST MON CORPS [26, 26].
Pour ce qui est des gestes, cinq choses doivent être notées : premièrement, le moment est présenté ; deuxièmement, la matière [du sacrement] est désignée ; troisièmement, la bénédiction ; quatrièmement, la fraction ; cinquièmement, la communion ou distribution.
2655. Le moment est abordé lorsqu’il dit : TANDIS QU’ILS MANGEAIENT, etc., c’est-à-dire tandis qu’ils étaient en train de prendre le repas du soir, qu’ils dînaient. Et pourquoi l’a-t-il institué durant le repas lui-même, et non avant ? Il y a une double raison. Parce que le Seigneur voulait que celui-ci succède à l’ancien sacrement, comme la vérité à la figure. C’est pourquoi il a institué le nouveau [sacrement] après l’institution de l’ancien sacrement. Lv 26, 10 : À l’arrivée du neuf vous rejetterez l’ancien. C’était aussi pour une autre raison : il voulait qu’il soit fixé dans [leur] mémoire. En effet, ce qu’on entend au dernier moment se fixe plus nettement dans la mémoire. Lm 3, 19 : Souviens-toi de ma pauvreté et de ma faute, de l’absinthe et du fiel.
2656. Pourquoi donc l’Église a-t-elle établi que les hommes devaient recevoir ce sacrement à jeun ? Il faut dire que c’est par respect pour le sacrement. En effet, il est convenable qu’il soit reçu avant la nourriture. Et cela doit s’entendre du même jour. En effet, comme le jour commence au milieu de la nuit, on ne doit rien prendre depuis le milieu de la nuit jusqu’à la réception de ce sacrement. Mais certains se sont demandé si, en entrant dans la bouche, quelque chose empêche l’absorption du sacrement, par exemple, si l’on boit de l’eau. Il faut comprendre qu’il y a un double jeûne : le jeûne de l’Église et le jeûne naturel. Boire de l’eau ne rompt pas le jeûne de l’Église, mais rompt le jeûne naturel, car même si l’eau ne nourrit pas par elle-même, elle nourrit avec d’autres choses. Et vous devez comprendre qu’on prend de l’eau et on boit si on se lave la bouche et avale une goutte par accident. Il ne faut cependant pas la rejeter pour cette raison ; elle est plutôt considérée comme de la salive.
À propos de la nourriture, je dis la même chose : si l’on mange de l’anis et qu’il en reste quelque chose entre les dents, et si on l’avale par accident, il ne faut pas pour autant le rejeter. De même, certains se font une obligation de conscience de ne pas le recevoir s’ils n’ont pas dormi. Cela n’a pas sa place, car cela ne vient pas d’une disposition de l’Église. Aussi cela n’a-t-il pas d’importance qu’on dorme ou qu’on ne dorme pas.
2657. JÉSUS PRIT DU PAIN, etc. Ici est touchée la matière [du sacrement]. Il faut remarquer que, sous un aspect, ce sacrement se rattache à l’Ancien Testament comme la vérité à la figure. Le sacrement [de l’Ancien Testament] était pris comme nourriture parce que le commandement était qu’on devait manger un agneau ; le sacrement [nouveau], qui est pris à sa place, doit se prendre comme une nourriture. De même que cet agneau-là était une véritable nourriture, de même cet agneau-ci [l’est-il]. Jn 6, 56 : Ma chair est vraiment une nourriture. L’opinion de ceux qui affirmaient que le Christ n’était là que sous un signe est donc fausse, car, s’il en était ainsi, qu’est-ce que ce signe aurait de plus qu’un autre ? Le signe [de l’Ancien Testament] n’était qu’un signe, mais celui-ci est à la fois figure et vérité.
2658. Mais n’est-ce pas un manque de respect de la part de quelqu’un de manger le corps du Christ ? Il faut dire que cette nourriture diffère des autres nourritures, car les autres nourritures sont changées en notre corps ; ce serait donc un manque de respect si le Christ était ainsi changé. Mais il n’en est pas ainsi ; c’est plutôt le contraire, comme dit Augustin : «Tu ne me changeras pas en toi, mais tu seras changé en moi.»
Ce sacrement est donc la fin et la perfection de tous les sacrements. La raison en est que l’être par essence est la fin et la perfection des choses qui existent par participation : les autres sacrements contiennent le Christ par participation, mais dans celui-ci le Christ existe selon sa substance. C’est pourquoi Denys dit qu’il n’y a aucun sacrement qui ne soit accompli dans l’eucharistie. Si un adulte est baptisé, on doit lui donner l’eucharistie. [Le Christ] doit être pris en nourriture afin que la vérité réponde à la figure.
2659. Et pourquoi [n’est-il] pas pris sous sa propre espèce ? Une raison tient au mérite de la foi, car la foi à laquelle la raison humaine apporte l’expérience n’a pas de mérite. C’est aussi pour que soient épargnés ceux qui le prennent, car ce n’est pas la coutume de manger de la chair humaine. De même, c’est pour le défendre contre la dérision des infidèles.
Et pourquoi sous une telle espèce ? Parce qu’il a voulu qu’il soit célébré par tous partout dans le monde. Il a donc voulu leur donner une matière qui soit commune à tous. Or, la nourriture commune des hommes est le pain, et la boisson commune est le vin. C’est ainsi que le pain et le vin constituent la nourriture principale, et qu’une autre [nourriture] est plutôt comme une préférence particulière. De même, en est-il pour les autres sacrements : pour l’onction, on ne prend pas n’importe quelle huile, mais [une huile] commune, qu’on dit être l’huile de plusieurs oliviers. Ainsi l’unité de l’Église [se réalise-t-elle] par la multitude des fidèles. Il apparaît aussi que nos sacrements sont plus anciens que les sacrements de l’ancienne loi, car les sacrements de l’ancienne loi ont débuté avec Moïse et Aaron, mais les sacrements de la nouvelle loi ont débuté avec Melchisédech, qui offrit à Abraham du pain et du vin. C’est pourquoi on dit que le Christ est devenu prêtre selon l’ordre de Melchisédech, Ps 109[110], 4.
2660. Ensuite, il est question de la bénédiction, et cette bénédiction porte sur trois choses : sur la matière, car il a béni le fruit de la terre, par quoi est signifié que la malédiction d’Adam a été annulée par le Christ, alors que [le Seigneur] lui avait dit, Gn 3, 17 : Que la terre soit maudite pour ton travail…Elle te donnera des épines et des chardons. De même porte-t-elle sur ce qui était contenu [dans ce sacrement], c’est-à-dire le Christ, plus haut, 21, 9 : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Elle porte encore sur le fruit du sacrement, car par lui seront bénis les fidèles, et l’on passe ainsi de la tête aux membres. Pr 10, 6 : La bénédiction du Seigneur descend sur la tête du juste.
2661. Ensuite est abordée la fraction [du pain] : IL LE ROMPIT, et cela signifie trois choses. Premièrement, cela signifie le mystère de la passion à venir, car, dans la passion, les membres ont été percés, conformément à Ps 21[22], 17 : Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. Et ceci a eu lieu parce qu’il l’a lui-même voulu. Is 53, 7 : Il a été immolé parce qu’il l’a voulu. Cela signifie aussi que, rompue, [la matière] passe de l’unité à la multiplicité ; elle signifie donc l’incarnation, car, alors que le Verbe de Dieu était simple, il est venu dans cette multiplicité, sans abandonner sa simplicité. De même indique-t-il l’effet qu’il entraîne pour chacun, car, selon l’Apôtre, 1 Co 12, 4, les grâces sont réparties, mais l’Esprit est unique.
2662. La distribution est aussi présentée : IL LE DONNA À SES DISCIPLES. Si 29, 33 : Avec ce que tu as en main, nourris chacun. Et il dit : [SES] DISCIPLES, car ce sacrement ne doit être donné à personne qui ne soit baptisé. De même que ne l’accomplirait pas un prêtre s’il n’était consacré, de même [ce sacrement] ne doit-il être administré qu’à un baptisé. Aussi ne doit-il être donné qu’aux fidèles ; bien plus, il ne doit pas être permis aux infidèles de voir ce sacrement. C’est ainsi que, dans l’Église primitive, alors que les catéchumènes étaient nombreux, ils étaient accueillis dans l’église jusqu’à l’évangile, puis ils en étaient renvoyés.
2663. De même, lorsqu’il dit : À SES DISCIPLES, on se demande si Judas y était. Tous disent que [le Seigneur] le donna en même temps à tous, même à Judas, et cela afin de le ramener du péché par sa douceur. C’était aussi afin de donner à l’Église l’enseignement que, aussi longtemps qu’un pécheur est occulte, il ne doit pas être empêché de recevoir ce sacrement : en effet, les hommes n’ont pas à juger des choses occultes. Hilaire dit ici que Judas n’était pas là, puisqu’il était déjà parti. Il veut le démontrer par ce qui est dit en Jn 13, 25, lorsque les disciples demandèrent : Qui te trahira ? [Jésus] leur répondit : Celui à qui je donnerai la bouchée que je trempe. [Hilaire] montre donc que [Judas] était déjà parti. Mais il faut plutôt accepter ce que les autres disent.
2664. IL DIT : «PRENEZ ET MANGEZ, CECI EST MON CORPS.» Ici sont présentées les paroles, et par ces paroles, il fait trois choses : premièrement, il exhorte à recevoir ; deuxièmement, à manger ; troisièmement, il fait connaître la vérité.
[Le Seigneur] dit : PRENEZ ET MANGEZ. Ce qu’il dit : PRENEZ, doit être mis en rapport avec la réception spirituelle, car [ce sacrement] ne doit être pris qu’avec foi et charité. Jn 6, 55 : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Il incite aussi à manger : MANGEZ, non seulement spirituellement, mais aussi sacramentellement. Ct 5, 1 : Amis, mangez et buvez ! Il indique aussi la réalité : CECI EST MON CORPS. La forme du sacrement est contenue dans ces paroles, qui sont des paroles du Seigneur, car le sacrement se réalise par les paroles du Seigneur. De sorte que si la parole d’Élie a eu une telle puissance qu’elle fit descendre le feu du ciel, à bien plus forte raison la parole de Dieu pourra-t-elle changer un corps en un autre.
2665. On se demande alors si la puissance se trouve dans les paroles. Il n’est pas douteux qu’il en soit ainsi. Aussi est-il dit en Ps 57[58], 34 : Il a fait de sa voix une voix puissante. Qo 8, 4 : Sa parole est remplie de puissance. Le prêtre agit donc au nom du Christ et n’emploie pas [ces] paroles en son nom propre, mais au nom du Christ. Mais quelle est cette efficacité ? Comment est-elle si grande ? Certains disent qu’il n’y a là aucune efficacité, mais seulement la puissance du Christ, qui est là présent. Mais il ne semble pas, car les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils représentent. Mais quelle efficacité a-t-il exercée ? Il faut dire qu’il existe une cause active principale, qui agit par une efficacité qui se trouve en elle-même. Il existe aussi une cause instrumentale, et celle-ci n’agit pas par une efficacité qui se trouve en elle-même, mais [par une efficacité] qui passe en elle à partir d’un autre. Ainsi les sacrements sont des causes, non pas comme des causes principales, mais comme des causes instrumentales par lesquelles passe [la puissance] d’un autre.
2666. Mais alors se pose une question sur ce qui est accompli : est-ce que ce PRENEZ ET MANGEZ fait partie de la forme du sacrement ? Il faut dire que seulement CECI EST MON CORPS fait partie de la forme du sacrement. Il faut donc comprendre qu’il en va autrement de ce sacrement et des autres sacrements, car la consécration de la matière fait parfois nécessairement partie du sacrement, et parfois non. Ainsi, dans le baptême, la consécration de la matière ne fait pas nécessairement partie du baptême, mais, dans le cas des onctions, aucune onction n’est pratiquée sans que l’huile ait été bénite. Dans les autres sacrements, le sacrement n’est pas reçu par le fait de bénir, mais de répandre, car l’huile et l’eau, puisqu’elles sont inanimées, ne contiennent pas la grâce. De sorte que, puisque la grâce est la fin du sacrement, celle-ci ne peut être apportée que par la réception du sacrement. Mais, dans le sacrement [de l’eucharistie], celui qui est la plénitude de la grâce est contenu. Il ne s’accomplit donc pas en nous, mais par la consécration de la matière. Ainsi, à supposer que personne ne le reçoive, ce ne serait pas moins un sacrement. Son usage découle donc [de la réalité du sacrement] et n’en fait pas nécessairement partie. Ainsi, dans les autres [sacrements], ce qui se rapporte à l’usage fait partie de la forme ; mais [le sacrement de l’eucharistie] ne se rapporte pas à l’usage, mais à la sainteté de la matière. De sorte que ce qui est dit : PRENEZ ET MANGEZ, qui se rapporte à l’usage, ne fait pas partie de la forme.
2667. De même, on a l’habitude de soulever la question de savoir si le Seigneur a réalisé le sacrement par ces paroles. Il semble que non, car il est dit en cet endroit : IL PRIT DU PAIN, LE BÉNIT. Il semble donc qu’il l’ait consacré par la bénédiction. Certains ont donc dit qu’il ne l’avait pas consacré d’abord principalement par les paroles, mais par une efficacité spirituelle. Et il a pu faire cela en raison de sa puissance d’excellence, car il pouvait conférer la réalité du sacrement sans le sacrement, puisqu’il n’avait pas lié sa puissance aux sacrements. Il pouvait donc faire cela par sa puissance d’excellence. D’autres disent qu’il a dit [les paroles] d’abord de manière cachée et, par la suite, en public. Il est mieux de dire qu’il [les] a dites une seule fois, et non deux, et qu’il a consacré par ces paroles. Il faut donc lire que ce qui est dit : IL DIT : «PRENEZ ET MANGEZ», se rapporte à ce qui précède. Parlant ainsi, il dit : CECI EST MON CORPS.
2668. Ici on se demande ce qu’indique ce pronom : CECI. Certains ont dit qu’il montre, non pas pour les sens, mais pour l’intelligence, car cela ne se rapporte qu’à la substance du pain et qu’en vue de la signification. Le sens est donc : CECI EST MON CORPS, c’est-à-dire ce qui est désigné par cela est mon corps. Et cela n’est pas acceptable, car les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils signifient. Il ne fait donc rien d’autre que ce qu’il désigne, et il désigne le corps du Christ. Et ainsi, il n’y a que le corps du Christ sous le signe.
2669. D’autres disent que le CECI indique la substance même du corps. Mais comment cela peut-il être ? Est-ce le corps du Christ dès qu’il dit : CECI ? Il est clair que non, car si le prêtre mourait, [le pain] ne serait pas consacré à moins qu’il n’ait terminé. C’est pourquoi certains disent que le CECI retarde sa signification et indique ce qui existera après que ce mot : MON [CORPS] aura été proféré. Cela non plus ne convient pas, car, de la sorte, il semblerait dire la même chose que s’il disait : «Mon corps est mon corps.» Et cela ne convient pas à Dieu.
D’autres disent que les paroles sont proférées matériellement, mais non selon [leur] sens. Et cela n’est pas acceptable, car Augustin dit : «La parole atteint l’élément, et le sacrement apparaît.»
2670. De quoi s’agit-il donc ? Il faut dire que [ces paroles] dont dites sous forme de récit et, simultanément, sous forme de récit et selon [leur] sens. Pourquoi ? Parce que le prêtre] parle au nom du Christ et agit comme si le Christ était présent ; autrement, [ses] paroles n’atteindraient pas leur propre matière. De quoi donc s’agit-il ? Il faut dire qu’il en va autrement dans les paroles sacramentelles et dans les autres paroles humaines, car la parole humaine ne fait qu’indiquer le sens, mais la [parole] divine indique le sens et le réalise. De sorte que les paroles sacramentelles ont une efficacité divine en vertu de la puissance divine. Ainsi, elle dit et, par la puissance divine, elle réalise. C’est pourquoi cette parole n’indique pas seulement un sens, mais est réalisatrice. Elle réalise d’abord, puis signifie. En effet, dans une réalisation matérielle, il se fait que quelque chose de commun préexiste à toute transmutation, et ce qui est commun se retrouve sous un terme de la transmutation et, à la fin, sous un autre. Par exemple, supposons que de noire une chose devienne blanche : lors de cette transmutation, il existait un corps, mais, au départ, il se trouvait sous le noir et, par la suite, sous la blancheur. Ainsi, pour une part, elle est semblable, à savoir qu’il y a quelque chose de commun ; mais [elle est aussi] dissemblable, car [elle n’existe pas] de la même façon. Car, dans les autres transmutations matérielles, le sujet est commun et la forme, différente. Mais, ici, c’est le contraire, car l’accident est commun et la substance est différente. La substance est donc changée, l’accident commun demeure. Qu’indique donc le CECI ? Il faut dire que le sens est : CECI EST MON CORPS, c’est-à-dire que mon corps est contenu sous l’accident. Ou bien, il se fait que ce qui est contenu sous les accidents est mon corps. C’est pourquoi à la fin [le Seigneur] a employé le nom, mais, au début, le pronom, qui signifie une substance indéterminée, alors que par le nom [est signifiée] une forme déterminée. Ainsi, au départ, il n’y a pas de forme, mais [il y en a] à la fin.
2671. Mais comment le corps du Christ est-il là ? Il y a eu une opinion selon laquelle, en même temps que le corps du Christ, la substance du pain demeurait. De sorte que lorsqu’il dit : CECI EST MON CORPS, cela se rapporte au seul corps. D’autres disent que la substance du pain passe dans la matière préexistante, et qu’apparaît là le corps du Christ en raison du fait que la substance du pain est transformée dans le corps du Christ. Ceci est écarté de la manière suivante : il semble ainsi que commence à exister une réalité qui n’existait pas auparavant, ce qui ne peut se produire que s’il y a changement selon le lieu ou si quelque chose est changé en elle. Comme si on disait : «Il n’y a pas de feu ici. Si donc il y en a par la suite, cela ne peut être que parce que quelqu’un l’y a apporté ou que quelque chose qui était là a été changé en feu.» Mais, selon cette opinion, le mode de la conversion est écarté. Il ne reste donc que le changement local. Or, il est impossible que le même corps soit dans des lieux différents. Ainsi donc, etc.
Il faut donc dire autre chose, à savoir que le corps commence à y être, non par mouvement local, mais par conversion d’un autre en lui-même, et, en celui-ci, la forme demeure, mais le sujet change. Le changement se produit donc d’un sujet à [un autre] sujet, qui est le principe d’individuation, non pas parce que le corps du Christ existe en même temps que la substance du pain ou qu’est annihilée la substance du pain, mais par le fait qu’elle est changée en lui par conversion.
2672. Mais comment cela peut-il se faire en un si petit espace ? Il faut dire que quelque chose se trouve là par l’efficacité du sacrement, et il s’agit principalement [du corps du Christ], mais quelque chose s’y trouve par concomitance. S’y trouve par l’efficacité du sacrement ce à quoi aboutit la conversion. Et parce que le pain est converti en corps du Christ, ce qui est signifié est le corps du Christ, et celui-ci n’existe pas sans âme ni divinité. Toutefois, le pain n’est pas non plus converti en âme et en divinité, mais [ces réalités] sont là par concomitance. De sorte que si quelqu’un avait célébré durant le triduum [pascal], alors que l’âme [du Christ] était séparée de [son] corps, l’âme n’y serait pas. En effet, dans le pain, il y a deux choses : la substance et les accidents. Les accidents demeurent, la substance change. Cela donc s’y trouve principalement à quoi aboutit la conversion. Or, elle aboutit à la substance. La substance s’y trouve donc principalement, mais les accidents [s’y trouvent] par concomitance. Or, les dimensions sont des accidents. Et le corps du Christ dans le sacrement ne se compare pas au lieu par ses dimensions propres, mais par les dimensions du pain préexistant.
2673. De même, IL LE ROMPIT. Mais est-ce que tout le corps se trouve en chaque parcelle ? Je dis que oui. Vous devez comprendre qu’on dit que [le corps du Christ] est présent dans un lieu d’une manière différente de celle d’un objet dans un lieu, car l’objet se compare au lieu par ses dimensions, mais ce n’est pas le cas [pour le corps du Christ]. C’est pourquoi il faut remarquer que partout où il y a une différence de quantité, cela ne fait pas de différence pour la substance ; mais s’il existe quelque chose qui découle de la quantité, cela se divise selon la quantité. Mais l’âme ne reçoit pas de la quantité de recevoir sa totalité, mais elle reçoit sa totalité en chacune de ses parties. Donc, le corps du Christ ne se compare pas à ce corps [que sont les parcelles] selon la quantité, mais seulement selon la substance. De même donc que l’âme existe dans toutes les parties du corps, de même le Christ [existe-t-il] dans chaque parcelle d’hostie. Qu’arrivera-t-il de ces accidents ? Il faut dire qu’ils demeurent sans sujet par la puissance divine. Et comment cela peut-il se produire, puisque les accidents dépendent de la substance ? Il faut dire que Dieu est le principe de l’être. Il peut donc produire un effet séparé d’un sujet et sans [ses] principes. Ainsi, comme le principe de la substance est de conserver les accidents dans l’existence, Dieu peut [les] conserver sans leurs principes. Si tu demandes si cela est vrai de tous les accidents, il faut dire que tous les accidents se rapportent à la substance par l’intermédiaire des dimensions, par lesquelles ils sont d’une certaine manière individués. C’est pourquoi les dimensions existent sans sujet, mais la qualité existe dans les dimensions comme dans un sujet.
Le sens est donc : CECI, à savoir, ce qui est contenu sous ces accidents, lesquels accidents demeurent avec leurs dimensions, car la substance, qui était d’abord sous-jacente à ces accidents, est transformée en corps du Christ.

Notre-Seigneur Jésus-Christ donne son corps et son sang sous une autre forme, et commande ensuite de les recevoir ainsi, afin de donner plus de mérite à la foi qui s'exerce sur les choses qui ne se voient point.
Ce pain était du pain de froment, car c'est au grain de froment que le Seigneur s'est comparé par ces paroles: «Si le grain de froment tombant dans la terre», etc. ( Jn 12,24 ). Ce pain convient d'ailleurs à ce sacrement, parce qu'il est d'un usage plus commun, et que les autres espèces de pains ne se font que pour le remplacer. Or, comme Jésus-Christ n'avait cessé jusqu'au dernier jour d'établir qu'il n'était pas opposé à la loi, ainsi que ses paroles précédentes le prouvent; et que, le soir du jour où on immolait la Pâque, on ne devait manger que des pains azymes et jeter toute pâte fermentée. Il est in contestable que le pain, que prit le Seigneur pour le distribuer à ses disciples, était du pain azyme.
Il en est plusieurs qui s'étonnent de voir que, dans L'Église, les uns offrent des pains azymes et d'autres des pains fermentés; or, l'Église de Rome offre des pains azymes, parce que le Seigneur a pris une chair sans mélange d'aucune souillure, tandis que d'autres Églises offrent du pain fermenté, parce que le Verbe du Père s'est revêtu d'une chair humaine, et qu'il est à la fois vrai Dieu et vrai homme, car le pain fermenté ou levain est mélangé avec la farine. Mais que nous recevions du pain azyme ou du pain fermenté, nous nous unissons intimement au vrai corps de notre Sauveur.
Il n'éloigne pas même le traître de ce mystère, afin qu'il fût démontré qu'aucune offense ne motivait la haine de Judas, dont l'impiété toute vo lontaire lui était connue d'avance, et qui devait y persévérer volontairement.
Une autre raison également juste pour laquelle il choisit les fruits de la terre, c'était pour nous apprendre qu'il était venu faire disparaître cette malédiction prononcée contre la terre, à la suite du péché du premier homme ( Gn 3,17 ). Enfin, un motif non moins sage du précepte qu'il nous fait d'offrir les fruits de la terre, qui sont l'objet principal des travaux des hommes, c'était qu'ils n'eussent aucune difficulté pour se les procurer, et que le travail de leurs mains leur fournît la matière du sacrifice qu'ils devaient offrir à Dieu.
il nous apprend encore par là qu'avec le Père et le Saint-Esprit, il a rempli la nature humaine de la grâce de la vertu divine, et l'a enrichie pour l'éternité du don de l'immortalité, Mais, pour nous montrer en même temps que ce n'est pas sans sa volonté que son corps a été soumis aux souffrances de sa passion, il ajoute: «Et il le rompit».
Par cette conduite, il laisse à son Église l'exemple de ne retrancher personne de sa société ou de la communion du corps et du sang du Seigneur, si ce n'est pour des crimes manifestes et publics.
Nous voyons encore ici que le Verbe de Dieu, un et simple dans son essence, est devenu un être composé par son incarnation, et s'est rendu visible en descendant jusqu'à nous, et qu'il a recherché avec bienveillance notre société, pour nous ren dre participants des biens spirituels qu'il est venu répandre sur la terre «Et il le donna à ses disciples».
Cette circonstance prouve clairement que les disciples n'étaient pas à jeun lorsqu'ils reçurent, pour la première fois, le corps et le sang du Seigneur. Doit-on pour cela blâmer l'usage de l'Église universelle, qui prescrit de ne recevoir l'Eucharistie qu'à jeun? Non sans doute, car il a plu à l'Esprit saint que, par respect pour un si grand Sacrement, le corps du Seigneur entrât dans la bouche du chrétien avant toute autre nourriture. Ce fut pour faire ressortir plus fortement la grandeur de ce mystère que notre-Seigneur voulut l'imprimer en dernier lieu dans le coeur et dans le souvenir de ses disciples, dont il allait se séparer pour aller à la mort; et, s'il n'établit pas lui-même la manière de rece voir dans la suite ce Sacrement, c'était pour laisser aux Apôtres, qui devaient en son nom gou ver ner l'Église, le soin de la déterminer eux-mêmes.
Or, le Seigneur nous a donné son corps et son sang sous les apparences de substances qui sont le résultat de plusieurs choses réduites en une seule, car le pain est le produit de plusieurs grains de blé, et le vin le produit de plusieurs grains de raisin mêlés et confondus ensemble. C'est ainsi qu'il a figuré l'union qui doit régner entre nous, et qu'il a consacré dans son banquet divin le mystère de notre paix et de notre unité.
De même que l'Esprit saint a créé une véritable chair sans union conjugale, ainsi le même Esprit consacre et change le pain et le vin au corps et au sang de Jé sus-Christ, et comme cette consécration se fait par la parole du Seigneur, l'Évangéliste ajoute: «Et il le bénit».
Lors donc que l'hostie est rompue, et que le sang coule du calice sur les lèvres des fidèles, quel mystère nous est représenté, si ce n'est l'immolation du corps du Seigneur sur la croix et l'effusion de son sang qui sortit de son côté ?
Le même pain fut donné à Pierre et à Judas; mais Pierre le reçut pour la vie, et Judas pour la mort. C'est ce qu'indiquent ces paroles de saint Jean «Et quand il eut prit ce morceau, Satan entra en lui». Car ce qui augmenta l'énormité de son crime, c'est qu'il osa s'approcher des saints mystères dans des dispositions aussi coupables, et, qu'après les avoir reçus, il n'en devint pas meilleur, insensible à la crainte, à la reconnaissance et à l'honneur qui lui était fait. Jésus-Christ ne lui défendit pas de s'en approcher, bien qu'il connût toutes choses, pour nous apprendre qu'il n'a rien omis de ce qui pouvait le faire changer de sentiment.
Ne nous contentons pas de manger la chair de Jésus-Christ, ce que font beaucoup de mauvais chrétiens; mais allons dans cette manducation jus qu'à la participation de l'Esprit, afin de rester unis à Jésus-Christ, comme les membres à leur corps et d'être vivifiés par son esprit.
Avant d'être consacré, c'est du pain; mais, aussitôt que Jésus-Christ a prononcé ces paroles: «Ceci est mon corps», c'est le corps du Christ.
Le Seigneur invite ses serviteurs à ce festin, où il se donne lui-même à eux en nourriture. Mais qui osera se nourrir de la chair de son maître? Or, remarquez que, lorsqu'il est mangé, il répare les forces sans défaillir lui-même; il vit lorsqu'il est mangé, parce qu'il est ressuscité après qu'il eut été mis à mort. Observez encore que, lorsque nous le mangeons, nous ne le partageons pas. Voici ce qui arrive dans ce sacrement, et les fidèles savent la manière dont ils mangent la chair du Christ: chacun d'eux reçoit sa part de cet aliment divin, il est mangé comme par parties dans ce sacrement, et cependant il demeure tout entier dans le ciel et tout entier dans votre coeur. On appelle ce mystère sacrement, parce que ce qui paraît aux yeux est tout différent de ce que l'on com prend; ce que l'on voit a une apparence corporelle, ce que l'esprit comprend produit des fruits tout spirituels.
Après qu'il eut célébré la Pâque figurative et mangé la chair de l'agneau avec ses dis ciples, le Sauveur en vient au véritable mystère de la Pâque, et de même que Melchisédech, prêtre du Dieu tout-puissant, avait offert du pain et du vin, il nous donna, sous les mêmes ap parences, la réalité de son corps et de son sang. «Or, pendant qu'ils soupaient, Jésus prit du pain»,etc.
Ou bien, on peut dire que Notre-Seigneur, ayant rompu le pain et pris le calice, consacra la vraie Pâque lorsque Judas fut sorti, car il n'était pas digne de participer aux sacrements éternels, Or, une preuve qu'il était sorti du cénacle, c'est que nous le voyons revenir avec la foule.
C'est encore pour prévenir tout sentiment d'horreur et de répul sion pour le sang, et nous donner cependant le véritable prix de notre rédemption.
Vous devez conclure de là que les mystères des chrétiens sont antérieurs à ceux des Juifs, car Melchisédech offrit du pain et du vin, comme étant en tout la figure du Fils de Dieu ( He 7,2-3 ), à qui il est dit: «Vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech» ( Ps 110,4 ), et dont l'Évangéliste dit ici: «Jésus prit du pain», etc.
Ce pain, avant les paroles sacramentelles, n'est que du pain ordinaire; après la consécration, ce pain devient la chair de Jésus-Christ. Or, de quelles paroles se compose la consécration, si ce n'est des paroles du Seigneur Jésus? Car si ces paroles ont une puissance si grande qu'elles font sortir du néant ce qui n'existait pas, à combien plus forte raison pourront-elles changer en une autre substance celles qui existent déjà, tout en leur conservant leur apparence extérieure. Pourquoi, en effet, la parole céleste, qui s'est montrée si efficace dans les autres choses, le serait-elle moins dans les divins sacrements? Le pain devient donc le corps de Jésus-Christ, et le vin devient son sang parla consécration de la parole divine. Vous demandez comment cela se fait? Le voici: N'est-ce pas l'ordinaire que l'homme ne naisse que de l'union de l'homme avec la femme? Et cependant, parce que telle a été la volonté du Seigneur, le Christ est né de l'Esprit saint et de la Vierge.